M. Jean-Pierre Sueur. … vous ne pouvez pas prétendre avoir utilisé « au mieux » les éléments démographiques qui étaient à votre disposition.

Si vous persistez dans cette attitude, consistant à ignorer les réalités démographiques que vous connaissez et que la sagesse de M. Pignard nous a permis de prendre en compte, votre texte sera à l’évidence inconstitutionnel.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Mais il y a un recensement chaque année !

M. Jean-Pierre Sueur. Ces cinq arguments devraient suffire et, monsieur le secrétaire d’État, nous entendrons vos réponses avec beaucoup d’intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cette argumentation étant identique à celle qui a été faite en première lecture, la position de la commission demeure inchangée.

M. Jean-Pierre Bel. Et le recensement de la population ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous proposons le rejet de la motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Nous partageons évidemment la position de la commission. Mais je voudrais revenir sur plusieurs points évoqués par M. Sueur.

Je rappelle tout d’abord que les opérations de découpage n’ont jamais été aussi fortement encadrées. Outre l’intervention du Conseil d’État, en amont, et éventuellement du Conseil constitutionnel, en aval, une commission de contrôle a été créée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Cette commission comprend trois magistrats, issus des plus hautes juridictions – Conseil d’État, Cour des comptes et Cour de cassation –, et désignés en assemblée générale – ce qui n’est pas rien ! Par ailleurs, trois personnalités qualifiées sont nommées selon la même formule que pour le Conseil constitutionnel, c’est-à-dire par le chef de l’État et par les présidents des deux assemblées. Ces nominations sont elles-mêmes encadrées, puisqu’elles font l’objet, et ce pour la première fois, d’un passage devant les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Je crois donc que l’encadrement est maximal et sans précédent.

Toutefois, comme je l’ai déjà indiqué dans cet hémicycle ainsi qu’à l’Assemblée nationale, je suggère pour l’avenir que cette commission de contrôle, qui est désormais en place, puisse également faire des propositions, en tenant compte de la méthode de recensement permanent émanant de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, ou loi « Jospin-Vaillant ».

M. Bernard Frimat. On le sait !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Comprenez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous ne pouvons pas effectuer un redécoupage chaque année, en fonction de l’évolution du recensement. Pour autant, on ne peut pas, comme cela a été le cas, attendre 26 ans, refuser d’appliquer la loi et d’entendre les injonctions du Conseil constitutionnel quand celui-ci – ce fut le cas après les recensements de 1989 et 1999 – impose une révision de la carte électorale.

Par le passé, les recensements avaient lieu tous les dix ans. Ils sont désormais permanents. Je pense donc que la commission pourrait émettre un certain nombre de propositions quant à la réactualisation de la carte électorale et que ces propositions pourraient recueillir un consensus dans nos assemblées. Pour l’élection des députés, par exemple, une mise à jour tous les cinq ou dix ans pourrait être envisagée.

Par ailleurs, la méthode de la tranche est inhérente à l’histoire de la Ve République. Elle a été utilisée de manière systématique, lorsque le scrutin majoritaire était en vigueur, et aussi bien par les gouvernements de droite que par les gouvernements de gauche. Ainsi, j’ai rappelé tout à l’heure que l’on y a eu recours en 1985, sous la Présidence de François Mitterrand et alors que M. Laurent Fabius était Premier ministre et M. Pierre Joxe ministre de l’intérieur.

M. Sueur a cité deux cas extrêmes, la Seine-Maritime et le Jura, dans lesquels l’effet de seuil joue. Mais celui-ci est inévitable !

En outre, d’autres situations peuvent paraître choquantes. Par exemple, le fait de ne faire référence qu’à la population prise dans sa globalité crée des disparités et des distorsions, générant d’autres types d’injustices. (M. Bernard Frimat s’exclame.) Maintenant qu’il n’y a plus qu’un seul député dans le département de la Creuse, cet élu représente 123 000 électeurs, alors qu’un député à Paris ou en Seine-Saint-Denis en représente 47 000. Le premier « pèse » donc deux fois plus lourd que le second.

