Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours difficile de s’exprimer sur cette question sans tabou ni hypocrisie et sans risquer de se faire accuser par les contrôleurs de l’ordre moral, ou même, parfois, par des féministes traditionnelles, qui enferment la prostitution dans certains clichés !

Néanmoins, pour étudier un tel problème, le respect du principe de réalité et le courage politique sont d’une nécessité absolue. Aussi permettez-moi de vous tenir ces propos en toute franchise.

Le fait de se prostituer est considéré en France, depuis longtemps, comme relevant de la liberté individuelle. Notre droit, à cet égard, a toujours considéré la prostitution comme une activité légale.

En marge de cette pétition de principe, il existe des exceptions, dont la liste s’est allongée ces dernières années, de telle manière que la prostitution est devenue un champ du droit pénal à elle seule.

On constate en effet, depuis plusieurs années, une criminalisation accrue des prostituées, qui a connu son âge d’or avec la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003.

Ce texte traduit toute l’ambiguïté de l’approche de la question prostitutionnelle par les pouvoirs publics. Si la légalité de la prostitution est confirmée, son exercice se trouve entravé par un ensemble de dispositions répressives visant, en réalité, à rendre cette activité impossible. En fait, l’objectif de cette loi était de gêner, voire d’abolir, la pratique de la prostitution, tout en validant son existence et, partant, sa légalité.

Ce texte a fourni à la police un outil extraordinaire de répression des prostituées, en organisant une criminalisation rampante de leur activité. Ne pouvant interdire la prostitution, la loi pour la sécurité intérieure est venue la contrarier, par le biais de dispositions pénales dont l’application a précipité les prostituées dans la clandestinité et l’insécurité, très exactement là où elles sont le plus à la merci des réseaux de proxénétisme.

Cette loi repose sur une complète hypocrisie : alors qu’elle était censée lutter contre le proxénétisme, elle est devenue une arme contre les personnes prostituées elles-mêmes.

D’ailleurs, qu’a apporté ce texte sur le terrain de la lutte contre le proxénétisme ? De quels chiffres disposons-nous ? Combien de proxénètes ont été arrêtés et condamnés ? Nous l’ignorons !

À ce jour, aucun rapport n’a été établi sur cette question ; il faut bien l’admettre, les délits de proxénétisme sont plus souvent appliqués aux personnes prostituées qui s’entraident qu’aux tiers qui tirent bénéfice de leur activité.

Telle est la réalité quotidienne des prostituées, qui sont des personnes libres, soit, mais sous un régime de liberté surveillée !

Interdites d’exercice sur les trottoirs, en raison du délit de racolage, interdites d’exercice dans les hôtels, et même dans leurs studios personnels – en raison de la législation sur le proxénétisme, les propriétaires ne veulent plus leur louer de logements –, interdites d’exercice dans des camionnettes en raison des poursuites possibles, les personnes prostituées sont peu à peu reléguées dans les arrière-cours, dans des bois où leur sécurité n’est plus assurée et où leur vie, chaque jour, se trouve mise en danger.

Là est l’atteinte à la dignité de ces femmes et de ces hommes qui ont décidé d’exercer cette activité : ils en sont réduits à travailler dans des lieux insalubres ; la loi qui, prétendument, devait les protéger a précipité leur mise en danger. L’activité prostitutionnelle est devenue clandestine, sans même être interdite, du fait d’une radicalisation pénale, d’une répression accrue pour diverses raisons.

Je n’évoquerai même pas les conditions sanitaires dans lesquelles les personnes prostituées sont aujourd’hui contraintes de travailler. Je me contenterai de rendre hommage aux associations qui œuvrent tous les jours contre cette précarité sanitaire et sociale : je pense, en particulier, au Bus des femmes ou au Lotus Bus, qui accomplissent un excellent travail.

Finalement, quelle incohérence ! On réprime la prostitution sans pour autant la déclarer illégale, on poursuit pénalement les personnes prostituées alors même qu’on les considère comme des victimes…

Le délit de racolage, par exemple, est utilisé pour diverses raisons, étrangères d’ailleurs à la prostitution elle-même.

