M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale que l’Assemblée nationale a adopté le 24 novembre dernier, après engagement de la procédure accélérée, et sur lequel le Sénat est aujourd’hui appelé à se prononcer, nous impose un bref rappel historique.

Il puise sa raison d’être initiale dans la décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, devenu la loi du 25 février 2008.

Outre quelques importantes réserves d’interprétation, le Conseil constitutionnel a considéré que la rétention de sûreté, bien que n’étant « ni une peine ni une sanction ayant le caractère d’une punition », ne saurait « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction » être appliquée de manière rétroactive.

Ainsi, les personnes condamnées avant la publication de la loi ou après cette date mais pour des faits commis antérieurement ne pourront pas faire l’objet d’un placement direct en rétention de sûreté à l’issue de leur période de réclusion. Cette hypothèse se trouvait donc reportée à un avenir lointain puisque le champ d’application de la rétention de sûreté, vise, je vous le rappelle, les personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à quinze ans de réclusion criminelle pour assassinat, meurtre, tortures, actes de barbarie, viol, enlèvement, séquestration commis sur un mineur ou pour les mêmes infractions, avec circonstance aggravante, sur une victime majeure.

Cette jurisprudence constitutionnelle n’avait pas surpris la commission des lois du Sénat, puisque le rapporteur que j’étais déjà à l’époque avait tenu la même analyse et défendu la même position devant la Haute Assemblée au nom du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

En revanche, le Conseil constitutionnel a admis l’application immédiate de la surveillance de sûreté qui, elle-même, peut pourtant conduire à la rétention de sûreté.

Le jour même de la promulgation de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, le Président de la République, Mme le garde des sceaux l’a rappelé il y a quelques instants, invitait le Premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, à présenter « toutes propositions utiles d’adaptation de notre droit pour que les condamnés exécutant actuellement leur peine et présentant les risques les plus grands de récidive puissent se voir appliquer un dispositif tendant à l’amoindrissement de la récidive ».

M. Vincent Lamanda, dans le rapport remis le 30 mai 2008, suggère de modifier sur certains points la loi du 25 février 2008 afin d’en combler les lacunes ou d’en corriger les insuffisances. Il comporte également de nombreuses propositions concrètes qui n’emportent pas de traduction législative, mais qui touchent, notamment, à l’adaptation des conditions de prise en charge des délinquants sexuels.

Nous souhaiterions, madame le ministre d’État, recueillir votre sentiment sur les aspects non législatifs du rapport Lamanda, document dont l’intérêt est très largement reconnu.

Prenant acte à la fois des conséquences nécessaires de la décision du Conseil constitutionnel et des propositions de nature législative du Premier président de la Cour de cassation, le projet de loi initial déposé par le Gouvernement devant l’Assemblée nationale ne comportait que sept articles dont les principaux pouvaient aisément rencontrer l’assentiment général.

Ainsi, l’article 1er consacre dans la loi la réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel posant pour la juridiction régionale de la rétention de sûreté l’obligation de vérifier que la personne condamnée a été en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge et de soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre.

L’article 2 prévoit que le placement en rétention de sûreté, qui doit demeurer l’ultime recours, n’est possible que si un renforcement des obligations dans le cadre de la surveillance de sûreté se révèle insuffisant pour prévenir la récidive criminelle.

L’article 4 permet d’ordonner une surveillance de sûreté dès la libération d’une personne qui avait été incarcérée en raison d’un manquement aux obligations fixées dans le cadre d’une surveillance judiciaire et à laquelle toutes les réductions de peine ont été retirées.

L’article 5 prévoit la rétribution de l’avocat assistant une personne retenue dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, s’agissant de décisions prises à l’encontre de celle-ci pour assurer le bon ordre du centre.

L’ensemble de ces dispositions ne nous aurait pas retenus très longtemps, mais l’Assemblée nationale a adopté un texte largement étoffé, qui met en œuvre de nouvelles orientations, s’articulant autour de quatre thématiques principales.

