M. Jacky Le Menn. Tout à fait !

M. Claude Jeannerot. Le second principe est que le droit du travail a vocation à stimuler les initiatives individuelles et collectives, et non à les brider. Récusant l’idée de « mettre en place une législation pesante composée de blocages », les lois Auroux de 1982 affirment ainsi que « les travailleurs doivent devenir les acteurs du changement dans l’entreprise ».

Bref, mes chers collègues, le présent texte constituait à l’évidence une occasion de briser enfin cette logique manichéenne et absurde selon laquelle l’intérêt de l’entreprise et les droits des travailleurs seraient antagonistes. En d’autres termes, la sagesse du législateur, par-delà les conservatismes et les pressions de toute nature et de toute origine, ne consiste-t-elle pas, en l’espèce, à affirmer non seulement que le dialogue social ne s’oppose pas à l’intérêt de l’entreprise, mais qu’il en est l’une des composantes ? L’application de ce principe à l’élaboration du projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui aurait pu permettre toutes les audaces. Qu’en est-il dans les faits ?

Vous l’avez dit, monsieur le ministre, ce projet de loi a vocation à compléter la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Il vise notamment à définir les règles de représentation des salariés des TPE, dans un souci d’égalité avec les salariés des autres entreprises. Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose d’ailleurs que « tout homme peut défendre ses droits et intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. […] Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »

Tous les orateurs l’ont rappelé, le système mis en place par la loi du 20 août 2008 demeurait insatisfaisant au regard de cette exigence constitutionnelle, dans la mesure où aucune représentation du personnel n’était prévue dans les entreprises de moins de onze salariés. Nous attendions donc que le projet de loi que nous étudions aujourd’hui corrige cette carence.

À cet égard, deux avancées méritent d’être relevées : d’une part, l’élection des représentants des salariés des TPE selon des modalités spécifiques, et, d’autre part, la possibilité de mettre en place des commissions paritaires. Toutefois, et même si le caractère essaimé des TPE constitue une réelle difficulté, les modalités retenues ne permettent pas d’aboutir à une véritable égalité de droits entre salariés.

Les articles 4 et 5 du projet de loi tendent à instaurer un dispositif permettant de mesurer l’audience des syndicats auprès des salariés des très petites entreprises par un scrutin organisé tous les quatre ans à l’échelon régional. Il est prévu que les salariés votent sur sigle, c’est-à-dire en faveur d’une organisation syndicale, et non pour des représentants nominativement désignés. Autrement dit, les salariés des très petites entreprises n’auront pas de délégués nommément choisis.

On admettra qu’une telle disposition, même si elle permet une avancée, n’apporte pas l’égalité attendue sur un point majeur, celui de la représentation. De ce point de vue, le texte ne répond pas à l’ambition centrale qui lui a été assignée.

S’il convenait certes de minimiser le plus possible les contraintes supportées par les entreprises, il n’était pas fatal pour autant d’aboutir à un texte aussi déséquilibré où, reconnaissons-le, personne ne semble s’y retrouver, ni les patrons, ni les salariés.

Du coup, votre projet de loi est même en retrait par rapport à la position commune du MEDEF et de la CGPME exprimée en 2008. On sait aujourd’hui que ce n’était là que des paroles, mais, à l’époque, ces deux organismes s’étaient engagés, concernant les PME et les TPE, à « se donner les moyens de renforcer l’effectivité de la représentation collective du personnel, afin d’élargir le plus possible le nombre de salariés bénéficiant d’une représentation collective ».

Comment ne pas regretter, dans ces conditions, que le Gouvernement n’ait pas saisi cette ouverture pour promouvoir le dialogue social, alors que des enquêtes effectuées auprès des salariés des très petites entreprises établissent que 70 % d’entre eux souhaiteraient avoir un vrai représentant ? C’était pourtant l’occasion de donner aux salariés le droit de choisir nominativement leurs représentants. A contrario, on demandera aux salariés de voter sans savoir qui siégera dans des commissions dont la création n’est par ailleurs pas certaine. Le résultat sera sans surprise : l’abstention sera forte, ce qui permettra de démontrer, après les avoir organisés, la désaffection et le désintérêt des salariés à l’égard des organisations syndicales. Ce choix ne répond pas – c’est une litote ! – aux enjeux liés aux conditions de travail.

