M. Jacques Mézard. Je ne m’avancerai pas sur ce terrain, d’autant qu’une telle idée ne manquerait pas de susciter certaines oppositions.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Pour la sagesse des décisions, ce ne serait pas une mauvaise idée ! (Nouveaux sourires.)

M. Jacques Mézard. C’est un autre débat !

Je le dis clairement, nous souscrivons à la proposition de loi de Marie-Jo Zimmermann et Jean-François Copé dans ses grandes lignes. Pour notre part, nous nous réjouissons que la représentation nationale se soit saisie d’une question maintes fois débattue, mais n’ayant finalement jamais été tranchée. Nous estimons que le volontarisme a besoin d’actes pour ne pas rester une vaine incantation. Notre assemblée est donc aujourd'hui pleinement dans son rôle.

Pour l’ensemble de ces raisons, la très grande majorité des membres du RDSE s’opposera à la motion tendant au renvoi en commission. Il faut donner des signes forts et, je le répète, avancer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après que nous avons eu récemment l’occasion de nous interroger sur les rémunérations des dirigeants d’entreprise, voici que nos collègues du groupe socialiste nous invitent aujourd'hui à réfléchir à la question du cumul des mandats de direction et à celle de la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance.

Malheureusement, cette discussion risque fort de tourner court puisque Mme le rapporteur, tout en ayant démontré le bien-fondé de ces propositions, nous demandera tout à l'heure, par le biais d’une motion de procédure, de renvoyer ce texte en commission, au motif qu’une proposition de loi de l'Assemblée nationale portant sur le même sujet est actuellement en navette.

Sur le fond, vous le comprendrez aisément, mes chers collègues, nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation, car le travail parlementaire va, de fait, être interrompu avant même d’avoir commencé. Nous le regrettons d’autant plus que certaines des dispositions de la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq méritaient un examen plus approfondi.

Il en est notamment ainsi de celles de l’article 1er, qui visent à empêcher qu’une personne physique puisse exercer simultanément plus de trois mandats d’administrateur ou de membre du conseil de surveillance ou du directoire de sociétés anonymes, ou plus d’un mandat de président de conseil d’administration ou de président de directoire. Car il faut savoir que, du fait du cumul des mandats, 20 % des mandataires sociaux des sociétés du CAC 40 concentrent 43 % des droits de vote au sein des conseils d’administration de ces mêmes sociétés ! Au demeurant, de telles dispositions constituent sans nul doute l’un des leviers nécessaires pour accroître la représentation des femmes au sein de ces instances de décision.

Ne pas poursuivre la discussion de cette proposition de loi est en soi regrettable, mais il convient également de relever que les propositions de loi déposées par les groupes d’opposition ou les groupes minoritaires semblent de plus en plus sujettes – je me fais ici l’interprète de Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe CRC-SPG, et de notre collègue Yves Détraigne, tous deux ayant souligné ce point en commission – à faire l’objet d’un examen écourté.

C’est à croire que, par le renforcement des droits du Parlement, déjà largement rogné par le recours constant et régulier du Gouvernement à la procédure accélérée, certains parlementaires sont, d’une certaine manière, moins égaux que d’autres et que toute proposition qu’ils formulent, en dehors de toute considération sur la qualité de celle-ci, aurait de toute façon moins de chance d’être réellement examinée et, donc, d’aboutir.

Après ces considérations formelles sur des pratiques qui pervertissent le sens de la réforme constitutionnelle – à moins qu’elles n’en dévoilent, en fin de compte, le véritable contenu ! –, venons-en au fond.

S’il est un domaine où la place des femmes est largement minorée, c’est bien celui de la direction des plus grandes entreprises du pays ! Et, de ce point de vue, on ne peut pas dire que l’État montre l’exemple avec ses grandes administrations !

En ce qui concerne les grandes sociétés, hormis le cas de la PDG de la société AREVA – dont les capitaux sont d’ailleurs plutôt publics ! –, il n’y a pas de femme PDG parmi les valeurs vedettes de la place financière de Paris. La nomination récente de deux femmes fort connues au sein des conseils d’administration de sociétés prestigieuses ne changera pas fondamentalement le taux de présence des femmes…

Le rapport de la commission indique, sans plus de précision, que les femmes représentaient en 2009 environ 10 % des membres des conseils d’administration ou de surveillance des plus grandes sociétés cotées françaises.

