PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour un rappel au règlement.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, les membres du groupe de l’UMP devant se rendre à l’Élysée, où ils seront reçus à leur demande par le Président de la République, vous serait-il possible, compte tenu du temps nécessaire pour se rendre de la rive gauche à la rive droite (Sourires.), de suspendre la séance vers dix-sept heures ?

M. le président. Vous n’aurez guère de difficultés à me convaincre d’accéder à votre demande, monsieur Longuet ! (Nouveaux sourires.) Si l’examen de la proposition de loi tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel n’était pas achevé à dix-sept heures, M. Frimat pourrait toujours me remplacer au fauteuil de la présidence !

La séance sera ensuite reprise à vingt et une heures trente pour l’examen de la proposition de loi visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés concernés par une procédure de reclassement.

La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Alors que l’ordre du jour est très chargé, qu’il nous est très souvent impossible d’y inscrire de nouveaux textes, je m’étonne, en tant que sénateur novice, que la réception par le Président de la République de l’un des groupes politiques de notre assemblée, et non de l’ensemble de ses membres, influe sur le rythme de nos travaux.

C’est là, je le crains, accroître encore la confusion des genres qui règne entre l’exécutif et le législatif et s’engager encore plus sur la voie d’une tutelle absolue du Président de la République sur le travail parlementaire. J’espère que nous n’en arriverons pas là !

Telle est la remarque de bon sens que je souhaitais formuler.

M. le président. Monsieur Assouline, ce type de demande nous a également été adressé, en d’autres temps, par le groupe socialiste. La tradition veut que la présidence y fasse droit.

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Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel
Discussion générale (suite)

Vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics

Adoption définitive d'une proposition de loi

(Texte de la commission)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel
Articles additionnels avant l’article 1er

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, tendant à permettre le recours au vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (proposition n° 633, texte de la commission n° 419, rapport n° 418).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, voulons-nous que l’université, à l’occasion des élections étudiantes, donne une image de modernité, de transparence et de responsabilité ? Telle est la question soulevée par le texte que nous examinons aujourd’hui. Vous le savez, pour ma part, je n’hésite pas un instant à répondre oui !

Comme le député Arnaud Robinet, comme l’Assemblée nationale, je crois nécessaire d’autoriser les universités qui le souhaitent à recourir au vote électronique pour les élections des représentants des étudiants aux conseils centraux des universités.

Les raisons en sont très simples.

Le recours au vote électronique est avant tout un signe de modernité pour nos universités. De nombreuses instances l’utilisent déjà pour leurs élections professionnelles : je pense en particulier au Centre national de la recherche scientifique, le CNRS, et au Conseil national des universités, le CNU. Pourquoi nous priver des nouvelles technologies alors qu’elles nous permettraient d’accroître la participation des étudiants ?

Les étudiants maîtrisent mieux que quiconque les nouvelles technologies. Ils les manient à chaque instant de leur vie quotidienne, pour leurs études comme pour leurs loisirs. Ils sont donc parfaitement à même de voter par voie électronique. Aucun obstacle matériel ne s’y oppose. Une étude du CREDOC, le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, de juin 2009 l’a montré : 92 % des étudiants ont d’ores et déjà à leur disposition à domicile un ordinateur connecté à Internet. Quant aux autres, ils peuvent bien évidemment utiliser les milliers d’ordinateurs du parc informatique des universités.

Permettez-moi toutefois insister devant vous sur le fait que recourir au vote électronique, ce n’est pas seulement profiter des facilités que nous offrent les technologies modernes, c’est aussi et surtout se saisir d’un formidable moyen de rendre le vote plus attractif pour les étudiants.

Pour l’heure, le taux de participation des étudiants oscille selon les élections entre 7 % et 15 %. Qui peut s’en satisfaire, alors même que l’autonomie confère aux élus étudiants des conseils centraux des universités des responsabilités nouvelles et essentielles pour la vie de leur établissement ?

