Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, chaque crime odieux suscite l’horreur et conduit à s’interroger sur les comportements humains, sur la capacité de la société à apporter des réponses, sur celle des pouvoirs publics à appliquer les lois.

Toutefois, répondre à l’émotion que suscite un tel crime par une nouvelle loi, c’est laisser croire que la loi aurait en elle-même la vertu d’apporter une réponse immédiate et qu’il suffit de la modifier pour régler les problèmes. Le législateur ne devrait pas l’accepter.

Les effets de la loi pénale sur les criminels dangereux ne peuvent être immédiats, sauf à croire que la menace empêche le crime. Il n’est donc pas possible de statuer aujourd’hui sur les effets des lois que nous avons votées depuis 2005.

On sait aussi – les études menées sur de longues périodes le montrent – que les évolutions de la délinquance et de la criminalité dépendent de multiples facteurs et que l’existence d’un lien direct avec la loi pénale est difficile à démontrer.

Ainsi, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs a instauré le suivi socio-judiciaire, après la sortie de prison, avec possibilité d’injonction de soins pour les délinquants sexuels. Comment mesurer les effets de cette loi sur des criminels lourdement condamnés postérieurement à 1998 ? Cela n’a pas empêché le législateur de voter la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, créant la surveillance judiciaire des personnes dangereuses, la surveillance électronique mobile et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAIS. Selon le rapport de la commission des lois, la surveillance judiciaire est peu appliquée.

La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs prévoit des peines plancher et le suivi médical et psychiatrique des personnes condamnées, notamment pour des infractions de nature sexuelle. Elle a rendu obligatoire l’injonction de soins, alors que, comme le souligne la commission des affaires sociales dans son rapport pour avis, tous les délinquants sexuels ne sont pas susceptibles de traitement.

Vous signalez, madame la garde des sceaux, 14 000 condamnations de récidivistes à des peines égales à la peine plancher, sans d’ailleurs qu’il soit possible de savoir – et pour cause – à quelle peine ils auraient été condamnés en l’absence de peine plancher. Là aussi, quel recul pouvons-nous avoir sur l’application de la loi de 2007 ?

La loi du 25 février 2008 a instauré la surveillance et la rétention de sûreté. Le Gouvernement entendait, avec cette loi, afficher sa volonté de mettre la population à l’abri de récidivistes dangereux. Nous avons combattu, à l’époque, ce dispositif qui permet, au nom d’une dangerosité supposée, d’enfermer des gens sans qu’ils aient commis une nouvelle infraction. Outre qu’un tel dispositif est inconcevable au regard de notre droit, le Gouvernement voulait le rendre rétroactif. Le Conseil constitutionnel ayant censuré cette disposition, vous vous appuyez aujourd’hui sur sa décision pour revoir la loi.

Un meurtre horrible, celui de Mme Marie-Christine Hodeau, a été l’occasion d’inscrire à l’ordre du jour le présent projet de loi, afin de poursuivre dans la même voie, sans s’interroger sur l’applicabilité des lois.

Le nombre de personnes emprisonnées est en constante augmentation. En moins de trente ans, la population carcérale a doublé. Les peines de sûreté, les peines plancher ont allongé les durées de détention. Faute de personnel, le long temps de la prison n’est pas utilisé pour soigner et pour réinsérer. Francis Évrard, kidnappeur du petit Enis, a ainsi été enfermé pendant trente-deux ans sans être soigné ni suivi sur le plan psychiatrique ! Hélas, la loi pénitentiaire, dont l’application est restée loin des ambitions affichées, ne permettra pas de modifier la situation.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Pour certains, la prison est parfois le premier contact avec la médecine !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce qui est certain, c’est que, malgré l’aggravation des sanctions pénales, la société demeure violente, et le devient même de plus en plus. Tout le monde est d’accord sur ce point.

L’exemple des États-Unis est éclairant à cet égard. Alors que la répression y est particulièrement forte, ce pays compte, proportionnellement, dix fois plus de personnes incarcérées que la France. La peine de mort y est toujours pratiquée, pourtant les homicides sont trois fois plus fréquents que chez nous.

