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Hommage à une personnalité étrangère

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le grand plaisir, au nom du Sénat tout entier, de saluer la présence dans notre tribune officielle de M. Mehmet Simsek, ministre des finances de Turquie – accompagné par notre éminent collègue M. Jacques Blanc –, qui participe cet après-midi, salle Clemenceau, à un colloque sur l’état et les perspectives des investissements France-Turquie.

Nous sommes particulièrement sensibles à l’intérêt et à la sympathie qu’il porte à notre institution.

Au nom du Sénat de la République, je lui souhaite la bienvenue dans notre pays. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)

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Article 45 bis (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Deuxième partie

Loi de finances pour 2010

Suite de la discussion d’un projet de loi

Articles non rattachés (suite)

Article 45 bis (suite)

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Article additionnel après l'article 45 bis
Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Article additionnel après l'article 45 bis
Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances  pour 2010
Article additionnel après l'article 45 bis

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2010.

Au sein de l’article 45 bis, nous poursuivons l’examen de trois amendements identiques.

L’amendement n° II-105 a été présenté.

La parole est à M. Michel Charasse, pour présenter l'amendement n° II-172 rectifié quater.

M. Michel Charasse. Cet amendement a le même objet que le précédent : il tend à la suppression de l’article 45 bis.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour présenter l'amendement n° II-261.

M. Jean-Pierre Godefroy. Comme nous venons de vous le dire, monsieur le ministre, nous sommes opposés à la fiscalisation des indemnités journalières perçues par les victimes d’accidents du travail ; c’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 45 bis introduit à l’Assemblée nationale.

Pour justifier cette mesure, vous invoquez le « courage politique » qui vous dicterait, contre l’avis de tous, de fiscaliser les indemnités journalières des victimes du travail. C’est particulièrement choquant à l’heure où les inégalités ne cessent de se creuser dans notre pays.

Aujourd’hui, vous inventez une « équité à géométrie variable », en oubliant sciemment de préciser que les victimes du travail ne sont pas intégralement indemnisées de leurs préjudices, qu’elles ne reçoivent aucune indemnisation au titre des préjudices personnels, comme la douleur, le préjudice moral, le préjudice esthétique. De plus, ces périodes d’arrêt de travail, exclues de l’assiette de cotisations et sans report de salaire au compte, pénalisent les salariés en matière de droits à retraite.

En aucun cas il ne s’agit d’équité ou de courage ; il s’agit tout simplement de choix politiques, qui conduisent à fiscaliser les indemnités journalières plutôt que les heures supplémentaires, à taxer les victimes du travail plutôt que les banques, à conserver un bouclier fiscal critiqué, y compris dans la majorité, et à adopter une succession de mesures visant à diminuer la réparation des victimes du travail, telles que celle qui est envisagée à propos du calcul du montant de l’allocation de cessation d’activité anticipée des travailleurs de l’amiante.

Mes chers collègues, vous avez tous entendu parler de l’accident qui est survenu le 23 novembre dernier dans une usine chimique classée « Seveso » située à Andrézieux-Bouthéon, dans le département de la Loire, et qui a fait quatre blessés graves, dont une personne brûlée au visage.

Ces quatre salariés vont bénéficier d’indemnités journalières mais n’auront aucune autre indemnisation de leurs préjudices. En effet, le salarié brûlé au visage ne recevra, par exemple, aucune indemnisation au titre de la douleur qu’il endure ou de son préjudice esthétique, puisque même la rente d’accident du travail ne les indemnise pas. Il lui appartiendra donc d’aller devant les tribunaux pour faire éventuellement reconnaître, et au bout de plusieurs années de procédure, la faute inexcusable de son employeur.

En revanche, mes chers collègues, si dans quelques instants l’article 45 bis est adopté par le Sénat, ces quatre salariés blessés seront bientôt imposés sur leurs indemnités journalières. C’est scandaleux !

Contrairement à ce que vous affirmez, la rédaction actuelle de l’article 45 bis ne limite pas la fiscalisation aux seuls arrêts de moins de vingt-huit jours et donc aux seules victimes d’accidents dits « bénins ». Ce sont bien toutes les victimes, quelle que soit la gravité de leur accident et de leurs séquelles ou la durée de leur arrêt, qui sont visées.

