M. Gérard Dériot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au moment d’évoquer l’accompagnement d’une personne en fin de vie résonne dans nos mémoires ce poignant refrain d’Aznavour sur la perte de l’être cher :

« Ils sont venus ; ils sont tous là.

« Dès qu’ils ont entendu ce cri :

« Elle va mourir, la mamma. »

Mais, reconnaissons-le, cette description des derniers instants au cours desquels la famille et les proches se rassemblent autour de celui ou de celle qui va mourir ne correspond que bien rarement à la réalité vécue aujourd’hui.

Le mourant des siècles passés, entouré de ses proches, dans le silence du recueillement, semble céder la place au défunt anonyme, abandonné dans l’indifférence de l’hôpital en raison de l’impossibilité pour les siens de l’entourer.

C’est désormais à l’hôpital que l’on meurt le plus souvent : deux décès sur trois y surviennent. Si l’hôpital offre, en principe, le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur, il symbolise surtout cette mort solitaire, anonyme et surmédicalisée que redoutent l’immense majorité d’entre nous.

C’est pourquoi un cadre législatif a été mis en place pour organiser la prise en charge médicale de la fin de vie, grâce à la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur dans cette assemblée.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui complète utilement les dispositifs existants en créant cette allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie.

Cette initiative est la bienvenue, car elle correspond à notre volonté de tout faire pour conserver à chacune et à chacun sa dignité jusqu’au dernier instant, tout faire pour apaiser les douleurs, aussi bien morales que physiques, en accompagnant le mourant.

La mort n’est pas qu’un phénomène physique : c’est une expérience humaine inéluctable, mystérieuse, angoissante et qui, d’une certaine façon, se prépare. La grande souffrance des personnes en fin de vie vient peut-être de ce que l’on ne sait plus penser la mort, la préparer, l’accompagner.

L’individu souffrant est trop souvent dans un isolement qui accentue l’absurdité de sa situation, et son entourage reste impuissant, voire réticent à y assister. La souffrance et la mort semblent faire peur, comme si elles mettaient mal à l’aise.

Ainsi, aux souffrances physiques de la maladie s’ajoutent, pour beaucoup, les souffrances morales des personnes qui doivent quitter le domicile dans lequel elles ont, parfois, toujours vécu. Au fait de quitter son environnement quotidien s’ajoute la difficulté de se retrouver seul à l’hôpital, même si, bien évidemment, les équipes soignantes font de leur mieux pour accompagner, rassurer, écouter les malades.

Il s’agit non de remettre ce dévouement en question, mais, simplement, de constater que l’absence ou, du moins, le manque de présence quotidienne des proches se fait sentir.

La proposition de création d’une allocation d’accompagnement pour les personnes en fin de vie vise donc à permettre à ces personnes d’être moins seules et, ainsi, de vivre leurs derniers moments chez elles, entourées de leurs proches.

Il s’agit d’une allocation journalière de 49 euros, versée pour une durée maximale de 21 jours. Elle est destinée aux ascendants, descendants, frères, sœurs ou encore aux personnes qui ont partagé le domicile d’un proche et qui accompagnent à domicile la personne qui se trouve en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause.

Grâce à cette nouvelle allocation, nous allons améliorer le système qui avait été mis en place précédemment et qui n’était pas satisfaisant sur plusieurs points.

Tout d’abord, ce dispositif ne pouvait concerner ni les frères ni les sœurs de la personne en fin de vie, ce qui semblait peu pertinent, car cela ne prenait pas en compte la totalité des situations vécues.

De plus, le dispositif précédent était inégalitaire. En effet, ce que l’on appelle aujourd’hui « congé de solidarité familiale » a été créé par la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites. Or ce congé n’est pas rémunéré à l’heure actuelle. Nous en sommes bien conscients, même si la possibilité de prendre un tel congé constituait un progrès, le fait qu’il ne soit pas rémunéré était un obstacle pour la majorité de nos concitoyens.

Enfin, le troisième élément d’amélioration réside dans l’élargissement du nombre de professions bénéficiant de ce dispositif.

En effet, jusqu’à présent, certaines catégories de professions n’y avaient pas accès. C’était notamment le cas des travailleurs indépendants ou des exploitants agricoles. Il convenait donc de remédier à cette situation profondément injuste.

