Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a réformé le Conseil supérieur de la magistrature.

Cette réforme était souhaitée par les magistrats, mais elle a aussi, il faut le dire, été imposée par le choc de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau.

L’article 65 de la Constitution prévoit notamment la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par un justiciable. Dans son principe, cette disposition constitue une incontestable avancée.

Cependant, cette réforme n’a, hélas ! pas créé les conditions d’une véritable indépendance du CSM, d’un retour de la confiance de nos concitoyens envers la justice et de la transparence que vous avez, madame le garde des sceaux, évoquée, ou invoquée…

D’abord, cette réforme est entachée par l’intervention permanente du politique auprès des acteurs de la justice, mais aussi par la mise au pas régulière des procureurs et par l’instrumentalisation des juges, dont la propagande sécuritaire fait volontiers de bien commodes boucs émissaires !

Elle est ensuite entachée par la chronique de la suppression annoncée du juge d’instruction, suivant la volonté du Président de la République, dont on sait qu’il est chef de l’exécutif, chef de la majorité, chef du parti majoritaire de la majorité et qu’il commande à la justice et aux médias.

Mais revenons au CSM lui-même. Certes, le Président de la République ne le préside plus – affichage oblige –, mais le poids de l’exécutif y reste tout à fait déterminant. Le garde des sceaux n’en est plus vice-président, certes, mais il participe de droit aux séances des formations du CSM, sauf en matière disciplinaire, et sa présence ne peut être considérée comme purement formelle.

Le Président de la République nomme deux des membres du CSM, selon la procédure de l’article 13 de la Constitution, c’est-à-dire après avis des commissions des lois des deux assemblées. Or cet avis est forcément acquis, puisqu’il faudrait les trois cinquièmes de leurs membres pour refuser les nominations proposées !

Il nomme aussi le secrétaire général du CSM, sur proposition du premier président de la Cour de cassation et du procureur général, après avis du CSM, étant entendu que le principe selon lequel cet avis devait être conforme n’a pas été retenu.

Contrairement à ce que nous aurions souhaité, magistrats et personnalités qualifiées ne sont pas à égalité : les non-magistrats sont majoritaires, sauf en matière disciplinaire, du moins si la parité est respectée, comme le propose notre commission.

Autrement dit, l’emprise de l’exécutif reste très forte sur les décisions du CSM, ce qui va à l’encontre de l’indépendance de cet organisme et continue de porter atteinte à sa crédibilité, en particulier au regard de l’autonomie de ces décisions.

Pour ces raisons, nous sommes opposés à l’article 65 tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle. Or la loi organique ne fait qu’en organiser les modalités d’application, n’ayant pas le pouvoir d’en modifier la logique. Je développerai néanmoins quelques points qui pourraient être pris en compte.

Le justiciable va pouvoir déposer auprès du Conseil supérieur de la magistrature une plainte à l’encontre d’un magistrat. Cette saisine est soumise à un filtrage, dont je ne conteste pas le bien-fondé, par la commission des requêtes dont est pourvu le CSM. Cette commission devra statuer sur la recevabilité des plaintes. Elle pourra ainsi écarter celles qui sont manifestement infondées ou sont simplement dilatoires.

Il est à noter que le magistrat mis en cause est informé dès que la commission des requêtes décide de l’examen de la plainte et de la qualification disciplinaire qu’il convient de lui accorder. La commission dispose aussi de la possibilité d’entendre le magistrat visé par la plainte.

Cependant, les dispositions relatives à la commission des requêtes posent problème. En effet, lorsqu’il y a partage des voix au sein de cette commission, la plainte est tout de même transmise pour examen à la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature. Or le doute de la commission des requêtes devrait pouvoir bénéficier au magistrat mis en cause. C’est pourquoi il paraîtrait plus juste que le partage des voix entraîne un classement sans suite de la plainte. Une décision aussi grave pour la carrière d’un magistrat ne devrait pouvoir être prise qu’à la majorité. Serait ainsi respecté le principe selon lequel le doute bénéficie à la personne mise en cause.

De plus, cela permettrait de rendre plus cohérent l’ensemble du texte puisque la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature qui se prononce sur l’existence d’une faute doit, en cas de partage égal des voix, émettre « un avis en faveur de l’absence de sanction ». Il y a donc ici une incohérence qui doit être corrigée. L’uniformisation des effets du partage des voix doit être la règle, le principe étant qu’il bénéficie au magistrat.