Nous connaissons les causes de cette abstention : le rythme des étudiants ne leur permet pas toujours d’être présents le jour de l’élection et aux heures de vote, alors même que les horaires d’ouverture des bureaux de vote sont souvent restreints. Étudiants en séjour à l’étranger, en stage, salariés ou malades : eux aussi doivent pouvoir voter ! Il est important de les autoriser à voter à n’importe quelle heure et de n’importe où, qu’ils soient chez eux, sur leur lieu de travail, d’études ou de stage, l’essentiel étant tout simplement de leur permettre de voter.

Le vote électronique est donc aussi une véritable avancée pour la démocratie étudiante, car il garantira une plus grande égalité dans l’accès au vote. La parole des représentants des étudiants ne pourra en sortir que renforcée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi par ailleurs de préciser que le vote électronique assurera également une plus grande transparence du système et qu’il améliorera l’information des électeurs.

Les élections étudiantes représentent certes un enjeu très important pour les organisations représentatives, mais elles font malheureusement l’objet depuis des années de toutes sortes de contestations.

La liste des manœuvres électorales en tout genre est longue ! Au fil des années et des contentieux, le ministère a pu constater, et la justice établir, toute l’ingéniosité des fraudeurs : vols de bulletins, voire d’urnes, substitution d’urnes pendant une alerte incendie déclenchée fort à propos, procurations en nombre supérieur à celui des électeurs ou encore arrangements sur les horaires de dépôt des listes, intimidations à l’entrée des bureaux de vote…

Ces pratiques sont évidemment inacceptables. Elles entachent l’ensemble du processus de soupçon. Or le soupçon ne devrait pas peser sur la démocratie étudiante, car il peut contribuer à éloigner des urnes les deux millions d’électeurs concernés.

C’est pourquoi nous avons le devoir de laisser aux universités qui le souhaitent la possibilité de recourir à un vote moderne, sécurisé et transparent.

Les effets ne tarderont pas à se faire sentir, car l’enjeu dépasse la participation des étudiants aux élections, aussi importantes soient-elles. C’est de leur participation à la vie de leur université autonome qu’il s’agit également. Au fond, nous voulons que les étudiants deviennent des acteurs à part entière de leur avenir et de leur réussite.

Face à de tels enjeux, les raisons financières nous paraissent naturellement bien légères. Toutefois, je partage comme vous tous, mesdames, messieurs les sénateurs, le souci de bien employer les deniers publics. Or les devis que les entreprises du secteur ont fait parvenir aux universités le montrent : le vote électronique est une solution in fine moins onéreuse pour nos universités. L’organisation du vote électronique devrait coûter, selon les estimations des universités elles-mêmes, en moyenne 15 % de moins que les élections par vote sur support papier.

Aujourd’hui, les présidents sont contraints de dépenser des sommes importantes pour faire imprimer les bulletins de vote et les enveloppes, louer les urnes et les isoloirs, et pour mobiliser, pendant des semaines, les personnels qui encadrent le déroulement de l’élection. Non seulement cela coûte très cher, mais cela éloigne également les personnels de leur mission première, qui est de favoriser la réussite des étudiants.

Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que je me réjouisse de voir le Parlement s’emparer de la question du vote des étudiants.

Cette proposition de loi, qui respecte la liberté de choix des universités et consacre une part de leur autonomie, nous offre l’occasion d’apporter de la transparence, de la modernité et un souffle nouveau à un système auquel je crois profondément, celui de la démocratie étudiante. Je sais que le Sénat aura à cœur de la saisir. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes aujourd’hui saisis, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale le 28 septembre 2009, a un objet bien circonscrit : faire sauter le verrou législatif interdisant à un établissement d’enseignement supérieur d’organiser l’élection des membres de ses conseils internes en ayant recours au vote par voie électronique. En effet, le sixième alinéa de l’article L. 719-1 du code de l’éducation interdit le vote par correspondance. Or le vote à distance par voie électronique est assimilé à un vote par correspondance.

