Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord souligner que le fait que la liste des orateurs inscrits dans ce débat ne comporte que deux hommes est en soi symptomatique… Cela montre qu’il reste beaucoup de chemin à faire, y compris pour les parlementaires, dont le rôle consiste pourtant à éclairer, à précéder l’opinion publique sur un sujet aussi délicat que celui-ci, dont le traitement, il faut le reconnaître, n’a jamais été satisfaisant sur le plan politique, au sens premier du terme.

Nous sommes nombreux à affirmer que la prostitution n’est pas un mal nécessaire. L’opinion commune selon laquelle elle jouerait un rôle déterminant dans la diminution du nombre des viols et des violences faites aux femmes est systématiquement démentie par les statistiques, et fait l’impasse sur le sort et les conditions de vie des personnes prostituées, qui ne cessent de se dégrader.

Le Mouvement du Nid dénonce, à juste titre, la prostitution comme un impitoyable système marchand. Pour les professionnels chargés d’accueillir et d’accompagner les prostituées, elle constitue incontestablement une forme de violence faite aux femmes.

Malheureusement, de notre point de vue, la difficile situation des personnes prostituées s’est encore aggravée à la suite de l’adoption de la loi pour la sécurité intérieure. Ce texte a en effet instauré le délit de racolage passif, en ajoutant des contraintes répressives aux violences que subissent déjà les personnes prostituées.

La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée grande cause nationale de l’année 2010. Nous nous étonnons donc de la relative discrétion du Gouvernement sur ce sujet, alors qu’il y a là, véritablement, une occasion de s’intéresser aux violences liées à la prostitution.

Dans le même temps, c’est également l’occasion de poser les bases d’une politique permettant de protéger, d’aider et de réinsérer les personnes prostituées, qui sont majoritairement des femmes. Cela permettrait à notre société de faire un formidable bond en avant dans le traitement d’un phénomène qui exige d’être appréhendé dans sa globalité.

La loi de 2003, qui fait peser pour une large part la menace répressive sur les principales victimes de la prostitution, c’est-à-dire les prostituées, n’est pas de nature à favoriser l’évolution positive que nous appelons de nos vœux. Mais il est vrai que ce texte avait pour principal objet de répondre à l’exaspération légitime de riverains lassés par le spectacle de la prostitution. Ses promoteurs avaient aussi pour objectif déclaré de combattre le proxénétisme, en prétendant bizarrement protéger les prostituées par le biais d’un dispositif qui permet de les emprisonner !

Pour être tout à fait objectif, je me dois d’évoquer également les dispositions relatives à l’ouverture de places en centres d’hébergement et de réinsertion sociale.

Malheureusement, les informations que nous transmettent les associations de terrain nous font craindre que ce volet de la loi ne soit pas réellement appliqué. En effet, l’Amicale du Nid de Haute-Garonne constate que des réseaux mafieux et communautaires de proxénétisme se sont puissamment organisés pour contourner les termes de la loi pour la sécurité intérieure. Elle souligne, par ailleurs, que ses équipes de rue rencontrent de plus en plus de difficultés pour rencontrer le public avec lequel elles travaillent.

Pour toutes ces raisons, nous vous demandons, monsieur le ministre, de nous rassurer sur l’application de la loi de 2003 et de nous faire part de vos intentions. En effet, il convient de faire enfin sortir ce débat de l’ornière et des non-dits, afin de pouvoir envisager des solutions qui soient de nature à permettre à notre société de faire un bond en avant sur cette question. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, même sur un thème aussi délicat, aucun sujet ne doit être tabou.

Je remercie Mme André d’attirer notre attention sur la situation des personnes prostituées, qui doit être examinée avec soin.

La loi de 2003 a apporté un certain nombre de solutions, mais n’a pas réglé tous les problèmes, en particulier celui du proxénétisme. C’est l’une des raisons pour lesquelles notre collègue députée Chantal Brunel a décidé de rouvrir le débat, voilà quelques semaines, en déposant des amendements à la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes.