Il faut observer que cette allocation ne concerne que l’accompagnement de la fin de vie des personnes à domicile et non celui des personnes à l’hôpital qui, je le répète, sont les plus nombreuses. L’Assemblée nationale a certes assoupli la règle en prévoyant que l’hospitalisation d’une personne accompagnée à domicile n’entraînera pas l’interruption du versement de l’allocation, mais sans aller pourtant jusqu’à généraliser cette allocation.

Or, les situations de ces malades sont proches et, à terme, il conviendra certainement d’envisager une telle généralisation. Ce pourrait être l’une des pistes de réflexion du groupe de travail sur la fin de vie qui a été constitué au sein de la commission des affaires sociales.

En tout état de cause, cette allocation ne saurait suffire à elle seule à développer les soins palliatifs à domicile. Elle s’inscrit toutefois dans cette perspective et me semble finalement tout à fait complémentaire.

Nous appelons tous de nos vœux le développement des soins palliatifs. D’ici à 2012, 229 millions d’euros devraient être affectés à la mise en œuvre d’un large programme voulu par le Président de la République : il vous revient de le mettre en application, madame la ministre. Ces crédits s’ajouteront aux 800 millions d’euros que l’assurance maladie consacre chaque année à cette action.

On le voit, l’allocation d’accompagnement de fin de vie complétera ces améliorations techniques, médicales, en introduisant davantage d’humanité dans le quotidien de ces personnes qui sont en grande souffrance.

Cette proposition de loi, et je m’en félicite, rassemble au-delà des clivages politiques habituels. Elle est le fruit d’une initiative de parlementaires d’horizons politiques différents. Car, si nous n’avons pas tous la même conception de la fin de vie, je crois que nous sommes animés d’une volonté commune et consensuelle de prendre en compte la dignité humaine et de lutter contre la solitude des personnes en fin de vie.

Ce texte est l’expression d’une démarche de progrès qui doit permettre, à défaut d’empêcher la mort, de soulager chacune et chacun de « la crainte de la mort » dont nous savons, depuis Épictète, qu’il s’agit bien de la source de toutes les misères de l’homme.

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour toutes ces raisons, notre groupe votera cette proposition de loi, tout en se félicitant des progrès introduits dans le dispositif par la commission des affaires sociales, sous la présidence de Mme Muguette Dini, notamment grâce aux contributions de notre rapporteur, M. Gilbert Barbier. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Milhau.

M. Jean Milhau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le texte de la proposition de loi qui est soumis à l’examen de notre assemblée, consistant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie, tel qu’il émane de la commission des affaires sociales, dont il convient de saluer le travail, recueille l’assentiment du groupe du RDSE que je représente. En conséquence, nous le voterons.

L’accompagnement de la fin de vie est en effet une tâche humaine qui nous concerne tous. C’est un devoir de solidarité, un devoir d’humanité.

Selon plusieurs enquêtes, les Français désirent mourir chez eux. Il est donc important de permettre à chacun de ne pas finir ses jours dans la solitude et l’angoisse, de vivre ses derniers moments de la manière la plus digne et la plus humaine.

Lorsqu’il est possible, le retour au domicile pour y mourir favorise une fin paisible. Le plaisir de rentrer chez soi, de retrouver ses objets et ses meubles, la satisfaction d’être parmi les siens, de recouvrer son identité et sa liberté, permet d’appréhender la mort avec moins d’angoisse. C’est une aventure humaine intense et enrichissante pour le malade, mais aussi pour ceux qui l’accompagnent. Les proches se sentent utiles, ce qui permet souvent d’alléger le sentiment de culpabilité, si fréquent dans l’entourage d’une personne qui va mourir.

Cette mesure met enfin un terme à une véritable inégalité entre les personnes qui peuvent interrompre leur activité professionnelle et assumer une perte de revenus, et celles qui, le plus souvent, sont obligées de réclamer un arrêt de travail pour pouvoir accompagner un proche.

Certes, nous regrettons, comme beaucoup de nos collègues, qu’il ne soit pas possible de rendre ce dispositif plus généreux, d’en allonger la durée ou à tout le moins d’en prévoir le renouvellement, comme c’est le cas du congé de solidarité familiale.

