M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui a été déposé au Sénat le 3 septembre 2009. Il est donc grand temps que nous l’examinions, car le besoin qu’il vise à satisfaire est réel et le fléau contre lequel il doit permettre de lutter efficacement l’est plus encore : à la fin du mois d’avril, les pirates qui sévissent au large des eaux somaliennes détenaient en otages 23 navires et 384 marins, dans l’attente de rançons.

Le groupe de l’Union centriste salue donc l’élaboration de ce texte, dont l’adoption répondra à un vrai besoin opérationnel.

Cela a été dit, il s’agit d’abord de doter les forces françaises du cadre juridique qui fait aujourd’hui défaut.

Il s’agit ensuite de reconnaître à nos juridictions une compétence « quasi universelle » pour juger des actes de piraterie commis hors du territoire national, quelle que soit la nationalité du navire ou des victimes d’actes de piraterie.

À ce propos, je me permets de souligner, comme je l’ai déjà fait devant la commission, que l’article 105 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer reconnaît une compétence universelle en matière de répression de la piraterie maritime sans poser aucune condition à l’exercice de cette compétence juridictionnelle.

La convention ayant été signée et ratifiée par la France, elle fait partie de notre ordre juridique. Il aurait donc pu sembler plus conforme aux engagements internationaux de la France de reconnaître une compétence universelle aux juridictions françaises afin de poursuivre et de juger des actes de piraterie. Je serai attentif, monsieur le secrétaire d’État, aux précisions que vous apporterez sur ce point.

Pour la France, la consécration de cette compétence quasi universelle lève largement la difficulté rencontrée pour juger les pirates présumés. Une des solutions envisageables aurait pu consister à créer un tribunal spécial, comme cela a été fait en 2002, par exemple, pour juger les crimes commis en Sierra Leone. Au regard des coûts exorbitants de ces tribunaux, l’option qui a été retenue dans ce projet de loi nous semble toutefois plus opportune. Peut-être faudrait-il d’ailleurs, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, qu’un jour nous nous penchions sur le coût du tribunal pénal international de La Haye, qui, me semble-t-il, s’élève à près de 1 milliard d’euros par an : c’est un véritable problème !

Il s’agit enfin, et c’est également très important, d’établir un régime sui generis pour la rétention à bord des personnes interpellées dans le cadre de l’action de l’État en mer, afin de tenir compte des griefs retenus par la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de la France en juillet 2008.

En comblant ces trois lacunes, le projet de loi donnera à nos forces les moyens juridiques dont elles ont besoin pour occuper pleinement la place éminente qui est la leur dans l’opération « Atalanta ».

Cette opération, mes chers collègues, est un vrai succès, un vrai succès européen. Nous, centristes, y sommes très sensibles, et nous souhaitons le souligner avec d’autant plus de force que l’Union connaît actuellement des jours difficiles.

« Atalanta » est un succès dont il faut bien prendre la mesure. Qui, il y a seulement quelques années, aurait pensé l’Union capable de projeter ses forces à plus de 5 000 kilomètres de Bruxelles pour sécuriser une zone si stratégique ? Après l’intervention de l’EUFOR au Tchad, l’Union témoigne pour la deuxième fois de sa capacité à intervenir par elle-même, sans autre support, sur des théâtres d’intervention lointains et instables.

Pour la première fois de son histoire, l’Union mène une opération navale d’envergure sans support extérieur. Oui, l’Union de l’Europe occidentale – qui est sur le point de disparaître –, dont je salue au passage les travaux sur la piraterie, avait mené des opérations maritimes, notamment au large de la Yougoslavie ; mais il s’agissait alors de coordonner l’engagement de moyens plus que d’intervenir directement.

Enfin, pour la première fois de son histoire, l’Union européenne mène une véritable opération de police internationale. « Atalanta » remplit pleinement l’objectif inscrit à l’article B du traité sur l’Union européenne d’affirmer l’identité de l’Union sur la scène internationale. Ceux qui, comme nous, réclament une Europe de la défense plus robuste, plus forte, ne doivent pas s’y méprendre : à la fin de cette mission, un pas aura été franchi, tant en termes de capacités militaires qu’en termes de capacités politiques.