Tout d’abord, c’est le nettoyage des quartiers qui est visé, ce qui permet de soustraire au regard des habitants une activité qui est devenue gênante, pour ne pas dire offensante, aux yeux de certains. On se donne alors bonne conscience en refusant de voir une réalité qui dérange !

Ce délit est également un outil privilégié pour mettre en œuvre la politique de lutte contre l’immigration, qui trouve là des proies toutes prêtes. Arrêtées pour racolage, des personnes sont ensuite reconduites à la frontière en raison de leur situation administrative.

À cet égard, la protection que l’on avait promise aux personnes prostituées étrangères victimes de réseaux de proxénétisme est restée lettre morte ! Le dispositif d’octroi de titres de séjour à celles qui dénoncent leur proxénète est en panne…

Monsieur le ministre, nous sommes bien conscients qu’il faut lutter contre le proxénétisme. Toutefois, n’existe-t-il pas d’autres moyens pour ce faire que de s’en prendre à ces femmes et à ces hommes directement ?

Depuis plusieurs mois, le décret portant création de la mission de coordination nationale sur la traite des êtres humains est prêt ; il n’est toujours pas paru ! Pourtant, cette instance permettrait d’améliorer la prise en charge des victimes, tout en garantissant une poursuite efficace des auteurs de la traite des êtres humains, notamment des proxénètes. Monsieur le ministre, pourquoi ce décret n’a-t-il pas encore été pris ?

Commençons par lutter efficacement contre la traite des êtres humains et laissons les personnes prostituées exercer leur activité, sans les harceler. En effet, il faut mettre un terme à l’amalgame entre prostitution et trafics, ou à la confusion entre prostitution et racolage : ce sont des choses différentes !

On ne peut présumer une personne prostituée coupable de racolage tant que des éléments probants ne sont pas réunis ! D’ailleurs, je le rappelle, la Cour de cassation donne une interprétation très stricte des éléments constitutifs de ce délit.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, je ne vous demanderai pas d’harmoniser par circulaire cette interprétation des textes : nous devons garder à l’esprit le principe de réalité et supprimer le délit de racolage, qui est la porte ouverte à la criminalisation de la prostitution.

Peut-être devrions-nous avoir le courage d’engager un débat avec les personnes prostituées, afin de reconnaître leur activité, si elles le souhaitent naturellement, ainsi que leurs droits sociaux, sachant qu’elles aussi acquittent des taxes et des impôts. Pour plus de sécurité et plus de garanties, nous devons réglementer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, vous avez souhaité que nous débattions de la situation des personnes prostituées dans notre pays, notamment de l’application du délit de racolage créé par la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2003, et insisté pour que ce soit le ministre de l’intérieur qui représente le Gouvernement.

Effectivement, il s’agit d’une question majeure, aux implications tant juridiques que sanitaires ou sociales, comme l’a souvent souligné Mme Boumediene-Thiery. Il est donc légitime que la représentation nationale évalue l’efficacité du dispositif social et répressif en matière de lutte contre la traite des êtres humains.

La prostitution est un problème sérieux, un problème grave, car elle est d’abord, à bien des égards, une violence, et une violence faite aux femmes – la lutte contre les violences faites aux femmes ayant d’ailleurs été déclarée grande cause nationale de l’année 2010. Le traitement de cette question est révélateur du système de valeurs de notre société et des principes qu’elle entend défendre.

C’est pourquoi, depuis la loi du 13 avril 1946, dite « loi Marthe Richard », la prostitution n’est ni contrôlée ni interdite en tant que telle. Elle n’est pas contrôlée, parce que la France ne considère pas la prostitution comme une activité parmi d’autres. Notre pays défend une position abolitionniste, ainsi dénommée car est abolie toute règle susceptible de légaliser la prostitution, de manière à permettre, par une politique adaptée, d’envisager sa disparition.