Premièrement, les députés ont étendu le champ d’application de la surveillance judiciaire et de la surveillance de sûreté : la durée de surveillance de sûreté est portée de un à deux ans ; le quantum de peine permettant le placement sous surveillance de sûreté à l’issue de la surveillance judiciaire ou du suivi socio-judiciaire est abaissé de quinze à dix ans ; le seuil de peine prononcée permettant de placer une personne condamnée sous surveillance judiciaire est abaissé de dix à sept ans.

Parallèlement, la loi du 25 février 2008 avait prévu l’application de la rétention et de la surveillance de sûreté aux crimes les plus graves commis sur majeur, dès lors qu’ils l’ont été avec une circonstance aggravante, sans avoir cependant pris en compte ces crimes lorsqu’ils sont commis en état de récidive légale, qui est pourtant une circonstance aggravante générale. L’Assemblée nationale a remédié à cette incohérence.

Deuxièmement, l’Assemblée nationale a renforcé les dispositions concernant la prescription de traitements antihormonaux pour les délinquants sexuels.

Ainsi, la personne qui refusera soit de commencer, soit de poursuivre le traitement inhibiteur de libido proposé dans le cadre de l’injonction de soins s’exposera au retrait de son crédit de réduction de peine si elle est détenue, à une incarcération si elle exécute sa peine en milieu ouvert, à une réincarcération si elle est placée en surveillance judiciaire, à une rétention de sûreté si elle est placée en surveillance de sûreté.

Afin de permettre d’améliorer l’évaluation de la dangerosité, la situation des personnes susceptibles d’être placées sous surveillance judiciaire devra être examinée par le juge de l’application des peines et pourra donner lieu à un examen par le centre national d’observation, le CNO.

Par ailleurs, le code de la santé publique est modifié afin de rendre obligatoire le signalement par le médecin traitant du refus ou de l’interruption d’un traitement inhibiteur de libido.

Troisièmement, l’Assemblée nationale a mis en place un nouveau répertoire relatif aux expertises psychiatriques des personnes poursuivies ou condamnées et introduit de nouvelles obligations concernant les fichiers existants, tels le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles, le FIJAIS, ou le fichier national automatisé des empreintes génétiques, le FNAEG.

Quatrièmement, les députés ont adopté une définition plus précise des interdictions de paraître en certains lieux et instauré un dispositif visant à prévenir leur violation. Pour les auteurs de crimes sexuels ou violents, le prononcé de l’interdiction de rencontrer la victime serait obligatoire. Dans l’hypothèse où une personne soumise à une interdiction de paraître violerait ses obligations, elle pourrait être appréhendée d’office par les services de police ou de gendarmerie et retenue pour une durée de vingt-quatre heures, afin de permettre sa présentation devant le juge, qui pourrait procéder à sa réincarcération.

Signalons encore l’adoption de deux amendements par l’Assemblée nationale, visant à ce que l’identité et l’adresse des personnes condamnées pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru soient communiquées aux services de police ou aux unités de gendarmerie lorsque leur incarcération prend fin, d’une part, et à ce que l’observatoire indépendant chargé de collecter et d’analyser les données relatives aux infractions créé par la récente loi pénitentiaire publie aussi, dans son rapport annuel, des données statistiques relatives à l’exécution réelle des peines en fonction des peines prononcées.

Si la commission des lois partage bien évidemment le souhait manifesté par l’Assemblée nationale de renforcer la lutte contre la récidive, elle estime cependant indispensable d’apporter ou de rétablir certaines garanties pour mieux encadrer plusieurs des dispositions votées par les députés.

Ainsi, l’abaissement de quinze à dix ans de la durée de la peine de réclusion criminelle permettant l’application de la surveillance de sûreté soulève, selon la commission, des objections sérieuses, voire dirimantes, de caractère constitutionnel. En effet, la méconnaissance d’une obligation de la surveillance de sûreté peut entraîner un placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté. Or, dans sa décision du 21 février 2008, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de la rétention de sûreté dans la mesure où, « eu égard à l’extrême gravité des crimes visés et à l’importance de la peine prononcée par la cour d’assises, le champ d’application de la rétention de sûreté apparaît en adéquation avec sa finalité ».

Par le biais de la modification du quantum de peine retenu pour la mise en œuvre de la surveillance de sûreté, dont il constitue en quelque sorte le sas, le champ d’application de la rétention de sûreté se trouverait ainsi nécessairement étendu, en contradiction avec les exigences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel…

M. Robert Badinter. Très juste !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … et la volonté du législateur de 2008 de réserver ces dispositifs, d’une nature totalement nouvelle, aux crimes d’une exceptionnelle gravité.