J’évoquerai maintenant le dispositif, trop limité, relatif aux commissions paritaires territoriales. L’article 6 du projet de loi prévoit que des commissions paritaires, professionnelles ou interprofessionnelles, auront pour mission de concourir à l’élaboration et à l’application d’accords collectifs. Ce dispositif est indispensable au regard des exigences constitutionnelles et supranationales. On ne pouvait que se féliciter de son introduction dans le projet de loi, mais vous l’avez conçu de telle sorte que les droits collectifs des personnels des entreprises de moins de onze salariés se trouvent réduits comme peau de chagrin.

En effet, plusieurs dispositions tendent à annihiler la portée de la mesure.

En particulier, la création des commissions paritaires sera facultative. Cela signifie qu’il est peu probable que ces commissions voient le jour, dans la mesure où, rappelons-le, pour être valable, un accord collectif doit être signé par au moins une organisation patronale représentative et par des syndicats représentatifs ayant recueilli au moins 30 % des suffrages aux élections prises en compte pour la mesure de l’audience syndicale.

Depuis l’origine, la CGPME, malgré son accord de principe, voit dans un dispositif qui met en place les droits sociaux les plus élémentaires « l’introduction de la bureaucratie et de la suspicion ». Curieusement, cette position a été relayée à l’Assemblée nationale par certains députés de la majorité, dont M. Copé, qui ont dit ne pas vouloir « donner le sentiment qu’est introduite de manière indirecte une présence syndicale dans les petites entreprises au-delà de ce qui existe aujourd'hui ».

En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de créer les conditions équilibrées d’une véritable démocratie sociale, fondée sur le principe de l’égalité. Or, il est évident que les salariés des très petites entreprises sont moins bien protégés que ceux des entreprises plus importantes : leurs salaires, leur droit à la formation et leurs droits sociaux sont souvent moindres.

Comme l’a indiqué M. le Premier ministre, ce texte, qui n’a rien de révolutionnaire, n’avait à l’origine vocation qu’à donner une traduction concrète aux engagements pris dans la loi du 20 août 2008, approuvée par les partenaires sociaux. Or le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis, malgré les bonnes intentions affichées et de réelles avancées, est vidé d’une partie de ses ambitions initiales. Il reste marqué par une vision selon laquelle l’organisation de la démocratie sociale constitue un risque pour les très petites entreprises.

Il est possible, mes chers collègues, de revenir aujourd’hui à un texte à la fois innovant et prudent, offensif et équilibré, porteur de progrès pour les salariés et respectueux de la liberté d’entreprendre. Oui, il est possible d’élaborer aujourd'hui un dispositif « gagnant-gagnant » pour les patrons et pour les salariés. Comme nous, ils souhaitent une représentation nominative des travailleurs, ainsi que l’instauration de commissions paritaires utiles, c'est-à-dire investies de véritables pouvoirs.

N’est-il pas évident que les avancées sociales servent le salarié, mais aussi le collectif de travail et donc, en fin de compte, l’entreprise tout entière ? N’est-il pas évident que la démocratie sociale constitue l’un des piliers de notre pacte républicain ? Il appartient au législateur d’en organiser le socle : l’occasion nous en est fournie aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants, pour permettre les derniers préparatifs de la retransmission par Public Sénat et France 3 des questions cribles thématiques sur les réformes de la justice, point suivant de l’ordre du jour.

Nous reprendrons la discussion du présent projet de loi à dix-huit heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi complétant les dispositions relatives à la démocratie sociale issues de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008
Discussion générale (suite)

7

Questions cribles thématiques

la justice, le point sur les réformes

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur « la justice, le point sur les réformes ».

Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole, aidé en cela par les afficheurs de chronomètres disposés dans l’hémicycle.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Madame la ministre d’État, je souhaite vous interroger sur l’application de la réforme de la carte judiciaire, en particulier sur ses conséquences immobilières.