Ce qui compte, c’est bien la situation ou le sort des personnes prostituées. Il est d’ailleurs significatif que le service de police spécialisé dans la lutte contre le proxénétisme soit l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains.

Où en sommes-nous? Comment les phénomènes de prostitution et de proxénétisme se présentent-ils aujourd’hui en France ?

En premier lieu, quel est le nombre de personnes prostituées en France ?

Il est difficile d’évaluer avec précision le nombre de personnes livrées à la prostitution dans notre pays. Bien sûr, le système de traitement des infractions constatées, le STIC, centralise les identités de toutes les personnes mises en cause pour des faits de racolage, mais il ne constitue pas en soi un outil statistique. Jusqu’en 1960, les prostituées étaient inscrites dans un fichier médico-social qui a été supprimé lorsque la France a ratifié la convention des Nations unies de 1949 condamnant la traite des êtres humains et l’exploitation de la prostitution d’autrui.

L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains centralise l’ensemble des données relatives à la prostitution. Il estime entre 18 000 et 20 000 le nombre de personnes se livrant à cette activité en France. Il faut souligner que ce chiffre demeure stable depuis plusieurs années. À titre de comparaison, tant les autorités espagnoles que les autorités allemandes évaluent à 400 000 le nombre de prostituées travaillant dans leur pays. Les prostituées seraient en outre environ 20 000 aux Pays-Bas, alors que la population de ce pays ne représente guère plus que le quart de la population française.

En second lieu, d’où viennent les personnes prostituées ?

On estime qu’au moins 80 % des personnes se prostituant en France sont étrangères. Cela a été rappelé, les principaux pays d’origine sont, pour l’Europe centrale, la Bulgarie et la Roumanie, pour l’Afrique, le Nigéria, le Cameroun et le Ghana, pour l’Asie, essentiellement la Chine.

Les jeunes femmes sont presque toujours prises en charge par un réseau qui, bien souvent, est en même temps une filière d’immigration clandestine. Ces passeurs leur font subir un parcours de « mise en condition », imposé soit par la contrainte physique, soit par une forme de pression morale.

Il convient en réalité de distinguer trois types de prostitution.

Tout d’abord, la prostitution visible sur la voie publique, qui concerne principalement les prostituées roumaines, bulgares et africaines, et est en voie de régression.

Ensuite, la prostitution dite discrète, pratiquée dans les salons de massage mais aussi dans les hôtels, où, d’aucuns l’ont souligné, elle tend de plus en plus à se développer grâce aux sites internet d’escort girls, est surtout le fait de jeunes femmes venues des pays d’Europe de l’Est.

Enfin, la prostitution cachée, pratiquée en appartement, est essentiellement le fait de prostituées asiatiques ou de travestis sud-américains.

Bien souvent, les réseaux de proxénétisme font circuler les jeunes femmes entre les différents pays européens, sans les laisser s’attarder trop longtemps dans l’un ou l’autre, afin qu’elles ne se familiarisent pas avec la culture du pays, n’établissent pas de contacts privilégiés et ignorent tout de la législation locale. C’est pourquoi, en France, des villes comme Lille, Strasbourg ou Nice sont plus particulièrement touchées par ce phénomène. Le contact avec les clients se noue sur internet, le site est géré depuis l’étranger, les rendez-vous sont confirmés par SMS, depuis l’étranger également, bien souvent à partir de l’Ukraine.

Dans ces conditions, quels résultats donne la lutte contre le proxénétisme ?

En 2009, quarante réseaux de proxénétisme liés à la criminalité organisée ont été démantelés par la police et la gendarmerie, contre vingt-trois en 2008 et trente-deux en 2007. Il est exact, madame Gautier, que la moitié de ces réseaux provenaient d’Europe de l’Est et des Balkans. Au total, 827 individus ont été mis en cause pour 464 faits de proxénétisme constatés. Sur le long terme, on observe une certaine stabilité du nombre de faits de proxénétisme constatés et du nombre de personnes mises en cause pour ce type d’infractions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous ont cité les exemples de pays voisins.