De toute façon, on ne peut se limiter à parler des accidents du travail en les comparant aux entorses que l’on peut se faire en jardinant, ni soutenir qu’il est équitable de traiter de la même manière quelqu’un atteint d’une grippe saisonnière et quelqu’un qui subit des brûlures au visage en travaillant. Alors que les conditions de travail se dégradent – plusieurs enquêtes récentes l’ont montré –, la seule mesure concrète que vous proposez est la fiscalisation des indemnités journalières.

C’est désastreux et c’est d’autant plus choquant qu’aucune mesure concrète n’est, par ailleurs, prise ou proposée par le Gouvernement pour améliorer la réparation des victimes du travail. De plus, cette sanction financière sera sans conséquence sur une évolution quelconque du volume ou de la gravité des accidents de travail dans notre pays. C’est pourquoi nous vous invitons à adopter l’amendement n° II-261.

Mes chers collègues, un accident du travail est toujours un drame pour une famille.

M. Sarkozy avait évoqué, naguère, « la France qui se lève tôt ». Mais un salarié qui, le soir, rentre chez lui blessé, c’est un drame pour toute une famille, notamment sur le plan économique, car cela signifie des ressources en moins et des perspectives de dépenses qui ne pourront être assumées. Et vous voudriez en plus fiscaliser ces indemnités ?

La loi de 1898 a prévu une indemnisation forfaitaire. De grâce, ne revenons pas sur ce point. Nous pouvons discuter de nouveau des modalités de l’indemnisation, mais pas maintenant, pas à la va-vite, pas à la sauvette !

Monsieur le ministre, vous commettez une grave erreur, me semble-t-il. Il faut prendre les sondages pour ce qu’ils sont, certes, mais je lisais ce matin dans Le Parisien que 65 % des Franciliens étaient opposés à cette mesure. Même dans votre camp, une majorité y est hostile !

Vous feriez donc bien, ici, au Sénat, de revenir sur cette disposition, qui, me semble-t-il, a été adoptée trop vite. Il y a eu beaucoup d’emballement autour de cette question, et ce sont malheureusement les victimes des accidents du travail qui en feront les frais. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Comme toujours, j’ai entendu avec intérêt les différents orateurs s’exprimer, d'abord sur l’article, puis sur ces amendements de suppression.

Bien sûr, il faut toujours faire la part de la rhétorique, qui est indispensable dans une assemblée parlementaire. Toutefois, certaines expressions sont de trop, me semble-t-il, en particulier lorsqu’on nous parle d’un débat mené « à la sauvette ».

En effet, je veux le rappeler, la mesure dont il s'agit a déjà été votée trois fois par la commission des finances du Sénat et au moins une fois par la Haute Assemblée dans son ensemble ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. Nous nous y étions opposés !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, le Sénat a déjà adopté cette mesure ! Vous trouverez l’historique complet de ce dossier dans le rapport de la commission, aux pages 108 et suivantes.

N’évoquez donc pas un débat mené « à la sauvette » : ce problème est soulevé depuis un certain nombre d’années déjà, en particulier sur l’initiative de notre excellent et courageux collègue Jean-Jacques Jégou, et nous nous sommes efforcés de le traiter.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La commission des finances n’éprouve donc aucune sorte de difficulté à être solidaire tant du Gouvernement que de l’Assemblée nationale : nous nous sommes livrés à une analyse de fond, qui est rappelée dans le rapport de la commission.

Aux termes de l’article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, les indemnités dont il s'agit sont rangées en deux catégories : d'une part, des prestations en nature ; d'autre part, des indemnités financières, qui se subdivisent elles-mêmes en deux fractions : des indemnités journalières et une allocation en capital, le cas échéant une rente.

En ce qui concerne leur régime fiscal et social, – je réponds ici en particulier à Mme Raymonde Le Texier – ces indemnités sont assujetties à la CSG et à la CRDS. Par ailleurs, elles font jusqu’à présent l’objet d’un traitement spécifique par rapport aux autres indemnités journalières et au régime de la fonction publique.