Selon Mme Brunel, de nombreuses prostituées sont contraintes de se cacher et d’exercer dans la clandestinité, hors de tout contrôle sanitaire et médical. La prostitution est présente dans de nombreux lieux : chambres d’hôtel « classiques » ou gérées par des souteneurs, salons de massage, bars, boîtes de nuit, lieux publics dangereux.

Les propositions de Mme Brunel tendent à instaurer un contrôle à tous les niveaux, notamment social, ainsi qu’un suivi médical individualisé. Elle suggère donc la réouverture des maisons closes, qui seraient gérées par des organismes de contrôle dépendant de l’État ou des collectivités territoriales…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par des bonnes œuvres !

M. Alain Fouché. … et offriraient aux prostituées une protection médicale, juridique et financière.

Cette proposition n’est pas nouvelle.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, elle revient depuis 1946 !

M. Alain Fouché. Je rappelle que le docteur Peyret, député UDR de la Vienne, avait déposé une proposition de loi allant dans le même sens au milieu des années soixante-dix.

Une telle mesure permettrait-elle d’instaurer davantage de contrôle et de suivi ? Donnerait-elle une existence légale aux prostituées, qui sont déjà reconnues par l’administration fiscale ?

Ce type d’établissements existe dans plusieurs pays du nord de l’Europe, notamment en Allemagne, où l’on observerait, semble-t-il, des résultats satisfaisants en termes de sécurité et de santé.

Naturellement, si la France devait envisager de s’orienter vers une telle démarche, il conviendrait d’agir en concertation avec les associations qui aident les personnes prostituées.

Il s’agit d’un dossier difficile, car l’utilisation d’internet rend problématique le contrôle des personnes concernées. Monsieur le ministre, quel est le sentiment du Gouvernement sur cette véritable question de société ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, évoquer la situation des personnes prostituées en France, c’est d’emblée faire le lien avec les enjeux internationaux qui la sous-tendent : rappelons que la prostitution constitue le troisième trafic mondial, après la drogue et les armes ! Selon le rapport pour 2009 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, 79 % des victimes recensées de la traite sont destinées à l’exploitation sexuelle.

En tant que membre de la Délégation française aux assemblées parlementaires du Conseil de l’Europe, au côté de mes collègues Gisèle Gautier et Bernard Fournier, j’ai récemment rappelé, à Strasbourg, la nécessité, pour l’ensemble des États membres, de ratifier la convention du 16 mai 2005 sur la lutte contre la traite des êtres humains. Cette convention est le premier instrument international juridiquement contraignant établissant que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine.

Dans le même temps, la voix des pays réglementaristes se fait de plus en plus forte à l’échelle européenne. Réglementer la prostitution serait ainsi le moyen d’institutionnaliser la prostitution, considérée comme librement consentie, tout en luttant plus efficacement contre la traite ou les réseaux criminels. Or nous voyons bien que ces pays réglementaristes deviennent les destinations privilégiées de ces réseaux : l’offre se dirige vers les territoires où la demande est forte !

On nous objectera que ces personnes prostituées doivent être en situation régulière pour pouvoir « exercer ». Mais on sait très bien que les réseaux criminels ne manquent pas de ressources pour obtenir visas et faux papiers, et passer ainsi plus facilement les contrôles.

La question est alors de savoir si la grande pauvreté doit forcément être exploitée à travers un sexe marchand légalisé et institutionnalisé par les pays les plus industrialisés…

Ma collègue Michèle André a bien mis en lumière les effets catastrophiques de l’application de la loi de 2003 pour la sécurité intérieure sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées en France. Les pressions policières, la répression et la multiplication des gardes à vue les forcent à exercer dans une clandestinité accrue et des conditions de sécurité dégradées. Comme elle, je rappelle la nécessité d’abroger l’article 50 de cette loi.

Mais débattre de la situation des personnes prostituées, c’est également avoir l’honnêteté d’évoquer la réalité du phénomène prostitutionnel, notamment la question du choix. Ce que nous devons dénoncer, c’est à la fois la violence immanente du proxénétisme et le fait qu’une prostitution, même dite libre, est toujours le résultat d’une contrainte sociale, économique ou encore familiale.

