Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Panis.

Mme Jacqueline Panis. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’application de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, qui a érigé le racolage en délit, ne peut nous laisser indifférents, comme vient d’ailleurs de l’exposer longuement Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, délégation dont je suis membre également.

Cette question nous renvoie à des valeurs profondes que nous soutenons avec vigueur au sein de l’UMP : la dignité et la valeur de la personne humaine. Car, ne nous y trompons pas, la traite des êtres humains en vue de la prostitution est incompatible avec de telles valeurs !

Les femmes, dans la prostitution, sont considérées non pas comme des criminelles qu’il faudrait poursuivre ou punir, mais comme des victimes qu’il faut protéger. C’est d’ailleurs tout le sens de la convention de l’ONU de 1949, que la France a ratifiée voilà soixante ans, afin de réprimer la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui.

La convention ne juge, ni ne pénalise, les victimes de la traite et de la prostitution, mais elle prône la répression de celui qui « embauche, entraîne ou détourne » autrui en vue de la prostitution, même si la personne est consentante.

La prostitution peut apparaître, à bien des égards, comme la plus douloureuse et la plus extrême de toutes les formes d’exclusion sociale dont sont victimes non seulement les femmes, mais également les hommes. Elle concerne essentiellement des femmes en grandes difficultés sociales, parfois en situation de surendettement, qui trouvent dans la pratique de la prostitution un moyen de subsistance et/ou, parfois, de financement de leur toxicomanie. Cette activité est souvent vécue comme une solution de dernier recours.

C’est le respect de l’être humain, en particulier le respect de son corps, qui est ignoré et bafoué dans la prostitution. Il est piétiné de la façon la plus abjecte par le proxénétisme lorsque des femmes ou des enfants sont violés, intimidés, battus, drogués ou réduits à l’esclavage. À nos yeux, il s’agit là d’une forme de crime organisé.

Ayons des mots simples : dans ces conditions, les personnes prostituées sont des victimes, et les proxénètes sont des criminels ! Ayons le courage de le reconnaître ! Peut-être d’ailleurs les femmes le comprennent-elles mieux. Lorsque j’entends dire qu’il y aurait des prostituées libres par opposition aux prostituées esclaves, je me demande dans quel monde nous vivons !

Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes tous convaincus de la priorité absolue de la lutte contre le proxénétisme.

La création, par la loi de 2003, d’une nouvelle incrimination de la traite des êtres humains, ainsi que des mesures d’éloignement de l’étranger coupable de faits de proxénétisme, a apporté des moyens juridiques incontestables pour mieux combattre l’internationalisation du phénomène.

L’application de la loi est différente à Paris, Nancy, Nice ou Clermont-Ferrand. Elle dépend de l’appréciation de l’acte de prostitution par la municipalité, la police, les magistrats du parquet et du siège et, quelquefois, même, les résidents du quartier.

Nous avons choisi d’adopter un système consistant non pas à sanctionner ou réglementer la prostitution en tant que telle, mais à réprimer le proxénétisme, en attendant de l’éradiquer par des politiques sociales de prévention et de reclassement des victimes.

Pourtant, depuis 2003, comme Michèle André l’a rappelé, « Le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles en échange d’une rémunération ou d’une promesse de rémunération est puni de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ».

Cependant, même si l’application de cette loi ne donne pas des résultats parfaits, nous devons constater que ce texte permet des avancées.

Quelle situation curieuse que celle de notre pays qui, avant 2003, traitait les proxénètes d’esclavagistes des temps modernes et en tirait la conclusion que l’exposition du « produit » sur le trottoir ne devait être ni une contravention ni un délit ! Pardonnez-moi d’employer le terme de « produit », mais c’est ainsi que les proxénètes désignent les prostituées !

Le seul moyen de sortir de cette situation toutes ces malheureuses femmes amenées en France, sous couvert d’intentions, était donc de pénaliser le racolage, qu’il soit actif ou passif, et de les raccompagner chez elles, dans le pays où elles ont leur famille, leurs repères et leurs racines, à condition bien sûr qu’elles n’y soient pas en danger.