J’en viens au problème essentiel, à savoir le maintien de l’exécutif dans la procédure de décision. En effet, si la plainte du justiciable est rejetée par la commission des requêtes, le garde des sceaux conserve la possibilité de saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Il y a là une véritable atteinte à l’indépendance de la justice et à la crédibilité même de l’institution, qui pourra voir sa décision de ne pas poursuivre un magistrat être remise en question par le pouvoir. C’est manifestement une entorse au principe de la séparation des pouvoirs.

L’appréciation que porte à ce sujet l’Union syndicale des magistrats n’est pas de bon augure pour les relations entre le pouvoir exécutif et les magistrats. Elle estime en effet que cet aspect de la réforme est « la marque, même symbolique, que le pouvoir politique entend garder en toutes circonstances le contrôle de la discipline en revenant au besoin sur une décision du CSM. »

On peut aussi considérer que cette disposition porte atteinte à la règle qui veut que l’on ne soit pas jugé deux fois pour le même fait. Il nous semble en effet que la décision de rejeter la plainte du justiciable qui est prise par la commission des requêtes ne devrait pas être susceptible d’un quelconque recours.

L’immixtion de l’exécutif, sous la pression de l’opinion publique, n’est pas de nature à favoriser la sérénité des délibérations du Conseil supérieur de la magistrature lorsque celui-ci doit prendre une décision susceptible de remettre en cause la carrière d’un magistrat.

J’évoquerai à présent le mode de désignation de certains membres du CSM dont il conviendrait de renforcer la légitimité.

Ainsi, l’avocat doit être, à notre avis, élu par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux, et la commission semble partager ce point de vue. Son élection par ses pairs ne peut que renforcer son autorité. De plus, cela le placerait sur un pied d’égalité avec le conseiller d’État membre du CSM, qui est, lui, élu par l’assemblée générale du Conseil d’État. Là encore, il s’agit donc d’assurer la cohérence de la réforme qui nous est soumise.

Le secrétaire général doit également voir son autorité renforcée en étant désigné à la suite d’un avis conforme de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature.

Il est important, à mon sens, de conférer à ces personnalités la plus grande légitimité possible pour leur permettre d’exercer le rôle qui leur est imparti. Cela permettrait d’éviter des polémiques inutiles.

Je voudrais soulever, s’agissant de la formation plénière du Conseil, deux autres questions.

D’une part, je déplore que les prérogatives accordées à la formation plénière ne soient pas suffisantes. En effet, si la réforme prévoit que cette formation peut être amenée à répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République, ainsi qu’à toute question relative à la déontologie des magistrats ou au fonctionnement de la justice dont la saisit le garde des sceaux, elle ne peut être à l’initiative d’avis portant sur des atteintes à l’indépendance de la justice. Or une telle faculté lui aurait permis de renforcer sa crédibilité vis-à-vis de l’opinion publique et d’éviter l’instrumentalisation de certaines affaires par les autorités politiques.

D'autre part, la formation plénière est complètement absente en matière disciplinaire, le projet de loi organique lui octroyant pour seule prérogative la possibilité d’élaborer et de rendre public « un recueil des obligations déontologiques des magistrats ». C’est, à mon sens, bien insuffisant.

Soulignons aussi que certaines des sanctions prévues dans le cadre du régime disciplinaire applicable aux magistrats paraissent excessives et disproportionnées. Il en est ainsi de la révocation avec suspension totale ou partielle des droits à pension : un magistrat qui a commis une faute avérée et punissable doit naturellement être sanctionné ; pour autant, il serait injuste de toucher à sa retraite alors même qu’il a cotisé. Le magistrat doit être traité comme n’importe quel justiciable, mais évitons tout acharnement à son égard. Prévoir une telle sanction, qui remet en cause l’égalité des citoyens devant la loi, confine à l’excès de zèle. C'est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à la supprimer.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, si la réforme offre une avancée en faveur des justiciables, qui pourront dorénavant saisir l’institution, elle montre toute son ambiguïté en maintenant le droit pour l’exécutif d’intervenir sur une décision du Conseil supérieur de la magistrature.

