M. François-Noël Buffet. Ce n’est en effet une surprise pour personne, mais autant que les choses soient claires !

Si nous allons la voter, c’est en particulier parce que cette réforme répond aux légitimes demandes de clarification de l’organisation de nos institutions. (Exclamations sur les mêmes travées. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Je sais bien que Mme Borvo Cohen-Seat a lutté contre le principe de cette clarification, mais la réalité est là : nous avons besoin d’adapter nos institutions au fonctionnement de notre démocratie locale. (M. Roland Povinelli s’exclame.)

Le Sénat a déjà adopté en première lecture ce projet de loi, que l’Assemblée nationale a modifié sur un certain nombre de points, sans pour autant dénaturer les principales mesures que nous avions votées.

C’est par un travail collectif, avec nos collègues députés, que la réforme proposée par le Gouvernement prendra toute la mesure des besoins exprimés par les élus locaux et je tiens en cet instant à saluer le travail exhaustif effectué par le rapporteur, Jean-Patrick Courtois, aux côtés du président Hyest, pour tenter de trouver l’équilibre nécessaire à la sérénité de nos débats.

Il est de notre devoir d’aborder cette réforme en restant fidèles à notre héritage institutionnel, tout en adoptant une organisation territoriale adaptée aux défis de notre époque. Au fil du temps, notre pays a su dégager un modèle original d’administration locale ; à nous d’en préserver l’esprit.

Je le dis clairement : la décentralisation était absolument nécessaire. Elle a contribué à la vitalité démocratique de notre pays, renforcé les libertés locales, consacré une nouvelle forme de gestion publique, plus proche des citoyens. Chacun mesure combien la France a changé depuis une trentaine d’années. D’ailleurs, personne ne songerait à revenir sur cet acquis fondamental.

Pourtant, notre paysage institutionnel est aujourd’hui fragmenté du fait d’un empilement déraisonné de structures administratives. Il était donc nécessaire de réformer notre organisation administrative territoriale, devenue trop complexe.

Je rappelle que nous sommes favorables à la clarification des structures, avec la mise en œuvre d’un bloc communes-intercommunalité scellé par l’unité des élus communaux et d’un bloc départements-région consolidé par le futur élu commun, le conseiller territorial.

À tous les élus locaux qui nous écoutent, dans cet hémicycle, bien sûr, mais aussi dans tous nos territoires, je réaffirme que les communes sont confortées dans leur rôle de cellules de base de la démocratie locale et de notre organisation territoriale, et les propos inquiétants que, de-ci de-là, d’aucuns tiennent sont contraires à la réalité.

C’était l’une des préoccupations majeures du Sénat, et cet objectif est pleinement atteint dans le projet de loi, dont je vais maintenant aborder différents aspects, en commençant par l’institution des conseillers territoriaux.

La commission des lois du Sénat a supprimé, la semaine dernière, les articles concernant les modalités de l’élection du futur conseiller territorial ainsi que le nombre des futurs élus.

Le principe de la création du conseiller territorial a néanmoins été sauvegardé : il est désormais acquis puisque les deux assemblées se sont prononcées de la même manière.

Évidemment, il n’existe pas de mode de scrutin parfait. Il faut donc faire des choix. Le nôtre est clair : il s’agit du scrutin majoritaire uninominal à deux tours, comme nous le propose le Gouvernement dans un amendement que nous examinerons ultérieurement.

C’est un mode de scrutin simple et lisible pour les électeurs. Il permet par ailleurs de maintenir un lien indéfectible entre l’élu et le territoire qu’il représente et donne à l’élu une véritable légitimité.

Le relèvement à 12,5 % du seuil d’accessibilité au deuxième tour des élections cantonales a été maintenu et s’appliquera quel que soit le mode d’élection qui sera retenu à terme.

Sur l’initiative de notre collègue Portelli, le « territoire » a été redéfini comme étant – et c’est un point important – « une circonscription électorale, dont les communes constituent un espace géographique, économique et social homogène ».

En revanche, la commission a supprimé le tableau de répartition des conseillers territoriaux.

Sur ce point particulier, le groupe UMP suivra la proposition du rapporteur Jean-Patrick Courtois de rétablir un nouveau tableau de répartition des conseillers territoriaux ne sacrifiant pas le monde rural – c’était, bien sûr, un enjeu – et aboutissant à un nombre raisonnable d’élus, conformément à l’objectif de simplification.