Il est primordial que la société, dans son ensemble, prenne conscience du fait que la prostitution du xxie siècle utilise et détruit des femmes et des enfants arrivés sur notre territoire avec l’espérance d’une vie libre. Je pense à ces personnes venues d’Afrique ou des pays de l’Est qui sont soumises, pour la plupart, à des réseaux de traite des êtres humains.

Certes, des organisations comme le National Council for Women-Egypt, dont Mme Moubarak est la présidente, mènent des actions très importantes contre la traite des êtres humains, mais ce n’est pas encore suffisant.

Les personnes dont je parle n’ont, la plupart du temps, aucun contact avec nos concitoyens, aucun contact avec les structures médico-sociales. Certaines sont originaires de pays où existent des foyers endémiques de pathologies telles que la tuberculose, les hépatites et le VIH.

Il est donc indispensable de mettre en évidence le rôle des travailleurs sociaux des services spécialisés et celui des associations qui recueillent les premières confidences de victimes sur l’existence d’un trafic, notamment. Ces associations engagent aussi des actions de prévention auprès des familles dont l’un des proches – un enfant majeur, ou parfois mineur, une belle-fille, une sœur ou l’une des amies - a une activité prostitutionnelle. Elles apportent également une aide dans la création de projets d’insertion sociale et professionnelle.

Monsieur le ministre, ma question est double.

En 2003, le ministre de l’intérieur avait pris la décision de doubler les moyens de l’OCRTEH, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, afin de renforcer la lutte contre le proxénétisme. Je souhaiterais que vous nous dressiez le bilan de cette initiative courageuse.

Alors que la « lutte contre les violences faites aux femmes » a été décrétée grande cause nationale pour l’année 2010, pouvez-vous nous rappeler l’ensemble des actions mises en place à ce jour par le Gouvernement pour lutter contre les fléaux que sont la prostitution, les violences et les mutilations ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier Mme André d’avoir pris, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, l’initiative de ce débat, qui nous permet d’aborder aujourd’hui, alors que la lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée grande cause nationale de l’année 2010, la question de la prostitution dans notre pays. Je me réjouis que, grâce à la mobilisation des associations, la prostitution ait été mentionnée explicitement, dans la charte adoptée le 23 janvier 2009, comme l’une des violences faites aux femmes.

En effet, la prostitution, parce qu’elle s’inscrit toujours dans un rapport de domination, ne doit plus être considérée comme une question marginale, et nous nous devons, par respect pour les femmes et les hommes qui en sont les victimes, d’envisager ce sujet sous un angle autre que celui de la répression et de la sanction des personnes prostituées. Nous devons nous intéresser à leur sort, à la manière dont les pouvoirs publics peuvent les aider à se libérer de cette forme d’exploitation qui réside dans la marchandisation du corps humain. Force est de constater que, en la matière, beaucoup reste à faire.

Il y aurait aujourd’hui entre 13 000 et 20 000 personnes en situation de prostitution. L’estimation est bien difficile à réaliser, car elle repose presque exclusivement sur les chiffres fournis par les associations qui accompagnent les personnes prostituées, en matière tant de prévention que d’aide juridique et psychologique.

Pourtant, lors de la discussion de la loi pour la sécurité intérieure, contre laquelle nous avions voté, le Gouvernement s’était engagé, au travers de ce qui allait devenir l’article 52 de cette loi, à remettre chaque année un rapport au Parlement.

En 2005 déjà, par le biais d’une question écrite, j’avais interrogé le ministre de l’intérieur de l’époque sur l’absence de tout rapport, particulièrement regrettable compte tenu de l’importance du sujet. Le ministre avait justifié cette lacune par des retards dus aux services du ministère de la santé. Le rapport prévu par la loi n’aura été remis qu’à une seule reprise, en 2006. Un tel manque de suivi nous fait craindre que les dispositions inscrites dans la loi pour la sécurité intérieure, qui étaient exclusivement répressives, n’aient qu’une efficacité toute relative…

De deux choses l’une, monsieur le ministre : soit la loi, et plus particulièrement les mesures concernant le délit de racolage passif, n’est pas efficace pour lutter contre la traite des personnes humaines, et il faut alors l’abroger, comme nous le demandons, avec les associations ; soit il est impossible de tirer tout bilan, tant sur le plan judiciaire qu’en matière d’accompagnement social des personnes prostituées, et il faut alors le dire.