Au demeurant, quelques-unes de ces entreprises, qui acceptent encore parmi leurs administrateurs des représentants des salariés, de par leur passé d’entreprises publiques ou nationalisées, doivent sans doute leur taux de présence féminine au sein de leurs instances dirigeantes à des dérogations prévues par la loi de 1983 de démocratisation du service public, qui permet à quelques militantes syndicales d’être élues sur les listes présentées par leur organisation.

Si l’on examine les fonctions exécutives les plus importantes – président de conseil d’administration ou de conseil de surveillance, directeur général délégué ou directeur financier –, on constate que, plus encore que dans la sphère politique, ces fonctions valorisantes dans les entreprises restent la chasse gardée des hommes, qu’ils soient diplômés de grandes écoles ou héritiers de grandes familles industrielles. La « démocratie actionnariale » semble donc encore moins vivante et réelle que la démocratie représentative !

Que le monde économique soit ainsi très largement masculin, ne laissant aux femmes que la portion congrue, est finalement assez logique ! Car c’est le même monde économique qui estime normal de confiner les femmes salariées dans les tâches les moins valorisantes, de pratiquer l’inégalité salariale, de généraliser le développement du stress au travail et des pressions les plus diverses !

La quasi-absence des femmes dans les organes de direction de nos plus grandes entreprises n’est en fait que la partie visible de l’iceberg, la partie immergée étant le développement de la précarité de l’emploi des femmes, la décote de 20 % des salaires pour les postes d’exécution et de 25 % à 30 % pour les postes d’encadrement, les discriminations à l’embauche, à la promotion sociale comme devant la formation, sans parler des changements de poste intempestifs après un congé maternité ou du harcèlement moral, reconnu comme violence dans la proposition de loi qu’ont examinée nos collègues de l’Assemblée nationale.

Tant que nous n’aurons pas résolu ces questions, que nous n’aurons pas réellement pris la mesure de ces enjeux, la question de la « représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance » restera assez symbolique.

Pour autant, nos collègues du groupe socialiste ont raison de vouloir agir à la fois sur le cumul des mandats d’administrateur et sur la « diversité des instances dirigeantes des sociétés anonymes ».

Mme Nicole Bricq. C’est lié !

Mme Odette Terrade. D’autres pays l’ont fait et se retrouvent aujourd’hui, telle la Norvège, avec une proportion record de 42 % de femmes membres des conseils d’administration de grandes sociétés, de 27 %, en Suède, ou de 24 %, en Finlande.

Avec un taux de 10 %, notre pays se situe à peine dans la moyenne des vingt-sept pays de l’Union européenne et loin derrière les pays les plus avancés.

Un rapport de la Commission européenne, publié le 25 mars dernier, et que Mme le rapporteur a cité tout à l'heure, considère que « l’accroissement de la place des femmes dans les organes dirigeants des entreprises contribue à l’amélioration de leurs performances économiques ».

Le même rapport pointe, à partir des expériences étrangères, que seule l’intervention du législateur permet d’accélérer ce processus. Dès lors, comme pour la parité en politique, laisser faire le mouvement naturel et spontané de l’arrivée des femmes ne suffit pas !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Nous sommes d’accord !

Mme Odette Terrade. Vous avez indiqué, madame le rapporteur, que cette simple évolution nous ferait attendre jusqu’à 2075 !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Eh oui !

Mme Odette Terrade. Pouvons-nous laisser patienter ainsi plusieurs générations de femmes, nos filles, petites-filles et arrière-petites-filles ?

Face à ce constat, il est de notre responsabilité de législateur de créer les outils susceptibles de faire évoluer les choses.

Tout en regrettant de ne pouvoir aller plus loin dans l’examen de cette proposition de loi, nous ne pouvons que répéter qu’il y a urgence à lutter contre l’ensemble des discriminations dont souffrent les femmes dans la vie professionnelle, qu’il s’agisse de la rémunération qu’elles perçoivent ou des fonctions et responsabilités qui leur sont confiées.