Pourtant, on observe un recours croissant au vote électronique par Internet, plusieurs lois l’ayant autorisé, dans le cadre strictement fixé par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Je pense, par exemple, à l’élection des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, à l’élection des conseillers prud’homaux à Paris en 2008 ou à celle des délégués du personnel ou des délégués au comité d’entreprise.

À cet égard, j’ai examiné l’expérimentation conduite par la SNCF à l’occasion de l’élection en mars 2009 des délégués du personnel, qui a concerné 22 000 électeurs. L’entreprise a mis en œuvre des mesures de nature à garantir la fiabilité du système informatique retenu et la confidentialité des votes. Le bilan de cette expérimentation paraît très positif : 75 % des électeurs ayant répondu à l’enquête de satisfaction se sont déclarés satisfaits.

Alors que les établissements d’enseignement supérieur accueillent à la fois les chercheurs les plus pointus et les plus fervents adeptes des nouvelles technologies, à savoir 2,2 millions d’étudiants, dont 1,2 million au sein des universités, n’est-il pas paradoxal qu’il leur soit aujourd’hui impossible d’organiser un scrutin par voie électronique à distance ? Cela est d’autant plus regrettable que le taux de participation aux élections universitaires est parfois très faible. Si, en moyenne, il atteint 75 % pour les enseignants-chercheurs, par exemple, il n’est en revanche que de 15 % pour les étudiants, ce taux ne dépassant quasiment jamais 22 % et pouvant même descendre jusqu’à 6 %.

En outre, le mode de vote actuel emporte des obstacles matériels qui empêchent certains électeurs de participer à l’élection parce qu’ils ne peuvent être présents ce jour-là, qu’ils effectuent un stage, qu’ils soient handicapés ou simplement malades. Or l’enjeu démocratique s’est accru avec le renforcement des missions et de l’autonomie des universités, ainsi qu’avec la nouvelle gouvernance, prévus par la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

Je rappelle que les universités comptent trois conseils centraux : le conseil d’administration, le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire. Ces conseils constituent, avec le président, les instances de gouvernance de l’établissement. Il est donc essentiel que leurs membres soient pleinement représentatifs des personnels et des usagers. C’est pourquoi tout doit être mis en œuvre afin d’encourager et de faciliter l’exercice du droit de vote des différents acteurs concernés.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi : offrir aux établissements d’enseignement supérieur le choix – j’insiste sur ce point – des modalités de vote, soit sur support papier, soit par voie électronique sécurisée. Dans le premier cas, le vote par procuration sera possible. Dans le second cas, d’une part, les opérations de vote devront être conduites dans le respect de la loi relative aux fichiers, à l’informatique et aux libertés et, d’autre part, l’établissement devra mettre à la disposition des électeurs des ordinateurs dans des lieux dédiés aux opérations électorales.

Mes chers collègues, je vous propose d’adopter ce dispositif sans modification, les quelques avis favorables exprimés ce matin par la commission sur certains amendements résultant d’un concours de circonstances que j’évoquerai plus longuement tout à l’heure.

En réalité, les réticences exprimées par les détracteurs d’un tel dispositif demeurent d’ordre politique, voire culturel, le vote électronique semblant à certains moins transparent qu’une urne, car moins visible.

À titre de comparaison, on pourrait évoquer le commerce en ligne, qui, voilà quelques années, peinait à séduire les internautes. Je crois qu’il en sera de même pour le vote électronique. C’est pourquoi l’idée est de le rendre facultatif, sachant, n’en doutons pas, qu’il fera tache d’huile. Osons donc l’expérimentation et offrons aux universités la possibilité de bénéficier des technologies les plus récentes !

Le taux d’équipement en ordinateurs et le nombre de personnes ayant accès à Internet sont aujourd’hui tels que l’on ne peut parler de fracture numérique s’agissant des personnels universitaires. Quant à ceux qui s’inquiètent du fait que tous les étudiants ne disposent pas d’un ordinateur personnel, qu’ils soient rassurés : l’établissement a l’obligation de mettre à disposition des ordinateurs pour les opérations électorales.