Par ailleurs, ce texte ne concerne que l’accompagnement à domicile. Pourtant, si 80 % des Français déclarent vouloir mourir chez eux, dans les faits, malheureusement, les trois quarts des patients en fin de vie décèdent seuls, dans des établissements hospitaliers.

Nous considérons cependant que cette proposition de loi constitue un nouveau pas, même s’il est trop petit, sur la voie difficile et douloureuse de l’accompagnement de la fin de vie, cette fin de vie dont notre société se détourne et qu’elle occulte, bien que nous la sachions inéluctable, en dépit des efforts que nous faisons pour la repousser.

Un petit pas, disais-je, utile et bienvenu, mais qui laisse encore de nombreux problèmes sans réponse. La majorité des sénateurs du groupe souhaitent une grande loi qui aborderait le délicat et difficile problème de l’aide active à mourir.

L’actualité de ces dernières années a relancé le débat sur l’opportunité de légiférer sur le droit d’une personne à demander que l’on mette fin à ses jours. Ce débat, si médiatique et émotionnel soit-il, a le mérite de nous interpeller. Il nous oblige à réfléchir à de véritables enjeux.

Malgré les différentes avancées, notre législation n’est pas adaptée aux personnes qui sollicitent une assistance pour mourir, qui réclament le droit de mourir dans la dignité. Le moment est venu de mettre un terme à l’hypocrisie qui consiste à ne pas vouloir ouvrir un vrai débat sur l’euthanasie. (Mme la ministre s’exclame.)

Il est temps de préciser le champ des droits de chacun sur sa fin de vie, d’affirmer le droit pour tout individu à disposer de son corps dans le respect de la liberté de conscience de chacun.

Même accompagnées, certaines personnes vivent leurs derniers jours dans des conditions indignes, attentatoires au respect de l’individu. Nous devons, dans un souci d’humanité, essayer d’apporter une réponse au désespoir lucide de certaines personnes en fin de vie. Comment ne pas reprendre en cet instant ce passage du très beau texte de la préface, signé par François Mitterrand, de l’ouvrage de Marie de Hennezel, La Mort intime : « Au moment de plus grande solitude, le corps rompu au bord de l’infini, un autre temps s’établit hors des mesures communes. En quelques jours parfois, à travers le secours d’une présence qui permet au désespoir et à la douleur de se dire, les malades saisissent leur vie, se l’approprient, en délivrent la vérité. Ils découvrent la liberté d’adhérer à soi. Comme si, alors que tout s’achève, tout se dénouait enfin du fatras des peines et des illusions qui empêchent de s’appartenir. Le mystère d’exister et de mourir n’est point élucidé, mais il est vécu pleinement. »

Même si nous mesurons la faible portée du dispositif et le peu d’usage qui risque d’en être fait, je forme le vœu, en votant cette proposition de loi, qu’elle permette à chacun désormais de vivre mieux et pleinement ce « mystère d’exister et de mourir ». (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, Patricia Schillinger s’est beaucoup investie dans la préparation de l’examen de cette proposition de loi. Hélas ! retenue à l’aéroport de Mulhouse, elle n’a pu rejoindre l’hémicycle.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Mais que fait le Gouvernement ? (Sourires.)

M. Claude Jeannerot. Elle m’a donc demandé de la suppléer, ce que je fais bien volontiers même si, depuis le début de notre discussion, nombre de choses ont déjà été dites.

Comme l’a rappelé M. le rapporteur, la loi du 9 juin 1999, dont l’objet était de garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs, avait instauré un congé d’accompagnement de la fin de vie, mais n’avait pas prévu qu’il soit rémunéré. Cette situation empêchait un certain nombre d’accompagnants exerçant une activité professionnelle de se consacrer à leur proche en fin de vie.

Comme l’ont rappelé de nombreux intervenants, ces personnes devaient avoir recours à des arrêts de travail pour pouvoir assister un proche. Ainsi, dans la pratique, ce droit à congé a été peu utilisé, car il était inadapté face à la diversité des situations.