La politique d’élimination, qui réduit le délinquant à son acte, lui conteste toute capacité d’évolution, n’a absolument pas fait ses preuves. Or la rétention de sûreté pousse cette logique à l’extrême. Une telle politique criminalise la maladie mentale, amalgame folie et dangerosité, soins et sanctions pénales. De très nombreux psychiatres refusent que leur discipline devienne une gardienne de l’ordre social, en totale contradiction avec la finalité du soin, le temps et l’individualisation qui lui sont nécessaires.

M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales a bien mis en évidence cette problématique, à laquelle nous devons être très attentifs. Or la circulaire du 11 janvier dernier signée conjointement par Mme Bachelot et M. Hortefeux est venue encore renforcer l’inquiétude des psychiatres. Désormais, il appartiendrait aux préfets de département et, à Paris, au préfet de police de décider des sorties d’essai d’hospitalisation d’office, selon le seul critère du risque de trouble à l’ordre public, toutes considérations sanitaires étant écartées. Que deviendra l’aménagement thérapeutique que constituent depuis 1990 les sorties d’essai ?

Cette logique est dangereuse : c’est faire croire à l’opinion publique que le risque zéro est possible et que, en quelque sorte, la relégation d’un certain nombre de personnes répondrait au principe de précaution. C’est une illusion, et il est grave de fonder une politique et la loi sur une illusion.

Que l’on me permette, à cet instant, de citer M. Lamanda : « Une société totalement délivrée du risque de la récidive criminelle, sauf à sombrer dans les dérives totalitaires, ne serait plus une société humaine. »

Entendons-nous bien : il n’y a pas, dans cet hémicycle, d’un côté ceux qui auraient le souci des victimes et de leurs proches, de l’autre ceux qui prendraient le parti des agresseurs. La souffrance des victimes est insupportable, et l’empathie à leur égard naturelle. Elle l’a toujours été. Oui, il faut répondre à leur souffrance, à leur attente d’une sanction. Mais le rôle de la justice, c’est de juger l’accusé pour ce qu’il a fait, d’apporter un apaisement aux victimes et de les indemniser s’il y a lieu ; c’est de rendre un jugement équitable, au rebours de la vengeance.

C’est pourquoi l’instrumentalisation de la souffrance à des fins politiques est inacceptable. Aussi me paraît-il nécessaire d’affirmer, même si je crains de ne pas être entendue aujourd’hui, que le législateur doit dire que cela suffit, qu’il faut cesser de légiférer dans l’urgence, sans s’interroger sur l’utilité des lois précédentes, sans avoir évalué leur application.

Je constate pourtant que, dans son rapport, M. Lamanda, sollicité pour faire des propositions après l’avis rendu par le Conseil constitutionnel sur la loi de 2008, a émis vingt-trois recommandations très intéressantes. La plupart d’entre elles concernent les moyens de l’application des lois : la recherche en criminologie, la gradation dans le suivi des mesures de surveillance judiciaire, le renforcement, en nombre et en qualité, des moyens de l’administration pénitentiaire, notamment du service de l’application des peines, le renforcement de services de psychiatrie.

Le Gouvernement ne retient pas, tant s’en faut, l’essentiel de ces recommandations ; il préfère l’affichage d’une nouvelle loi.

On l’a bien vu, la discussion de ce projet de loi à l’Assemblée nationale a donné lieu à tous les débordements. D’aucuns auraient voulu que les juges de l’application des peines informent les maires de l’installation dans leur commune de certains condamnés ! Pourquoi ne pas en publier la liste sur internet, comme cela s’est fait aux États-Unis ? Certains auraient voulu porter la durée de la garde à vue à quatre-vingt-seize heures en cas de séquestration ou d’enlèvement, rendre imprescriptibles les crimes de pédophilie !

En tout état de cause, l’Assemblée nationale, qui avait déjà, en 2008, élargi le champ d’application de la rétention de sûreté, a procédé à une extension et à une aggravation méthodiques des dispositions du projet de loi. Le nombre de ses articles, tous plus inquiétants les uns que les autres, est passé de sept à dix-neuf. Un effet d’affichage trompeur a été obtenu avec l’inscription dans le texte de la castration chimique : le mot était lâché !

Au final, le texte comprend des dispositions extrêmement graves, qui outrepassent même la logique de la rétention de sûreté, dont l’application devait être subsidiaire et exceptionnelle, réservée aux infractions les plus graves.