En outre, le taux d’équipement progresse d’année en année, y compris chez les jeunes – Mme la ministre l’a souligné –, comme le montre une étude du CREDOC. La dernière enquête du ministère de la culture et de la communication sur les pratiques culturelles des Français montre également que 75 % des étudiants utilisent Internet tous les jours ou presque.

Enfin, le vote par Internet devrait permettre une meilleure authentification des électeurs.

Je ne dis pas que le vote par voie électronique constitue l’alpha et l’oméga de la démocratie universitaire,…

M. Ivan Renar. Ah bon !

M. Jean-Léonce Dupont, rapporteur. … mais je pense qu’il sera un moyen concret d’améliorer la participation électorale. Cela étant, je suis convaincu que son succès et son efficacité dépendront de plusieurs facteurs.

En premier lieu, il conviendra de respecter les préconisations de la CNIL et de créer les conditions de la confiance et de la transparence.

À cet égard, je rappelle que le texte proposé fait clairement référence à la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. Dans ce cadre, il faudra prendre toutes les mesures techniques permettant de supprimer les risques susceptibles de peser sur la sincérité du vote par Internet.

S’il semble aujourd’hui difficile de garantir cette sécurité pour un vote électronique à grande échelle, notamment pour une élection politique nationale, une telle sécurisation est possible à l’échelle envisagée, c’est-à-dire à petite ou à moyenne échelle.

Une grande majorité des interlocuteurs que j’ai auditionnés, à l’exception de l’un des syndicats étudiants, l’UNEF – l’Union nationale des étudiants de France –, se sont montrés ouverts à la faculté ainsi offerte aux établissements de moderniser leurs modalités de vote. Tous ont néanmoins exprimé certaines inquiétudes. Les mesures adoptées devront donc être de nature à les rassurer. Il sera ainsi nécessaire de trouver un équilibre entre des exigences en matière de sécurité qui peuvent parfois paraître antagonistes, comme l’authentification des électeurs et le secret du vote.

Comme la CNIL l’a indiqué, il est nécessaire de maintenir une « chaîne de confiance » entre l’acte de vote individuel et le dépouillement, en garantissant paradoxalement à la fois l’authenticité du votant et l’impossibilité de lier l’identité du votant au vote qu’il a émis. Je vous renvoie à mon rapport écrit pour le détail des recommandations que la CNIL a formulées en 2003 et que les universités devront bien entendu respecter.

En second lieu, il conviendra de créer un environnement incitant les intéressés à s’impliquer dans la vie de leur établissement. Cela passe d’abord par une bonne information des électeurs sur les enjeux des scrutins. Sans une réelle volonté politique des équipes de direction des universités d’améliorer l’information des électeurs, notamment des étudiants, sur les enjeux des scrutins, on ne peut que craindre une faible évolution de la participation électorale. Or toutes les parties ont à gagner à une meilleure implication de l’ensemble des catégories d’acteurs dans la vie de l’établissement.

Je suis convaincu, comme tous les interlocuteurs que j’ai auditionnés, qu’un accroissement du taux de participation aux élections universitaires suppose, de la part des établissements, des mesures concrètes en vue d’accompagner et d’encourager la campagne électorale.

Enfin, le comité électoral consultatif, qui a été mis en place dans toutes les universités en application de l’article 2-1 du décret du 18 janvier 1985, doit être consulté sur l’organisation des élections, en veillant à ce que toutes les listes présentes y soient représentées.

En conclusion, je vous demande, madame la ministre, de sensibiliser les équipes dirigeantes des universités à l’importance des mesures qui doivent accompagner la mise en œuvre du texte. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, partant du constat que la participation aux élections universitaires est dramatiquement faible, des parlementaires de la majorité, soutenus par le Gouvernement, ont souhaité introduire le vote par voie électronique lors des scrutins destinés à élire les membres des conseils d’administration des universités. Ainsi la mise en œuvre de ce mode de votation permettrait-elle de répondre à la désaffection des jeunes pour les élections universitaires.