La commission des lois du Sénat nous invite par ailleurs à poursuivre la réflexion sur les propositions qui nous sont faites pour répondre aux exigences que sont le respect de l’objectif de parité, la place du suppléant des futurs conseillers territoriaux et le cumul des mandats.

Les conséquences de la création des conseillers territoriaux sont désormais claires.

Le mandat de conseiller territorial compte pour un seul mandat. Il est ajouté à la liste des mandats soumis à la limitation de cumul à deux mandats locaux et de représentant au Parlement européen.

Enfin, les conseillers territoriaux sont intégrés dans le collège sénatorial de leur département d’élection.

J’en viens à l’intercommunalité.

La commission des lois du Sénat a noté avec satisfaction que l’économie générale des dispositions prévues pour parachever le paysage intercommunal a été relativement bien préservée, qu’il s’agisse de mettre en place de nouvelles règles pour adapter la composition des conseils communautaires à la démocratisation des EPCI à fiscalité propre, de proposer de nouvelles formes pour adapter les structures à la diversité des territoires, de développer et de simplifier les processus ou d’achever et rationaliser la carte.

Sur de nombreux points, l’Assemblée nationale a adopté le dispositif voté par le Sénat. C’est pourquoi la commission des lois du Sénat a souhaité retenir le texte voté par nos collègues députés. Elle n’a donc apporté aucune modification.

J’insisterai sur deux points importants, en commençant par l’élection au suffrage universel direct des délégués des communes au sein des conseils communautaires des EPCI à fiscalité propre.

Pour les communes de plus de 500 habitants, le système retenu est celui du « fléchage », les premiers de la liste ayant vocation à siéger au conseil municipal de leur commune et au conseil communautaire, les suivants de liste ne siégeant qu’au conseil municipal de leur commune.

Dans les communes de moins de 500 habitants, les délégués des communes sont le maire et les conseillers municipaux désignés dans l’ordre du tableau établi lors de l’élection de la municipalité.

Ces précisions sont importantes, car, sur le terrain, il était nécessaire de rassurer les uns et les autres.

S’agissant ensuite de la rationalisation de l’intercommunalité, elle constitue évidemment la consécration du schéma départemental de coopération intercommunale.

Son objectif est d’établir une couverture intégrale du territoire par des EPCI à fiscalité propre, en prenant en compte notamment des regroupements de population de 5 000 habitants et la rationalisation des périmètres des EPCI existants.

La date fixée pour sa mise en œuvre est le 31 décembre 2011.

Le projet de loi comporte un élément nouveau : la création des métropoles et des pôles métropolitains.

Le rapporteur a proposé à la commission des lois un retour à la définition de la métropole adoptée par le Sénat en première lecture en revenant sur une conception plus restreinte de celle-ci, conception dont je rappelle les aspects essentiels : définition de l’intérêt métropolitain à la majorité des deux tiers du conseil de la métropole ; fixation d’un délai de dix-huit mois pour la signature de la convention de transfert à la métropole de compétences départementales ou régionales ; pour la création de métropoles, extension aux discontinuités territoriales de la dérogation temporaire au principe de continuité territoriale instituée au profit des enclaves ; enfin et surtout, suppression du transfert automatique de la taxe foncière sur les propriétés bâties des communes de ce nouvel EPCI, point important sur lequel la commission des lois a tenu à apporter de profondes modifications.

Sur le sujet des pôles métropolitains, la commission des lois du Sénat a jugé conforme les dispositions introduites par l’Assemblée nationale et n’a donc pas adopté de modification particulière au projet de loi.

Il convient de rappeler que le pôle est constitué par accord des EPCI en vue d’actions d’intérêt métropolitain en matière de développement économique, de promotion de l’innovation, de la recherche et de l’université, de la culture, d’aménagement de l’espace et de développement des infrastructures et des transports afin d’améliorer la compétitivité et l’attractivité de nos territoires.

S’agissant des communes nouvelles, le rapporteur de la commission des lois n’a proposé que des modifications visant à améliorer les qualités rédactionnelles et de coordination du projet de loi, sans apporter de changement majeur, l’axe principal retenu par le Sénat, à savoir l’adhésion volontaire des communes au principe de fusion, ayant été respecté par l’Assemblée nationale.