Mes chers collègues du groupe socialiste, vous qui êtes si enclins à défendre les personnels de la fonction publique, il est tout de même surprenant que, à ma connaissance, vous ne vous soyez pas élevés contre l’assujettissement à l’impôt sur le revenu de la même prestation quand elle est allouée aux personnels de la fonction publique,… (Sourires sur les travées de lUMP.)

M. Gérard Longuet. Il fallait le rappeler !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … et je parle naturellement ici sous le contrôle du ministre qui est en charge de ce dossier.

Votre indignation me semble donc en partie de circonstance.

M. Jean-Pierre Godefroy. Certainement pas !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. D'ailleurs, la commission propose, à la suite de l’Assemblée nationale, de clarifier encore davantage ce dispositif, au travers d’un amendement que je soutiendrai dans quelques instants.

En effet, nous considérons que dans ce domaine, comme en matière de maladie, il faut fiscaliser le revenu de remplacement, et lui seul. Nous estimons – je m’efforcerai de vous en administrer la preuve, mes chers collègues – qu’en fixant un taux d’imposition de 50 %, nous respecterions pleinement ce principe de fiscalisation du seul revenu de remplacement. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)

J’ai entendu les propos fort émouvants tenus en particulier par Thierry Foucaud. Toutefois, je voudrais le rappeler, il est question ici de l’impôt sur le revenu, qui est progressif ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme Nicole Bricq et M. Martial Bourquin. De moins en moins !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Pardonnez-moi, mes chers collègues, mais l’échelle de l’impôt sur le revenu est progressive !

M. Jean-Pierre Godefroy. Pas la CSG et la CRDS !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La CSG et la CRDS sont déjà acquittées par les titulaires de ces indemnités dans le droit existant !

M. Jean-Pierre Godefroy. Et le bouclier fiscal ?

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mes chers collègues, vous vous efforcez de nous tirer toutes les larmes du corps en évoquant les salariés les plus modestes et les personnes les plus précaires, mais ceux-ci, naturellement, ne sont pas imposés à l’impôt sur le revenu…

Mme Raymonde Le Texier. Bien sûr que si ! Vous dites n’importe quoi !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … ou ne le sont que dans les tranches les plus réduites du barème !

Par conséquent, nous devons soigneusement distinguer le revenu de remplacement et l’indemnité réparatrice et appliquer dans ce domaine les principes qui ont déjà cours ailleurs et qui sont conformes à notre droit fiscal.

C’est pour cette raison que nous évoquons une « mesure d’équité », et cette expression me semble parfaitement fondée. La commission est donc, bien entendu, tout à fait défavorable à ces amendements de suppression.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Ces amendements de suppression ont été présentés, me semble-t-il, de manière très caricaturale.

M. Thierry Foucaud. Allez-donc sur les lieux de travail !

M. Éric Woerth, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, il est toujours très difficile de débattre d’un sujet que vous abordez d’une manière totalement erronée. Il est très dur d’avoir prise sur vos propos, car nous ne discutons pas de la même mesure ! Vous réclamez la suppression d’un dispositif que nous n’avons pas l’intention de mettre en œuvre !

Nous ne voulons pas fiscaliser la compensation du préjudice subi, qui restera exonérée. Nous souhaitons soumettre à l’impôt le revenu de substitution au travail, comme c’est déjà le cas pour les arrêts liés aux congés maternité ou aux maladies dont on ne considère pas qu’elles sont causées par des accidents du travail. Si vous attrapez une grippe au bureau, ce qui revient un peu au même qu’un accident du travail, il y a fiscalisation.

Le complément qui est en général versé par l’entreprise est fiscalisé, même dans le cas d’un accident du travail. De même, les indemnités des fonctionnaires victimes d’un arrêt de travail, comme l’a rappelé M. le rapporteur général de la commission des finances, sont déjà soumises à l’impôt depuis des années, et vous n’avez jamais trouvé cette disposition injuste, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition !

J’ai donc un peu de mal à vous suivre. Il est facile de citer des cas qui, naturellement émeuvent tout le monde, mais qui sont hors sujet. L’objet de la réforme, c’est de distinguer, d'une part, les revenus qui se substituent au travail et il n’y a aucune raison de les taxer moins que ce dernier, et, d'autre part, les indemnités qui servent à compenser un préjudice, et qui ne seront pas fiscalisées. Telle est la réalité de la réforme que nous vous proposons.