Nous pensons que l’abstention des étudiants, dont personne ne saurait s’accommoder, ne pourra pas être freinée par une simple mesure technologique. Permettez-moi de vous citer plusieurs exemples afin d’illustrer mon propos.

En 2009, la mise en place d’un vote par Internet lors des élections des représentants des personnels au conseil d’administration du CNRS s’est traduite par un recul du taux de participation de douze points par rapport au scrutin précédent, de 2005. Il serait certes hasardeux de lier cette baisse significative au mode de votation, mais force est de constater que, à tout le moins, celui-ci n’a pas eu d’incidence positive sur le nombre de votants !

Le vote électronique souffre, sans doute à juste titre, d’un déficit de confiance de la part des électeurs. Fraudes, piratages et escroqueries en tout genre sont légions sur Internet, sans parler des virus, « vers » et autres logiciels permettant d’accéder aux contenus des ordinateurs personnels. On comprend donc aisément pourquoi bon nombre de personnes ayant participé aux élections des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger se sont détournées du vote électronique pour privilégier le vote par correspondance ou dans les bureaux. Si la part de votants par Internet atteignait 60 % en 2003, celle-ci a chuté à moins de 14 % en 2006, puis à 9 % en 2009. Il y a là matière à s’interroger…

L’université de Nantes a, elle aussi, mené des expériences de vote par voie électronique, et ce à deux reprises, en 2004 et en 2006, pour l’élection des trois conseils de l’établissement et de ceux des UFR, les unités de formation et de recherche.

L’expérimentation menée en 2006 a donné lieu à un rapport qui a fait apparaître l’absence d’évolution sensible de la participation des étudiants. Outre divers problèmes techniques, la commission de suivi du vote électronique, composée d’enseignants-chercheurs et d’étudiants élus, a noté que, pour réaliser cette consultation, l’université avait été amenée à mobiliser de nombreux personnels spécialisés en informatique et à se priver temporairement de ces personnels hautement qualifiés. Compte tenu du constat réalisé par la commission ad hoc, l’université de Nantes a décidé de ne pas renouveler le vote électronique.

Ces divers exemples témoignent en tout cas de l’absence de corrélation entre mode de votation et augmentation de la participation.

Cela étant, il faut également évoquer divers autres aspects du vote électronique.

Tout d’abord, le vote électronique se caractérise par son opacité. En effet, les simples citoyens ne peuvent plus contrôler la légalité du vote et ils doivent s’en remettre aux personnels qualifiés des institutions ou des entreprises privées en charge du système informatique.

En outre, ce mode de votation ne garantit en rien le respect des critères d’un vote démocratique. D’après une étude réalisée par Mme Chantal Enguehard, maître de conférences en informatique à Nantes, le vote par Internet présente de multiples vulnérabilités, invisibles, et pouvant affecter un grand nombre de votes. Les risques de fraude sont d’autant plus élevés que ces manipulations ne nécessitent pas de matériel coûteux et qu’elles peuvent être réalisées par quelques personnes.

À la question : « Ce système est-il aussi sécurisé que le vote papier ? », la CNIL elle-même répond que « tout dépend des garanties apportées par le système ».

Selon le professeur Andrew Appel, responsable de la chaire d’informatique à l’université de Princeton, les experts en informatique du monde entier ayant travaillé sur cette question s’accordent à dire que le vote par Internet n’est pas fiable. Peut-on alors réellement inciter les jeunes à retrouver le chemin des urnes en leur proposant un mode de votation exposé à toutes les manipulations ?

Un autre argument avancé par les défenseurs du vote électronique est son moindre coût par rapport au vote classique. Mais, pour répondre aux recommandations de la CNIL, universités, instituts et grandes écoles seront amenés à commander des audits auprès d’organismes privés afin de faire expertiser leurs systèmes de vote. Aussi ce mode de votation sera-t-il source de frais importants, que les établissements modestes ne pourront sans doute pas prendre en charge. In fine, le vote électronique ne devrait pas être moins coûteux que le vote papier.