La culture du chiffre, que des syndicats de la police nationale dénoncent eux-mêmes en parlant de « course aux quotas de PV et de gardes à vue », empêche les forces de l’ordre de faire autre chose que de la répression. Pis encore, d’après les associations qui accompagnent au quotidien les personnes prostituées, les arrestations et les placements en garde à vue, dont l’augmentation du nombre, on le sait, est exponentielle, se multiplieraient, ce qui permet d’accroître le taux d’affaires élucidées et le nombre de faits « révélés par l’action des services », c’est-à-dire sans plainte préalable d’une victime.

Autrement plus grave, monsieur le ministre, les associations de terrain affirment toutes que le principal effet pervers de l’application de la loi pour la sécurité intérieure a été l’éloignement des personnes prostituées des lieux qu’elles avaient l’habitude de fréquenter et où elles pouvaient trouver aide et accueil.

En 2002, M. Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur, disait vouloir « faire cesser la prostitution qui envahit nos villes et nos boulevards » et reconduire à la frontière les prostituées étrangères. Dans les faits, les personnes prostituées sont contraintes de quitter les principaux boulevards – de ce point de vue, l’objectif pourrait être considéré comme atteint ! –, mais elles sont toujours aussi nombreuses. Elles se trouvent reléguées dans des appartements, où elles vivent isolées, les contacts avec les clients s’effectuant par le biais d’internet, ce qui rend leur identification, leur rencontre et leur protection plus difficiles. Cet isolement leur fait courir de très graves dangers, pouvant aller jusqu’à des violences mortelles, et les prive de l’accès aux moyens de prévention des maladies sexuellement transmissibles, notamment le sida.

Lors de nos débats sur le projet de loi pour la sécurité intérieure, nous avions dénoncé la stigmatisation des prostituées, ainsi d’ailleurs que celle des jeunes et des gens du voyage. J’avais personnellement déposé une proposition de loi relative à l’exploitation sexuelle et à la protection de ses victimes dont l’orientation était bien différente de celle du texte du Gouvernement.

Aujourd’hui, les faits nous donnent malheureusement raison. Pour notre part, nous restons convaincus que, en pénalisant et en stigmatisant les personnes prostituées, le Gouvernement se trompe de cible. Nous le réaffirmons : ce ne sont pas les prostituées qu’il faut mettre en prison ; le trottoir en est déjà une, qui leur est imposée par leur proxénète.

Les mesures qui ont été prises vont à l’encontre du travail qu’effectuent les associations dans ce domaine. En effet, elles visent à sanctionner les seules prostituées, l’objectif annoncé étant d’atteindre ainsi indirectement les proxénètes. Les personnes prostituées se trouvent privées de fait de leur statut de victimes pour devenir au mieux co-auteurs d’infractions, au pire responsables de leur situation. Pourtant, il faut le dire et le redire pour faire pièce à certaines affirmations, on estime que de 85 % à 90 %, voire 95 %, d’entre elles sont sous le joug de proxénètes ou de réseaux de proxénétisme. C’est donc sur ces derniers, et non sur les prostituées, qu’il faut concentrer les efforts de répression. Cela exigerait de changer radicalement de regard sur la prostitution et sur celles et ceux qui en sont les victimes.

À cet instant, je rappellerai les propos tenus par le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy en 2002 : « C’est une tartuferie que de considérer les prostituées comme des victimes, de dire que le racolage actif est un délit, et, dans le même temps, de fermer les yeux sur le racolage. » Il nous reste encore un long chemin à parcourir, tant cette façon de voir les choses est répandue !