Le projet de loi organique n’atteint pas, à l’évidence, les objectifs qui lui étaient, semble-t-il, assignés, à savoir renforcer l’indépendance des magistrats et accroître la transparence et la confiance. Conformément à la position que nous avons adoptée au moment de la révision constitutionnelle, nous voterons contre. ((Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, communément défini comme la clef de voûte de l’autorité judiciaire, gardien de son indépendance et symbole de l’unité du corps judiciaire, le Conseil supérieur de la magistrature, qui a déjà été modifié à la suite de l’adoption de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, a fait l’objet d’une refonte encore plus importante lors de la révision de la Constitution du 23 juillet 2008. Nous nous étions alors félicités de l’adoption de dispositions modifiant de façon substantielle sa composition et ses attributions.

Le projet de loi organique qui nous est aujourd'hui soumis vise à les adapter dans le détail. L’un de ses apports majeurs concerne, bien sûr, la composition du Conseil.

La révision constitutionnelle a mis fin à la présidence du CSM par le Président de la République et à la vice-présidence de droit du ministre de la justice. Nous avons approuvé ces dispositions sans aucune hésitation. La composition du Conseil a en outre été ouverte pour lui permettre d’accueillir désormais six personnalités qualifiées n’appartenant ni à l’ordre judiciaire ni à l’ordre administratif et qui ne sont pas membres du Parlement. Cela signifie en outre que les magistrats ne seront plus majoritaires au sein du Conseil : selon les circonstances, ils seront soit à parité avec les non-magistrats soit minoritaires. Il s’agit à nos yeux d’une avancée intéressante.

Par ailleurs, la réforme ouvre la possibilité pour les justiciables de saisir directement le CSM, question qui a déjà fait l’objet de très nombreux travaux parlementaires, notamment de la commission des lois du Sénat.

Cela a été rappelé à plusieurs reprises, il y a d’abord eu un avant-projet de loi organique en 1999. Plus récemment, à la suite de la commission d’enquête sur l’affaire dite « d’Outreau », a été imaginé, un peu laborieusement d’ailleurs, un mécanisme instaurant la saisine du Médiateur de la République. Le dispositif a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel, ce qui, à l’époque, ne nous a pas contrariés outre mesure tant nous avions conscience qu’il méritait d’être amélioré.

Aujourd'hui, je me félicite de l’entrée en vigueur effective de cette nouvelle faculté ouverte aux justiciables, dès que sont réunies des conditions précises.

D'une part, Mme le ministre d’État l’a souligné tout à l’heure, pour être recevable, la plainte devra viser un magistrat qui, dans l’exercice de ses fonctions, a adopté un comportement susceptible de recevoir une qualification disciplinaire.

D'autre part, le texte met en place une commission des requêtes chargée d’assurer le filtrage des plaintes. Il s’agit d’éviter toutes les manœuvres dilatoires ou excessives aisément imaginables. Dans nos fonctions de parlementaire ou d’élu local, nous sommes nombreux à recevoir dans nos permanences des concitoyens qui n’ont pas forcément bien compris le fonctionnement de la justice. Il est clair qu’en l’absence d’un tel filtre les dérives ne manqueraient pas de se multiplier.

Bin entendu, une plainte ne pourra pas être dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure. Pour autant, la commission des lois a dû prévoir un certain nombre de dérogations à ce principe. À cet égard, la formulation que nous avons retenue hier est intéressante : « À peine d’irrecevabilité, la plainte ne peut être dirigée contre un magistrat qui demeure saisi de la procédure, sauf si les manquements évoqués et la nature de la procédure considérée le justifient. » Nous aurons l’occasion d’y revenir.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement visant à interdire à l’avocat membre du CSM, pendant toute la durée de son mandat, de plaider devant les tribunaux ou d’agir en conseil juridique d’une partie engagée dans une procédure. Il s’agit, bien sûr, de limiter les situations dans lesquelles l’avocat aurait à se déporter parce qu’il serait confronté dans son exercice professionnel au magistrat sur le sort duquel le CSM est appelé à se prononcer.

Comme la quasi-totalité de mes collègues, j’ai approuvé cette disposition nécessaire, propre à prévenir les conflits d'intérêt. Peut-être faudrait-il la compléter pour prévoir tous les cas, notamment celui – certes, très rare, mais qui est susceptible de se produire – dans lequel le magistrat du siège membre de la formation du CSM compétente à l’égard des magistrats du parquet a jugé une affaire où le magistrat du parquet concerné représentait le ministère public. Nous aborderons sans doute cette question. Symétriquement, la même modification devrait être instaurée pour le magistrat du parquet membre de la formation compétente à l’égard des magistrats du siège.