Comprenez-moi bien : je ne remets pas en cause la parole d’une minorité de personnes qui défendent une prostitution assumée, revendiquée comme métier, mais elle ne doit pas masquer le silence et la réalité de la situation de l’immense majorité des prostituées, celles qui ne peuvent ou ne souhaitent pas s’exprimer, et qui souffrent.

Malika Nor, dans son ouvrage La prostitution, idées reçues, souligne qu’en France 80 % des personnes prostituées qui s’adressent à des services sociaux ont été victimes de maltraitances et/ou de violences sexuelles dans l’enfance. Pour ces femmes et ces hommes – ces derniers représentent environ 30 % des personnes prostituées –, le « choix » de se prostituer reste souvent tributaire d’une série de cassures diverses.

Il existe, en fait, une sorte de complaisance collective à l’égard de la prostitution, qui permet à la société de se donner bonne conscience…

Non, la prostitution n’est pas glamour ! La violence en est malheureusement partie intégrante. Il est d’autant plus important de le souligner que l’hyper-sexualisation et les dérives mercantilistes que connaît notre société font courir le danger d’une banalisation de la prostitution, y compris chez les populations jeunes, notamment avec la montée inquiétante de la prostitution étudiante.

Face à ce phénomène, il est donc primordial d’informer les jeunes sur les risques prostitutionnels en les sensibilisant, notamment, sur les rapports entre les hommes et les femmes, l’éducation à la sexualité, les attitudes de responsabilité, de prévention et de protection, de soi comme de l’autre.

Pour conclure, je citerai ces propos de l’anthropologue Rose Dufour : « Le choix de se prostituer n’est pas un choix individuel, c’est un choix de société car accepter qu’une catégorie de femmes soit mise au service sexuel des hommes, c’est rendre prostituables toutes les femmes et tous les autres êtres humains. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’ayons pas peur de le dire : pratique ancienne s’il en est, la prostitution liée à la traite des êtres humains connaît un nouvel essor avec la mondialisation.

Industrialisée, banalisée et diffusée à l’échelle mondiale, la traite est devenue plus que jamais une activé engendrant d’immenses revenus. Il y a peu, l’Organisation internationale du travail, l’OIT, estimait à 35 milliards d’euros le chiffre d’affaires annuel lié au trafic des êtres humains, c’est-à-dire au commerce sexuel.

Il convient de s’interroger sur les raisons structurelles du développement d’une telle industrie. La pauvreté apparaît à bien des égards comme la cause fondamentale, l’instabilité politique favorisant et amplifiant le trafic : les femmes sont en effet, la plupart du temps, les victimes de la paupérisation. Les transformations politiques qu’ont pu connaître certains pays ces vingt dernières années ont notamment provoqué l’aggravation des inégalités entre les sexes au regard de l’accès au marché du travail ou des salaires. Ajoutons que la création de nouvelles frontières difficilement contrôlables – je pense, par exemple, à l’ex-Yougoslavie – a permis l’explosion des trafics en tous genres.

Voilà sept ans maintenant que la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, dite LSI, a été votée, introduisant de nouvelles dispositions. Quel bilan pouvons-nous tirer aujourd’hui de son application ?

Nous avions, à l’époque, beaucoup débattu du délit de racolage passif. Il semble bien que cette mesure n’atteigne pas totalement l’objectif visé. Les éléments dont nous pouvons disposer aujourd’hui témoignent des difficultés d’application auxquelles sont confrontés les policiers sur le terrain et les tribunaux. Un flou a été constaté par les avocats et les magistrats, et rapidement confirmé par les premiers jugements.

Il nous faudra peut-être, monsieur le ministre, étudier de plus près ce point, sur lequel vous voudrez bien me donner votre avis.

Cela m’amène naturellement à évoquer le traitement réservé aux proxénètes, voire aux consommateurs, lesquels ne sont presque jamais inquiétés. Si l’on n’y prend garde, le traitement de la prostitution, qui n’est rien d’autre que l’exploitation de l’être humain, avec les violences que cela sous-entend, pourrait s’engager sur une voie répressive faisant passer les prostituées du statut de victimes à celui de délinquantes.