Force est de constater qu’en Europe ce sont les pays « réglementaristes » qui connaissent le plus grand développement du proxénétisme. C’est le cas de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Italie, de l’Espagne et de la Grande-Bretagne. Ces pays régularisent en quelque sorte la fonction de proxénètes qui y sont considérés comme de simples commerçants. C’est ainsi que des réseaux de type mafieux prennent librement le contrôle des vitrines, des bars à hôtesses et autres Eros centers, que les autorités cherchent d’ailleurs aujourd’hui à éloigner des centres-villes. Contrairement à ce qui a été affirmé, les autorités de police de ces mêmes pays manifestent un réel intérêt pour la façon dont la France appréhende le phénomène. Je pense notamment à l’Espagne, qui souhaite renforcer la répression du racolage pour mieux lutter contre la prostitution de rue.

J’ai bien entendu les arguments de ceux d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui souhaitent revenir sur la législation. La question qui se pose à nous est simple : est-ce précisément au moment où bon nombre de pays européens s’apprêtent à revoir leur réglementation et à se rapprocher de la démarche française que nous allons nous engager dans cette voie ?

Permettez-moi de rappeler pourquoi la loi du 18 mars 2003 a prévu de réprimer toutes les formes de racolage.

Avant cette loi, seuls étaient pénalement réprimés le racolage actif, l’exhibition sexuelle et le proxénétisme. Or, dans les années quatre-vingt-dix et au début des années 2000, les activités de prostitution ont connu une nette recrudescence en France, plus particulièrement à Paris et en proche banlieue.

Dès lors, les pouvoirs publics se sont trouvés confrontés à un double problème.

D’une part, outre des risques sanitaires évidents, la situation dans certains centres-villes et quartiers périphériques était devenue insupportable pour leurs habitants, du point de vue tant de la salubrité que de la tranquillité publiques. Compte tenu de cette évolution, il fallait donc prendre de toute urgence des mesures radicales.

D’autre part, il convenait de ne pas inciter certaines organisations criminelles internationales à exploiter la misère à peu de frais en attirant sur les trottoirs français des jeunes femmes étrangères, sous prétexte que le racolage pratiqué par celles-ci ne les exposait à aucun risque particulier, notamment pas à celui du paiement d’amendes élevées.

La nouvelle incrimination de racolage a apporté une réponse concrète à ces risques et nuisances.

Cela étant rappelé, que doit-on penser de la façon dont cette disposition est aujourd’hui appliquée ?

Certains réclament la suppression pure et simple de l’incrimination de racolage pour, prétendument, inverser le statut juridique des prostituées en les rendant « victimes » et non « coupables » aux yeux de la loi. Je pense très sincèrement qu’une solution aussi radicale aurait pour effet mécanique immédiat de nous faire revenir à la situation que nous connaissions avant 2003, ce qui constituerait tout sauf un progrès. Cela n’améliorerait nullement la situation des personnes prostituées et cela ne les arracherait pas aux réseaux dont elles sont victimes.

Certains ont soutenu que cette incrimination allait inciter les personnes prostituées à poursuivre leurs activités pour payer leurs amendes. Très honnêtement, je pense que la politique pénale suivie depuis 2003 dissipe totalement cette crainte, d’ailleurs compréhensible. On constate au contraire que ces dispositions législatives sont appliquées avec un très grand discernement. Ainsi, si 5 152 procédures ont été établies pour délit de racolage en 2004, ce chiffre n’était plus que de 2 315 en 2009, soit une baisse de 55 %.

Madame Panis, vous avez raison : les prostituées doivent être perçues comme des victimes et traitées en tant que telles, et il en est bel et bien ainsi, sauf évidemment à ce qu’un comportement outrancièrement racoleur ne devienne un véritable trouble à l’ordre public.

Pourquoi cette incrimination demeure-t-elle nécessaire ?