Nous déplorons donc vivement que la commission des lois concoure, une nouvelle fois, en présentant une motion tendant au renvoi en commission, au report de l’examen de ces questions pourtant urgentes et essentielles…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Pas du tout ! Nous lançons des auditions !

Mme Odette Terrade. … non seulement pour les femmes, mais également pour l’ensemble de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise ce matin nous permet d’aborder trois questions : tout d’abord, celle du cumul des mandats sociaux dans les entreprises ; ensuite, celle du cumul de fonctions dans des entreprises publiques et dans des entreprises privées ; enfin, celle de la place des femmes dans la gestion ou la direction des entreprises.

Concernant la question générale du cumul des mandats sociaux dans les entreprises, je me demande parfois si nous ne sommes pas en train de reculer.

Voilà une dizaine d’années, l’adoption d’un certain nombre de textes a conduit à introduire des changements dans les entreprises, qu’elles soient cotées ou non, y compris dans les PME.

M. François Zocchetto. Puis, progressivement, du fait de lois, déjà évoquées, qui ont desserré ce que certains avaient vécu comme un étau ou un carcan – ce qui est, à mon avis, une erreur ! – et de la multiplication de nouvelles formes juridiques de société, comme les sociétés par actions simplifiées, dans lesquelles les dirigeants ne sont pas soumis à des règles de cumul,…

Mme Nicole Bricq. Tout à fait !

M. François Zocchetto. … nous avons observé un retour en arrière, c'est-à-dire une augmentation du cumul des mandats et des fonctions de direction dans les entreprises.

Mme Nicole Bricq. Absolument !

M. François Zocchetto. C’est en tout cas ce que j’ai constaté sur le terrain.

Pour ma part, je déplore cette évolution.

Comme cela a été indiqué tout à l'heure, 98 personnes concentrent aujourd'hui 43 % des mandats d’administrateurs d’entreprises du CAC 40. Que dirait-on si une petite centaine d’élus gérait les quarante plus grandes villes de France ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Très bonne remarque !

M. François Zocchetto. Évidemment, ma comparaison peut sembler quelque peu audacieuse, …

Mmes Nicole Bricq et Odette Terrade. Pas du tout !

M. François Zocchetto. … mais elle ne l’est pas tant que cela, car elle nous permet de mesurer les problèmes qu’une telle situation pose en termes de disponibilité et d’inventivité. Elle ne peut donc perdurer.

Tout d’abord, il importe d’opérer des distinctions selon que la société est cotée ou non, que l’actionnariat est unipersonnel ou comprend plusieurs groupes d’actionnaires, que l’entreprise a une implantation internationale ou non, selon le nombre de salariés, etc.

Bref, il faut mener toute une réflexion préalable pour élaborer un dispositif qui ne soit pas trop brutal et, surtout, qui soit applicable.

Personnellement, je crois aux vertus de l’exemple, et il me semble que Mme Bricq s’est exprimée tout à l'heure dans le même sens : si les entreprises les plus importantes évoluent, les autres suivront.

Mme Nicole Bricq. Ce ne serait déjà pas mal !

M. François Zocchetto. Concernant le cumul de fonctions exercées dans une entreprise publique et une entreprise privée, pardonnez-moi, madame la secrétaire d’État, mais je ne suis pas d’accord avec vous.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. J’en suis navrée !

M. François Zocchetto. Quelles que soient les compétences de M. Proglio – je n’hésite pas à citer son nom –, qui sont immenses et incontestables, il ne me semble pas possible, en termes de disponibilité, de gérer simultanément deux très grosses entreprises, même s’il n’exerce pas de fonctions exécutives dans l’une d’entre elles.

Par ailleurs, il faut opérer une distinction fondamentale entre l’entreprise publique et l’entreprise privée.

Si une entreprise publique existe, c’est qu’elle est chargée d’une mission d’intérêt général. Sinon, il faut immédiatement la transformer en entreprise privée ; c’est d’ailleurs ce qui s’est souvent produit, et je m’en félicite. Néanmoins, il reste des entreprises publiques, donc en charge d’une mission d’intérêt général, de l’intérêt des citoyens dans leur ensemble.