Il est tout de même curieux de constater que si la profession des prostituées est autorisée dans notre pays, sous certaines conditions bien sûr, elle est pénalisée et fiscalisée !

A contrario, des pays nordiques, comme la Suède, suivie en 2009 par la Norvège, appliquent désormais une législation pénalisant très fortement les clients et les trafiquants. L’exemple suédois montre qu’une telle politique produit des effets bénéfiques sur le plan de la traite, les réseaux se détournant d’un pays qui complique leur implantation et leurs activités, ce qui permet d’éviter l’arrivée de trop nombreuses femmes en provenance des pays de l’Est, d’Afrique, voire du Brésil ou de Chine.

Par ailleurs, il faudra se pencher rapidement sur le problème, en pleine expansion lui aussi, du recours à la téléphonie mobile et à internet, qui représente une véritable escalade dans la clandestinité. C’est là un vrai sujet, notamment en ce qui concerne les jeunes femmes mineures : non identifiées, elles ne sont donc pas protégées. À mes yeux, c’est un problème majeur qui mérite des dispositions spécifiques, compte tenu de l’ampleur qu’il prend.

Pour avoir participé récemment à un séminaire organisé à Londres par le Conseil de l’Europe, dont je suis membre, et par l’Union interparlementaire, dont je fais également partie, j’ai pu constater combien la mise en réseau et la mise en commun des actions dans différents pays d’Europe permettent d’obtenir des résultats non négligeables. Monsieur le ministre, vous connaissez beaucoup mieux que moi l’action d’Interpol. De hauts fonctionnaires de la police londonienne ont témoigné de l’efficacité d’une coopération entre les autorités britanniques et roumaines ayant permis de démanteler un réseau de traite, dont on ne pouvait imaginer l’ampleur, la structuration et les ramifications internationales.

En conclusion, pour éradiquer ce fléau croissant, il faut prendre les mesures qui s’imposent, faire preuve de réactivité, s’inspirer des pays novateurs, encourager les gouvernements à coordonner leurs actions, tout en s’assurant de l’efficacité de notre législation.

On le sait, la législation et la réglementation ne suffisent pas toujours, aussi convient-il de les faire non seulement respecter, mais aussi appliquer, dans un souci de protection et de justice, au bénéfice de la société française tout entière. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom de M. Richard Yung.

Il convient tout d’abord de dénoncer les effets néfastes de la pénalisation du racolage passif.

Nous partageons tous, ici, l’objectif de lutter contre les réseaux mafieux de proxénétisme, objectif d’autant plus nécessaire que l’on voit se développer, depuis quelques années, de nouvelles filières.

Pour autant, force est de le constater, le dispositif juridique en vigueur depuis 2003 n’a pas seulement eu pour effet de sanctionner ceux qui exploitent la prostitution d’autrui ; il a aussi gravement précarisé la situation sanitaire, sociale et juridique des prostitués, hommes ou femmes, comme cela a déjà été dit par Mme André.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer combien de réseaux de prostitution ont été démantelés en 2009 et depuis 2003 ? En outre, je souhaiterais savoir combien de personnes prostituées ont été placées en garde à vue en 2009 au titre de l’article 225-10-1 du code pénal.

La politique répressive mise en place par Nicolas Sarkozy alors qu’il était ministre de l’intérieur est fondée sur une méconnaissance de la complexité du phénomène de la prostitution. Sont en effet confondues prostituées victimes de traite ou d’exploitation et prostituées indépendantes.

La pénalisation du racolage passif a fait glisser la France du régime abolitionniste vers le régime prohibitionniste. Il est fort à craindre que la prochaine étape ne soit la mise en cause de la responsabilité des clients. Or, l’exemple suédois prouve que la pénalisation des clients n’est pas toujours une solution aussi efficace que viennent de le dire certaines de nos collègues.