Une des missions prioritaires d’« Atalanta » est d’assurer l’accompagnement des bateaux du Programme alimentaire mondial, le PAM, qui acheminent l’aide humanitaire en Somalie. Voilà encore quelques mois, le PAM devait quémander auprès de chacun des États à tour de rôle leur assistance pour escorter ses bateaux ; la France y a d’ailleurs activement pris part. Aujourd’hui, cette mission est remplie par l’opération « Atalanta ». Ce n’est pas un mince succès.

« Atalanta » doit également assurer la sécurité des navires marchands « les plus vulnérables ». Aujourd’hui, cette mission est, elle aussi, bien remplie, et ce de deux manières : grâce à la mise en place d’un double corridor « sécurisé » et grâce, pour les bateaux les plus vulnérables, aux escortes en « convoi ».

Enfin, « Atalanta » doit assurer la dissuasion et l’arrestation des pirates. Sans être prioritaire, cet objectif est devenu aujourd’hui l’une des clefs du succès de l’opération. Or c’est précisément pour remplir cette mission que nos forces rencontrent le plus de difficultés.

C’est là tout le sens et l’intérêt de ce projet de loi, qui apporte des réponses concrètes aux besoins juridiques de nos forces. Nous pensons qu’il permettra de résoudre les difficultés qu’elles rencontrent aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, le groupe de l’Union centriste, unanime, votera en faveur de son adoption.

Toutefois, mes chers collègues, l’opération « Atalanta » ne parviendra pas à éradiquer la piraterie. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dont je suis membre, l’a récemment rappelé avec beaucoup de clarté : l’intervention militaire n’apportera pas de solution durable à ce fléau parce que les causes profondes de la piraterie se trouvent essentiellement à terre. Pour les éliminer, il faut d’abord les comprendre, et les regarder en face.

Oui, il faut les regarder en face, car nos actions passées n’y sont pas étrangères. Depuis la destitution du régime Barre, au début des années 1990, la Somalie ne dispose plus d’État central capable d’exercer sa souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Des milliers de chalutiers européens – mais pas seulement européens – ont profité de cette souveraineté altérée pour se livrer à la pêche au thon massive et lucrative au large des côtes du nord de la Somalie.

À partir de 1991, plus de 1 000 bateaux ont pêché illégalement dans les eaux somaliennes, jusqu’à ce que l’aggravation de la piraterie ne freine ce pillage à partir de 2006.

En 2005, un rapport du groupe d’évaluation des ressources marines, réalisé pour le gouvernement du Royaume-Uni, montrait que l’économie somalienne était amputée, chaque année, d’un montant estimé entre 73 millions d’euros et 230 millions d’euros en raison de la pêche illégale, à laquelle nos bateaux ont participé. Devant ces pratiques, nos autorités de contrôle, nationales et européennes, ont fait preuve d’une négligence coupable.

L’Europe n’est pas seule responsable : les navires en provenance de Taiwan, de Chine, de Corée du Sud, du Yémen et du Kenya ont également participé à cette pêche illégale.

Par ailleurs, les 25 000 navires annuels, qui font transiter dans la zone 20 % du commerce mondial, ont déversé des déchets et des produits toxiques qui ont gravement pollué les eaux somaliennes. Le pillage des ressources halieutiques de la Somalie a privé les pêcheurs de leurs moyens de subsistance.

Comme souvent, c’est cette impasse – inexcusable certes, mais elle existe – qui les a conduits vers la criminalité. Aujourd’hui, on constate que la plupart de ces pirates sont d’anciens pêcheurs, c’est un fait. Et, je crois qu’il est important pour notre pays – le pays des droits de l’homme – que nous puissions avoir le courage de reconnaître cela.

L’extrême pauvreté qui frappe la Somalie est évidemment l’autre cause profonde de la piraterie. Le pays manque des structures de soins et de protection sociale les plus élémentaires. La famine et des sécheresses chroniques condamnent la population à vivre avec moins de deux dollars par jour. Je renvoie à ce que j’ai déjà dit sur les 73 millions à 230 millions d’euros dont la Somalie a été dépouillée, du fait de la pêche illégale.