L’Assemblée a d’ailleurs prévu l’unanimité des conseils municipaux, tant au stade de l’initiative qu’à celui de la décision de créer une commune nouvelle, sans recours à des consultations populaires. L’incitation financière, qui était mal comprise, a également été supprimée.

Autrement dit, et c’est essentiel, il n’y a absolument pas de volonté d’imposer des fusions autoritaires de communes à grande échelle.

J’évoquerai à présent le regroupement des départements et des régions.

Tout d’abord, concernant les procédures de regroupement, l’Assemblée nationale a validé dans son principe le choix opéré par le Sénat de conditionner l’issue du projet de regroupement des départements et des régions à l’accord de chacun des territoires concernés et de sa population.

L’accord de la population de chacun des territoires concernés devra se manifester par la majorité absolue des suffrages exprimés, correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits.

L’Assemblée nationale a également intégré une procédure de consultation du comité de massif compétent, lorsque le territoire est en zone de montagne.

Ensuite, s’agissant de la procédure d’inclusion d’un département à une région limitrophe, la commission des lois du Sénat a, là aussi, souhaité adopter conforme cette procédure, sans remise en cause de ce qui avait déjà été décidé à l’Assemblée nationale.

Enfin, pour ce qui est de la procédure de fusion d’une région et de départements qui la composent, après consultation des électeurs, les assemblées délibérantes de la région et des départements peuvent solliciter la création, par la loi, d’une collectivité qui les réunisse. C’est un point important. Là encore, la commission des lois a adopté conforme ces dispositions.

Pour terminer, il faut bien parler à la fois de compétences et de cofinancements. Cela a fait l’objet de discussions. Sur ce point, la commission des lois a adopté, sans le modifier, l’article 35 qui fixe les grands principes de la répartition des compétences entre les collectivités.

Concernant l’exclusivité des compétences conférées par la loi, il est réaffirmé que seules les communes conservent la clause de compétence générale. Les départements et les régions n’exercent, quant à eux, que les compétences que leur a conférées le législateur, mais disposent d’une capacité d’initiative qui leur permet « par délibération spécialement motivée de se saisir de tout objet d’intérêt départemental pour lequel la loi n’a donné compétence à aucune autre personne publique ». C’était également un point important.

À propos de l’existence de compétences partagées, les compétences en matière de tourisme, de culture et de sport seront partagées entre les communes, les départements et les régions. Cela permet aussi de couper court à nombre de démarches faites auprès des différentes structures sportives ou culturelles de nos territoires dans le but de les affoler en disant que, dès l’année prochaine, elles n’auraient plus rien, et que tout cela serait terminé après 2014. Le texte, de ce point de vue, est parfaitement clair.

M. Pierre-Yves Collombat. Il n’y a plus rien dans les caisses !

M. François-Noël Buffet. Enfin, il existe la possibilité pour une collectivité territoriale de déléguer ses compétences.

En outre, afin d’inciter les départements et les régions à clarifier la répartition de leurs compétences mutuelles,…

M. Didier Guillaume. Cela fonctionne bien ainsi !

M. François-Noël Buffet. … la commission des lois du Sénat a modifié l’article 35 bis en clarifiant les finalités du schéma d’organisation des compétences et de mutualisation des services.

Sans vouloir en rajouter, je dirai que cette réforme, telle qu’elle se présente et eu égard aux structures qui sont mises en place, apporte un démenti, me semble-t-il, assez flagrant à tous les bruits qui ont pu courir, aux inquiétudes, réelles ou, au contraire, suggérées – pour d’autres raisons bien évidemment –, qui ont pu exister.