En outre, avec le suivi socio-judiciaire et la surveillance judiciaire, le dispositif français comporte déjà des mécanismes progressifs et efficaces pour exercer un suivi, après la peine, des personnes considérées comme dangereuses.

Pour toutes ces raisons, la commission des lois a maintenu, pour l’application de la surveillance de sûreté, le seuil d’une condamnation à quinze ans de réclusion criminelle.

Elle a par ailleurs confié à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté la responsabilité de s’assurer de l’effectivité de l’offre de soins pendant la détention, précisé les conditions dans lesquelles l’intéressé pourrait demander la mainlevée d’une mesure de surveillance de sûreté, et rappelé que, dans tous les cas, le placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté exigeait une méconnaissance des obligations imposées à la personne faisant apparaître une particulière dangerosité, caractérisée par une probabilité très élevée de récidive.

La commission des lois s’est ensuite attachée à clarifier le cadre juridique dans lequel un traitement antihormonal peut être prescrit.

Elle a ressenti la nécessité d’indiquer sans ambiguïté que la prescription d’un tel traitement relevait de la compétence exclusive du médecin traitant et tiré toutes les conséquences de l’affirmation unanime du corps médical selon laquelle cette prescription n’est pertinente, le cas échéant, qu’au moment ou à l’approche de la libération du condamné.

Si elle a supprimé l’obligation, pour le médecin traitant, d’informer le juge de l’application des peines ou l’agent de probation du refus ou de l’interruption d’un traitement inhibiteur de libido, estimant que cette contrainte ne pourrait que dissuader les médecins de prendre en charge des injonctions de soins, à rebours de l’objectif visé, la commission a néanmoins maintenu le principe d’une information obligatoire par le médecin traitant, mais en la soumettant à des conditions particulièrement strictes.

Cette obligation ne vaudrait que si le refus ou l’interruption du traitement intervient contre l’avis du médecin traitant. Ce refus ou cette interruption devra concerner le traitement dans son ensemble, et pas seulement le traitement antihormonal,…

M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … qui ne constitue que l’une des composantes éventuelles de la prise en charge médicale. Le médecin traitant passerait nécessairement par l’intermédiaire du médecin coordonnateur, afin qu’une concertation puisse s’établir sur la situation née de l’attitude du patient. Le secret médical serait respecté et le destinataire de l’information serait le juge de l’application des peines, à charge pour lui de la communiquer à l’agent de probation.

La commission des lois a également récrit une partie des dispositions concernant le répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires, en réservant notamment à l’autorité judiciaire l’accès à ce fichier. S’agissant du FIJAIS, elle a maintenu les règles actuelles relatives à la fréquence de justification des adresses, au demeurant déjà rigoureuses, d’autant que les modifications introduites par l’Assemblée nationale comportaient ou bien un risque d’inconstitutionnalité, ou bien une complexification considérable de la gestion du fichier par le casier judiciaire.

Enfin, la commission des lois a cherché à améliorer et à préciser la rédaction des dispositions introduites par l’Assemblée nationale concernant l’information des services de police et de gendarmerie sur les adresses des personnes condamnées au moment de leur libération, ainsi que les missions de l’observatoire indépendant chargé de la collecte et de l’analyse de dossiers statistiques concernant la récidive. Quelques semaines après la promulgation de la loi pénitentiaire, il m’a semblé paradoxal de laisser entendre que les aménagements de peine ne s’inscriraient pas dans une conception pragmatique de l’exécution de la peine permettant de favoriser la réinsertion et de lutter contre la récidive, mais seraient une sorte de cadeau consenti au condamné.

Mes chers collègues, nous sommes amenés à voter beaucoup de réformes dans le domaine de la justice, trop sans doute, de l’avis même des magistrats les plus éminents. Encore faut-il veiller à la cohérence de notre droit, si nous ne voulons pas le voir ressembler à la tapisserie de Pénélope ! Ce projet de loi doit s’inscrire dans un arsenal législatif dense et complexe, comprenant notamment la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, qui a mis en place le suivi socio-judiciaire, la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, qui a créé la surveillance judiciaire, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, enfin la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Il nous faut donc prendre garde à ne pas revenir aujourd’hui sur ce que nous avons adopté hier, et qui n’a souvent guère eu le temps d’être appliqué.