De plus, 43 % de la population a désespérément besoin d’aide humanitaire. Les taux de malnutrition aiguë dans le sud et le centre de la Somalie sont au-dessus du seuil d’urgence de 15 %, et seulement 29 % de la population du pays a accès à l’eau potable, selon l’UNICEF.

Dans ces conditions d’extrême précarité, certains sont prêts à prendre des risques considérables pour extorquer une rançon qui avoisine ou dépasse souvent le million d’euros.

Enfin, évidemment, la désagrégation de l’État somalien permet, facilite et encourage la piraterie. Avec une large portion du territoire hors de tout contrôle, une économie légale totalement atone, une insécurité permanente, la piraterie offre une source de revenus importante et donc une survie assurée à ceux qui s’y livrent.

Devant ce constat, que faire ? Plusieurs pistes d’évolution future sont connues. Je pense à l’extension géographique de l’opération aux Seychelles, à l’évolution des tactiques, à la prolongation de l’opération et, pour une solution à moyen et long termes, à la formation de l’armée somalienne et à la stabilisation de la Somalie.

Dans le domaine militaire, il faudra atteindre trois objectifs. D’abord, appuyer la mission de l’Union Africaine en Somalie qui soutient militairement le gouvernement transitoire somalien, ce qui n’est pas simple. Ensuite, renforcer la coopération maritime régionale en aidant les États riverains de l’océan Indien à prendre en main la police de la mer. Enfin, soutenir le gouvernement légitime somalien en assistant ses forces de sécurité.

Au-delà, notre engagement contre la piraterie doit nous amener à une réflexion sur notre engagement humanitaire. Déployons la même énergie, les mêmes moyens et la même détermination pour mettre fin à la catastrophe humanitaire somalienne. Concrètement, assistons les agences humanitaires, et tout particulièrement le Programme alimentaire mondial, pour qu’elles puissent revenir en Somalie et remplir leur mission sans mettre en danger la vie de leurs agents. Près de 3,5 millions de personnes, soit un tiers de la population du pays, en ont besoin pour survivre.

Comme mon collègue Denis Badré l’a dit, lors du débat sur la piraterie maritime organisé le 28 avril dernier par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « nous avons la démonstration, une fois encore, que l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme constituent la meilleure réponse à l’insécurité ».

Mes chers collègues, notre plein engagement, et celui de la communauté internationale, pour restaurer l’état de droit et mettre fin à la tragédie humanitaire en Somalie est urgent. C’est aussi la seule solution pour éradiquer durablement la piraterie en mer.

Je suis désolé pour mes collègues, car c’est un texte juridique et je l’ai entendu d’un point de vue plus général. Mais je crois que, au sein d’une assemblée parlementaire, il est nécessaire, monsieur le secrétaire d’État, que nous puissions éclairer à la lumière d’une approche plus vaste le texte juridique que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur plusieurs travées de lUMP.)

M. Hubert Falco, secrétaire d'État. Nous sommes tous des généralistes !

M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.

M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la piraterie maritime constitue un fléau à caractère international. La piraterie « moderne » désigne aujourd’hui un ensemble d’infractions de droit commun commises dans un espace échappant à la juridiction d’un seul État.

Hier dans le détroit de Malacca, aujourd’hui au large de la Somalie, la piraterie a une incidence relative sur l’économie mondiale mais elle constitue une atteinte grave à une liberté fondamentale, celle de circuler sur les mers.

Nos économies sont fondées en grande partie sur la rapidité et la sécurité du commerce maritime, or cette forme de délinquance dévoile la fragilité du transport maritime.

Ces dernières années, la recrudescence des actes de piraterie et des vols à main armée au large des côtes de la Somalie a fait réagir l’Union européenne, qui conduit dans cette zone une opération militaire dénommée « EUNAVFOR Somalie-Opération Atalanta ».

Le Conseil de sécurité des Nations unies a lui aussi répondu à cette situation avec, notamment, une longue série de résolutions, cinq depuis 2008 et une sixième le 27 avril dernier.

Ce sont ces résolutions qui donnent une assise légale et légitime aux opérations militaires dans la région du golfe d’Aden. Ces opérations sont destinées à la protection des navires du Programme alimentaire mondial qui acheminent l’aide alimentaire aux populations déplacées en Somalie, à la protection des navires vulnérables naviguant au large des côtes de la Somalie, ainsi qu’à la dissuasion, à la prévention et à la répression des actes de piraterie.