Aujourd’hui, chacun le reconnaît, des inégalités demeurent entre ceux qui peuvent se permettre d’arrêter de travailler et ceux qui ne le peuvent pas. Certaines personnes peuvent suspendre leur activité professionnelle pour accompagner un proche en fin de vie, tandis que d’autres, faute de moyens matériels suffisants, se trouvent contraintes « d’organiser » un arrêt de maladie. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la création d’une allocation journalière d’accompagnement de la fin de vie, allocation qui permettra la présence permanente auprès du malade d’un membre de sa famille ou d’un proche.

Cependant, comme l’ont souligné les orateurs qui m’ont précédé, ce texte comporte des lacunes et sa portée reste limitée. En effet, sont exclues les personnes qui accompagnent des malades dans des hôpitaux ou des établissements spécialisés. Il est évidemment regrettable que les personnes accompagnant un proche à l’hôpital ne puissent pas bénéficier de cette allocation journalière, et ce même si leur présence est considérée comme indispensable.

Or, nous le savons, 75 % des personnes meurent à l’hôpital, le plus souvent hors de la présence de leurs proches, et 85 % décèdent en dehors de tout parcours de soins palliatifs.

Madame la ministre, pourquoi limiter l’allocation journalière au seul accompagnement à domicile d’un patient en fin de vie ? L’immense majorité de nos concitoyens qui meurent à l’hôpital seront ainsi privés de cet accompagnement de proximité.

Cette proposition de loi, dans sa rédaction actuelle, ne s’adressera donc qu’à un nombre très faible de bénéficiaires, environ 20 000 selon les estimations de Jean Leonetti. Ce chiffre est à rapprocher des 200 000 personnes qui, selon les estimations, pourraient chaque année entrer dans un protocole de soins palliatifs.

Limiter l’allocation aux seuls aidants des patients à domicile constitue dès lors, me semble-t-il, une réelle discrimination. Bien souvent, il se révèle impossible de sortir « le patient » de l’hôpital pour des raisons matérielles ou médicales liées aux contraintes techniques exigées par la nécessité des soins.

En outre, l’aidant qui accompagne un malade à domicile doit surmonter des difficultés d’organisation de tous ordres, ce qui est une lourde tâche, et, bien souvent, il se sent seul et livré à lui-même.

En effet, en dépit des progrès qui ont pu être réalisés, les moyens déployés à domicile restent nécessairement moins importants que ceux qui sont proposés à l’hôpital, notamment en ce qui concerne la lutte contre la douleur.

Et puis, il y a dans l’accompagnement à domicile cette dimension psychologique souvent ambivalente, volonté inébranlable d’être là jusqu’au bout mais, en même temps, pétrie de culpabilité ou, pour le moins, de doute sur la pertinence médicale et morale de cette prise en charge à domicile. Dans ces domaines, il n’y a pas d’évidence.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est tout à fait vrai !

M. Claude Jeannerot. Si, en effet, les conditions et les modalités d’accompagnement d’un proche en fin de vie sont différentes en milieu hospitalier et à domicile, pour autant, vous en conviendrez, le besoin d’un tel accompagnement ne varie pas selon le lieu où se vit cette fin d’existence : il est constitutif de la dimension humaine.

Vous l’avez souligné, madame la ministre, en des termes pleins d’humanité que nous partageons pleinement.

En d’autres termes, accompagner un proche en fin de vie nous semble être à la fois un droit et un devoir universels qui transcendent toutes les modalités et toutes les contingences du lieu de prise en charge. Nous avions déposé des amendements allant dans ce sens : malheureusement, nous l’avons vu, ils ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 40 de la Constitution.

Une autre critique a déjà été opposée au dispositif : le fait que la durée de versement de l’allocation soit limitée à trois semaines, ramenées en réalité à quinze jours ouvrables pour les personnes, notamment, ne travaillant pas le samedi. Nous présenterons donc un amendement pour tenter d’apporter à la fois une plus grande cohérence mais surtout une plus grande souplesse dans la prise en compte du nombre de jours de versement de l’allocation.

En la matière, la notion de semaine nous paraît d’autant moins adaptée que les décomptes de la sécurité sociale s’opèrent en jours.

Il est légitime, dans ces conditions, de s’interroger sur les critères retenus pour fixer cette durée à trois semaines, car chacun peut comprendre que, dans ce domaine, par définition, souplesse et adaptabilité sont nécessaires.