Aujourd’hui, devant l’échec de la loi pour la sécurité intérieure, je suis consternée de constater que la solution mise en avant est la réouverture des bordels – disons le mot ! Les propos tenus par Mme Chantal Brunel, présidente de l’Observatoire de la parité, qui se dit favorable à l’examen d’une telle possibilité, les maisons closes étant renommées au passage « maisons ouvertes » – et si possible autogérées ! (Sourires) –, me choquent et m’irritent.

Hélas, quelle que soit la terminologie employée, il ne s’agit toujours que de lieux d’exploitation ! Autoriser la réouverture de tels établissements, sous le prétexte fallacieux de garantir aux personnes prostituées de meilleures conditions d’exercice, c’est renoncer par avance à mettre un terme aux violences dont les femmes sont victimes. Quelle aubaine pour le business de la prostitution, extrêmement lucratif, comme chacun sait, qui ne cesse de réclamer la réglementation du travail sexuel en France. Voilà la solution qu’on voudrait nous faire accepter, cahin-caha !

Le groupe CRC-SPG est convaincu que tout doit être mis en œuvre pour faire reculer la prostitution jusqu’à son abolition. C’est pourquoi j’ai déposé, le 8 février dernier, une nouvelle proposition de loi relative à l’exploitation sexuelle et à la protection de ses victimes, qui vise notamment à abroger l’article 225-10-1 du code pénal instaurant le délit de racolage passif.

En effet, il est temps de sortir de la seule approche répressive dirigée contre les personnes prostituées, pour rechercher et sanctionner en priorité les responsables de réseaux qui organisent la traite des êtres humains. Cette mesure, attendue par l’immense majorité des associations, a récemment fait l’objet d’une recommandation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, selon laquelle « la convention de 2005 comme le droit pénal français prévoient que les victimes de traite ou d’exploitation doivent être exonérées de responsabilité pénale dès lors qu’elles ont adopté un comportement illicite sous la contrainte ». La CNCDH rappelle avec raison que « les victimes de traite ou d’exploitation contraintes à commettre des crimes ou des délits doivent être considérées avant tout comme des victimes de délinquance forcée et doivent être exonérées de responsabilité pénale pour avoir commis de tels faits », comme y invite d’ailleurs l’article 6 du protocole de Palerme. C’est pourquoi il nous semble très important d’abroger le délit de racolage, tant actif que passif.

Par ailleurs, la possibilité prévue par la loi actuelle d’accorder un titre de séjour temporaire aux personnes prostituées en situation irrégulière qui dénonceraient leurs proxénètes ne nous semble pas acceptable. Avec cette mesure, la loi conditionne, pour la première fois, un droit fondamental, celui à la sécurité juridique, à la participation à une enquête judiciaire. Là encore, dans son avis de décembre 2009, la CNCDH recommande de « délivrer de plein droit à tout étranger, y compris les ressortissants communautaires soumis à un régime transitoire, à l’égard duquel des éléments concordants (récit circonstancié de la personne, suivi par une association spécialisée ou un syndicat, indices recueillis par les autorités ou tout autre élément disponible) laissent présumer qu’il est victime de traite ou d’exploitation ». C’est ce que prévoit la proposition de loi que j’ai déposée.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de conclure cette intervention en évoquant ce qui nous semble constituer une priorité pour faire reculer durablement la prostitution, à savoir la prévention et l’éducation. Il est de notre responsabilité de réaffirmer ici, et partout où cela est possible, que la situation prostitutionnelle est contraire à ce qu’il est légitime de revendiquer au nom de la liberté individuelle, à savoir une sexualité libre et choisie, fondée sur le désir partagé. Oui, la prostitution est une violence exercée à l’encontre des femmes et des hommes prostitués.

De la même manière, au rebours des politiques menées ces dernières années et tournées vers la répression des personnes prostituées, nous souhaiterions qu’émerge une véritable politique de prévention et de responsabilisation des clients. Ils doivent avoir conscience de la portée de leurs actes et du fait que, en achetant des services sexuels, ils perpétuent une forme de domination assise d’abord et avant tout sur l’argent. Les personnes prostituées sont les victimes de la marchandisation d’une activité qui ne relève pas du domaine marchand mais est néanmoins très lucrative, puisque l’exploitation sexuelle d’une personne rapporterait entre 75 000 et 150 000 euros par an.