De la sorte, à 5 000 kilomètres de Bruxelles, l’Union européenne conduit une opération anti-piraterie dans une zone grande comme la Méditerranée et totalisant un tiers du transit commercial maritime mondial.

L’OTAN et plusieurs États participent aussi aux opérations dans la zone : les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, le Japon, l’Arabie Saoudite, l’Indonésie, la Malaisie et l’Iran. Le Japon est en train de monter une base navale à Djibouti.

Autour de l’opération Atalante s’est développé un cadre juridique permettant d’agir d’un bout à l’autre de la chaîne de la lutte contre la piraterie. Les militaires européens sont mandatés pour prévenir, dissuader, arrêter, détenir et transférer des pirates.

Les accords signés avec le Kenya et avec les Seychelles autorisent le transfert et le jugement des pirates appréhendés. Mais attention ! la capacité de ces pays à « absorber » un flux trop important de pirates présumés a une limite. Or, récemment, la presse nous a appris que le Kenya souhaitait ne pas donner suite à ces accords. Où en sont, monsieur le secrétaire d’État, les relations avec ce pays ?

Nous savons que pour être efficaces un jour, ces pays partenaires doivent recevoir rapidement des aides de la Commission européenne pour le renforcement de leurs capacités judiciaires et pénitentiaires.

Je soutiens aussi que les opérations de police, les opérations militaires doivent impérieusement s’inscrire dans un cadre plus vaste.

C’est-à-dire qu’il nous faut, aussi bien sur le plan national qu’à l’échelle européenne, engager une approche globale qui allie la gestion de crise à une stratégie intelligente de développement social et économique régional. Une approche globale qui soit notamment ciblée sur la reconstruction des appareils d’État, l’amélioration de la gouvernance, l’aide aux populations civiles, la reconstruction des économies et la sécurité alimentaire.

Sans prospérité pour les populations locales, il n’y aura pas de victoire durable contre la piraterie.

Je vais citer les propos de Laurent Mérer, ancien officier général de la marine nationale, qui a exercé jusqu’à 2005 des commandements importants : zone maritime de l’océan Indien – puisqu’il était ALINDIEN, comme l’on dit – et zone maritime Atlantique. C’est un très bon connaisseur du dossier « piraterie maritime » et il nous dit « qu’il y a toujours un problème de pauvreté, ou plutôt de décalage entre la richesse qui passe par la mer, à portée de main, et leur propre condition ».

Il énumère ensuite les causes et le contexte de la piraterie au large de la Somalie : « Le pillage des zones de pêches est certainement le facteur déclenchant, c’est le début de l’engrenage, mais il y a tout un contexte. Ce pillage est la conséquence de l’absence de surveillance et de répression liée à la décomposition de l’État somalien, incapable d’assurer la police et de faire respecter le droit. On parle aussi de la vente illégale de licences de pêche à des étrangers par certaines autorités issues de la désintégration du pays. En tout état de cause, le problème, c’est la situation en Somalie, la guerre civile, l’éclatement des structures, la rivalité des clans. […] On peut aussi évoquer d’autres phénomènes, […] le tsunami de décembre 2004 a largement touché les côtes somaliennes, détruit les villages de pêcheurs et leur matériel de pêche. […] à la suite de l’énorme vague qui a bouleversé les fonds, des quantités de déchets toxiques déversés illégalement depuis des années le long des côtes par des industriels peu scrupuleux se sont échouées sur les rivages, occasionnant des dégâts considérables sur les populations, avec des dizaines de morts. L’accélération du phénomène de la piraterie est tout juste postérieure à ces événements. »

Il est évident que c’est une approche politique, stratégique, reliant l’économie et la justice sociale à l’aspect répressif qui doit être concrétisée et privilégiée.

Parce que dans la lutte contre la piraterie dans la Corne de l’Afrique, la Somalie revêt une place singulière, l’Union européenne a marqué sa volonté d’apporter un soutien accru à la stabilisation de la région. Cela a conduit les 27 États membres de l’Union européenne à lancer l’opération « EUTM Somalie », qui est une opération de formation des forces de sécurité somaliennes ; plus tard pourrait être envisagée une mission de formation de gardes-côtes.