Au cours de l’année dernière, presque la moitié des tribunaux qui devaient être supprimés l’ont été. Je passe sur les conséquences dommageables de cette évolution pour les justiciables, notamment pour ceux d’entre eux dont le domicile est éloigné du siège du tribunal d’instance.

Les transferts se sont opérés dans de très mauvaises conditions et les services ont été éparpillés. C’est le cas dans mon département.

La situation sera encore plus difficile au 1er janvier 2011, puisque la réforme devra avoir été entièrement mise en œuvre à cette date. Des dizaines de tribunaux de grande instance auront alors été supprimés et devront être accueillis par d’autres situés dans le même département.

Dans quelles conditions ce transfert va-t-il s’effectuer ? Madame la ministre d’État, avez-vous aujourd'hui des solutions pérennes à proposer ? J’en doute : comme l’a souligné le rapport de la Cour des comptes, quatre ou cinq années s’écoulent entre la décision de construire un nouveau tribunal et son inauguration. Avez-vous donc des solutions provisoires ? Quel sera le coût de ces opérations ? Je n’attends pas une réponse exhaustive de votre part aujourd'hui, mais je souhaiterais que vous m’adressiez des explications écrites aussi détaillées que possible.

Enfin, madame la ministre d’État, je me demande si, dans cette période de nécessaires économies budgétaires, les crédits de votre ministère pourront supporter les coûts d’un tel programme immobilier, même s’il est étalé dans le temps. Ne serait-il pas plus raisonnable de surseoir à l’application complète de cette réforme, qui a été très mal conçue, sans aucune concertation, en attendant que notre économie se porte mieux qu’aujourd'hui ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le sénateur, la réforme de la carte judiciaire avait pour objet de moderniser l’organisation de notre justice en termes d’implantation territoriale. Ce travail a été largement effectué, et il n’est pas de bonne politique de remettre en cause une réforme quand les décisions ont été prises et, de surcroît, validées par le Conseil d'État. Il me revient maintenant de les mettre en œuvre dans les meilleures conditions possibles.

Cette année, vingt et un tribunaux de grande instance ont été fermés dans le cadre de la dernière phase de la réforme de la carte judiciaire. Le processus est donc largement engagé, et il n’est ni possible ni souhaitable d’arrêter ou de reculer.

Les différentes étapes des regroupements sont suivies par la chancellerie au plus près des cours et des juridictions concernées. Comme vous le savez, j’ai demandé à M. le secrétaire d’État à la justice de se déplacer personnellement sur chaque site pour dresser un état de la situation, regroupement par regroupement, qu’il s’agisse de l’immobilier ou des personnels.

Sur le plan immobilier, le regroupement des juridictions représente une centaine d’opérations très diverses, allant de la simple densification jusqu’à la reconstruction.

Sur le plan social, nous avons beaucoup avancé, puisque des solutions conformes aux souhaits des personnels sont mises en œuvre pour les 263 fonctionnaires et les 123 magistrats des tribunaux de grande instance concernés. Il est également procédé à un certain nombre d’aménagements technologiques.

Le coût global de la réforme est estimé à un peu plus de 21 millions d’euros pour l’accompagnement social, à 20 millions d’euros pour l’aide à la réinstallation et à 386 millions d’euros sur cinq ans pour l’immobilier. Ces montants seront respectés et sont inscrits au fur et à mesure dans les budgets.

Je vous communiquerai les informations détaillées que vous souhaitez, mais il n’est pas question d’interrompre la mise en œuvre de la réforme. Au demeurant, cela soulèverait beaucoup de difficultés, puisqu’un certain nombre de personnels ont d’ores et déjà obtenu une nouvelle affectation conforme à leurs attentes.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour la réplique.

M. Jean-Pierre Michel. Je remercie Mme la ministre d’État de sa réponse.

Dans mon département, la situation est claire : deux tribunaux de grande instance ont été supprimés et transférés dans de très mauvaises conditions à Vesoul et à Lure. Les justiciables ne se déplacent plus pour entendre les décisions les concernant.