Par ailleurs, l’interruption du versement de l’allocation, fixée au plus tard au jour suivant le décès de la personne accompagnée, nous semble véritablement très brutale. Pourquoi ne peut-elle pas, comme le congé de solidarité, intervenir trois jours après le décès ?

Mes collègues l’ont souligné, la proposition de loi comporte des avancées, et c’est pourquoi nous la soutiendrons. Il nous semble cependant qu’il reste beaucoup à faire quant à l’amélioration des soins palliatifs et à l’aide active à mourir – car cela relève du même sujet.

Aujourd’hui, trop peu de personnes ont accès aux soins palliatifs. Il nous faut entendre le Parlement européen : dans sa résolution de janvier 2009, il a émis le souhait que les soins palliatifs puissent offrir la perspective d’une mort digne pour les patients qui ont abandonné tout espoir. Malheureusement, comme ce n’est pas l’objet de la proposition de loi, cette inégalité ne pourra pas être aujourd’hui corrigée.

Peut-être est-il temps, madame la ministre, de se doter d’un nouvel ensemble législatif revisité qui aille au-delà de l’accompagnement en fin de vie et reprenne globalement la question de l’aide à mourir ? Car tout se tient ! C’est un grand et difficile sujet de société, mais nous sommes prêts à nous y engager à vos côtés. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie.

Ce texte est né de l’émotion suscitée par le cas de Chantal Sébire, cette femme atteinte d’une tumeur au cerveau qui la défigurait, souhaitait finir dignement sa vie entourée de sa famille : la loi française le lui interdisait.

À l’issue de ce drame, le Gouvernement a mis en place une mission d’évaluation de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, mission qui s’est interrogée sur les conditions d’accompagnement des personnes. Elle a conclu ses travaux par une proposition d’allocation de congé d’accompagnement.

Le congé d’accompagnement, on l’a rappelé, a été créé par la loi du 9 juin 1999, mais il s’agissait alors d’un congé sans solde. Ce qui est aujourd’hui proposé, c’est de donner à une personne salariée qui accompagnerait l’un de ses proches en fin de vie à domicile, et à la condition qu’il fasse l’objet de soins palliatifs, la possibilité de recevoir une allocation d’environ 50 euros par jour pendant trois semaines.

C’est un progrès, et, naturellement, je voterai ce texte.

Néanmoins, j’observe que cette mesure créera environ 20 000 allocations, alors que l’on compte en France 530 000 décès par an – même si tous, bien sûr, n’entrent pas dans le champ visé. De plus, elle demandait à être complétée puisque se trouvaient exclus de son champ d’application les accompagnants non salariés, c’est-à-dire les artisans et les professions libérales, et toutes les personnes accompagnées ne bénéficiant pas de soins palliatifs et n’étant pas à leur domicile.

Je rappelle qu’en France moins de 15 % des personnes qui peuvent y prétendre bénéficient de soins palliatifs, en raison du manque de crédits, mais aussi parce que tous les accompagnants n’ont pas la possibilité d’accueillir des lits médicalisés chez eux. Il faut donc faire plus dans ce domaine.

Ainsi que de nombreux parlementaires, je pense aussi qu’il faut aller plus loin dans la réflexion sur la fin de vie. Notre République ne pourra faire plus longtemps l’impasse sur une vraie législation, une législation qui permettra à chacun de nos concitoyens, comme c’est déjà le cas dans certains pays tels les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et plusieurs États américains, de choisir en conscience, pour lui-même et pour lui seul, les conditions de sa propre fin de vie, qu’il opte pour un accompagnement en soins palliatifs ou pour une aide active à mourir.

Je rappelle, madame la ministre, qu’en octobre 2008 j’ai déposé une proposition de loi relative à l'aide active à mourir dans le respect des consciences et des volontés. Ce texte, cosigné par plusieurs sénateurs, apportait une réponse à la question majeure de la fin de vie en garantissant un certain nombre de conditions sécuritaires.

Pour ma part, j’ai accueilli favorablement l’initiative parlementaire prise à l’Assemblée nationale voici quelques semaines et votée par 203 députés de différents horizons.