Enfin, plusieurs membres du groupe de l’Union centriste ont exprimé des inquiétudes sur le sort de l’article 11 bis, introduit en commission, qui précise : « Lorsqu’elle siège en matière disciplinaire, la formation compétente comprend un nombre égal de membres appartenant à l’ordre judiciaire et de membres n’y appartenant pas. À défaut d’égalité, il est procédé par tirage au sort pour la rétablir. »

Le Gouvernement a déposé un amendement tendant à la suppression de ce dispositif, qu’il juge, si j’ai bien compris, « potentiellement inconstitutionnel ». Plutôt que cette position radicale, je soutiendrai la proposition défendue par M. le rapporteur, qui suggère de renvoyer au Conseil supérieur de la magistrature l’appréciation des modalités de rétablissement de la parité.

Pour conclure, madame le ministre d’État, mes chers collègues, je tiens à saluer l’excellent travail réalisé par M. le rapporteur. Il a permis aux membres de la commission des lois de mieux saisir la portée de ce texte et, partant, d’y apporter nombre d’améliorations substantielles. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur le banc de la commission. – MM. Patrice Gélard et .Jacques Mézard applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, nous sommes donc appelés à examiner aujourd'hui le projet de loi organique relatif à l’application de l’article 65 de la Constitution.

Au moment de la révision constitutionnelle, cet article avait donné lieu, ici même, à des débats fort importants. À l’époque, nous, membres du groupe socialistes, avions voté contre le texte, nous opposant notamment aux dispositions relatives au Conseil supérieur de la magistrature.

Nous ferons de même aujourd'hui, malgré les avancées, somme toute marginales, obtenues en commission des lois. Celle-ci, à l’occasion d’un débat très contraint, a suivi la position défendue par M. le rapporteur, Jean-René Lecerf, qui a pourtant toujours à cœur d’améliorer les projets de loi du Gouvernement. (M. le rapporteur sourit.)

En l’espèce, il s’agit à proprement parler non pas du CSM, mais de cinq CSM, puisqu’il siège en autant de formations différentes : deux pour la carrière des magistrats, deux pour la discipline et une cinquième, appelée « formation plénière », mais qui, en fait, n’en est pas une ! J’y reviendrai tout à l’heure.

La nouvelle architecture proposée aboutit, à mon avis, à accentuer la distinction entre le siège et le parquet, alors que la réforme constitutionnelle aurait dû être l’occasion de donner plus d’unité au corps. On entend toujours dire qu’il n’y a qu’un corps de magistrats, que les parquetiers sont des magistrats, etc. Or, force est de constater que tel n’est pas l’objectif recherché puisque la distinction est maintenue et que, ce faisant, on ne répond pas aux demandes répétées tendant à nous rapprocher des « standards européens » en la matière.

Si les projets de réforme de la procédure pénale qui ont été annoncés sont finalement présentés, mieux vaudrait que le magistrat du parquet bénéficie d’un certain nombre de garanties d’indépendance, notamment pour les cas où il aura à mener l’instruction des affaires pénales. Ces garanties, il ne les a pas aujourd'hui.

Par ailleurs, ce fractionnement fait perdre de l’influence au CSM et, notamment, à sa formation dite « plénière », qui, je le répète, porte bien mal son nom puisque tous les membres n’y participeront pas ! Plus grave encore, dans le projet initial du Gouvernement, celle-ci ne pouvait plus s’autosaisir et devait se limiter à répondre aux demandes d’avis formulées par le pouvoir exécutif.

La position du Gouvernement peut se comprendre. L’histoire récente a montré l’importance qu’a pu revêtir une telle autosaisine lorsque des magistrats étaient pris à partie par les autorités politiques et que le CSM était appelé à émettre un avis public. Là encore, c’est la présidentialisation – un mot que j’ai du mal à prononcer, sans doute parce que la réalité qu’il décrit n’est vraiment pas ma tasse de thé ! (Sourires.) – du régime que l’on accentue !