Quant au tribunal de grande instance de Lure, il doit être accueilli à Vesoul. Si M. le secrétaire d’État à la justice s’est effectivement rendu en Haute-Saône – les parlementaires du département n’ont pas été conviés aux réunions organisées à cette occasion, ce qui est pour le moins étonnant –, il s’est bien gardé d’interroger les magistrats du tribunal de grande instance de Lure et les avocats du barreau local, car il se doutait bien de leur réaction. À Vesoul, il s’est contenté de visiter, en compagnie des élus municipaux, l’ancien hôpital, que la ville souhaite vendre. Y installer le tribunal de grande instance coûterait très cher, mais le maire de Vesoul n’étant autre qu’un de vos collègues du Gouvernement, peut-être cette opération pourra-t-elle se réaliser…

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale a instauré la collégialité de l’instruction, suite à l’affaire d’Outreau.

À nos yeux, cette réforme était peu ambitieuse, mais inscrire dans la loi le principe de la collégialité était positif. Son entrée en application était prévue pour cette année, mais c’était oublier le manque persistant de personnels de justice et la volonté du Président de la République et du Gouvernement de supprimer les juges d’instruction pour rendre le parquet maître des procédures.

Madame la ministre d’État, la contestation soulevée par votre projet de réforme vous a, pour l’heure, amenée à surseoir à son examen. Dans ces conditions, quid des dispositions de la loi de 2007 ? La question des moyens de la justice demeure criante et récurrente. L’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 illustre parfaitement ce fait.

La suppression des tribunaux d’instance éloigne le citoyen de la justice, l’aide juridictionnelle demeure dramatiquement inadaptée, et les crédits du programme « Accès au droit et à la justice » ont même été réduits dans la loi de finances de 2010. Le budget de la justice, l’un des plus faibles d’Europe, a augmenté de 3,5 % en 2010 : c’est bien peu, et de surcroît magistrats et greffiers n’ont rien vu venir !

Promouvoir une justice plus efficace et plus rapide, comme vous aimez à le répéter ? Oui, mais sauf à renoncer à ce qu’elle soit égale pour tous, cela nécessite d’accroître les crédits qui lui sont alloués !

Madame la ministre d’État, la justice continuera-t-elle à s’appauvrir, sous l’effet de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et de la diminution accrue des dépenses publiques ? N’estimez-vous pas urgent de permettre à la justice de disposer de moyens suffisants, décents ? Dans le cas contraire, ce serait obérer sciemment toute possibilité de mettre en œuvre une réforme permettant de rendre la justice plus accessible et compréhensible pour nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Madame le sénateur, il est vrai que la justice a été abandonnée pendant près d’un siècle par les gouvernements successifs et n’a pas bénéficié des augmentations de crédits et d’effectifs qu’ont connues d’autres départements ministériels.

Mais, depuis 2002, la justice fait l’objet d’un traitement favorable tout particulier. C’est ainsi l’un des très rares ministères qui ont vu leur nombre d’emplois augmenter dans le cadre de la RGPP.

Cela continuera, car nous avons effectivement besoin de moderniser notre justice, afin de répondre aux évolutions de notre société, qui connaît notamment une judiciarisation croissante. À cette fin, nous avons mis en place toute une série de réformes, portant sur la carte judiciaire, la procédure pénale, l’aide judiciaire ou la procédure civile. L’objectif est de mettre la justice en mesure de répondre aux demandes des justiciables et, surtout, de remplir son rôle dans le maintien de l’unité de la société. À cet égard, j’entends développer la médiation et la conciliation, qui sont des moyens d’éviter d’aller jusqu’au contentieux.

Contrairement à un certain nombre de gouvernements du passé, y compris ceux que votre formation politique soutenait, madame Borvo Cohen-Seat, nous agissons avec détermination pour moderniser notre justice et notre système pénitentiaire.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour la réplique.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n’ignore pas que la justice est délaissée depuis fort longtemps, mais je constate que, ces dix dernières années, notre pays est passé du vingt-septième au vingt-neuvième rang européen en matière de dépenses publiques consacrées à la justice.