Cela me paraît être une très grande injustice (Mme Marie-Thérèse Hermange opine.) et il me semble que le Sénat, qui assume la représentation des territoires et des populations, y compris des populations rurales, devrait être sensible à cet argument. Je n’ai pas de solution à ce problème aujourd’hui, mais je pense qu’il serait bon d’y réfléchir.

S’agissant des agrégats de cantons, cette pratique correspond à une obligation légale. On ne peut pas construire les circonscriptions à partir des communautés de communes, qui relèvent du décret, et non de la loi, car les députés se retrouveraient à la merci des changements de préfets.

M. Sueur a évoqué tous les animaux fantaisistes qui auraient été créés. Mais, en réalité, nous avons très peu dérogé à la règle de non-découpage des cantons. La France comprend un peu plus de 4 000 cantons ; nous en avons scindé 40 en deux, alors que nous pouvions porter ce nombre à 150. Par conséquent, 1 % seulement des cantons ont été affectés.

En revanche, nous sommes obligés de tenir compte des découpages cantonaux existants. Depuis 1981, 135 découpages cantonaux ont été effectués par la gauche et moins de dix par l’actuelle majorité. S’agissant du papillon de l’Hérault, par exemple, il résulte du découpage voulu, en 1985, par M. André Vézinhet, qui est aujourd’hui président du conseil général. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) C’est à partir de ce découpage que nous avons établi les circonscriptions et je ne pense pas, en outre, qu’il en soit désavantagé.

Quant au scorpion du Gard, la circonscription de ce département qui a effectivement une forme étrange, il est aussi issu du découpage fait par un président de gauche de conseil général, découpage que nous avons repris. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

M. Jean-Marc Todeschini. C’est un président de conseil général qui découpe ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Ces formes curieuses dont vous parlez sont le fait non pas des découpages cantonaux de la majorité, mais des vôtres, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, car ce sont vos présidents de conseil général qui les ont faits !

M. Pierre-Yves Collombat. Ce sont les présidents de conseil général qui font les cantons : c’est une nouveauté, ça !

M. Jean-Pierre Sueur. Jamais ils ne l’ont fait ! C’est le Gouvernement qui découpe !

M. François Marc. C’est la zoologie de Charles Pasqua !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Enfin, sur la question du recensement, le Conseil d’État nous a explicitement demandé…

M. François Marc. De faire de la zoologie !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … de faire référence au même recensement pour tout le monde. C’est ce que nous avons fait !

C’est l’actuelle opposition qui a fait voter la loi Jospin-Vaillant, rendant possible un découpage permanent. Toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne pensez tout de même pas qu’on peut découper la carte électorale chaque année ! Si on suivait votre logique, il faudrait faire un découpage tous les ans !

M. Jean-Pierre Sueur. Personne n’a dit ça !

M. Pierre-Yves Collombat. Vous pouvez le faire maintenant !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le Conseil d’État a été très clair : « la population des départements est celle authentifiée par le premier décret publié en application du VIII de l’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité ». Nous avons strictement respecté cette consigne et, par conséquent, il n’y a aucune modification à apporter à l’ordonnance que nous vous proposons, du fait des chiffres qui viennent d’être publiés.

Aucun des départements cités par M. Sueur ne gagnerait ou ne perdrait un député à cause de ce recensement,…

M. Jacques Mahéas. Bien sûr que si ! La Seine-Saint-Denis ! C’est évident !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … tout simplement parce que la moyenne remonte. Ce n’est pas évident, monsieur Mahéas, c’est démontré !