Certains d’entre vous vont sûrement me rétorquer que le Président de la République ne présidera plus le Conseil supérieur de la magistrature. La belle affaire ! Cette bien timide avancée a tout de même, à mon avis, une conséquence heureuse : aucun membre du cabinet présidentiel ne pourra plus, en toute logique, assister aux réunions du CSM…

Une telle modification ne manquera pas de susciter de nombreux débats et tout autant d’articles de doctrine puisque l’article 64 de la Constitution précise : « Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil de la magistrature. » Comment celui-ci pourra-t-il donc mettre en œuvre ses pouvoirs constitutionnels s’il ne préside plus le CSM ? Qu’aura-t-il entre ses mains pour garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire ?

Pour la garantir, il devra surtout commencer par s’abstenir de toute critique portant sur des décisions judiciaires ou le comportement de tel ou tel magistrat. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Et il ne lui viendra vraisemblablement plus à l’idée de se porter partie civile devant les juridictions alors qu’il bénéficie d’une immunité totale pendant toute la durée de son mandat ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

MM. Robert Badinter et Jean-Claude Peyronnet. Très bien !

M. Jean-Pierre Michel. La composition de ce nouveau CSM est-elle de nature à mieux garantir non pas l’indépendance – je n’aime pas beaucoup le terme –, mais, disons plutôt, l’impartialité et la liberté des magistrats ? La réponse, malheureusement, est négative. Elle ne donne pas satisfaction en ce sens qu’elle accentue encore la pression de l’exécutif sur la carrière des magistrats et leur observation de la discipline.

Les membres désignés sont choisis par le chef de l’exécutif et par les présidents des deux assemblées. À l’évidence, le fait majoritaire entravera l’expression du pluralisme nécessaire à l’équilibre démocratique.

La présence parmi eux d’un avocat pose de graves problèmes, et nous y reviendrons lors de la discussion des amendements. Personnellement, je ne vois rien qui puisse justifier cette présence d’un avocat parmi les membres du CSM. On aurait pu penser à d’autres personnalités qualifiées : le premier président de la Cour des comptes, un professeur de droit… Pourquoi un avocat ? Veut-on montrer par là que les défenseurs, ceux qui sont les porte-parole des justiciables, auront une place au sein du CSM ? Je ne pense pas que ce soit le cas !

En outre, cela pose des problèmes pratiques qui sont loin d’être négligeables, à commencer par ceux qui touchent aux modalités de désignation de cet avocat. Pourquoi devrait-il être désigné par le président du Conseil national des barreaux, alors que le conseiller d’État membre du CSM est élu par ses pairs ? La commission des lois revient heureusement sur ce choix, dont nous ignorons les raisons. Ne les cherchons pas trop, de crainte d’en trouver qui nous déplairaient sans doute…

Mais notre reproche essentiel porte sur une exception prévue par le projet de loi au profit de l’avocat : lui seul pourra continuer à exercer sa profession. Aucun des autres membres du Conseil ne peut, pendant la durée de ses fonctions, exercer la profession d’officier public ou ministériel ni aucun mandat électif ni la profession d’avocat. Cela veut au moins dire que le CSM ne comptera pas plusieurs avocats…

Cet avocat pourra donc plaider devant des magistrats dont il connaîtra le déroulement de carrière, voire les poursuites disciplinaires dont ils ont pu faire l’objet. Cela est, à l’évidence, totalement contraire aux règles du procès équitable établies par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit là d’un point gravissime, sur lequel nous reviendrons lors de la discussion des articles.

De notre point de vue, cet avocat ne doit plus pouvoir exercer sa profession pendant la durée de son mandat ni demeurer associé d’un cabinet de groupe, ce qui reviendrait au même.

Dans ces conditions, c’est la perle rare qu’il va falloir trouver : un avocat qui n’exercera plus ; un avocat qui ne sera pas membre associé d’un gros cabinet ; un avocat proche de la retraite ! (Sourires.)

On le voit bien, c’est en fait la présence même de l’avocat au sein du CSM qui pose problème.

La désignation des magistrats ne fait pas davantage apparaître de réels progrès. La haute hiérarchie judiciaire – membres de la Cour de cassation et chefs de cour, soit moins de 10 % du corps – sera représentée par quatre magistrats dans chaque formation, alors que l’ensemble des magistrats des cours et des tribunaux ne sera représenté que par trois magistrats !

Par ailleurs, le mode de désignation des magistrats qui composeront le CSM n’est pas modifié. Or il aurait fallu profiter de la révision constitutionnelle et de la loi organique pour permettre au CSM de mieux refléter la réalité de la profession. Cela supposait d’abandonner le système électoral par collège, qui accentue encore le poids de la hiérarchie au sein du CSM, au profit d’une élection au suffrage universel direct par l’ensemble des magistrats, quels que soient leur grade et leur fonction.