En France, la pénalisation du racolage passif a entraîné une radicalisation de la répression policière, dépassant souvent les limites définies par la loi.

D’après de nombreuses associations – auxquelles je tiens ici à rendre hommage –, une justice policière s’est imposée. De nombreuses personnes prostituées n’ont désormais plus confiance dans les autorités policières et judiciaires et accèdent difficilement au droit et à la justice, y compris lorsqu’elles sont victimes de traite ou d’exploitation.

En outre, la mise en œuvre de la loi pour la sécurité intérieure a eu pour effet de déplacer le phénomène de la prostitution en dehors des villes et de faire émerger des zones de non-droit, dans lesquelles les prostituées sont exposées à des risques accrus.

Depuis l’entrée en vigueur de cette loi, la pénalisation du racolage passif fait l’unanimité contre elle. Le 18 décembre dernier, dans un avis très critique sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, a affirmé que « les personnes prostituées connaissent en France une surveillance exceptionnelle et discriminatoire conduisant à leur stigmatisation, voire leur sanction ou celle de leurs proches ».

La pénalisation du racolage passif méconnaît les engagements internationaux souscrits par la France, notamment la convention de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.

En outre, les poursuites et les sanctions dont font l’objet les personnes prostituées sont contraires à la convention du Conseil de l’Europe du 16 mai 2005 sur la lutte contre la traite des êtres humains, que la France a ratifiée en 2008 et qui prévoit que les victimes de traite ou d’exploitation doivent être exonérées de responsabilité pénale dès lors qu’elles ont adopté un comportement illicite sous la contrainte.

Au vu de ces remarques, monsieur le ministre, je vous demande de suivre les recommandations de la CNCDH en abrogeant le délit de racolage public, qu’il soit passif ou actif, et en appliquant le droit commun aux atteintes à la moralité ou à la tranquillité publiques pouvant découler de l’exercice de la prostitution.

En contrepartie, vous devez proposer de développer la coopération européenne afin d’améliorer la lutte contre les réseaux transnationaux. Le manque d’harmonisation des législations nationales est en effet préjudiciable au démantèlement des filières, notamment dans les zones frontalières.

Pour conclure, je souhaite relever l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour protéger les personnes prostituées qui sont victimes de traite et d’exploitation. Ainsi, l’article 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, introduit par la loi LSI, qui prévoit la possibilité de délivrer une carte de séjour temporaire aux victimes de traite ou d’exploitation de la prostitution, n’est malheureusement pas appliqué de façon satisfaisante. De surcroît, des personnes prostituées ayant dénoncé leur proxénète n’ont, pour autant, pas été protégées contre des mesures de rétorsion.

La CNCDH a souligné le fait que seules les victimes de traite ou d’exploitation de la prostitution qui ont obtenu une carte de séjour pour avoir accepté de coopérer avec les autorités policières et judiciaires peuvent bénéficier d’un accompagnement social. Une telle mesure est discriminatoire. Il est regrettable que la délivrance d’un titre de séjour pour des motifs humanitaires reste, en pratique, exceptionnelle.

Monsieur le ministre, il faut rompre avec une politique exclusivement répressive et renforcer les mesures de protection et de prévention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme André d’avoir pris l’initiative de ce débat sur la prostitution, fléau contre lequel il faut lutter.

Le trafic en vue de la prostitution est devenu une industrie très lucrative, qui suscite l’intérêt des mafias du crime. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la multiplication des réseaux de proxénétisme a été le corollaire de la mondialisation et de l’ouverture des frontières.

Ces activités clandestines engendrent des profits colossaux pour ceux qui les organisent. En 2002, le chiffre d’affaires annuel de la prostitution était de 60 milliards d’euros sur le plan mondial et de 10 milliards d’euros à l’échelon européen. En France, 70 % de ces profits allaient aux proxénètes.

Au sein de ces réseaux, les personnes prostituées, majoritairement des femmes, mais également des hommes, subissent chaque jour harcèlement moral et physique, violences, viols et parfois même tortures.