Madame la ministre d’État, je ne partage pas forcément votre point de vue sur l’augmentation des crédits et la judiciarisation de la société. Quoi qu’il en soit, les moyens de la justice sont tout à fait insuffisants.

À cet égard, la réforme envisagée des cours d’assises, dont la presse s’est fait l’écho, nous fait frémir. On dit que ces juridictions sont trop lentes, mais nous manquons de juges, de greffiers et de tribunaux. Dans ces conditions, il est un peu fort de prétendre que le remède à la lenteur des cours d’assises serait la suppression des jurys populaires ! Bien que la justice soit une mission régalienne de l’État s’il en est, va-t-on en arriver à recourir à des partenariats public-privé, non seulement pour construire des bâtiments, mais également pour payer les magistrats ?

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Madame le ministre d’État, je souhaiterais faire le point sur la mise en œuvre de la loi pénitentiaire et, par conséquent, sur la publication des textes nécessaires à son application.

Si l’assignation à résidence avec surveillance électronique, qui permettra de limiter le recours à la détention provisoire, a fait l’objet d’un décret le 10 avril dernier, qu’en est-il de l’obligation d’activité, l’une des mesures phares de cette loi, qui suppose la prise d’initiatives en vue d’offrir des occasions renouvelées de travail ou de formation professionnelle en milieu carcéral ?

Je le rappelle, cette obligation d’activité, qui comporte une consultation des personnes détenues, s’accompagne en contrepartie d’une aide en nature ou en numéraire aux personnes indigentes.

Dans le cadre du développement du travail carcéral, les représentants du Gouvernement s’étaient engagés, lors des débats parlementaires, à mettre en chantier une réforme du code des marchés publics permettant d’attribuer un droit de préférence, à équivalence d’offres, aux entreprises donnant du travail aux personnes détenues ou au service pénitentiaire de l’emploi : où en sommes-nous ?

De même, beaucoup d’espoirs reposent sur l’élaboration de règlements intérieurs-cadres pour chaque catégorie d’établissements pénitentiaires – maisons d’arrêt, centres de détention, maisons centrales –, qui permettraient d’apporter enfin une solution globale à des problèmes quotidiens particulièrement sensibles, concernant notamment le coût des cantines et celui de la location de téléviseurs, ou d’inciter à l’usage de formules classiques de politesse et au vouvoiement.

Enfin, le contrôleur général des lieux de privation de liberté a exprimé devant la commission des lois de notre assemblée son souci de voir respecter la confidentialité des courriers qu’il échange avec les personnes détenues. Qu’en est-il aujourd’hui sur ce point ?

Nous sommes nombreux à être convaincus d’avoir voté un texte fondateur en adoptant la loi pénitentiaire. Il convient que, avec l’aide du Gouvernement et de l’administration pénitentiaire, il puisse s’appliquer dans son intégralité le plus rapidement possible. Je sais que vous y veillez, madame le ministre d’État, et je vous en remercie.

M. le président. La parole est à Mme la ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur Lecerf, ma première responsabilité est de mettre en œuvre la loi pénitentiaire telle que le Parlement l’a votée.

J’ai moi-même souhaité que chaque détenu puisse bénéficier de cinq heures d’activité par jour. En effet, c’est un facteur très important de réinsertion, et donc de lutte contre la récidive. Cela permet sans doute aussi de faire reculer la violence au sein des établissements pénitentiaires.

Il est vrai que la mise en place de ces dispositions s’inscrit dans un difficile contexte de crise. C’est pourquoi j’ai réactivé un certain nombre de contacts afin de fournir de l’activité aux personnes détenues.

Ainsi, j’inaugurerai dans quelques semaines un troisième centre d’appel à la prison pour femmes de Versailles. J’ai également relancé le partenariat avec le MEDEF et signé avec la fondation M6, voilà une quinzaine de jours, une convention relative au développement des activités culturelles en prison, et ce pour des montants non négligeables.