C’est donc un véritable torrent de démagogie qui coule sur ce sujet. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nicole Bricq s’esclaffe.)

M. Jean-Pierre Godefroy. Allez dire cela aux victimes d’accidents du travail !

M. Éric Woerth, ministre. Depuis le début, on essaie de faire passer ceux pour qui une telle idée est intéressante, même si elle n’est pas facile à mettre en œuvre, pour d’affreux méchants dépourvus de générosité. Et on leur oppose une gauche qui susciterait un débat fécond où le cœur aurait ses raisons, même si je ne vois vraiment pas lesquelles !

C’est là une manière tout à fait honteuse de présenter la question, me semble-t-il (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nicole Bricq s’esclaffe de nouveau), parce que ce n’est pas ainsi que celle-ci se présente. Bien sûr, il est toujours difficile de prendre des mesures qui ne vont pas dans le sens de l’opinion publique. En tout cas, c’est bien plus dur que de surfer sur une vague de démagogie !

Comme l’a souligné Philippe Marini, la Haute Assemblée a examiné et voté ce dispositif à plusieurs reprises, en commission comme en séance publique, puisque Jean-Jacques Jégou a suscité, ici même, il n’y a pas si longtemps, un débat sur cette question, qui a été posée très clairement. Vous avez donc, au fond, déjà accepté ce dispositif.

En ce qui concerne l’impôt sur le revenu, celui-ci est bien sûr progressif, mais il ne l’est pas pour les gens qui ne le paient pas ! Plus de 50 % des contribuables ne sont pas imposables à cet impôt, ce qui signifie qu’une proportion équivalente, peut-être même supérieure, des salariés qui seront victimes d’accidents du travail n’acquitteront pas cette imposition sur les indemnités journalières qu’ils percevront.

Et comme ce sont les personnes qui gagnent le plus qui paient l’impôt sur le revenu, ce seront elles qui seront taxées. En la matière, nous visons bien l’équité.

Je suis particulièrement choqué, car ce n’est pas le premier débat auquel je participe sur ce sujet, par la volonté de manipulation de l’opinion publique dont fait preuve la gauche, une fois encore. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Robert del Picchia applaudit.)

Mme Nicole Bricq. C’est excessif !

M. Éric Woerth, ministre. Je le dis comme je le pense : il est trop simple d’opposer ceux qui ont du cœur à ceux qui en seraient dépourvus ! Pour notre part, nous nous efforçons d’introduire de l’équité dans les différents impôts.

Aujourd'hui, il n’est ni équitable ni normal que les revenus de substitution au travail ne soient pas soumis à l’impôt.

Je rappelle d'ailleurs que cette proposition est d’origine parlementaire : c’est l’Assemblée nationale qui a adopté ce dispositif imposant environ 50 % des indemnités versées.

Je le répète, il s'agit de distinguer, d'une part, le supplément de revenu qui est versé à la personne cessant le travail, par comparaison avec l’indemnité offerte en cas d’arrêt maladie, et qui pourrait donc être assimilé à la réparation d’un préjudice, et, d'autre part, la partie « socle » de cette allocation, qui doit être considérée comme un revenu de substitution au travail.

M. le rapporteur général de la commission des finances défendra dans quelques instants un amendement tendant à rendre opérationnel ce dispositif, et nous nous y rallierons.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, toute la communication du monde ne pourra dissimuler la réalité !

À l’heure où l’on veut nous faire croire que la seule question d’actualité est celle de l’identité nationale, nous constatons l’angoisse que créent le chômage, le mal-vivre, la détresse et la précarité chez des millions d’hommes et de femmes de notre pays.

Dans ce contexte, un seul mot me vient à l’esprit, que je répète avec force : injustice ! (Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Christian Cambon. Vous faites de la démagogie !

M. Jean-Pierre Sueur. Non, ce n’est pas de la démagogie, mon cher collègue !

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, vous nous accusez de manipulation. Pardonnez-moi, mais lorsque vous décidez de fiscaliser les indemnités liées aux accidents du travail, alors que vous offrez des cadeaux fiscaux en grand nombre, tout le monde le sait, à ceux de nos concitoyens qui se portent le mieux, vous suscitez un profond sentiment d’injustice.