Cette recrudescence de la prostitution s’accompagne d’un vaste mouvement de sexualisation de notre société, avec l’explosion de l’industrie du sexe, la libéralisation des mœurs, ainsi que l’arrivée de nouvelles technologies, dont internet. Ces évolutions favorisent le développement et une certaine banalisation de la prostitution sous toutes ses formes.

Aujourd’hui, comme l’ont déjà précisé certains de mes collègues, on peut constater que les conditions de vie des femmes et des hommes prostitués, déjà très préoccupantes auparavant, se sont dangereusement dégradées.

La politique des pouvoirs publics, notamment la mise en place de dispositifs discriminants, aggrave cette situation. La création du délit de racolage passif a, par exemple, poussé les personnes prostituées à s’éloigner des centres-villes pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Il en résulte une exposition accrue aux violences et des conditions sanitaires et sociales toujours plus inacceptables.

La précarisation de leurs conditions de vie rend ces femmes et ces hommes de plus en plus dépendants financièrement de leurs clients et, par là même, des exigences de ces derniers. Ils sont, par exemple, beaucoup moins susceptibles d’imposer la pratique de rapports protégés. Ce sont donc plus de dix ans de lutte et d’actions de prévention contre le sida et les infections sexuellement transmissibles qui se trouvent aujourd’hui remis en cause.

Cette situation générale a également une incidence sur le travail des associations, qui constituent le principal vecteur de la politique de prévention auprès des personnes prostituées. Elles font part de difficultés croissantes à établir le contact avec ces dernières, qui sont bien moins réceptives aux campagnes de sensibilisation dispensées sur le terrain, du fait, justement, de la précarisation de leurs conditions de vie.

Il faut ajouter à ce problème l’insuffisance cruelle des moyens accordés à ces associations, qui ne leur permet pas d’établir un véritable lien avec les prostituées, et encore moins de mettre en place un authentique suivi.

Pourtant, la prévention doit jouer un rôle central dans la lutte contre la prostitution. Elle apporte à des personnes qui en ont besoin un soutien et une aide qui leur permettent, parfois, de quitter le cercle vicieux de cette activité.

Il est donc nécessaire que nous, législateurs, mettions en place, en France, une véritable politique de prévention en la matière, qui devra être menée avec l’ensemble des acteurs concernés – décideurs politiques, partenaires sociaux, associations, éducation nationale –, mais aussi avec les citoyens eux-mêmes.

Une telle prévention devrait se faire de deux façons.

En amont, il convient de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes auprès de l’ensemble des citoyens français, en commençant par l’école, et de lutter contre le sexisme et toutes les formes d’asservissement de la femme, qui constituent un terrain fertile pour la prostitution.

Il importe également d’intervenir auprès des personnes en situation de précarité, qui pourraient être amenées à se prostituer pour subvenir à leurs besoins. Ce phénomène de la prostitution dite « transitoire » se développe, notamment, dans les milieux étudiants, où certains jeunes en viennent à se prostituer pour subvenir à leurs besoins, et parfois même payer leurs études.

En aval, directement sur le terrain, il convient d’apporter aux personnes prostituées une écoute, une aide et des solutions leur permettant de sortir de ces situations dramatiques.

Pour qu’elles soient efficaces, ces mesures doivent nécessairement être accompagnées d’un effort accru en matière d’aides financières et humaines, à destination, notamment, des associations et de l’ensemble des organismes venant en aide aux personnes concernées par ce fléau.

Pour conclure, je tiens à le souligner, nous avons le sentiment que la législation française, à l’instar de la loi de 2003, tend à pénaliser des personnes qui sont, pour la plupart, issues de milieux défavorisés ou de pays pauvres et qui sont les victimes d’une industrie. Il est donc indispensable de changer notre politique, en nous attaquant de manière plus claire et plus directe aux origines du phénomène de la prostitution, notamment aux proxénètes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Demontès.

Mme Christiane Demontès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi pour la sécurité intérieure, spécifiquement son article 50, marque une rupture dans l’histoire de la prostitution et de sa place dans notre société.