Les députés avaient prévu d’abaisser de quinze à dix ans le quantum de peine pour la surveillance de sûreté et donc, in fine, pour la rétention de sûreté, qui se trouverait alors banalisée. La durée des peines augmentant constamment, le placement en rétention de sûreté deviendrait quasiment la règle.

M. Lecerf, rapporteur au fond, et M. About, rapporteur pour avis, ont très légitimement écarté un certain nombre de dispositions introduites par l’Assemblée nationale. Je leur en sais gré. Leurs propositions permettent d’encadrer certains dispositifs, de supprimer des incohérences et de lever des atteintes à des principes fondamentaux.

Il n’en demeure pas moins que ce projet de loi, dans ses grands axes, s’inscrit dans une spirale répressive.

Il étend la rétention de sûreté par le biais d’une sanction de l’inobservation d’obligations.

Il vise à renforcer la surveillance sous diverses formes : surveillance judiciaire et de sûreté, création d’un nouveau fichier et extension des modalités de fichage actuelles, avec un accroissement des risques d’interconnexion – on sait ce qu’il en est, à cet égard, du casier judiciaire et du système de traitement des infractions constatées. Ces mesures seront sans doute inapplicables, mais elles témoignent d’une évolution dangereuse.

Au travers de ce texte, le traitement est considéré avant tout comme une sanction. Le fin du fin, en la matière, aurait tout de même été d’instaurer le traitement anti-libido, qui plus est prescrit par le juge, le médecin devant en outre informer ce dernier du refus ou de l’arrêt du traitement.

Pour notre part, lors de l’examen du texte par la commission des lois, nous avons demandé que soient prises en considération les recommandations du président Lamanda avant toute nouvelle législation. Nous avions même déposé des amendements en ce sens. La commission les a rejetés, pour des raisons de forme, mais a néanmoins admis que le débat était nécessaire. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé une motion tendant à opposer la question préalable, qui sera défendue tout à l’heure. Peut-être des réponses nous seront-elles alors apportées, mais j’en doute… Nous avons déjà soulevé en vain nombre de ces questions à l’occasion d’autres débats parlementaires, notamment lors de l’élaboration de la loi pénitentiaire.

Quant à la fermeture annoncée d’antennes des services pénitentiaires d’insertion et de probation, en lien avec la suppression de tribunaux, elle me laisse tout aussi sceptique.

Avec la RGPP, le budget de la justice pour 2010 s’inscrit une nouvelle fois dans le cadre de la diminution des dépenses publiques, que le Gouvernement ne cesse de présenter comme inévitable. Une augmentation de seulement 3,42 % ne permet pas de répondre aux besoins actuels, d’autant que les crédits connaissant la plus forte hausse sont ceux qui serviront à financer la réalisation de nouvelles places de prison.

Plutôt que des lois votées à la va-vite, il faut des moyens importants pour assurer la prise en charge des délinquants sexuels. Ainsi, au Canada, grâce à une telle mobilisation, il semble qu’au moins un délinquant sexuel sur deux puisse être considéré comme guéri. Or combien de fois faudra-t-il souligner le niveau calamiteux de l’offre de psychiatrie en prison dans notre pays et, plus généralement, l’état catastrophique de la psychiatrie publique ?

C’est une évidence, il faut protéger la société, mais les solutions proposées – aggraver les peines, mettre à l’écart, enfermer – ne sont pas pertinentes. Pourtant, vous persévérez dans cette logique, comme en témoigne ce nouveau projet de loi. Après la rétention de sûreté renforcée, qu’allez vous inventer quand un nouveau drame se produira ?

En démocratie, la fin ne justifie pas les moyens. Nous ne voterons pas ce texte : comme je l’ai déjà dit, cela suffit ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous allons débattre d’un nouveau projet de loi relatif à la récidive criminelle, le quatrième en quatre ans et demi, le deuxième en moins de deux ans.

Quelles impérieuses raisons vous conduisent à faire et à défaire ainsi la loi, madame la garde des sceaux ? J’en vois une, compréhensible : vous avez commis l’erreur de rendre votre précédente loi rétroactive.

Le Conseil constitutionnel vous a rappelé le principe, pourtant élémentaire, de la non-rétroactivité des lois. Vous auriez alors pu vous contenter d’une loi de rattrapage « technique », pour prendre en compte les réflexions du Premier président de la Cour de cassation, immédiatement missionné par le Président de la République.