Nous le verrons au cours du débat qui s’ouvre devant notre Haute Assemblée, nous discuterons sans doute de difficiles points particuliers. L’objectif, pour nous, est que ce texte soit adopté en respectant à la fois ceux qui souhaitent pouvoir avancer et les valeurs que nous devons protéger parce que nous y sommes attachés. En fin de compte et à l’issue de ce débat, le Sénat aura tout intérêt à voter ce texte. En tous les cas, le groupe UMP le fera sans difficultés. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Adrien Giraud applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le Gouvernement, en proposant à l’Assemblée nationale d’abroger un article sur lequel il avait ici même donné un avis favorable et qui était un élément fondamental de l’accord sur le conseiller territorial, a donné non pas un coup de canif, mais un véritable coup de poignard dans le contrat de confiance qui liait la majorité et le Gouvernement. (MM. Roland Povinelli et Raymond Vall applaudissent.) Je tenais à le dire parce que la confiance, c’est important.

Nous avons le droit, depuis à peu près une journée, aux yeux doux de M. le ministre de l’intérieur. Nous en sommes ravis. Mais, lorsque la confiance est trahie, les yeux doux ne suffisent pas.

Quand le Président de la République et le Gouvernement ont annoncé, il y a maintenant plusieurs mois, leur volonté de mener une réforme ambitieuse des collectivités locales, nous avons apporté notre soutien à cette démarche, car nous faisons partie d’une famille politique qui demande depuis longtemps une réforme réelle des collectivités locales.

Le président de notre groupe, qui était alors Michel Mercier, avait fort justement dit, en mars 2009 : « nous devons procéder à une réforme en profondeur de nature à changer les choses, en tenant compte des réalités. À défaut, disait-il, mieux vaut ne rien faire. Nous n’avons pas besoin d’un coup de ripolin supplémentaire ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

C’est vous dire, mes chers collègues, comme nous sommes déçus de constater que le ripolin est de retour. Car, concrètement, de la grande réforme qui nous était promise, que reste-t-il ? On nous avait promis de simplifier le millefeuille territorial, et on en rajoute une couche avec les métropoles – qui sont à un niveau, d’ailleurs, beaucoup trop bas ; nous en reparlerons – et avec les pôles métropolitains.

Dans un deuxième temps, le Président de la République avait dit : « une loi définira les compétences précises de chaque niveau ». Eh bien, il n’y a pas de loi puisque le Gouvernement, montrant, là encore, un certain mépris pour le Sénat, a préféré déposer un amendement en première lecture à l’Assemblée nationale. Le Sénat n’a donc pas eu à examiner en première lecture un projet de loi sur les compétences.

Plus grave, il n’y a pas eu non plus de clarification des compétences puisque l’article 35 qui nous est soumis est tout de même assez extraordinaire. Cet article précise que les collectivités exercent les compétences que leur confère la loi. C’est vraiment quelque chose d’intéressant. Ensuite, il prévoit que les collectivités locales peuvent se saisir de toute compétence qui n’a pas déjà été attribuée. Là encore, c’est une avancée significative. Enfin, cet article dispose que les collectivités, départements et régions, peuvent continuer, de manière concurrente, à prendre en charge le tourisme, la culture et les loisirs. Cela représente, vous en conviendrez, un domaine assez important.

Sur les financements croisés, n’avait-on pas entendu le Gouvernement, d’ailleurs à juste titre, me semble-t-il, les condamner ? Finalement, l’article 35 quater, supprimé par notre commission des lois, est assez extraordinaire lui aussi, puisqu’il précise que les financements croisés ne sont pas autorisés, sauf dans les communes de moins de 3 500 habitants, c’est-à-dire 92 % des communes, sauf en matière de tourisme, de culture et de sport, sauf en présence d’un contrat de projet État-région, et sauf quand l’État assure la maîtrise d’ouvrage, parce que, naturellement, l’État peut alors demander des financements à tout le monde.

Il reste l’intercommunalité. Chacun s’accorde à reconnaître que c’est peut-être sur ce point que les choses vont le plus dans le bon sens. Mais tout dépendra en fait de l’audace – pour ne pas dire du courage – des préfets dans la mise en œuvre des schémas de coopération intercommunale. S’ils font preuve d’audace et de courage, il y aura de réelles avancées. Si tel n’est pas le cas, nous ne progresserons pas beaucoup en ce domaine.

Une chose est certaine : dès lors que l’unanimité de tous les conseils municipaux est requise, il n’y aura pas de créations de commune nouvelle. Vous pouvez donc être rassurés sur ce point.

Il n’y aura pas non plus de fusions de départements, ni même de fusions de régions, alors que le Président de la République avait appelé de ses vœux des grandes régions. Car, là aussi, le dispositif est tellement restrictif que l’on voit mal comment des regroupements de départements et de régions pourraient avoir lieu.