De leur côté, les entreprises privées gèrent, elles, des intérêts particuliers, même s’ils sont globalisés : ceux des actionnaires, ceux des salariés, ceux des clients de la société.

Dès lors, pour ceux qui dirigent à la fois une entreprise publique et une entreprise privée, le conflit d’intérêts est permanent, au point qu’à un moment les personnes concernées ne peuvent plus continuer à occuper les deux fonctions !

J’en viens à mon dernier point, et qui n’est pas mineur : la question de la proportion de femmes dans organes dirigeants des entreprises.

Je fais partie de ceux, nombreux, et pas seulement chez les hommes, qui sont spontanément plutôt défavorables à la méthode des quotas. Il est vrai que cette méthode n’est pas très satisfaisante. Néanmoins, force est de constater que, dans les collectivités publiques où elle a été appliquée, elle a produit des effets dont on ne peut que se féliciter.

Par conséquent, s’il faut passer par la méthode des quotas et des pourcentages, nous le ferons, et sans état d’âme !

De ce point de vue, le simple fait que des propositions de loi aient été déposées, discutées, et que l’une d’elles ait été votée, pour le moment par la seule Assemblée nationale, a conduit à des changements d’attitude au sein des sociétés.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Exactement !

M. François Zocchetto. Comme par hasard, dans toutes les assemblées générales qui se tiennent en ce moment, des nominations de femmes au conseil d’administration ou de surveillance sont proposées ! Mme la secrétaire d'État a d’ailleurs dit tout à l'heure que, dans les sociétés du CAC 40, on allait passer en une seule année de 10 % à 15 % de femmes, soit une augmentation de 50 %, ce qui est considérable !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. On vérifiera !

M. François Zocchetto. On va le vérifier, mais il est sûr qu’un changement d’attitude est perceptible.

Point n’est besoin, je crois, de convaincre tous nos collègues de l’intérêt d’obtenir une mixité dans les conseils d'administration et dans les équipes de direction. On le sait bien, et toutes les études le montrent, la présence des femmes améliore la gestion des entreprises. Je pense aux questions de disponibilité et de moindre cumul de mandats.

M. François Zocchetto. On observe en effet, et c’est aussi vrai en politique, que les femmes sont moins attirées par le cumul.

Les femmes ont également une approche différente des problèmes. Mme le rapporteur a tout à l’heure évoqué l’appréhension des risques ; on peut aussi songer, entre autres, à la vision à moyen et long terme, à la gestion des personnels...

Bref, de nombreux éléments pratiques plaident aussi en faveur de la mixité. C’est aussi pourquoi je suis favorable au fait d’accroître la proportion de femmes dans les organes dirigeants des entreprises.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. C’est une valeur ajoutée !

M. François Zocchetto. La proposition de loi qui nous est présentée me paraît donc constituer une base très intéressante, tout comme les autres textes déposés, y compris la proposition de loi votée à l’Assemblée nationale.

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt non seulement l’exposé de Mme Bricq, mais également ce qu’a ajouté Mme Des Esgaulx, qui m’a paru tout à fait disposée à faire avancer les choses rapidement,...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Je le confirme !

M. François Zocchetto. ... en utilisant le travail accompli par Mme Bricq, Mme André et M. Yung.

En conclusion, je formule le souhait que, à la faveur de la transmission au Sénat de la proposition de loi Copé-Zimmermann, l’adoption de la motion de renvoi à la commission, que le groupe de l’Union centriste va voter,...

Mme Nicole Bricq. C’est dommage !

M. François Zocchetto. ... conduise très bientôt à l’élaboration d’un texte, sinon définitif, en tout cas applicable, adapté et conduisant rapidement à un changement dans les faits. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Richard Yung.

M. Richard Yung. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, en octobre 2009, les Français découvraient avec étonnement que M. Proglio, malgré sa nomination au poste de président-directeur général d’EDF, resterait président du conseil d’administration de Veolia, appelé ainsi à cumuler des fonctions de direction dans une entreprise privée et dans une entreprise publique de tout premier plan.