Enfin, la possibilité offerte à chaque établissement de choisir son propre mode de votation entraînera une inégalité d’accès au scrutin contraire, selon nous, aux principes républicains.

Toutefois, nous partageons la préoccupation des auteurs de ce texte. Le taux d’abstention des étudiants, qui oscille entre 80 % et 85 %, est en effet particulièrement inquiétant. Il traduit cette « panne civique » que l’on constate quasiment à chaque nouvelle élection, qu’elle soit locale ou nationale. Nos concitoyens les plus jeunes constituent aujourd’hui l’une des bases de l’abstentionnisme. Ce phénomène, nuisible à la vitalité démocratique de notre pays, appelle des réponses fortes, adaptées. Celles-ci ont certes un coût, mais c’est indéniablement le prix à payer pour que vive la démocratie.

Habituer les étudiants à se rendre aux urnes ne peut être, de ce point de vue, que bénéfique. Encore faut-il que les jeunes sachent précisément ce sur quoi ils vont se prononcer. En l’occurrence, il conviendrait de pallier leur manque de connaissance du fonctionnement de l’université. Le rôle des élus dans le conseil d’administration, le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire doit être mis en exergue et faire l’objet de campagnes d’information en direction des étudiants.

Toutes les dispositions doivent être prises pour créer les conditions de véritables campagnes électorales à l’occasion des scrutins internes aux universités, instituts et écoles. Nous souhaitons ainsi que les professions de foi des diverses listes soient adressées par voie postale aux étudiants, que les syndicats ou associations d’étudiants puissent diffuser leurs documents sur l’ensemble des sites des établissements ou encore que des débats et des rencontres entre les candidats soient organisés préalablement au scrutin.

Nous proposons également, pour chaque élection, la mise en place de commissions électorales chargées d’arrêter les dates, horaires et lieux du scrutin. Il paraît souhaitable que la consultation soit étalée sur plusieurs jours afin que le plus grand nombre d’étudiants puissent se prononcer. En effet, beaucoup d’entre eux sont amenés à travailler pour financer leurs études et couvrir leurs besoins, ce qui explique en partie leur absence le jour du scrutin.

Ces commissions devraient en outre veiller à donner le maximum de visibilité au scrutin et s’assurer de l’égalité d’accès aux isoloirs de tous les étudiants, notamment de ceux qui sont atteints d’un handicap.

Enfin, nous estimons indispensable de revoir la composition des conseils d’administration des universités en renforçant la représentation des étudiants et des personnels IATOS – ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service. Revoir les équilibres modifiés par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 contribuerait à dynamiser la vie démocratique universitaire et encouragerait la participation des étudiants, dès lors que ceux-ci seraient mieux représentés au sein des instances décisionnelles et seraient ainsi mieux en mesure de peser sur les choix stratégiques des établissements.

Ces mesures de bon sens créeraient les conditions pour remédier à l’abstention dramatique des étudiants, bien plus que la mise en œuvre d’un nouveau mode de votation qui n’offre pas de réelle garantie quant à la sincérité du scrutin.

Parce qu’une simple mesure technique ne permettra pas de répondre à un réel problème de fond, nous nous prononcerons contre cette proposition de loi. (M. Claude Domeizel applaudit.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, quand on prétend soumettre un texte au Parlement, la question à laquelle il convient d’abord de répondre est : à quoi sert-il ?

M. Longuet s’est plaint, ces jours-ci, de l’ordre du jour surchargé du Parlement, saisi de lois portant sur tout et n’importe quoi. Le temps dont nous disposons doit donc être réservé à l’examen de textes qui servent à quelque chose.

J’ai donc cherché dans la proposition de loi sa raison profonde. Sa raison avouée et assumée a été développée ici par Mme la ministre : il s’agit de lutter contre l’abstentionnisme, en particulier celui du collège étudiant, qui participe peu aux élections.