Enfin, je ne puis passer totalement sous silence l’une des faiblesses essentielles de notre droit, qu’il s’agisse de notre système carcéral ou de notre politique de lutte contre certaines violences aveugles et contre la récidive : je veux parler de la prise en charge, dans notre pays, des malades mentaux.

MM. Nicolas About, rapporteur pour avis, et Gilbert Barbier. Effectivement !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La fermeture d’un grand nombre de lits psychiatriques et la distinction, sans doute assez manichéenne, entre abolition et altération du discernement ont amené en prison bien des personnes pour lesquelles le sens de la peine apparaît évanescent, qui ne peuvent trouver dans l’univers carcéral les meilleures conditions de soins et qui sortiront de prison après de longues années, car l’altération du discernement est devenue une circonstance aggravante – demi-fou, double peine –, sans que la sécurité de la société et leur propre sécurité soient pour autant assurées.

Les ministères de la justice et de la santé devraient prendre l’initiative conjointe d’organiser une réflexion sur ce lancinant problème. Le profil de la seule personne placée aujourd’hui en surveillance de sûreté oblige à reconnaître que la question de la prise en charge de la maladie mentale ne saurait être totalement absente de notre débat. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la volonté de protéger la société contre ceux que l’on considère comme fous et dangereux est ancienne ; la loi des 16 et 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire assignait déjà « à la vigilance et à l’autorité des corps municipaux […] le soin d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté et par la divagation des animaux malfaisants ou féroces ».

La possibilité d’interner une personne sans son consentement, c’est-à-dire l’hospitalisation d’office, définie dans le code de la santé publique, découle de ce pouvoir de police, dans l’exercice duquel le juge n’intervient pas. En regard de cette possibilité de contrainte par corps destinée à empêcher les troubles à l’ordre public, la faculté de proposer des soins comme alternative ou complément à la peine de prison a été reconnue au juge, en 1954 pour les seuls alcooliques, puis en 1958 pour tous les malades.

En moins de dix ans, ces deux dispositifs ont été complétés par quatre textes : la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs ; la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales ; la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs ; enfin, la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

La loi du 12 décembre 2005 a ainsi permis au juge d’ordonner une hospitalisation d’office dans les cas où l’irresponsabilité pénale d’un malade fait que celui-ci ne sera pas condamné. Mais surtout, l’intitulé même des textes adoptés depuis 1998 montre bien à quelles problématiques ils visent à répondre : les infractions sexuelles et la récidive.

L’élaboration de mesures spécifiques concernant les délinquants sexuels récidivistes résulte d’une prise de conscience récente de l’ampleur des violences faites aux femmes et aux enfants.

La loi du 17 juin 1998 a été suscitée par l’augmentation du nombre d’infractions sexuelles constatées au cours des dix années précédentes, augmentation qui résulte pour une part importante de la rupture du silence des victimes, grâce au combat féministe engagé depuis les années soixante-dix. Cette libération de la parole n’est pas achevée, puisque les études sociologiques menées entre 2000 et 2006 ont révélé un doublement du nombre de personnes ayant déclaré avoir été victimes de violences sexuelles au cours de leur vie, alors que le nombre de plaintes est resté stable sur la même période.

Ce décalage entre le nombre d’affaires jugées et la visibilité accrue des violences faites notamment aux femmes et aux enfants, permise par des témoignages plus nombreux et la médiatisation des cas, a entraîné un renforcement progressif de la législation. Cela étant, il ne paraît pas en avoir résulté une plus grande efficacité !

La loi du 17 juin 1998, qui a créé le suivi socio-judiciaire et la possibilité d’injonction de soins pour les délinquants sexuels, est unanimement saluée par les soignants. Si l’expertise psychiatrique antérieure au procès établit que l’accusé dont le discernement n’était pas aboli au moment des faits aurait intérêt à bénéficier de soins médicaux, le juge peut assortir sa condamnation d’une injonction de soins. À l’issue de la peine, le condamné devra donc accepter d’être traité ou, à défaut, retourner en prison.