Je reconnais que tel avait d’ailleurs été le choix initial de la Chancellerie. Mais force est de constater que ce texte « sage » n’a pas résisté à l’émotion suscitée par l’affaire de Milly-la-Forêt. Nous avons ainsi assisté à une sorte de déferlement de réactions venues des rangs de votre majorité à l’Assemblée nationale. Nous avons même entendu Mme Morano accuser le parti socialiste de « se ranger du côté des assassins »…

Je voudrais remercier le Sénat d’avoir fait preuve de davantage de modération : les commissions des lois et des affaires sociales, sous l’impulsion de MM. Lecerf et About, ont écarté les aspects les plus redoutables de ce projet de loi. Je leur en donne acte, mais ce texte demeure à nos yeux inacceptable, tant dans son inspiration que dans ses principes.

Madame la garde des sceaux, vous avez indiqué avec honnêteté que votre projet de loi est inspiré par le souci de rassurer l’opinion, qui a peur, nous dit-on, de la délinquance, de la récidive. Tel est le socle de ce travail législatif. Il me semble que le législateur devrait se poser la question suivante : l’opinion a-t-elle toujours raison ?

Est-il certain qu’il y ait aujourd’hui plus de délinquance et de récidive qu’hier ? La délinquance ne serait-elle pas plutôt mieux connue, plus médiatisée, s’agissant notamment des crimes sexuels, qu’elle ne l’était auparavant ?

J’ai tenté de faire la lumière sur ce point, mais la tâche est ardue car les rapports ne comportent guère de statistiques.

Le rapport Lamanda nous apprend tout de même qu’il y avait deux fois moins d’assassinats ou de viols sur mineurs à la fin des années quatre-vingts qu’un siècle plus tôt. Une forte augmentation des viols a été enregistrée entre 1976 et 1998, suivie d’une décroissance, sauf concernant les mineures. Quant à la récidive, toujours selon le rapport du Premier président de la Cour de cassation, elle n’était le fait en 2005 que de moins de 3 % des personnes condamnées pour assassinat, ce pourcentage étant un peu plus élevé, il est vrai, pour les délinquants sexuels.

À cet égard, le rapport de M. Lecerf indique que le taux de réitération serait de 1,8 % pour les viols et de 5,3 % pour les affaires de mœurs. Quant à celui de M. Zocchetto, il avançait, pour l’année 2005, un taux moyen de récidive de 2,6 % pour les crimes et de 6,6 % pour les délits, avec de fortes disparités selon la nature de l’infraction.

J’ai également consulté les travaux du professeur Tournier, qui souligne avec raison qu’il faut distinguer la récidive au sens légal de la re-condamnation concernant des délits différents commis par une même personne.

Que conclure de tous ces éléments ? Tout d’abord, il est irrationnel de légiférer si souvent en disposant de si peu de données objectives. Ensuite, les statistiques insuffisantes que nous possédons ne permettent pas de constater une aggravation de la délinquance ou de la récidive sur un siècle, ni même depuis les années quatre-vingt-dix.

Pour autant, nous avons tous, bien entendu, la volonté de prévenir la récidive ; reste à savoir quelle est la meilleure voie pour y parvenir. Votre réponse est simple, madame la garde des sceaux : elle consiste à distinguer la sanction et la responsabilité.

Voilà un an, ici même, lors des débats sur la loi pénitentiaire, nous avions été nombreux, sur toutes les travées, à aboutir à une autre réponse après nous être posé ces questions difficiles : à quoi sert la prison ? Quel est le sens de la peine ? Il nous avait semblé que la prison devait d’abord servir à prévenir la récidive.

Un an plus tard, nous n’avons pas beaucoup progressé… Plutôt qu’un énième projet de loi sur la récidive, nous aurions apprécié que l’on nous présente une évaluation des actions menées en prison pour éduquer une population souvent analphabète, pour soigner des femmes et des hommes dont 40 % sont atteints de troubles mentaux, pour humaniser la prison et, partant, le détenu, en bref pour préparer la sortie, donc la réinsertion.

Or vous avez fait un autre choix, celui non pas de préparer la sortie, mais de l’interdire définitivement. La rétention de sûreté n’a pas d’autre sens.