L’application de cette disposition du code pénal a, dans l’immense majorité des cas, permis de libérer les rues du phénomène du racolage. Sans doute pouvons-nous nous accorder pour constater la disparition presque totale des « prostituées visibles » sur la voie publique.

Dans sa dimension dissuasive et répressive, ce dispositif reste un instrument essentiel pour les forces de police et de gendarmerie. Il est par exemple utilisé actuellement à l’encontre de celles que l’on appelle les « marcheuses chinoises », dans certains arrondissements de l’Est parisien, et des prostituées d’origine africaine qui cherchent à nouveau à s’implanter dans certains quartiers, notamment ceux du nord de la capitale.

Ce dispositif a d’autres mérites. Il est pour les policiers et les gendarmes un moyen non pas d’alimenter un quelconque fichier, mais d’essayer de mettre les personnes prostituées en confiance. Ils peuvent alors les orienter vers des structures d’aide et d’accueil, et leur proposer de coopérer dans la lutte contre les réseaux de proxénétisme et les filières d’immigration clandestine.

Il est en effet illusoire de croire qu’une jeune femme d’origine étrangère, parlant peu le français, éventuellement démunie de titre de séjour, recrutée et exploitée de force par un réseau qu’elle craint, contactera spontanément les services de police pour dénoncer ses proxénètes et autres trafiquants. Il faut savoir que, en matière de proxénétisme, les procédures débutant par le dépôt d’une plainte constituent l’exception, puisque cela représente moins de 5 % des dossiers suivis dans notre pays.

Le racolage étant un délit, les policiers peuvent user de leur pouvoir de coercition pour éloigner momentanément la prostituée de son lieu d’activité, la conduire au service pour l’informer de son statut de victime et des droits qui y sont désormais attachés. Il ne s’agit pas d’un détournement de procédure, il s’agit simplement d’utiliser la procédure à bon escient. C’est, en effet, l’un des rares moments où un policier peut communiquer à la personne prostituée les coordonnées d’associations susceptibles de lui porter assistance.

Dans ces conditions, personne ne conteste que les personnes prostituées sont, d’abord et avant tout, des victimes qu’il faut protéger. C’est ce que nous faisons en interdisant le racolage ; c’est aussi ce que nous faisons en mettant en place des mesures d’accompagnement.

Je le dis notamment à l’adresse de Mme André : je ne pense pas que l’incrimination de racolage soit la solution universelle et définitive au problème de la prostitution. Elle n’a, d’ailleurs, jamais eu cette prétention. En revanche, elle a incontestablement contribué à réduire l’ampleur de ce phénomène.

Les prostituées sont considérées comme des victimes. Elles peuvent bénéficier de mesures d’accompagnement social, sanitaire et psychologique. Les articles 42 et 43 de la loi pour la sécurité intérieure offrent aux prostituées d’échapper à la contrainte de leur souteneur, à travers des dispositifs de protection ou la création de places en centres d’hébergement et de réinsertion.

Il n’y a, malheureusement, pas de données statistiques disponibles en la matière. Cela s’explique par le fait que l’accueil des personnes prostituées s’effectue dans des foyers réservés aux femmes, où elles bénéficient de la plus grande confidentialité pour éviter, d’une part, qu’elles ne soient stigmatisées par leur état de prostituées, et, d’autre part, que les proxénètes ne soient tentés de venir récupérer ce qu’ils considèrent comme étant leur marchandise.

Par ailleurs, il existe un système de protection proposé par l’État aux prostituées qui témoignent ou portent plainte dans une procédure contre des proxénètes. Ce dispositif a le mérite d’exister, mais il faut sans doute aller encore plus loin dans la connaissance du phénomène, les mesures de protection des prostituées et la défense de leurs droits.

Des dispositions ont été prises en faveur des prostituées qui aident les services de police ou de gendarmerie dans leur lutte contre les réseaux de traite des êtres humains.