Tel est le sens des dispositions que j’ai inscrites dans ma proposition de loi. Le client est un acteur à part entière du système prostitutionnel, on ne peut l’ignorer. S’il ne paraît pas aujourd’hui opportun de pénaliser le client de personnes prostituées majeures – cela pourrait même être contre-productif –, il me semble indispensable de se donner les moyens de changer le regard de la société sur la prostitution, ainsi que, plus largement, sur les rapports de genres.

Mme la présidente. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a complété et durci l’arsenal législatif répressif concernant la prostitution.

Le législateur a voulu répondre à une attente sociale, celle de la lutte contre l’insécurité, qui apparaît au premier rang des préoccupations des citoyens.

À toute époque, la prostitution a constitué un phénomène social, engendrant des préoccupations essentiellement liées à la sauvegarde de l’ordre public.

Pour le code justinien, la prostituée était une femme qui se donnait publiquement pour de l’argent. L’ancien droit français n’a rien gardé des différents éléments de cette définition. Le côté « mercenaire » n’apparaissait pas comme le cœur du délit, ni même comme une motivation, la rétribution constituant un élément secondaire.

En revanche, la notion de notoriété, liée à celle de scandale public, tenait une place considérable et occupe encore de nos jours une position dominante.

En effet, la prostitution se manifeste, le plus souvent, par le bruit public et le témoignage du voisinage. Si la sexualité relève du domaine de la liberté, l’exercice de celle-ci exige cependant une certaine discrétion. Le législateur a donc abordé la prostitution sous l’angle de la protection du citoyen, qui doit pouvoir se déplacer sans que sa pudeur soit offensée. L’objectif politique reste de rendre invisible la prostitution la plus visible, qui s’avère aussi être la moins présentable. L’enjeu, c’est la paix dans l’espace public, plutôt que le sort des prostituées.

C’est ce souci de la tranquillité du citoyen qui a engendré la nouvelle incrimination de racolage public.

Auparavant, le racolage, passible d’une amende, relevait d’une contravention de cinquième classe. Désormais, c’est un délit punissable de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

Surtout, l’article 50 de la loi du 18 mars 2003 réhabilite le délit de racolage passif. Il convient de rappeler que c’est l’ordonnance du 23 décembre 1958 qui avait créé les contraventions de racolage passif et de racolage actif.

Le racolage passif est défini comme une attitude sur la voie publique – lentes déambulations, regards insistants, stationnement sur le trottoir, tenue vestimentaire suggestive – de nature à inviter à la débauche.

Le racolage actif est, quant à lui, l’invitation faite, en un lieu public, par une personne à une autre personne, à commettre avec elle des actes de débauche.

Toujours dans cette optique de maintien de l’ordre public, le législateur de 2003 a également voulu une répression plus dure.

Ainsi, la loi accorde aux policiers des pouvoirs élargis en leur offrant des outils de contrôle nouveaux.

Elle octroie aussi aux autorités de poursuite des pouvoirs d’enquête élargis. Les investigations matérielles sont facilitées, en particulier dans le cadre des visites de véhicules susceptibles d’abriter des amours tarifées et dans celui des perquisitions dans les systèmes informatiques.

Elle étend les contrôles d’identité. À la place de l’indice qui fait « présumer », ce sont « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » qui servent de référence justificative aux contrôles, les personnes prostituées en étant une cible privilégiée.

L’article 21 de la loi du 18 mars 2003 permet aussi de ficher les personnes prostituées.

Cette même loi a manifestement rendu plus difficiles et plus dangereuses les conditions de vie des personnes prostituées, en particulier celles des femmes. Toutes les associations qui leur viennent en aide déplorent l’application d’un texte qui a eu pour conséquence de les condamner à la clandestinité et à l’insécurité, les amenant à solliciter les services d’un quelconque protecteur, si cela n’avait déjà été fait auparavant.