Tout le monde le comprend ! Dans un journal, ce matin, je lisais que 65 % des habitants de l’Île-de-France désapprouvent cette mesure, mais dans toutes les régions la situation est la même, tout le monde nous l’affirme ! Nous manipulerions l’opinion parce que nous disons cette vérité ? Mais où sommes-nous ?

Mes chers collègues, je vais vous lire une lettre que m’a adressée le président d’une association de handicapés, qui habite dans les Bouches-du-Rhône, près d’Aix-en-Provence.

« En 1994, alors jeune directeur d’exploitation au sein d’un grand groupe de presse, ma vie bascula en une fraction de seconde. Je venais d’être percuté et écrasé par un semi-remorque, sur mon trajet de travail...

« […] Comme si une injustice de la vie ne suffisait pas, [on veut] infliger une injustice supplémentaire aux personnes handicapées et accidentées de la vie déjà lourdement "frappées" par le handicap.

« […] Une victime d’accident du travail perd déjà une partie de sa rémunération liée à l’activité, ainsi que les primes et heures supplémentaires. […] En aucun cas, ces indemnités [ne] peuvent être "amalgamées" à un salaire, [c’est] une indemnité réparatrice d’un préjudice subi. 

« […] Le ministre – vous-même, monsieur Woerth – ose parler de "revenu de remplacement" ! Que propose le ministre en "remplacement" d’un handicap à vie [...] ? »

C’est peut-être de la manipulation, monsieur le ministre, mais celui qui s’exprime a vécu cela dans sa chair !

C’est peut-être de la démagogie, mes chers collègues, mais c’est la réalité !

Il y a bien d’autres mesures à prendre, au lieu de fiscaliser ce que perçoivent les accidentés du travail.

Je poursuis la lecture de cette lettre : « [En] 2005, M. Copé, alors ministre délégué au budget [...] déclarait : "Personne ne comprendrait que l’on engage la fiscalisation des victimes d’accidents du travail". »

Le président de cette association conclut ainsi : « Devant le nombre de protestations de grande ampleur des Français, comme de parlementaires aussi bien de droite, comme de gauche, de syndicats et d’associations [...] concernant l’amendement de ce projet fiscal irrespectueux à l’égard de la dignité humaine des personnes à mobilité réduite, je sollicite chaque homme et femme parlementaire du Sénat [et leur demande de] se désolidariser de l’amendement » voté à l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Bernard Vera applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Éric Woerth, ministre. Je ne peux laisser de tels propos sans réponse. C’est mensonger, honteux et scandaleux ! On peut faire pleurer n’importe qui sur n’importe quoi.

M. Éric Woerth, ministre. Le cas que vous citez ne sera pas fiscalisé : il s’agit d’une rente. Cela n’a rien à voir, c’est de la manipulation !

M. Christian Cambon. C’est de la désinformation !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez mal entendu ! Il parle de tous les membres de son association !

M. Éric Woerth, ministre. C’est inacceptable ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Raymonde Le Texier. Vous avez du mal à assumer !

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.

M. Thierry Foucaud. Puisqu’il est question de démagogie et de mensonge, je ferai remarquer que le sondage organisé sur la mesure que prévoit l'amendement de Jean-François Copé – car le Gouvernement n’a même pas eu le courage d’aller au bout de sa démarche en proposant lui-même cette disposition – révèle que cette proposition ne convainc que les sympathisants du front national – 50 % d’avis favorables – et n’est parvenue à recueillir l’adhésion que de 47,3 % des sympathisants de l’UMP. Tout est dit ! (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.) Cela s’inscrit effectivement dans la continuité du débat sur l’identité nationale.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. L’identité nationale, c’est d’abord payer l’impôt !

M. Thierry Foucaud. Alors que le Gouvernement a lui-même évalué à 10 % l’augmentation nécessaire des contributions des employeurs à la branche AT-MP pour maintenir le pouvoir d'achat des victimes d’accidents du travail – il n’est qu’à lire l’annexe budgétaire de la loi de finances pour 2008 – et que le Président de la République a fait du maintien du pouvoir d'achat un axe fort de sa politique, 63 % des salariés se déclarent aujourd'hui favorables à ce que les employeurs soient mis à contribution afin d’augmenter les indemnités journalières pour compenser la baisse de pouvoir d'achat induite par la fiscalisation de ces indemnités. Il est pourtant à craindre que les victimes d’accidents du travail n’y perdent, puisque les recettes que permettra de dégager cette mesure sont estimées à 150 millions d'euros.