Cette mission de formation des forces somaliennes se déroule en Ouganda et a commencé au début du mois de mai 2010.

À ce stade de mon intervention, je saisis l’occasion qui m’est donnée par ce débat pour interroger le Gouvernement, d’une part, sur l’apport français à la stratégie globale européenne de lutte contre la piraterie maritime et en soutien à la Somalie et, d’autre part, sur les moyens financiers engagés par notre pays. En un mot, quelle est la part du fardeau assumée par la France ?

II est souhaitable que la lutte internationale contre la piraterie, notamment en haute mer, soit mieux coordonnée, compte tenu de la gravité et de la mondialisation croissante du problème. D’autres zones d’insécurité se sont ajoutées ces dernières années et il est à craindre que la liste ne soit pas close.

Intervenir pour capturer les pirates est une opération délicate et complexe, les marins français, malheureusement, sont bien placés pour le savoir. Cela exige une haute technicité, du professionnalisme et un cadre légal précis et respecté.

Or, il faut reconnaître que les États ne sont pas seuls dans cette affaire. Il y a maintenant un marché de la « sécurité maritime » qui se développe au même rythme que croît l’insécurité maritime. Ainsi, des entreprises de transport, des armateurs, font appel à des conseillers ou à des opérateurs privés de sécurité.

Des sociétés privées, qui ont pignon sur rue, offrent leurs services de protection de navires « soit par escorte soit par équipe de sécurité embarquée pour la traversée des eaux à fort risque ».

Il s’agit bien entendu de forces armées privées agissant sous contrat. Ces prestations peuvent déboucher sur des affrontements. Quel est le cadre légal de leurs opérations ? Comment peut-on garantir que ces sociétés opèrent dans un cadre légal ? Comment certifier que l’ensemble de leurs prestations sont réalisées dans le respect du droit international ? Quel type de relation opérationnelle peuvent-elles avoir dans une zone donnée, le golfe d’Aden par exemple, avec les forces armées des États engagées dans la lutte contre la piraterie maritime ? Est-il revenu le temps de l’utilisation de corsaires pour faire face aux pirates ? Ce n’est pas de la science-fiction, car cela existe bel et bien aujourd’hui.

Ma question est très simple : que propose, que fait le Gouvernement face au développement de cette réalité ? L’Union européenne compte-t-elle accorder une place à ces sociétés militaires privées dans le domaine de la sécurité maritime ?

Ce projet de loi aborde un aspect crucial de la lutte contre la piraterie : quid des pirates arrêtés ?

Le texte qui nous est soumis prévoit que les juridictions françaises ne sont compétentes qu’à défaut d’entente avec les autorités d’un autre État pour l’exercice, par celui-ci, de sa compétence juridictionnelle.

J’ai déjà parlé des accords conclus à cet effet par l’Union européenne avec des pays de la région. Ainsi, un accord signé, en mars 2009, avec le Kenya permet de juger dans ce pays les individus soupçonnés d’actes de piraterie et appréhendés par les bâtiments de guerre européens dans le cadre de l’opération « Atalanta ». Un autre accord signé avec les Seychelles, en octobre 2009, permet également de remettre les pirates présumés aux autorités de ce pays. Ces accords sont-ils toujours en vigueur ?

Des négociations sont en cours, en vue de la signature d’accords similaires avec d’autres pays de la région. Je voudrais savoir quels sont les nouveaux pays concernés ?

J’ai déposé, avec mon groupe, un amendement destiné à apporter des garanties à ce processus. Il me semble très dangereux d’envisager de remettre les pirates capturés aux autorités des États dans lesquels les garanties élémentaires ne sont pas assurées.

Le Gouvernement peut-il, sur ce point, s’engager officiellement à faire en sorte que toutes les précautions soient prises et que, par exemple, aucun détenu ne soit livré à un pays où est encore appliquée, notamment, la peine capitale ?

En ce qui concerne la législation française, mon collègue Michel Boutant avait signalé, dès juillet 2009, l’existence d’une lacune juridique. Notre pays disposait d’une loi de 1825 sur la piraterie, cependant cette loi a été abrogée en 2007, juste avant les graves affaires de piraterie qui ont eu lieu en 2008.