Les hommes et les femmes qui travaillaient à l’orée des bois se cachent maintenant à l’intérieur de ceux-ci. Certains accrochent des sacs plastiques aux branches des arbres pour signaler leur présence ! Celles et ceux qui étaient sur les boulevards ont été refoulés en périphérie des grandes villes, en banlieue ou en rase campagne.

Pour les associations, le pire est de perdre la trace de ces personnes en fuite alors qu’elles encourent des risques terribles, aussi bien pour leur santé que pour leur sécurité personnelle.

« Des policiers ont interpellé des personnes prostituées à la sortie de nos bus de prévention », s’insurgeait dans la presse la directrice de l’association lyonnaise Cabiria. « Nous avons dû suspendre nos tournées nocturnes. Nous continuons à distribuer des préservatifs en voiture banalisée mais nous ne pouvons ni donner de boissons chaudes, ni offrir l’écoute dont ces personnes ont absolument besoin. »

Le dernier débat législatif se caractérisait par une approche de la prostitution essentiellement centrée sur les étrangers en proie aux réseaux mafieux. Les liens entre prostitution et précarité sociale ne sont donc pas seulement oubliés, mais complément niés.

La prostitution doit être appréhendée comme une des manifestations les plus extrêmes des rapports économiques et sociaux. C’est en regard de la fermeture du marché du travail à une fraction de la population, la plus démunie économiquement et culturellement, que la prostitution prend son sens. Vendre son corps pour un usage sexuel reste un des derniers recours possibles lorsque le travail ou même les prestations d’aide sociale demeurent inaccessibles.

L’engagement dans une sexualité vénale n’est jamais un acte volontaire et délibéré. Il résulte toujours d’une contrainte ou, au mieux, d’une adaptation résignée face à la détresse ou à la violence. La frustration sociale constitue une importante logique d’entrée et surtout de maintien dans le marché du sexe.

Dans l’Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, on pouvait déjà lire, avant la Révolution, que la prostitution était « un malheur inévitable pour empêcher de plus grands ».

Dans toutes ces remarques et considérations, du client il n’est nulle part question, comme s’il n’existait pas, ce qui est d’une hypocrisie inimaginable. Il y a les proxénètes, P-DG d’entreprises souterraines, les personnes prostituées, vendeuses et vendeurs, la marchandise – le corps des vendeurs – et… pas d’acheteurs ! Arrêtons de faire semblant ! S’il y a des vendeurs, il y a des clients. C’est une vraie activité, qui doit être reconnue et considérée comme telle, et ce quelles que soient nos positions morales ou humanistes sur la prostitution.

Il n’est plus acceptable que les personnes prostituées soient dépourvues de protection sociale. Dois-je rappeler que l’activité des personnes prostituées n’est pas prohibée, qu’elles peuvent être amenées à payer l’impôt sur le revenu, toujours revu à la hausse par l’administration fiscale ? Cette profession pourrait avoir des représentants dialoguant avec les autorités, ce qui diminuerait le poids des P-DG proxénètes et affaiblirait leur influence.

La voie de la répression à tout prix doit être abandonnée. Les personnes prostituées doivent être respectées si elles exercent ce métier par choix personnel – souvent illusoire –, protégées si elles sont contraintes à le pratiquer.

Mes questions sont les mêmes que celles qui ont été posées par les orateurs qui m’ont précédée, et je n’y reviendrai donc pas.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, arrêtons de stigmatiser des personnes qui sont d’abord les victimes de notre hypocrisie et réglementons cette activité afin de la rendre plus digne et moins dangereuse.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe du RDSE saluent l’initiative de Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a souligné à juste titre que nous parlementaires avons pour devoir de demander des comptes sur les conséquences de l’instauration du délit de racolage passif.

En 2009, 2 315 procédures pour racolage ont été établies, alors que l’on estimait à quelque 12 000 le nombre de personnes prostituées dans la rue.

Au-delà de ces chiffres, nous pouvons dresser un premier bilan, grâce à l’engagement sans faille des réseaux associatifs sur le terrain. Dix-sept d’entre eux se sont unis pour dénoncer les effets pervers dangereux de l’instauration du délit de racolage passif et de la logique du tout-répressif.