Dans ce débat, les organisations syndicales se sont mobilisées. La Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, la FNATH, a rappelé que, contrairement aux assurances du président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, qui jurait – on jure souvent à droite, en traitant les autres de démagogues ! – ne vouloir fiscaliser que les arrêts de travail de moins de vingt-huit jours, c'est-à-dire ceux qui concernent les victimes d’accidents bénins, l'amendement adopté par la commission des finances de l'Assemblée nationale visait sans aucune distinction toutes les victimes d’accidents du travail, quelles que soient la gravité des séquelles et la durée de l’arrêt de travail provoqués par cet accident.

Ainsi, un ouvrier de vingt ans écrasé par un ascenseur ou défiguré par une explosion – on va me taxer de faire du misérabilisme, alors que c’est la réalité quotidienne puisque l’on dénombre en France plus de 650 morts par accident du travail chaque année –, que ce soit ou non dans une usine de type Seveso, et dont l’arrêt de travail pourra se prolonger des années durant, verra ses indemnités journalières imposées. Voilà la réalité ! Mais je me demande si M. le ministre sait que de telles situations existent.

Je conclurai en revenant sur le mode opératoire du Gouvernement. Selon une technique bien rodée, le Gouvernement commence par ouvrir une brèche, en l’occurrence il a fiscalisé les indemnités journalières versées en cas d’arrêt maladie. La machine ensuite s’autoalimente. Quelques années après, il s’étonne de cette situation injuste : les indemnités journalières perçues en cas de maladie sont imposées alors que celles qui sont versées à la suite d’un accident du travail ne le sont pas ? Le Gouvernement a alors beau jeu de déclarer qu’il faut fiscaliser toutes les indemnités, au nom de l’équité. Et le tour est joué ! Voilà comment le Gouvernement nivelle par le bas ! Et l’on ose nous parler de démagogie ?

Monsieur le ministre, une fois de plus, j’ai honte et je tiens à vous dire que c’est révoltant ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Raymonde Le Texier et M. Martial Bourquin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Denis Badré.

M. Denis Badré. Comme l’ont rappelé à juste titre le ministre et le rapporteur général, il faut raison garder. Je le dis avec force et sérénité, comme l’aurait fait mon collègue et ami Jean-Jacques Jégou, s’il avait été présent. Il aurait d’ailleurs certainement trouvé les arguments pour replacer le débat et éviter qu’il ne dérive ainsi. Nous n’avons rien à y gagner, et les victimes d’accidents du travail encore moins.

Dès lors qu’il s’agit de justice fiscale – et c’est bien de cela qu’il est question ici –, Jean-Jacques Jégou est toujours en première ligne, prenant même le risque de l’impopularité. C’est avec le même allant et le même enthousiasme qu’il monte au front quand il faut témoigner de la compassion ou porter secours et assistance aux victimes, qu’elles soient victimes de la vie ou victimes d’accidents du travail.

Et je précise à mes collègues siégeant sur les travées de gauche que Jean-Jacques Jégou n’est pas spontanément disposé à voler au secours de toutes les propositions avancées par le Président de la République. Il n’est qu’à se rappeler, par exemple, les débats sur la loi TEPA.

Je veux me faire aujourd'hui l’interprète de mon collègue. Il est vrai qu’il est largement à l’origine de ce débat, qu’il porte depuis des années. Mais il aurait souhaité qu’il se développât dans la clarté, loin de toute guerre de religion, de toute accusation d’obscénité ou de scandale, que sais-je encore !

Ce débat d’importance ne doit pas être caricaturé, et je reprends à dessein ce terme que vous avez employé tout à l’heure, monsieur le ministre. Sur cette matière, nous ne devons pas légiférer en fonction des sondages ; Jean-Pierre Godefroy l’a reconnu incidemment, en rappelant qu’il fallait aussi faire la part de ce qu’ils pouvaient signifier.