Et les pouvoirs, me dira-t-on ? Les prérogatives du CSM ne sortent-elles pas renforcées de cette nouvelle mouture ? Eh bien, non ! Le projet de réforme de 1998-1999, malheureusement non soumis au Congrès après avoir été voté par les deux assemblées, était bien plus satisfaisant. Il prévoyait, en effet, de soumettre l’ensemble des nominations des membres du parquet à l’avis conforme de la formation spécialisée du CSM.

Je veux dissiper toute méprise : il ne s’agit pas pour nous de revendiquer une quelconque indépendance des membres du parquet. Ce serait totalement contre-productif, et même idiot, puisque les membres du parquet sont soumis à l’autorité de leur hiérarchie et doivent appliquer la politique pénale définie par le Gouvernement !

Le seul problème qui puisse se poser à cet égard est celui qui apparaît lorsque la Chancellerie donne l’ordre aux membres du parquet de ne pas agir – cela s’est vu par le passé ! – ou de choisir telle procédure pénale plutôt que telle autre, car il y a tout de même une différence entre une instruction et une comparution immédiate, ou encore cette invention saugrenue du procureur de Paris, l’enquête préliminaire, avec mise à disposition des pièces auprès de celui qui en fait l’objet !

M. Pierre-Yves Collombat. Quelle innovation !

M. Jean-Pierre Michel. Ce que nous tenons à dire, c’est que les membres du parquet doivent, à l’instar des membres du Conseil d’État ou des membres de la Cour des comptes, bénéficier de garanties statutaires.

Si les membres du parquet sont amenés, demain, à mener instructions et enquêtes préliminaires, le juge d’instruction disparaissant, il me semble encore plus indispensable de les protéger par des garanties statutaires. En effet, on peut supposer qu’ils ne seront pas toujours disposés à suivre la ligne que leur indique le pouvoir exécutif. Souvenons-nous de ce qui est arrivé récemment aux procureurs généraux d’Angers et de Riom !

Seul point positif : la saisine directe du CSM par le justiciable. Il est vrai que, après l’affaire d’Outreau, le pouvoir politique s’est senti obligé de trouver une solution. Mais celle qu’il a mise au point dans un premier temps a été censurée par le Conseil constitutionnel.

Nous ne pouvons que nous féliciter de l’ouverture de la saisine disciplinaire du CSM aux justiciables. Je crois d’ailleurs que les syndicats de magistrats sont favorables à cette procédure. Ils font là, du reste, preuve d’un certain courage, car je doute que l’ensemble du corps en soit fanatique…

L’idée est bonne, car elle est de nature à restaurer la confiance des citoyens dans leur justice, dans les magistrats, en particulier.

À mon avis, il faut éviter deux écueils.

Le premier serait d’instrumentaliser cette procédure pour déstabiliser la juridiction ; c’est pourquoi il faut prévoir un certain nombre de garanties.

Le deuxième consisterait à faire naître des illusions dans l’esprit du justiciable. La décision rendue par le juge fait presque toujours au moins un mécontent ; au pénal, c’est évident ; au civil, en général, une des deux parties. Je me souviens d‘un discours de rentrée de la cour d’appel de Paris, dans les années soixante-dix, au cours duquel un haut magistrat avait développé cette idée.

Désormais, le justiciable mécontent va pouvoir saisir le CSM. Mais il devra invoquer le « comportement » de tel ou tel magistrat. En commission, nous avons débattu de cette notion. Que faut-il, en l’occurrence, entendre par « comportement » ?

Un président qui insulte des parties à l’audience, un juge d’instruction qui injurie une personne mise en examen, cela relève indéniablement d’un comportement susceptible de constituer une faute disciplinaire.

Mais est-ce que le fait de ne pas agir est un « comportement » ou un acte juridictionnel ? Je pense, par exemple, au juge d’instruction qui, malgré des demandes réitérées, refuse de faire procéder à des expertises, à des auditions ou à des confrontations, bref, laisse traîner. S’agit-il d’un « comportement » ? Après tout, il est libre de mener son instruction comme il l’entend, donc libre de ne rien faire, éventuellement, pendant un certain temps : c’est à lui d’apprécier. Peut-être a-t-il de bonnes raisons d’agir de la sorte !