Ce dispositif permet au moins de préserver le principe du consentement aux soins, tout en imposant une contrainte suffisamment forte, le retour en prison. C’est un point important pour surmonter le refus de soins, qui est l’une des principales difficultés rencontrées par les médecins.

J’insiste sur le fait que le consentement aux soins n’est pas simplement un droit qu’il convient de protéger. C’est également une nécessité médicale, tout particulièrement pour le traitement des maladies mentales. On ne peut obtenir de résultats durables si le malade n’adhère pas au traitement. Tout le travail du médecin sera donc de parvenir à construire ce consentement durable du condamné, contraint par l’injonction d’accepter des soins, afin de le conduire à devenir un patient, c’est-à-dire une personne engagée dans une démarche de soins et qui en accepte la lenteur et les incertitudes.

L’injonction de soins est considérée par les médecins qui sont prêts à s’occuper des délinquants sexuels comme le moyen de commencer le traitement : la justice aide donc à amorcer une thérapeutique. Chacun est dans son rôle, puisque le juge de l’application des peines s’assure qu’il y a bien respect de l’injonction, tandis que le médecin traitant prescrit la thérapeutique qui lui semble appropriée.

Pour qu’il y ait une séparation nette entre pouvoir judiciaire et médecine, un médiateur a été créé en la personne du médecin coordonnateur, qui est l’interlocuteur du juge et rencontre à intervalles réguliers le patient pour s’assurer du suivi thérapeutique. Mais ce médiateur n’interfère pas avec les prescriptions du médecin traitant. Le seul pouvoir dont il dispose est de refuser que le condamné n’ait recours qu’à un psychologue traitant. Il peut imposer que l’injonction de soins soit confiée à un médecin, ce qui paraît tout à fait adapté aux enjeux.

Cette séparation claire entre justice et soins est aujourd’hui, à mon sens, remise en cause. On demande en effet à la médecine d’assurer une mission qui n’est pas la sienne, « protéger la société », en attendant d’elle qu’elle empêche les personnes criminellement dangereuses de nuire. Or la dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminelle ne se recouvrent pas, en réalité, bien que la confusion soit assez fréquente.

Un psychiatre peut déterminer le risque d’auto-agressivité, voire d’hétéro-agressivité d’un malade, mais même l’hétéro-agressivité n’est pas directement corrélée avec le risque de commettre un crime ou un délit. La criminologie est une science en devenir, qui a elle-même beaucoup de mal à évaluer la dangerosité d’un condamné, et donc le risque de récidive. On s’accorde même à reconnaître que le meilleur outil en la matière est un instrument presque totalement empirique, le tableau actuariel. Ce tableau, du type de ceux qui sont utilisés par les compagnies d’assurances pour établir leurs primes, est une sorte de barème qui, en confrontant différents critères liés au condamné et aux faits qui lui sont imputés, propose une estimation de son risque de récidive. C’est dire le degré de fiabilité qu’on peut lui accorder…

Est-il légitime de faire compenser par la médecine les incertitudes de la criminologie ? La loi du 25 février 2008, en instaurant la rétention de sûreté, a prévu la possibilité d’interner les personnes dangereuses dans des établissements de soins. C’était là, à mon sens, créer un risque d’amalgame : toute personne dangereuse n’est pas soignable, hélas, en l’état actuel de la médecine. La dangerosité n’est pas une pathologie, et on ne peut pas soigner tous les psychopathes.

C’est la raison pour laquelle la commission des affaires sociales a souhaité se saisir de deux articles de ce projet de loi, insérés par l’Assemblée nationale dans le texte initial. En effet, elle craint que ces dispositions ne renforcent la confusion entre justice et soins, en suggérant que le juge pourrait prescrire, voire imposer un traitement.

Le traitement en question est ce que les urologues ont appelé la « castration chimique ». Il s’agit en fait d’un traitement inhibiteur de la testostérone et donc, dans une certaine mesure, de la libido. Le terme de « castration », pour symbolique qu’il soit, me paraît par conséquent impropre, sans compter que les effets du traitement sont parfaitement réversibles. Je parlerai donc, même si l’expression est imparfaite, de traitement antihormonal.