M. Jacques Mahéas. Reprenez les chiffres de l’INSEE ! (M. Jacques Mahéas brandit un document.) C’est invraisemblable !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Tels sont les éléments que je voulais apporter en réponse à votre intervention, monsieur Sueur.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Todeschini. Mon collègue Daniel Reiner défendra tout à l’heure les amendements qui concernent le découpage et le charcutage de Meurthe-et-Moselle et de la Moselle. Mais je constate dès à présent que vos arguments sont variables, monsieur le secrétaire d’État.

Quand vous avez cité voilà quelques instants la liste des circonscriptions, s’agissant de la Meurthe-et-Moselle, vous avez affirmé que vous supprimiez une circonscription UMP et une circonscription socialiste. En réalité, vous n’en supprimez qu’une en Meurthe-et-Moselle : celle d’Hervé Féron.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Non !

M. Jean-Marc Todeschini. Les autres ne sont pas supprimées, vous le savez parfaitement. Mais cela fait bien dans la liste…

Ensuite, vous n’avez pas reparlé de la Moselle et vous n’avez pas mentionné la suppression de la circonscription d’Aurélie Filippetti.

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Si, vous avez mal entendu !

M. Jean-Marc Todeschini. Le groupe socialiste soutient cette motion. En effet, malgré les explications que vous venez de fournir en réponse à Jean-Pierre Sueur, c’est au moment où on légifère et où on vote que l’on a connaissance de l’estimation de la population, et non pas quand vous faites fonctionner vos ordinateurs dans votre cabinet.

Vous avez affirmé tout à l’heure que personne ne connaît par avance le vote des électeurs. Mais vos ordinateurs ont tourné pour essayer d’estimer leur vote.

Une seule raison me conduit à vous dire que vous êtes très partisan et que votre découpage n’est pas équitable.

M. Jean-Marc Todeschini. Effectivement, charcutage, mais on l’a déjà beaucoup dit et je laisserai Jean Louis Masson le redire.

Votre découpage n’est pas équitable, monsieur le secrétaire d’État, parce que si vous citez les circonscriptions que vous supprimez, vous n’évoquez pas l’ouvrage de dentelle auquel vous vous êtes livré pour empêcher la gauche de reprendre certaines circonscriptions.

Je prendrai l’exemple le plus criant.

La majorité fortuite que vous nous disiez avoir trouvée ici même en décembre dernier pour rejeter votre ordonnance s’est reconstituée à la commission des lois de l’Assemblée nationale. Vos amis UMP ont joint leurs voix à celles des socialistes pour dénoncer le fait qu’en Moselle – c’est le seul amendement qui a été adopté – vous avez tripatouillé les circonscriptions au profit de François Grosdidier. Vous avez en effet transféré le canton du maire socialiste de Metz – qui vous dérange beaucoup – dans la circonscription de Metz III, laquelle est bien plus à droite que celle de Metz I, et rendu impossible la victoire de la gauche dans la première circonscription de Metz, détenue aujourd’hui par François Grosdidier, hier par Gérard Terrier, socialiste, et avant-hier par Jean Lorrain.

Vous ne voulez pas qu’on la récupère. Vous avez transféré les bureaux de droite en faisant fi des résultats de l’INSEE – que vous, vous connaissiez ! – et vous transférez massivement la population des bureaux les plus à droite de Metz dans cette circonscription !

Par conséquent, vous n’êtes pas en mesure ici de nous dire que nos déclarations sont partisanes. C’est vous qui êtes partisan. Vous êtes le grand charcutier au profit de l’UMP, et d’ailleurs votre responsabilité au sein de l’UMP, ce sont les élections. On voit aujourd’hui où nous en sommes !

M. Christian Cambon. Scandaleux !

M. Bernard Frimat. C’est la vérité !

M. Jean-Marc Todeschini. Monsieur le secrétaire d’État, vous opérez un découpage au profit de l’UMP, reconnaissez-le. N’essayez pas de tirer la couverture à vous.