Même si, entre-temps, le problème a été réglé – je pense que nos remarques et nos critiques n’ont pas été complètement inutiles ! –, cela montre à nouveau ce mal français bien connu qui fait qu’une petite élite, souvent issue des mêmes milieux sociaux, des mêmes réseaux et des mêmes grandes écoles, cumule la direction de la majorité des entreprises du CAC 40. Et que l’on ne nous dise pas que c’est une garantie de qualité : il y a autant de fautes de gestion, de fautes stratégiques et de banqueroutes dans les sociétés ainsi dirigées. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

C’est précisément ce mal de la gouvernance d’entreprise que nous souhaitons régler avec notre proposition de loi. Pour ce faire, nous proposons de limiter le cumul des mandats et d’interdire le cumul des fonctions dans les entreprises publiques et privées. L’appel d’air ainsi créé servira, nous l’espérons, à une féminisation des conseils d’administration et de surveillance ; et j’ajouterai : à une diversification.

Notre proposition de loi participe donc d’une véritable logique qui est, il faut le dire, différente de celle de la proposition de loi de l’Assemblée nationale, même si les deux se rejoignent sur certains points, car celle de l’Assemblée nationale ne s’intéresse qu’à la féminisation des instances dirigeantes. Nous, nous traitons simultanément le cumul des mandats d’administrateur et la diversification des conseils d’administration.

Le MEDEF et l’AFEP nous vantent leur « code » sur la féminisation des conseils d’administration. Nous nous en réjouissons, mais cette modeste évolution est avant tout déclarative, de façade : cela fait penser à un « village Potemkine ». En effet, de même que, quand nous parlons de recours collectifs, on nous rétorque que c’est inutile puisque les entreprises développent l’arbitrage et la médiation, quand nous parlons de féminisation, on nous renvoie au code de l’AFEP !

D’autres collègues ont traité ou vont traiter de la question d’une représentation équilibrée des deux sexes qui nous permettra de rejoindre ce pays, ô combien vertueux, qu’est la Norvège !

Qu’on me permette simplement, sur ce point, de me réjouir de voir que, en France, le mouvement est manifestement amorcé puisque Mme Chirac a rejoint le conseil d’administration de LVMH et Mme Woerth, celui d’Hermès. Néanmoins, j’ai envie de dire : Français, encore un petit effort ! (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Surtout quand ce sont des femmes de ministres qui entrent dans les conseils d’administration !

M. Richard Yung. Pour ma part, je voudrais insister sur le fait que ce texte s’inscrit dans la continuité de nos propositions tendant à réformer la gouvernance des entreprises, à améliorer le système par lequel les entreprises sont dirigées et contrôlées. Nous nous intéressons non seulement à l’organisation de la direction de l’entreprise, mais aussi à son contrôle et aux moyens d’expression des actionnaires.

Nous voulons renforcer l’indépendance et limiter le plus possible les complaisances qui existent entre les différents acteurs. Vous le savez, mes chers collègues, l’élection des administrateurs s’apparente le plus souvent à une aimable cooptation ! On a parlé d’« endogamie ». Je vous cite, madame le rapporteur : « 20 % des mandataires sociaux des sociétés du CAC 40 concentrent 43 % des droits de vote dans les conseils du fait du cumul des mandats. » Cela entraîne une concentration excessive, avec des nominations croisées et un soutien mutuel en matière de rémunération.

Permettez à quelqu’un qui a suivi de près des conseils d’administration de banques de la place de le dire, il est évident que, sauf cas extrême, on ne vote pas contre telle ou telle décision proposée par le président dans la mesure où ce dernier est un ami, qu’il siège dans votre propre conseil et que vous escomptez bien qu’il vous rende la pareille le jour où vous aurez besoin de faire voter une résolution !

Et c’est encore bien pis pour les rémunérations : on imagine aisément comment cela se passe au sein de ces comités composés de deux, trois, parfois quatre mandataires sociaux. De telles pratiques ne sont pas bonnes. Si ce n’est pas de la corruption, c’est une sorte de déviance morale et intellectuelle. Il faut donc, en fait, protéger ceux qui y siègent contre eux-mêmes !