De nombreux Français – tous les sondages le prouvent – demandent une telle évolution. Nous nous trouvons dans la même configuration que pour l’interruption volontaire de grossesse ou le pacte civil de solidarité : de nombreux responsables politiques qui, jadis, n’avaient pas voté les textes dépénalisant l’un ou instaurant l’autre déclarent qu’aujourd’hui ils les voteraient.

Madame la ministre, qu’on le veuille ou non, l’issue du combat que mènent les familles, soutenues parfois par des associations comme l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, l’ADMD, des familles qui ont vécu la souffrance physique et morale de l’un des leurs, est inéluctable. Chaque frein, chaque refus d’écouter la demande de réformes ne fait qu’engendrer des souffrances intolérables pour celles et ceux qui les subissent.

Madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas un combat de boutique politique, c’est un débat de société.

Il faudra donc – c’est ce que, pour ma part, comme de nombreux Français, je souhaite –, dans des conditions bien définies, légiférer sur l’ultime choix, celui qui, dans la conscience, permet à une personne de fixer la date de sa disparition. C’est bien là la vraie liberté ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la ministre.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de la très haute tenue de ce débat. J’ai beaucoup apprécié les propos qui ont été prononcés dans cette enceinte. Et vous avez raison, monsieur Fouché : sur des sujets comme celui-ci, il n’y a pas de « boutique politique ».

Si le débat sur la fin de vie, ou sur l’euthanasie, ou sur l’aide active à mourir, est parfaitement légitime, ce n’était cependant pas le sujet de notre discussion. Il n’en reste pas moins un débat « clivant », honorable, dont on ne peut pas prétendre qu’il n’ait pas été engagé. Il a été ouvert, en particulier ici, dans votre assemblée, au cours d’un remarquable après-midi d’échanges ; il s’est poursuivi à travers la discussion d’une proposition de loi.

Reste que ce débat sur la fin de vie et sur l’euthanasie est clivant, alors que celui qui nous réunit aujourd’hui a justement pour qualité de susciter l’unanimité.

Diverses questions techniques m’ont été posées.

Ainsi, le rapporteur, Gilbert Barbier, m’a interpellée sur le caractère imposable ou non de l’allocation. Cela ne peut être décidé que dans le cadre de la loi de finances et ce n’est donc pas un sujet à aborder ici. La question sera éventuellement tranchée plus tard, à l’occasion d’autres arbitrages.

L’idée d’un financement par l’assurance maladie est tout à fait recevable : l’allocation devrait entraîner une diminution du nombre d’hospitalisations, les patients pouvant mourir à leur domicile, et du nombre d’arrêts de maladie de complaisance ; je me suis déjà exprimée sur ce sujet. L’élargissement aux proches et à la personne de confiance, souhaité par tous à la suite d’une proposition du groupe socialiste, exclut en revanche le financement par la branche famille, car il faut être cohérent dans ce domaine.

Je ne peux pas répondre positivement, et j’en suis vraiment désolée, à la question de Nicolas About, qui désirait savoir s’il existait une simulation du coût d’une allocation universelle.

Il faudrait évidemment étudier ce coût, mais pour plusieurs scénarios. Je ne doute pas, madame la présidente de la commission, que vous saurez éventuellement vous saisir de ce dossier pour aider le Gouvernement à rassembler les éléments d’un calcul tout à fait intéressant !

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Bien sûr !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. M. Jean Louis Masson a parlé de « restaurer les liens familiaux ». Je ne sais pas si, dans notre société, les liens familiaux sont détruits !

M. François Autain. Ils sont recomposés…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Certes, ils ont changé. Mais quand on interroge les Français, on constate au contraire que c’est bien dans la famille qu’ils trouvent leur meilleur refuge !

Les liens familiaux résultent d’une culture sociétale que je crois, hélas ! hors de portée d’un simple texte de loi. Sans vouloir répondre ici, bien évidemment, à la fameuse interrogation de Montesquieu se demandant si c’est la loi qui fait les mœurs ou les mœurs qui font la loi, je ne pense pas qu’une loi puisse restaurer des liens familiaux ; elle peut en revanche permettre à des personnes qui veulent, dans le cadre de liens familiaux forts, accompagner leurs proches de ne pas s’en voir empêchées pour des considérations d’ordre financier.