Force est de constater aujourd’hui que ces mesures n’ont pas affaibli le système prostitutionnel, bien au contraire. Elles ont, certes, rendu quasiment invisibles une grande partie des personnes prostituées, mais, par réaction, elles ont suscité de nouvelles formes de prostitution, encore plus complexes à appréhender.

Les lieux de prostitution et les formes de racolage ont changé, ce qui a entraîné davantage de clandestinité, le développement de la prostitution dans la sphère privée, l’ouverture massive de pseudo-salons de massage dans toutes les métropoles régionales, le recours à internet et au téléphone portable, en toute impunité, pour racoler les clients sur les nouveaux médias virtuels, au bénéfice d’un proxénétisme qui, lui, n’est pas du tout virtuel.

Il est peut-être temps de s’interroger sur le rôle des médias par rapport à ces publicités à caractère racoleur – c’est le cas de le dire ! –, qu’il s’agisse de la télévision, de la radio, d’internet ou encore des SMS sur téléphone portable.

L’instauration du délit de racolage passif a eu pour conséquence de maintenir les personnes prostituées dans la clandestinité et la misère, dans une plus forte insécurité, doublée d’une précarisation sanitaire et sociale. Elle a ainsi contribué à les stigmatiser davantage et, tout simplement, à les rendre plus vulnérables face aux proxénètes de toute sorte. En disant cela, je pense en particulier aux réseaux de traite des êtres humains, qui prospèrent dans toute l’Europe et au-delà.

Combien peut atteindre le prix de la liberté pour ces jeunes femmes immigrées clandestines, seules face à leurs proxénètes ? Jusqu’à 45 000 euros ! Comment peuvent-elles dès lors s’extraire du cercle vicieux, dans un système fondé sur le tout-répressif ? Leur suivi ne doit pas et ne peut pas se limiter au seul volet sanitaire, non plus qu’à la seule politique de prévention du sida.

Par ailleurs, il est salutaire de s’extraire des clichés sur la prostitution consentante et de considérer les évaluations réalisées par le monde associatif : 80 % des personnes prostituées subissent la prostitution, les 20 % restants regroupant une population plus indépendante, mieux organisée, qui exerce parfois cette activité de façon temporaire.

Ces chiffres font froid dans le dos, tout comme ceux selon lesquels la prostitution concernerait 2 % des étudiantes en France. Ils traduisent malheureusement l’ampleur de la crise que nous traversons et notre incapacité à y apporter une réponse pour les plus démunis.

Qu’en est-il, par ailleurs, du dispositif de répression du proxénétisme ? Qu’en est-il des clients du système prostitutionnel ? Quels moyens sont consacrés par le Gouvernement à la lutte contre ce fléau ? Toutes ces questions restent aujourd’hui sans réponse.

Les associations tirent le signal d’alarme devant l’immobilisme de l’État en la matière. Cette politique, qu’elles qualifient de dangereuse, n’a que trop duré. Elle est d’ailleurs régulièrement montrée du doigt par les instances européennes.

De même, dans un rapport publié en 2008, les experts du Comité pour l’élimination des discriminations à l’égard des femmes recommandent à l’État français de revoir l’obligation faite aux victimes de la traite de porter plainte pour bénéficier d’un titre de séjour ou encore de reconsidérer le délit de racolage passif. Ils demandent une « analyse exhaustive des conséquences de la loi du 18 mars 2003 » et pressent la France de rassembler les données statistiques nécessaires à une meilleure appréhension du phénomène prostitutionnel et de la traite des êtres humains.

En cela, ils rejoignent les préconisations du front associatif, qui invite « les décideurs politiques à la mise en œuvre d’une politique globale et cohérente à la fois respectueuse des personnes prostituées et intransigeante envers ceux qui encouragent ou tirent profit de la prostitution d’autrui ».