Depuis sept ans, la personne prostituée est condamnable, son identité sociale et économique est devenue pénale et elle se voit assimilée à un délinquant, à un hors-la-loi. Cette fragilisation statutaire conduit certaines travailleuses du sexe à considérer les violences qu’elles subissent comme faisant partie des « risques du métier », tandis que d’autres intègrent totalement ce stigmate.

Dans ce contexte de précarisation, les violences commises à l’endroit des personnes prostituées ont connu une augmentation sans précédent.

Je voudrais centrer mon intervention sur deux points : les femmes étrangères et les associations.

Si toutes les travailleuses du sexe sont frappées par la disposition que j’évoquais, je souhaite porter une attention particulière aux prostituées étrangères. Comme l’expliquait lors d’une rencontre l’association Cabiria, « les effets de la loi de sécurité intérieure sont bien pires encore pour les femmes étrangères, puisque leur permis de séjour pourra leur être retiré et qu’elles seront expulsées ». Quant à celles qui ne sont pas en situation régulière, en cas d’arrestation, elles sont le plus souvent reconduites à la frontière !

Quel crédit accorder à une disposition législative qui devait permettre aux travailleuses du sexe de bénéficier d’un titre de séjour si elles dénonçaient leur proxénète ? Selon les associations du département dont je suis l’élue, le Rhône, seuls des récépissés de trois mois sont délivrés, et, régulièrement, ils ne sont pas renouvelés, sans explication, alors même que l’enquête judiciaire est en cours.

Qui plus est, dans quelle position se trouvent toutes celles qui ont fui leur pays à cause de la misère ou d’une condition sexiste insoutenable et qui n’ont pas de proxénète ? Monsieur le ministre, ce sont là des interrogations essentielles, qui nécessitent des réponses !

J’évoquerai à présent en quelques mots la situation des associations.

Nous le savons tous, le tissu associatif qui œuvre depuis des années auprès des travailleuses du sexe est essentiel, et plus encore depuis l’entrée en vigueur du texte en question. Or nous constatons que l’engagement des associations s’est à la fois complexifié et précarisé.

Il s’est complexifié parce que les prostituées, désormais considérées comme des délinquantes par la loi, fuyant la multiplication des contrôles et les possibles arrestations, souvent interdites d’exercice dans les villes intra muros, ont déserté les centres-villes et migré en périphérie. Dorénavant, elles travaillent sur des territoires excentrés, quand ce n’est pas en pleine campagne, avec toutes les conséquences que cela emporte.

Cette situation de fait rend le travail des associations beaucoup plus difficile et aléatoire. La sédentarisation des prostituées étant devenue précaire, les contacts entre les travailleurs sociaux et les travailleurs du sexe se trouvent handicapés.

Cette précarisation a également poussé nombre de professionnels du sexe à trouver refuge dans des appartements et à exercer via internet. Cette clandestinité dessert les indispensables actions d’éducation et/ou de prévention sanitaire, mais aussi les suivis individuels.

Or, nous le savons, le travail effectué par ces associations est sans égal : en particulier, grâce au dynamisme associatif, les travailleuses du sexe sont devenues des agents de prévention et de promotion sanitaire : eh oui ! J’en veux pour preuve la gestion de l’épidémie de sida qui a été assurée par ces professionnelles à la fin des années quatre-vingt et jusqu’à aujourd’hui. Avec la loi pour la sécurité intérieure, c’est toute cette dynamique de prévention sanitaire qui a été mise à mal.

Enfin, alors que les dépenses augmentent du fait de la complexification des missions, comment ne pas évoquer les difficultés financières auxquelles se trouvent de plus en plus souvent confrontées les associations, en raison de la baisse, parfois drastique, des subventions de l’État ?

Ainsi, en ajoutant à l’exclusion des personnes prostituées la criminalisation de leur activité, l’article 50 de la loi pour la sécurité intérieure a accentué la précarisation de milliers de travailleurs du sexe et rendu beaucoup plus difficile l’action essentielle des associations accompagnantes. Au regard des objectifs visés, il s’agit d’un échec patent, qui nous conduit à demander l’abrogation de cette disposition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)