Par ailleurs, nous avons sévèrement critiqué le cumul de type Proglio. Nous pensons que l’exercice des fonctions de dirigeant dans une entreprise privée n’est pas compatible avec l’exercice des fonctions de dirigeant dans une entreprise publique. Notre collègue M. François Zocchetto ayant parlé avec beaucoup de talent de cette incompatibilité, je n’insiste pas, sinon pour souligner qu’exercer la fonction de président de conseil d’administration ou de président de conseil de surveillance, c’est une responsabilité lourde et prenante quand il s’agit d’une grande entreprise. Ce n’est pas une fonction que l’on peut exercer à temps partiel ou seulement quand on en a le loisir !

S’ajoute à cela le cumul des rémunérations. L’écart entre le salaire médian des Français et celui des grands dirigeants, qui est déjà très important, se voit ainsi doublé !

À cet égard, nous n’avons pas été convaincus par la proposition de loi du groupe du RDSE telle qu’elle est sortie de nos débats, car la majorité l’a allègrement vidée de sa substance en ramenant en fait le dispositif à un avis donné au ministre des finances… je n’irai pas jusqu’à dire par un comité Théodule,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. D’autant que ce sont des gens très bien !

M. Richard Yung. Absolument !

… mais par des hauts fonctionnaires des finances, sur un cumul des fonctions et des rémunérations !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. C’est très important !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Si on les écoutait de temps en temps !

M. Richard Yung. Je ne développerai pas davantage, mais, très franchement, cela ne paraît pas très convaincant. C’est pourquoi, à l’article 4, nous avons repris les règles d’incompatibilité.

J’en viens aux sanctions. Selon vous, la nullité des délibérations serait une sanction trop lourde. Mais nous devons nous donner des moyens si nous voulons avancer !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Des moyens adaptés !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Il y en a d’autres à trouver !

M. Richard Yung. S’il y en a d’autres, débattons-en ! Or, malheureusement, on botte en touche !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Mais nous allons en débattre !

M. Richard Yung. Oui, mais à la Saint-Glinglin !

Nous voulons introduire ces sanctions qui, selon nous, sont proportionnées et raisonnables. De plus, un délai est laissé aux entreprises : 20 % au minimum de représentants d’un même sexe au bout de trois ans, 40 % au bout de six ans. Cela nous paraît de nature à créer non pas l’insécurité juridique dénoncée par Mme le rapporteur, mais, au contraire, les conditions d’une avancée.

Cette proposition de loi est dans l’esprit du temps et de la modernisation de l’économie française. Elle est nécessaire. C’est pourquoi je vous demande d’en débattre et, par conséquent, de rejeter la motion de renvoi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Panis.

Mme Jacqueline Panis. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je crois que, à ce moment où j’interviens, le débat sur les propositions de Mme Nicole Bricq et de ses collègues du groupe socialiste est déjà bien entamé : c’est donc qu’il a lieu.

Ce texte vise, d’une part, à fixer une proportion des administrateurs de chaque sexe à un minimum de 40 % d’ici à six ans et, d’autre part, pour atteindre cet objectif, à libérer un nombre suffisant de postes par le renforcement de la règle du non-cumul des mandats sociaux.

C’est un vaste et laborieux chantier qui se poursuit avec cette proposition de loi ! En effet, favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes dans le monde du travail est, depuis la loi relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes du 22 décembre 1972, l’une de nos préoccupations majeures.

Sans retracer l’historique des évolutions apportées à notre droit du travail en la matière, je souhaite néanmoins présenter les réflexions du groupe UMP sur cette question, qui l’intéresse tout particulièrement.

D’abord, l’Observatoire de la parité a été créé sous le gouvernement de M. Alain Juppé, en 1995. Il a pour mission de promouvoir, par le biais de rapports, de recommandations et de propositions de réformes, l’égalité entre les deux sexes.

Par la suite, le Parlement a adopté plusieurs lois destinées à soutenir la parité lors des élections. La loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives a ainsi été suivie de quatre lois, votées entre 2003 et 2008, toujours dans l’optique de renforcer la parité entre les hommes et les femmes pour ce qui concerne les listes électorales.

Enfin, par la volonté du Président de la République, la réforme constitutionnelle de juillet 2008 a permis de préciser, à l’article 1er de la Constitution, que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ». Cette modification de la Constitution résulte de la censure, intervenue le 16 mars 2006, par le Conseil constitutionnel de certaines mesures prévues par la loi du 23 févier 2006 et relatives à une représentation équilibrée des hommes et des femmes dans les conseils exécutifs des sociétés françaises.