Quant à la majorité fortuite, elle l’était ici au Sénat. À l’Assemblée nationale, les députés n’ont même pas pu se prononcer au moment du débat. Vous avez demandé le report du vote au mardi, parce que vous aviez peur des parlementaires absents. Les députés socialistes n’ont donc pas pu débattre de leurs amendements.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ils pouvaient en débattre !

M. Jean-Marc Todeschini. Reconnaissez tout de même que vous faites marcher le Parlement au canon !

Ici même, la majorité UMP subit beaucoup de choses.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On ne subit rien, on ne s’occupe pas des affaires des députés !

M. Jean-Marc Todeschini. Cependant, ne nous faites pas le procès d’être partisans – parce que c’est exactement ce que vous avez dit tout à l’heure ! À cet égard, je veux rendre hommage à l’intervention de notre collègue Bernard Frimat.

Je rends bien sûr également hommage au président Hyest, lequel invente la jurisprudence qui vous intéresse en disant que le Sénat ne doit pas s’occuper du découpage des circonscriptions des députés. Sur ce point aussi, on a bien vu que vos arguments étaient un peu tendancieux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean Louis Masson. Je demande la parole pour explication de vote.

M. le président. Monsieur Masson, je ne puis vous la donner, car le règlement prévoit qu’elle ne peut être accordée qu’à un seul représentant par groupe.

M. Jean-Marc Todeschini. Il n’est pas membre de notre groupe !

M. le président. La réunion administrative à laquelle vous appartenez n’est pas un groupe.

M. Bernard Frimat. Sauf pour les procurations !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public par le groupe UMP sur la motion n° 1 de M. Bel et du groupe socialiste tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je vous rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que l’avis du Gouvernement est également défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Ceux qui souhaitent voter « pour » remettront au secrétaire un bulletin blanc.

Ceux qui souhaitent voter « contre » remettront un bulletin bleu.

Ceux qui souhaitent s’abstenir remettront un bulletin rouge.

Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.

………………………………………………………

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Chacun a-t-il pu exprimer son vote comme il l’entendait ?...

En l’absence d’observation, le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 126 :

Nombre de votants 317
Nombre de suffrages exprimés 316
Majorité absolue des suffrages exprimés 159
Pour l’adoption 142
Contre 174

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés
Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 3.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, ratifiant l'ordonnance n° 2009-935 du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés (n° 219, 2009-2010).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, auteur de la motion.

Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, censuré partiellement par le Conseil constitutionnel, entaché de lourds soupçons sur l’honnêteté de la démarche, statistiquement totalement infondé, désavoué même par le Conseil d’État, refusé en première lecture au Sénat, passé en force à l’Assemblée nationale via la procédure du vote bloqué qui permet au Gouvernement de demander un vote sur un texte comportant seulement les amendements qu’il a approuvés, recours aux ordonnances, voici que revient à l’ordre du jour du Sénat ce fameux texte sur le découpage des circonscriptions.

Parler de « passage en force » serait un euphémisme. Considérer qu’il s’agit de « brutalité institutionnelle » est encore un peu tendre. Dire que c’est un « acte antidémocratique » s’approche plus de la réalité.

Monsieur Marleix, il a été maintes fois fait référence, au cours du présent débat, comme lors du précédent, à votre rôle dans le triste redécoupage de 1986.

Considéré comme un horizon indépassable en termes de manipulation électorale, ce palier a tout de même été franchi avec ce nouveau redécoupage.

La censure du Sénat montre bien que votre projet de loi crée un véritable trouble au sein même des élus de droite. Certains des membres de votre majorité n’hésitent pas à dénoncer ce texte. Quelques-uns ne se retrouvent pas dans les chiffres fournis pour justifier le redécoupage de leur circonscription. D’autres se voient offrir – heureux hasard pour la majorité présidentielle – un lot de consolation en échange d’une circonscription qui disparaît.

Pour les élus de gauche, nous assistons à un véritable hold-up.