Gérard Dériot et Claude Jeannerot m’ont interrogée sur l’avancement du programme de développement des soins palliatifs, programme qui, vous le savez, est l’une des trois priorités du Président de la République, à côté du plan cancer et du plan Alzheimer. Je tiens bien sûr à la disposition de la commission des affaires sociales le point sur le développement du programme de soins palliatifs 2008-2012. Ce n’est pas l’objet précis du débat, même s’il est complémentaire, et je n’entrerai donc pas dans le détail de ce programme, mais je puis vous indiquer qu’il progresse selon un bon rythme, certaines mesures étant déjà très avancées, d’autres méritant un affinement.

Enfin, monsieur Jeannerot, si nous n’avons pas souhaité que bénéficient également de cette allocation les personnes qui accompagnent un malade hospitalisé, c’est précisément parce que l’une des ambitions de ce texte est de réduire le nombre de personnes qui, au moment de mourir, restent à l’hôpital non pas en raison de la nécessité de soins très spécifiques mais par manque de possibilité d’accompagnement à leur domicile.

M. François Autain. Ce n’est pas cela qui va changer les choses !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous manquerions une partie de la cible si nous allions dans votre sens, monsieur le sénateur, même si votre demande est empreinte d’une générosité que par ailleurs je comprends totalement.

Je tiens en conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous renouveler mes remerciements pour la qualité de ce débat. Nous commençons bien l’année ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. Nous passons à la discussion des articles.

Mes chers collègues, je vous invite à la concision, car, comme vous le savez, nous devrons interrompre nos travaux avant seize heures trente.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi visant à créer une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° À l’intitulé du livre VIII, après les mots : « Allocation aux adultes handicapés – », sont insérés les mots : « Allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie – » ;

2° Après le titre II du livre VIII, il est inséré un titre II bis ainsi rédigé :

« TITRE II BIS

« ALLOCATION JOURNALIÈRE D’ACCOMPAGNEMENT D’UNE PERSONNE EN FIN DE VIE

« Art. L. 822-1. – Une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie est versée aux personnes qui accompagnent à domicile une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, et qui remplissent les conditions suivantes :

« 1° soit être bénéficiaire du congé de solidarité familiale ou l’avoir transformé en période d’activité à temps partiel comme prévu aux articles L. 3142-16 à L. 3142-21 du code du travail ou du congé prévu au 9° de l’article 34 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, au 10° de l’article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, au 9° de l’article 41 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ou à l’article L. 4138-6 du code de la défense ;

« 2° soit avoir suspendu ou réduit son activité professionnelle et être un ascendant, un descendant, un frère, une sœur, une personne de confiance au sens de l’article L. 1111-6 du code de la santé publique ou partager le même domicile que la personne accompagnée.

« Art. L. 822-2. – (Supprimé)

« Art. L. 822-3. – (Supprimé)

« Art. L. 822-3-1 (nouveau). – L’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie est également versée dans les départements mentionnés à l’article L. 751-1.

« Art. L. 822-4. – L’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie est versée dans la limite d’une durée maximale de trois semaines dans des conditions prévues par décret. Si la personne accompagnée à domicile doit être hospitalisée, la période de versement de l’allocation inclut, le cas échéant, les journées d’hospitalisation, sans dépasser la durée maximale de trois semaines.

« Le montant de cette allocation est fixé par décret.

« L’allocation cesse d’être due à compter du jour suivant le décès de la personne accompagnée.

« L’allocation peut être versée à plusieurs bénéficiaires, au titre d’un même patient, dans la limite totale maximale fixée au premier alinéa.

« Art. L. 822-5. – Les documents et les attestations requis pour prétendre au bénéfice de l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie, ainsi que les procédures de versement de cette allocation, sont définis par décret.

« Art. L. 822-6. – L’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie est financée et gérée par le régime d’assurance maladie dont relève l’accompagnant.

[ ]

« Lorsque l’intervention du régime d’assurance maladie se limite aux prestations en nature, l’allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie est financée et servie par l’organisme compétent, en cas de maladie, pour le service des prestations en espèces ou le maintien de tout ou partie de la rémunération. »

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l'article.