L’article 76 de la loi de 2003 prévoit, par exemple, qu’une carte de séjour temporaire peut être délivrée à la personne prostituée étrangère qui dépose plainte ou témoigne dans une procédure pénale engagée contre son souteneur. Je sais, madame Bourzai, que c’est un sujet qui vous tient à cœur. En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, une carte de résident peut alors être délivrée.

Plusieurs droits sont attachés à la détention de cette carte de séjour temporaire : elle ouvre droit, tout d’abord, à l’exercice d’une activité professionnelle ; elle permet aussi l’ouverture des droits à une protection sociale, à l’allocation temporaire d’attente, à un accompagnement social et, en cas de danger, à une protection policière pendant la durée de la procédure pénale.

Il est également prévu que cette personne prostituée étrangère puisse être orientée, lorsque sa sécurité nécessite un changement de lieu de résidence, vers le dispositif national d’accueil des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme : il s’agit du dispositif Ac-Sé, pour accueil sécurisé.

En 2008, seules cinquante-six personnes ont été signalées à la coordination du dispositif Ac-Sé. Par ailleurs, en 2009, soixante-dix-neuf titres de séjour temporaire ont été délivrés dans le cadre de la lutte contre le proxénétisme. Ces chiffres montrent bien que très peu de personnes prostituées étrangères demandent à bénéficier de ce dispositif, pourtant prévu pour des personnes connaissant de grandes difficultés.

Les instructions données par le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire sont claires : il réclame, à juste titre, un traitement immédiat et personnalisé des victimes afin de porter assistance aux étrangers qui subissent des traitements indignes.

Tout cela est encore insuffisant, et il faut aller plus loin dans la lutte contre ceux qui exploitent la prostitution d’autrui, mais aussi dans la défense, la protection et la réinsertion des personnes prostituées.

C’est pourquoi j’ai demandé à mes services de procéder d’ici à la fin juin à une évaluation des moyens juridiques et opérationnels engagés dans la lutte contre le proxénétisme.

Parallèlement, le groupe de travail interministériel élargi, constitué après la ratification par la France de la convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, doit rédiger un projet de décret portant création d’une structure de coordination nationale et élaborer un plan d’action national en matière de lutte contre la traite des êtres humains. Il a également rédigé un avant-projet de loi portant création d’un rapporteur national, sorte d’autorité administrative indépendante chargée d’observer le phénomène de la traite des êtres humains et de faire des recommandations par le biais d’un rapport annuel.

Il ne m’appartient pas de dévoiler ici le contenu de ce rapport, mais je sais qu’il comportera bon nombre de dispositions qui répondront à vos attentes, madame André, en matière d’information sur le phénomène de la prostitution. Les différentes propositions sont, en effet, organisées autour d’axes majeurs comme la coordination de la lutte, le développement de la prévention, l’identification des victimes, leur protection et leur prise en charge, la répression des auteurs, le contrôle, l’observation et l’évaluation des politiques publiques. Nous allons donc disposer de meilleurs instruments.

Madame Panis, je vous le confirme, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains dispose des moyens d’assurer sa mission de coordination. Au titre de la direction centrale de police judiciaire, l’office compte vingt-cinq policiers, dirigés par le commissaire divisionnaire Jean-Marc Souvira, aujourd'hui présent parmi les commissaires du Gouvernement.

J’indique à Mmes André et Borvo Cohen-Seat que je rendrai bien évidemment le Parlement destinataire du rapport qui me sera remis fin juin.

Mme Borvo Cohen-Seat a en outre évoqué les propositions, formulées ici ou là, de réouverture des maisons dites « closes » ou « ouvertes », selon les cas. Je n’y suis naturellement pas favorable, faut-il le préciser !

Je remercie Mme Dini d’avoir rappelé le code justinien, comme pour inviter à une certaine stabilité de la loi ! Le Gouvernement ne souhaite pas modifier le cadre législatif : nous avons besoin du délit de racolage pour lutter efficacement contre les proxénètes. Je suis attentif aux remarques qui ont été formulées à cet égard, mais il me semble que son abrogation constituerait un signal particulièrement négatif.