À l’image de l’instauration des conseillers territoriaux, le Gouvernement tente à tous les niveaux et par tous les biais de capter durablement le pouvoir dans le plus total mépris des principes démocratiques les plus essentiels.

À titre d’exemple, les députés non concernés par le redécoupage sont soixante-treize au groupe socialiste de l’Assemblée nationale, soit 35 % du groupe. Ils sont neuf au groupe GDR, soit 35 % du groupe. Mais ils sont cent quarante au groupe UMP, soit 45 % de l’effectif de ce groupe. Ainsi, étrangement, le pourcentage des députés « protégés » augmente de 10 % quand il s’agit de la majorité présidentielle.

Par ailleurs, comme nous l’avons dénoncé à de multiples reprises, ce texte n’a pas fait l’objet d’une réelle expertise neutre et objective. Je vous propose alors de procéder à l’exercice suivant : appliquons les règles du nouveau redécoupage aux dernières élections législatives et mesurons les écarts.

Si l’on appliquait les mesures prévues par ce texte aux élections de 2007, l’UMP aurait gagné vingt sièges par le simple effet du redécoupage. Le parti présidentiel serait ainsi l’unique et grand victorieux de cette manœuvre puisque le Nouveau Centre ne gagnerait, quant à lui, aucun député supplémentaire. À gauche, on enregistrerait le phénomène inverse : le groupe socialiste perdrait onze représentants et le groupe GDR trois.

Par ailleurs, sur les trente-trois circonscriptions qui seraient créées, neuf donneraient lieu à l’élection d’un député de gauche et vingt-quatre à celle d’un député de droite. Sur les trente-trois circonscriptions qui seraient supprimées, vingt-trois concernent la gauche et dix seulement la droite, alors qu’elle détient plus de sièges. (M. Bernard Frimat s’exclame.)

Enfin, les règles de représentativité démographique ne sont absolument pas respectées.

Je prendrai un exemple pour illustrer mon propos. Selon le nouveau découpage, une circonscription des Hautes-Alpes comprendra 60 000 habitants alors qu’une autre circonscription située dans la Seine-Maritime – on l’a souvent citée en exemple – en comportera 146 000. Un électeur de la Seine-Maritime pèsera donc toujours plus de deux fois moins qu’un électeur des Hautes-Alpes.

De nombreux exemples de ces inégalités persistantes ont déjà été présentés au cours du débat. Ils sont à chaque fois symptomatiques de votre volonté d’accorder une circonscription à telle ou telle force politique, au détriment de la souveraineté populaire.

Quoi que vous puissiez en dire, si ce redécoupage avait lieu en l’état, la gauche devrait recueillir exactement 51,4 % des voix aux élections législatives pour obtenir une majorité.

En somme, aux élections locales comme aux élections nationales, vos réformes consistent à faire en sorte que vous gardiez le pouvoir coûte que coûte, même lorsque vos élus ne sont pas majoritaires. Vous mettez en place, en toute conscience, un système où, malgré les élections, le pouvoir peut rester dans les mains d’une minorité. Ce système politique a un nom : l’oligarchie !

Le découpage des circonscriptions, mais un découpage démocratique et transparent, aurait dû être réalisé non par l’ancien expert du découpage électoral du parti au pouvoir (M. le secrétaire d’État s’exclame), mais par une institution autonome, qui aurait eu pour mission de réfléchir, d’une part, au mode de scrutin à instaurer et, d’autre part, à un découpage respectueux de la démographie et à une représentativité au plus près des citoyens. Elle aurait dû aussi avoir à sa disposition les données statistiques et démographiques, voire sociales, comme les toutes dernières données du recensement dévoilées par l’INSEE.

Or la réalité est malheureusement tout autre. Ce redécoupage a eu lieu dans la plus totale opacité, et nous ne pouvons même pas nous accorder sur des données chiffrées et objectives, un préalable pourtant indispensable à tout débat.