Cette idée n’est pas nouvelle : c’est en fait le principe de la relégation de 1885. À l’époque, le détenu était relégué de façon définitive dans une colonie, une fois sa peine purgée ; aujourd’hui, il fera l’objet d’une mesure de rétention de sûreté. La géographie a changé – nous n’avons plus de colonies –, tout comme le vocabulaire – la « présomption irréfragable d’incorrigibilité » d’hier est devenue la « dangerosité » –, mais la peine demeure la même.

Même amendée par la commission des lois, la rétention de sûreté remet en cause un principe fondamental de notre droit pénal : la privation de liberté doit sanctionner une infraction. Désormais, un individu pourra perdre sa liberté non pour ce qu’il a fait, mais pour ce qu’il pourrait faire. Je sais que certains défendent l’idée que la rétention de sûreté n’est pas une sanction, mais celui qui la subit ne partage pas cet avis ! La CEDH n’a d’ailleurs pas encore rendu son arbitrage sur la question, mais nous avons à l’esprit l’arrêt « Mücke contre Allemagne » du 17 novembre 2009.

Vous apportez une deuxième réponse à la récidive, cette fois en matière de délinquance sexuelle.

Ne laissons pas croire que, grâce à la science, la justice aurait mis la main sur une solution miracle. N’entretenons pas non plus ce fantasme que la castration constituerait le moyen radical de combattre la récidive sexuelle. Et si, ma foi, elle ne peut être physique, qu’elle soit au moins chimique…

Il est de notre rôle, ainsi que du vôtre, de dénoncer de telles chimères. Les traitements anti-libido peuvent peut-être rassurer l’opinion, mais, les psychiatres ne cessent de le rappeler, ils ne sauraient être efficaces s’ils sont administrés aux patients – car il s’agit bien de patients – contre leur gré.

La commission a eu la sagesse de remettre de l’ordre dans les rôles de chacun : juge, expert, médecin.

Vous présentez une troisième solution au travers de votre texte : la constitution d’un fichier. Comme cela a été indiqué ce matin en commission, il existe déjà soixante-dix fichiers de police ; ce serait donc le soixante et onzième !

Il s’agit cette fois d’un répertoire des données de procédures. Les organisations de magistrats ont souligné l’inutilité d’un tel fichier. La CNIL, quant à elle, s’inquiète, car elle n’a pas été consultée à ce sujet et rien ne garantit la confidentialité des informations.

Votre arsenal comporte enfin une quatrième solution : la défiance envers les magistrats. C’est une constante depuis maintenant huit ans. La latitude dont disposent les juges pour individualiser les peines et les adapter à la personnalité du condamné est sans cesse réduite.

Que l’on ne se méprenne pas sur le sens de mon intervention : chaque crime commis en état de récidive est une tragédie pour les victimes et un échec pour la société. Cependant, la législation dictée par l’émotion et la surenchère ne résoudront rien. Il existe d’autres moyens de lutter contre la récidive, que nous avons exposés lors de l’examen du projet de loi pénitentiaire.

Pour conclure, je voudrais livrer à votre réflexion des propos tenus en 1885 par Clemenceau à l’Assemblée nationale au sujet de la relégation de 1885, et qui pourraient parfaitement s’appliquer à la rétention de sûreté :

« Vous n’aurez rien fait que d’éloigner le condamné de notre vue ; le problème sera demeuré le même, et, si vous ne tentez rien pour améliorer le condamné, pour le réformer, vous aurez dépensé des sommes énormes, vous aurez soustrait les criminels à la vue de la vieille Europe, mais vous n’aurez fait, ni réforme sociale, ni réforme pénale, ni réforme criminelle ; vous aurez recouru à un misérable expédient pour masquer le crime, mais vous l’aurez maintenu, que dis-je ? vous l’aurez créé vous-mêmes plus abominable que vous ne le connaissez ici. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, neutraliser le criminel ne saurait suffire à fonder une politique pénale moderne. À nos yeux, il convient tout à la fois de réduire le risque de récidive et d’endiguer la vague sécuritaire. En effet, nous ne sommes pas de ceux qui considèrent que la rétention de sûreté ou les peines plancher constituent un progrès.

Loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs, loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et, maintenant, projet de loi de février 2010 tendant à « amoindrir le risque de récidive criminelle » : le choix des mots est intéressant…

Traiter, renforcer, amoindrir : où est la cohérence dans cette cascade législative – dans cette récidive législative, allais-je dire –,…