Par ailleurs, outre cette obligation de prescription qui, comme je l’indiquais, ajoute à la confusion, le texte impose de demander aux experts d’apprécier l’utilité du traitement et prévoit que toute interruption de celui-ci entraînera un retour en prison ou en rétention de sûreté. C’est là un cas unique, où l’on attache à une forme de thérapie des conséquences judiciaires graves !

Il est vrai que le traitement antihormonal dispose d’un statut légal particulier. C’est même une curiosité : il est le seul médicament qui figure explicitement dans le code de la santé publique comme pouvant être prescrit. C’est sur l’initiative du rapporteur de la commission des lois du Sénat, François Zocchetto, que cette disposition complétant l’article L. 3711-3 du code de la santé publique avait été introduite dans la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales.

Cette manière d’agir avait d’ailleurs, à l’époque, une raison précise. Les effets des traitements antihormonaux sur les délinquants sexuels n’avaient été découverts que récemment et les médicaments identifiés, utilisés pour soigner le cancer de la prostate, n’avaient pas d’indication en matière de pathologie mentale. Il fallait donc impérativement donner une base légale à leur utilisation, pour régler les questions d’assurance des médecins et de prise en charge du traitement par la sécurité sociale. Voilà pourquoi une telle disposition avait été insérée dans la loi.

Cette exception – l’inscription d’un type de traitement dans le code de la santé publique – ne se justifie plus aujourd’hui. Il existe désormais trois médicaments susceptibles d’être prescrits par tout médecin pour traiter ce que l’annuaire Vidal caractérise comme la « déviance sexuelle ». Ces médicaments sont pris en charge à 100 % par la sécurité sociale. Le traitement a fait ses preuves et, comme tout médicament, il comporte ses indications, qui sont d’ailleurs encore discutées, ainsi que, ne l’oublions pas, ses contre-indications.

Mes chers collègues, comprenez bien qu’il ne s’agit en aucun cas d’un traitement miracle : il ne peut soigner que de 5 % à 10 % des délinquants sexuels – je devrais plutôt dire qu’il permet de les calmer un peu – et, parce qu’il crée une andropause, il a des effets secondaires importants sur la santé de ceux qui le prennent. Dans le cadre d’une thérapeutique normale, un médecin peut donc commencer un tel traitement, puis décider de le modifier, de l’interrompre ou même de l’abandonner totalement tout en continuant d’autres soins. Le malade doit-il pour autant retourner en prison ?

Surtout, ce n’est pas un traitement pour condamnés dangereux. Les médecins qui le prescrivent à l’hôpital ont dans leur clientèle de nombreuses personnes qui souffrent de pulsions envahissantes, mais qui luttent pour ne pas passer à l’acte et qui ne l’ont jamais fait. Le traitement antihormonal les y aide.

Faire d’un type de traitement une panacée, voire une obligation légale, revient à laisser entendre à l’opinion publique et aux familles que la médecine a les moyens d’empêcher les délinquants sexuels de récidiver.

M. Jean-Pierre Sueur. Il est important de le dire !

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Cela est faux et dangereux, car tout échec serait désormais considéré comme un échec de la médecine. Or celle-ci tente de soigner, mais ne peut « neutraliser », et n’est pas faite pour cela.

Grâce à l’excellent travail mené par M. le rapporteur, le texte adopté par la commission des lois, saisie au fond du projet de loi, a apporté de nombreuses clarifications. Tout a été fait pour réduire la confusion entre le rôle du juge et celui du médecin et pour préserver le secret médical.

Il est apparu toutefois à la commission des affaires sociales que l’on devait aller plus loin, en supprimant toute référence au traitement antihormonal et en mettant fin à l’exception dont il fait l’objet dans le code de la santé publique. Le médecin traitant doit mettre en œuvre le meilleur traitement, sans privilégier une molécule ou une forme de prise en charge particulière. Il doit le faire sans contrainte, motivé par la seule volonté de suivre son patient et de s’assurer de l’observance du traitement par celui-ci, avec bien entendu le devoir d’informer le médecin coordonnateur ou le juge si l’observance n’est pas respectée.