Notre approche, madame Laborde, n’est pas celle du tout-répressif. J’en veux pour preuve notre souci d’assurer un accompagnement social des personnes prostituées pour aider à leur réinsertion.

M. Mirassou a rappelé que la lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée grande cause nationale pour 2010. Concrètement, le Gouvernement accélère la mise en œuvre d’un plan d’action tendant au renforcement de la prise en charge des victimes, en liaison avec les associations. Par ailleurs, nous allons améliorer le fonctionnement de la plateforme téléphonique du 39-19, qui est en mesure de répondre à 80 000 appels par an, et mobiliser des moyens permettant d’assurer un meilleur accueil et un meilleur hébergement des femmes en détresse.

Je retiens la suggestion émise par Mme André d’inclure dans la présentation des statistiques de la délinquance un chapitre consacré à la lutte contre le proxénétisme et à la situation de la prostitution.

Monsieur Fouché, je vous confirme que le Gouvernement est favorable à un accès individualisé aux soins pour les personnes prostituées, dans la mesure du possible, et à l’exercice d’un contrôle médical, sans passer toutefois par la réouverture des maisons closes.

Madame Blondin, notre priorité est clairement la lutte contre les filières de criminalité organisée.

Madame Gautier, vous avez évoqué une certaine disparité de la jurisprudence sur l’application de la loi de 2003. C’est un point dont je me suis entretenu avec Mme le garde des sceaux. À la lumière des chiffres qui m’ont été communiqués, il ressort que l’autorité judiciaire applique ce texte avec discernement. Par exemple, les proxénètes sont condamnés en moyenne à deux ans de prison ferme, tandis que les prostituées font l’objet, pour la plupart d’entre elles, d’un simple rappel à la loi, et quand des peines d’amende sont prononcées, le montant ne dépasse pas 300 euros.

Madame Bourzai, je vous ai répondu au sujet de la lutte contre les réseaux : l’effort est non seulement maintenu, mais amplifié.

Madame Bonnefoy, vous avez raison de souligner le caractère international du proxénétisme et les liens de cette forme de criminalité avec les filières d’immigration clandestine. C’est pourquoi le Gouvernement a engagé une politique de lutte contre l’immigration illégale, en complet partenariat, au travers de conventions, avec les principaux pays sources, au nombre d’une dizaine environ. Cette lutte participe à l’évidence du combat contre le proxénétisme.

Madame Demontès, je ne peux pas vous suivre lorsque vous affirmez que, depuis l’entrée en vigueur de la loi de 2003, les violences à l’encontre des prostituées se sont multipliées. Rien ne vient étayer une telle affirmation. De l’avis des policiers qui luttent au quotidien contre la traite des êtres humains, l’abrogation du dispositif de la loi de 2003 entraînerait mécaniquement un renforcement des réseaux, comme on a pu le constater en Espagne. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le gouvernement espagnol souhaite faire évoluer l’arsenal législatif.

Enfin, madame Boumediene-Thiery, je constate que vous restez fidèle à votre goût pour la provocation (Sourires sur les travées du groupe socialiste)… Votre affirmation selon laquelle la loi de 2003 est une arme contre les personnes prostituées relève de ce registre ! Il n’en est rien, cette loi est d’abord et avant tout une arme contre les proxénètes, donc contre les filières et une forme d’esclavage. Nicolas Sarkozy a eu raison de présenter ce texte lorsqu’il était ministre de l’intérieur, et le Parlement a eu parfaitement raison de l’adopter ! Nous sommes déterminés à l’appliquer sur l’ensemble du territoire national, sans renoncer en rien – il faut marcher sur ses deux jambes – à l’accompagnement social des personnes prostituées. J’estime que la politique menée conjointement avec le garde des sceaux et le ministre chargé des affaires sociales et de la solidarité est donc équilibrée ! (Applaudissements sur les travées de lUMP.)