Une politique globale de lutte contre la prostitution ne peut en effet se limiter au seul volet répressif, surtout quand celui-ci enferme les personnes prostituées, ses premières victimes, dans des zones de non-droit. Elle doit au contraire comporter un effort de prévention et de protection, soutenu et diversifié.

Pour les prostituées, le volet préventif doit permettre un meilleur accès à l’information et à leurs droits sociaux. Il doit aussi garantir leur prise en charge sanitaire et leur proposer des outils de reconversion, pour les accompagner dans leur émancipation des proxénètes plutôt que pour les maintenir sous le joug de ces derniers !

Pour sensibiliser la société à ces questions, le volet préventif doit mettre l’accent sur la lutte contre les violences faites aux femmes, sur la lutte en faveur de l’égalité des droits entre hommes et femmes ou encore sur l’information des plus jeunes sur ces deux problématiques centrales.

En effet, il faut promouvoir le principe selon lequel le corps humain n’est pas une marchandise : que ce soit celui d’un homme ou d’une femme, qu’il s’agisse de biologie, de procréation ou de pratiques sexuelles, par principe, il ne doit pas faire l’objet d’un marché.

C’est à ces questions de principe, qui motivent notre action au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes, que nous renvoient les multiples visages de la prostitution. Elles se posent à notre société dans son ensemble. Notre responsabilité, en tant que parlementaires, est d’y apporter des réponses en adéquation avec notre modèle républicain.

Sommes-nous prêts, en France, à redéployer la répression vers les proxénètes et les clients, plutôt que vers les personnes prostituées ?

Allons-nous augmenter les moyens consacrés par la France à la lutte contre les réseaux de traite des êtres humains, lutte qui se gagnera d’ailleurs à l’échelle européenne ?

La France peut-elle continuer à mener une politique hypocrite, en acceptant les impôts versés par les personnes prostituées sans pour autant leur garantir leur droit à la dignité humaine?

Doit-on rouvrir les maisons closes pour améliorer les conditions d’exercice de cette pratique d’un point de vue sanitaire ?

Je me refuse à faire mienne cette dernière proposition, pourtant soutenue par 60 % des Français, si l’on en croit de récents sondages. Cette solution confinerait les femmes dans une forme de mise sous tutelle officielle et conforterait l’idée qu’en tant que femmes elles peuvent être consommées comme une marchandise.

Doit-on, pour autant, mettre en place un statut professionnel de travailleur du sexe, comme ont pu le faire certains de nos voisins européens ? Je préférerais que la France suive l’exemple de la Suède. Votée en 1999, une loi y interdit tout achat de service sexuel et pénalise les « clients » sans poursuivre les personnes prostituées, considérées comme des victimes et non comme des coupables. L’un des résultats les plus probants de l’application de cette loi est le recul de la traite des femmes.

C’est pourquoi je veux réaffirmer ici que d’autres solutions existent en dehors d’une clandestinité honteuse, honteuse surtout pour la société qui la tolère ou, pis, l’entretient.

Je privilégie la question des droits, en particulier celle de l’égalité des sexes, et je fais miennes les principales propositions des associations de terrain.

Monsieur le ministre, pouvez-vous prendre l’engagement de supprimer toute forme de répression à l’encontre des personnes prostituées en abrogeant le délit de racolage, passif ou actif, de veiller à l’application réelle de la répression envers toute forme de proxénétisme, de lancer des campagnes de dissuasion des clients « prostitueurs » et, enfin, de mettre en place une véritable politique tripartite d’alternative à la prostitution, entre les personnes prostituées, les associations et les pouvoirs publics, qui soit accessible sans condition de dénonciation ? J’ajoute qu’il est également nécessaire d’inclure le proxénétisme dans la liste des crimes ouvrant droit à indemnisation.

Nous sommes bien obligés de constater que l’application des dispositions de la loi du 18 mars 2003 n’a pas eu l’effet escompté.

Pour conclure, le groupe du RDSE vous demande de tout mettre en œuvre pour renforcer les moyens de fonctionnement des services publics et du secteur associatif qui interviennent auprès des personnes prostituées. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUnion centriste et du groupe socialiste.)