C’est à cette condition, à mon sens, que justice et santé pourront continuer à œuvrer ensemble et sans ambiguïté pour le soin et la protection des personnes. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord formuler une remarque de forme.

On nous soumet régulièrement des projets de loi relatifs à la police ou à la justice, et le caractère quelque peu récurrent de ces textes, surtout à la veille d’échéances électorales, m’amène à m’interroger.

Certes, ces sujets sont importants et pertinents, mais est-il nécessaire que soient examinés, la même semaine, un projet de loi portant des dispositions pénales au Sénat et un projet de loi relatif à la sécurité intérieure à l’Assemblée nationale ? Ne serait-il pas plus judicieux d’élaborer un grand texte visant à la fois à modifier le code pénal et à légiférer en matière de police ?

En effet, il me paraît inopportun de nous soumettre de manière répétitive des projets de loi portant sur ces thèmes. Il semble que le Gouvernement cherche ainsi davantage à donner l’impression qu’il s’occupe de lutter contre la délinquance, par le biais de la police ou de la justice, qu’à prendre de réelles mesures dans ce domaine. Il serait souhaitable d’aborder ces dossiers dans une plus grande sérénité.

Pour ma part, je ne suis pas du tout hostile à un renforcement des mesures pénales ou des moyens de la police. Pour lutter contre la délinquance, au sens large du terme, tant la coercition que la dissuasion sont nécessaires.

Toutefois, il ne convient pas de nous présenter un projet de loi en réaction à chaque fait divers, comme le fait le gouvernement actuel. Ce n’est pas là une bonne façon de légiférer ! On ne sait plus où l’on en est, tant les modifications du droit, en particulier du code pénal, se succèdent à un rythme accéléré. Il serait bon d’adopter une démarche plus cohérente en la matière.

Par ailleurs, je déplore vivement que le Gouvernement recoure à la procédure accélérée sur un sujet comportant une forte dimension morale, tel que celui qui nous occupe aujourd’hui. C’est inacceptable !

M. Jean-Pierre Sueur. Très juste !

M. Jean Louis Masson. Quelle mouche a donc piqué le Gouvernement ? Si l’urgence est réelle, pourquoi n’a-t-il pas agi plus tôt ?

M. Jean-Pierre Sueur. Bonne question !

M. Jean Louis Masson. Il est pourtant en fonctions depuis 2007 !

Le Parlement est traité d’une façon inacceptable ! À l’Assemblée nationale, la procédure du vote bloqué est systématiquement utilisée. Les scrutins y sont regroupés le mardi, et l’hémicycle est vide le reste de la semaine. Au Sénat, le Gouvernement recourt à la procédure accélérée. User de tels moyens coercitifs est indécent !

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Jean Louis Masson. C’est se moquer du Parlement ! Sur des sujets de société, à portée morale, il n’est absolument pas cohérent de procéder ainsi ! Chacun peut avoir son point de vue sur cette question, mais, selon moi, nous assistons à un dévoiement de la procédure parlementaire.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Non, c’est la conséquence de la réforme constitutionnelle !

M. Jean Louis Masson. Je le répète, je ne suis pas du tout hostile, sur le principe, au contenu de ce projet de loi. Je suis tout à fait d’accord pour que l’on instaure des mesures de rétention, de sûreté ou de surveillance, mais je désapprouve radicalement l’attitude du Gouvernement, qui ne peut que susciter des problèmes au Parlement. D’ailleurs, un incident s'est déjà produit voilà quelque temps, quand un de nos collègues s’est trompé d’urne lors d’un scrutin public. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Il serait temps que le Gouvernement change de méthode !

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le Gouvernement donne effectivement le vertige au législateur. Pour la quatrième fois depuis 2005, nous sommes sommés de légiférer selon la procédure d’urgence, devenue procédure accélérée, sur le sujet de la récidive criminelle. Les lois précédentes sont-elles caduques ? Insuffisantes ? Mal appliquées ? Voilà déjà trois questions auxquelles il faudrait répondre.

Vous avez déclaré à l’Assemblée nationale, madame la garde des sceaux, que le présent projet de loi répond à une attente de l’opinion publique. C’est ce que vos prédécesseurs avaient déjà affirmé en 2005, en 2007 et en 2008.