La répression de la piraterie en haute mer, à la différence, par exemple, du trafic de stupéfiants, est bien autorisée par la convention sur le droit de la mer de Montego Bay, mais il fallait adapter notre droit.

Un arrêt de 2008 de la Cour européenne des droits de l’homme, l’arrêt Medvedyev, avait mis en évidence les fragilités du droit français, concernant en particulier l’encadrement de la rétention à bord des navires de guerre des pirates capturés et l’intervention de l’autorité judiciaire.

Je suis d’accord sur la nécessité de prévoir un cadre juridique relatif à la répression de la piraterie, conformément à la convention de Montego Bay.

La nécessité d’adapter la législation française ne fait donc pas de doute. En revanche, les circonstances politiques et la méthode me laissent songeur.

Au moment même où le Gouvernement, faisant fi de toutes les réticences exprimées, s’apprête à bouleverser la justice et, plus précisément, la procédure pénale avec un très controversé projet de réforme – réforme : voilà un joli mot galvaudé, détourné, corrompu par un usage intempestif ! –, vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'État, un projet de loi qui risque d’être bientôt dépassé.

Plus grave, les projets de réforme de la procédure pénale aggraveront sans doute encore la situation déjà dénoncée par la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne le statut du parquet.

Il ne faut pas cacher la réalité : la nécessité d’adapter notre législation afin d’encadrer le régime de la rétention à bord des navires est devenue impérieuse à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt précité.

La Cour considère en effet que le parquet « à la française » n’offre pas les nécessaires garanties d’indépendance par rapport à l’exécutif. Dès lors, comment ne pas penser aux conséquences de la future réforme de la procédure pénale que vous proposez ?

Pourtant, il faudrait bien définir des principes pour que la base légale des interventions de l’autorité judiciaire à venir ne souffre pas de contestation et éviter ainsi que la CEDH ne juge « irrégulières » des privations de liberté qui seraient la conséquence de l’arraisonnement d’un navire pirate. Les interventions de nos marins ont besoin de sécurité juridique !

La question du délai maximal de rétention à bord doit être traitée – tel est l’objet de notre amendement n° 1 rectifié bis –, mais, au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce délai ne devrait pas s’allonger.

On vote aujourd’hui, sachant qu’il faudra légiférer de nouveau demain ? Cela me rappelle que quelqu’un nous a dit récemment qu’il fallait « dé-légiférer » ! Nous sommes en plein dedans !

À la vérité, tout un chacun est en mesure de voir dans quelle confusion permanente le Gouvernement place le Parlement !

C’est ainsi que nous venons d’apprendre que tant l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure que la refonte de la procédure pénale étaient reportés aux calendes grecques,…

M. François Trucy. Oui, hors sujet !

M. Didier Boulaud. … ce qui n’est pas forcément un bon signe en ce moment !

En réalité, tout le monde l’a compris, ce sont les instituts de sondage qui gouvernent et légifèrent dans le pays !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères et M. André Dulait, rapporteur. C’est une digression !

M. Didier Boulaud. À l’évidence, notre pays est mené à la godille ! Les Français n’en sont heureusement pas dupes en ce glorieux troisième anniversaire présidentiel ! Vous en conviendrez, mes chers collègues, il est plus que temps de changer de capitaine ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste. - Exclamations sur les travées de lUMP.) D’ailleurs, beaucoup y songent le matin en se rasant, et pas seulement sur les bancs de l’opposition !

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Voilà qui nous entraîne bien loin de la piraterie !

M. Hubert Falco, secrétaire d'État. C’est un discours de politique générale ! (Sourires.)

M. Didier Boulaud. Pour autant, ce projet de loi, dont la rédaction a été bien améliorée grâce au travail de la commission, constitue un premier pas positif, qui est hélas ! limité par la volonté du Gouvernement.

En effet, la refondation de la procédure pénale qui nous sera proposée aboutirait – même si, je le répète, la confusion est totale sur le sujet ! – à confier l’ensemble des enquêtes pénales aux magistrats du parquet, en supprimant le juge d’instruction au profit donc d’un parquet tout puissant. Le Gouvernement exprime ainsi sa défiance envers une justice indépendante.