Par ailleurs, la Caisse des dépôts et consignations, après trois expériences réussies d’implantation de cyberbases destinées à donner aux jeunes le goût de l’école par le biais de l’outil multimédia, financera de nouveaux projets dans chacune des régions pénitentiaires.

En outre, en application de l’article 9 de la loi pénitentiaire, cinq régions françaises s’engagent dans l’expérimentation d’actions de formation professionnelle continue des personnes détenues sur leur territoire.

Concernant le droit de préférence, je vous confirme, monsieur le sénateur, que j’ai obtenu l’accord du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi pour introduire une modification du code des marchés publics dans le sens que vous indiquez.

Quant aux dispositions relatives à l’élaboration des règlements intérieurs, le décret d’application sera publié prochainement. Il couvre tous les aspects de la vie en détention.

Enfin, j’ai décidé d’étendre aux communications téléphoniques les mesures garantissant la confidentialité des correspondances adressées au contrôleur général des lieux de privation de liberté et j’ai rappelé très fermement aux directeurs des établissements les consignes en vigueur sur ce point.

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour la réplique.

M. Jean-René Lecerf. Madame le ministre d’État, je vous remercie de ces informations très utiles.

J’aurais pu aussi vous interroger sur la mise en place de l’Observatoire national de la délinquance, de la réserve civile pénitentiaire ou des nouvelles commissions de discipline, mais mon propos ne visait pas à l’exhaustivité. Mon objectif était simplement de rappeler que la loi pénitentiaire représente aux yeux des parlementaires un texte fondateur, qui impose un changement de culture, de façon que la prison ne soit jamais plus ce qu’elle était encore en 2000, c'est-à-dire une « humiliation pour la République ». C’est là notre préoccupation fondamentale.

En conclusion, je forme le vœu que l’administration pénitentiaire fasse davantage preuve de transparence. En particulier, il conviendrait qu’elle donne plus volontiers une suite favorable aux demandes de visite présentées par ceux qui ont pour mission d’informer les citoyens. Pour que les Français se réapproprient les prisons de la République, il faut qu’ils sachent très précisément ce qui s’y passe.

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. J’évoquerai à mon tour la loi pénitentiaire, qui devait enfin permettre l’application des principes les plus élémentaires du respect de la dignité de la personne humaine dans les lieux de détention et mettre fin à la situation intolérable dans laquelle se trouvent nos prisons, en termes notamment de surpopulation carcérale, d’insalubrité, de surreprésentation des pathologies mentales. Les maux qui affectent notre système carcéral en disent long sur l’état général de notre justice, qui apparaît comme l’une des pires d’Europe.

À l’origine, l’initiative du Gouvernement avait été favorablement accueillie. En effet, il était temps que les pouvoirs publics se saisissent de cette grave question. Cependant, nombre d’entre nous se sont, hélas ! rapidement rendu compte que l’application de cette loi ne changeait pas, en tout cas pas dans la mesure que nous souhaitions, la situation des personnes détenues, ni celle du personnel pénitentiaire.

Lors des débats, les parlementaires radicaux de gauche avaient formulé des réserves sur la renonciation au principe de l’encellulement individuel, la prise en charge psychiatrique, le droit à la formation, le régime disciplinaire ou celui des fouilles. Or la politique sécuritaire du Gouvernement n’a fait qu’alimenter les flux d’entrée dans les établissements pénitentiaires, sans que soit menée une véritable réflexion sur les actions de réinsertion. Cette politique, loin d’améliorer la situation, a été sévèrement critiquée par le Comité contre la torture des Nations unies au travers de ses observations présentées le 14 mai dernier.

Dans son dernier rapport, le contrôleur général des lieux de privation de liberté notait que « les personnes sortent rarement autrement que brisées ou révoltées ». Il stigmatisait au passage le fait que la sécurité soit devenue un prétexte pour étendre les limitations aux droits et aux libertés.

Madame le garde des sceaux, qu’avez-vous à répondre aujourd’hui à ces critiques, qui émanent d’autorités à la légitimité incontestable ? Quand allez-vous dépasser le stade des déclarations de bonnes intentions, pour mettre enfin notre droit pénitentiaire en conformité avec les valeurs de la République ?