On peut se demander si, en tant que secrétaire d’État aux collectivités territoriales et spécialiste de la carte électorale au sein de l’UMP,…

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Je ne le suis plus !

Mme Josiane Mathon-Poinat. … vous êtes à même de mener ce travail, qui exige une grande neutralité ! Sur quelles bases vous êtes-vous appuyé pour réaliser vos calculs ? Vous en avez cité quelques-unes,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ne vous plaignez pas, madame Mathon-Poinat ! Le découpage n’est pas à votre détriment !

Mme Josiane Mathon-Poinat. … mais vos réponses sonnent faux. Quel dispositif méthodologique avez-vous mis en place ? Quels indices de représentativité avez-vous privilégiés ? Quelles données avez-vous utilisées ? Qui sont les personnes ayant été chargées de les traiter ? Étaient-elles vraiment qualifiées pour assurer cette tâche ? Quels étaient les gages d’indépendance de ce travail ?

Bref, en l’absence de réponses plus précises à ces questions, il nous paraît impossible de pouvoir débattre de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quid de cette motion tendant à opposer la question préalable, alors que l'Assemblée nationale a délibéré deux fois sur ce texte, et le Sénat une fois, même si la situation peut paraître paradoxale ?

Les arguments avancés étant les mêmes, la commission vous demande, mes chers collègues, de rejeter cette motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le Gouvernement est défavorable à la motion tendant à opposer la question préalable.

Par courtoisie envers Mme Mathon-Poinat, permettez-moi de répondre aux arguments qu’elle a développés au nom du groupe CRC-SPG.

Madame le sénateur, ai-je besoin de vous rappeler que la procédure, dont la dernière étape se déroule actuellement, a été demandée, je dirai même presque exigée, par le Conseil constitutionnel ? Le Gouvernement, vous le savez bien, n’aurait pas proposé au Parlement de procéder à un tel ajustement de la carte des circonscriptions législatives s’il n’y avait pas déjà eu plusieurs rappels à l’ordre,…

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. … qui n’ont pas été suivis d’effets par les gouvernements de gauche en 1989 et en 1999. (Mme Michèle André s’exclame.) Ce redécoupage aurait donc dû être fait depuis longtemps !

Mme Josiane Mathon-Poinat. Je vous l’accorde !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Pouvons-nous donc vraiment attendre encore, et jusqu’à quand, pour que l’une des chambres de notre institution parlementaire renoue avec la légalité ?

Par ailleurs, si cette motion était adoptée, quelle réponse concrète apporteriez-vous au Conseil constitutionnel (Mme Michèle André et M. David Assouline s’exclament), qui a indiqué en 2003, en 2005, en 2007, en 2008 et en 2009 qu’il nous incombait de modifier, et ce rapidement, le découpage des circonscriptions législatives ?

M. David Assouline. On est d’accord sur le fait qu’il faut faire un redécoupage ! Mais il doit être fondé sur le dernier recensement !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Si cette motion était adoptée, que se passerait-il, très concrètement, en cas de dissolution de l’Assemblée nationale ? Certes, il s’agit vraisemblablement d’une hypothèse d’école, mais cela peut arriver. L’Assemblée nationale serait contrainte de renouveler ses membres dans des circonscriptions non remodelées. Dans une telle hypothèse, imaginez la confusion juridique et institutionnelle, car, je me permets de vous le rappeler, les circonscriptions ont été délimitées à partir d’un redécoupage très lointain, qui date de 1982 !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État. La France comptait alors 55 millions d’habitants, contre quelque 65 millions aujourd'hui !

En outre, qu’adviendrait-il des députés qui seraient élus, en cas d’élection législative partielle, dans telle ou telle circonscription non conforme à l’article 3 de la Constitution, donc non constitutionnelle et non légale ?

Telles sont les raisons pour lesquelles je souhaite que le Sénat rejette cette motion.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mahéas, pour explication de vote.