Or cette proposition de loi va s’appliquer à tous les collèges. Pourtant, le taux de participation des personnels enseignants est de l’ordre de 65 % et celui des personnels IATOS de 60 %, soit des taux tout à fait convenables. L’objet de la présente proposition de loi est donc ailleurs.

Il est vrai que le taux de participation des étudiants, qui oscille entre 16 % et 17 %, est faible. Le problème est d'ailleurs endémique. D’un point de vue sociologique, ce ne sont pas ceux qui travaillent à l’université qui ne participent pas aux élections. La faible participation concerne avant tout les étudiants. On en connaît les raisons, et ce depuis très longtemps. Pourtant, on agit très peu dans ce domaine.

Contrairement aux personnels enseignants et aux autres professionnels, les étudiants ne passent pas l’essentiel de leurs journées à l’université. Ils n’y ont pas de perspectives à long terme – le but est tout de même d’en sortir ! De plus, pour des raisons que nous connaissons et que nous avons souvent évoquées ici, près d’un étudiant sur deux quitte l’université avant la fin du premier cycle. Le turn-over y est donc malheureusement énorme.

Parallèlement, rien n’est fait pour encourager les étudiants à se sentir concernés par la vie universitaire et ses enjeux. Il faudrait que les étudiants soient informés des questions débattues au sein du conseil d’administration, ce qui n’est pas toujours le cas, qu’ils sachent qu’ils peuvent y faire entendre leur point de vue et que celui-ci peut peser.

Il n’existe pas à proprement parler de vie étudiante dans notre pays. Ailleurs, ces questions ne se posent pas dans les mêmes termes. Les campus où les étudiants logent, disposent d’une bibliothèque universitaire et d’un restaurant, où ils ont des loisirs sportifs et culturels, sont de véritables lieux de vie. Ils s’apparentent à de petites villes.

La France n’a pas fait ce choix pour ses universités. Même dans une structure comme Jussieu, où 70 000 étudiants étaient concentrés sur une même dalle lorsque j’y faisais mes études, les étudiants se sentaient très seuls, encore plus seuls que dans de petites unités ne comptant que quelques milliers de personnes, l’individualisation et la dépersonnalisation y étant absolues.

Or qui a assumé la mission d’informer les étudiants afin de les faire participer aux élections ? Ce sont non pas les pouvoirs publics et les conseils d’administration, mais les organisations étudiantes ! Vous avez cité l’une d’elles, monsieur le rapporteur, l’UNEF, qui se trouve avoir émis un avis défavorable. Celle-ci étant majoritaire – je le signale au passage –, il conviendrait peut-être de tenir compte de son avis ! Au-delà de l’UNEF, il importe, me semble-t-il, de rendre hommage aux efforts constants engagés par les syndicats étudiants de toutes obédiences pour impliquer les étudiants dans les élections.

Voilà ce sur quoi nous devons agir ! Penser qu’il suffit de s’en remettre à une technologie pour régler des problèmes bien plus profonds, c’est être complètement à côté de la plaque. C’est même dangereux !

D’ailleurs, comme M. Renar l’a souligné, le vote par voie électronique, même s’il présente probablement certains avantages, n’a pas eu d’incidence sur l’abstention partout où il a été mis en place. On a observé des reculs de la participation, même s’ils ne sont pas dus au vote électronique, lors des élections prud’homales et de l’élection des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, et je pourrais citer d’autres exemples. La question est donc ailleurs, et j’y reviendrai à la fin de mon propos.

Mme la ministre a invoqué l’argument de la modernité. Très franchement, dans cet hémicycle, je ne suis pas le plus réticent à l’égard des technologies numériques ! J’ai même essayé de les encourager et de vaincre, par des démonstrations parfois très concrètes, les préventions et les frilosités de mes collègues afin de persuader ces derniers du fait que ces technologies pouvaient nous faciliter la vie.