Je tiens également à souligner l’action menée par les organisations patronales, qui ont instauré un code de gouvernance commun et des accords d’entreprise incitant à la mixité au sein des organes exécutifs.

Malgré ces efforts continuellement soutenus par notre majorité, un travail considérable reste à accomplir dans le milieu professionnel, eu égard aux chiffres avancés par différentes études sur la présence de femmes aux postes de direction des sociétés du CAC 40, qui stagne aux alentours de 10%.

Notre collègue rapporteur, Marie-Hélène Des Esgaulx, l’a parfaitement indiqué, « l’évolution naturelle et l’autorégulation ne permettraient pas d’atteindre, dans un délai raisonnable, une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils d’administration ou de surveillance des grandes sociétés ».

Vous avez d’ailleurs déclaré, madame la secrétaire d’État, être « favorable à une loi améliorant la parité dans les grandes entreprises françaises ». Nous nous réjouissons de la volonté du Gouvernement de rester attentif au domaine de l’égalité professionnelle. Vous pouvez compter sur mes collègues ici présentes aujourd’hui : grâce à leur pugnacité, ce dossier devrait trouver une issue au cours de cette année, même si les décisions ne sont pas prises aussi rapidement que certains d’entre nous le souhaitent.

Dans ce contexte, la proposition de loi prévoit de fixer un quota minimum pour la représentation des administrateurs du sexe sous-représenté. Ainsi, dans les entreprises qui emploient au moins 250 salariés et réalisent un chiffre d’affaires annuel supérieur à 50 millions d’euros, la proportion de chaque sexe dans les conseils d’administration et de surveillance devra atteindre au moins 40 %.

Prenant exemple sur la législation norvégienne qui a imposé, depuis 2006, ce quota de 40 % à toutes les sociétés anonymes, cette disposition semble être bénéfique à l’accroissement de la mixité au sein des organes dirigeants des entreprises françaises, privées comme publiques. Nous avons pu, lors de la mission que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a effectuée l’an passé, nous en rendre compte sur place.

Pour parvenir à une telle situation, la proposition de loi prévoit que cette proportion de 40 % devra être atteinte au cours des six années à venir et fixe un palier de 20 % après trois ans. Dans cette perspective, il est nécessaire de libérer un nombre suffisant de postes, en limitant le cumul de mandats. Le non-respect de ces règles serait sanctionné par la restitution des rémunérations perçues pour le ou les mandats ne respectant pas le quota et par la nullité des nominations du sexe surreprésenté et des délibérations du conseil ne respectant pas la parité.

Cependant, comme l’a souligné notre rapporteur, ce texte converge fortement avec la proposition de loi de M. Jean-François Copé et Marie-Jo Zimmermann, adoptée à l’Assemblée nationale le 20 janvier 2010. Certes, des différences apparaissent entre les deux textes, concernant notamment le champ des entreprises soumises à l’obligation de parité. Toutefois, ils instaurent, selon des modalités similaires, un quota minimum de 40 % de femmes au sein des conseils de surveillance et d’administration à atteindre sur six ans.

C’est pourquoi le groupe UMP et moi-même, en tant que membre de la délégation du Sénat aux droits des femmes, estimons essentiel d’attendre l’inscription de la proposition de loi issue de l’Assemblée nationale à l’ordre du jour du Sénat, afin de réaliser une articulation entre les deux textes.

De plus, la proposition de loi de notre collègue Nicole Bricq permet d’envisager utilement la limitation du cumul des mandats sociaux, en tant que levier efficace pour libérer des postes en vue d’obtenir la mixité, alors même que cette question n’est pas abordée par les députés.

Nous souhaitons donc attendre, mes chers collègues, l’examen par le Sénat de la proposition de loi de l’Assemblée nationale, afin d’y apporter les améliorations que nous estimerons nécessaires. C’est un dossier qui, par sa complexité et son utilité, doit faire l’objet d’un véritable travail de fond, cohérent et efficace, de manière à aboutir au consensus le plus large possible.