Bref, il ne reste que le conseiller territorial. J’avais dit que j’y étais plutôt favorable. Mais le conseiller territorial seul n’a plus aucun sens. C’était une pièce d’un ensemble où il y avait une clarification des compétences, une simplification des financements, une réduction du millefeuille territorial. Dès lors qu’il n’y a plus que le seul conseiller territorial, j’avoue que je n’en vois pas bien l’intérêt. Et c’est ce qui m’a conduit à dire que la montagne avait accouché d’un rat. Si je n’ai pas dit « d’une souris », c’est parce que, dans l’imagerie populaire, la souris est un animal plutôt sympathique, et que ce texte ne l’est pas car il est marqué du sceau des promesses non tenues (M. Daniel Raoul s’exclame.), des compromissions, des renoncements et du manque de courage.

M. Daniel Raoul. C’est vrai, ça ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Hervé Maurey. Néanmoins, je voudrais rester optimiste. Je veux espérer que le Sénat sera fidèle au vote qui a été le sien sur le mode de scrutin. Je veux également espérer qu’il saura redonner du sens et de l’ambition à cette réforme, en votant notamment les amendements du groupe de l’Union centriste sur le mode scrutin, sur les territoires, sur la parité, sur le cumul, sur les compétences et sur les métropoles.

Car, ainsi que le Président de la République l’a très bien dit, comme souvent : « quitte à faire une réforme, autant faire une réforme intéressante plutôt qu’une moitié de réforme ». (Applaudissements sur de nombreuses travées de lUnion centriste et du groupe socialiste. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Bernadette Bourzai. J’interviens à la place de Jean-Claude Peyronnet, qui a dû s’absenter. La grande loi qui fonde la décentralisation dans notre pays a aujourd’hui vingt-huit ans. Elle réorganisait de façon radicale les pouvoirs de la République. Le but était, en rapprochant les centres de décision du citoyen, de renforcer la démocratie et l’efficacité de l’administration.

Dès le début, la gauche fut convaincue que ces objectifs seraient atteints. La droite, violemment hostile au départ, s’est ralliée assez rapidement devant l’évidence et, comme nous, elle a utilisé localement cette grande innovation.

Mes chers collègues, nous avons fait dans nos régions, nos départements, nos communes et nos communautés de communes du bon travail et nos concitoyens ont largement bénéficié de ces dispositions, et ils l’ont manifesté à plusieurs reprises lors des scrutins. On pourrait multiplier les exemples mais je n’insisterai pas : l’état des collèges, l’état des lycées, les politiques sociales, le foisonnement culturel. Ce sont des points positifs que chacun s’accorde à reconnaître.

C’est à un long chemin, consensuel dans ses grandes lignes, auquel le gouvernement actuel, soutenu tant bien que mal par sa majorité – plutôt mal que bien, si j’ai parfaitement compris –, a entrepris de mettre un terme, appliquant ainsi la volonté élyséenne. Car c’est bien là le cœur de la question. Le Président de la République ne peut pas supporter que des pouvoirs partiellement autonomes survivent dans notre pays. Et pour cela, tous les moyens sont bons.

Rappelez-vous la façon dont les élus locaux ont été cloués au pilori : trop dépensiers, gaspilleurs de l’argent public, se complaisant dans la complexité du prétendu millefeuille territorial afin que leurs sombres manœuvres ne soient pas décelées par le citoyen. On allait simplifier, rationaliser et économiser. On allait « voir ce qu’on allait voir ». Qu’en est-il en fin de compte ?

Simplifier ? En fait de simplification, on a complexifié. On nous propose de créer de nouvelles entités – les métropoles, les pôles métropolitains… – sans rien supprimer. Et, au bout du compte, il est offert aux communes la possibilité de se regrouper en communes nouvelles selon treize modalités !

Rationaliser ? Pour ne prendre qu’un exemple dans le domaine économique, comment vont s’articuler les pouvoirs des métropoles et des régions ? N’est-ce pas un affaiblissement majeur de l’action de ces dernières si elles sont cantonnées à gérer l’économie dans les zones rurales ?

Économiser surtout, et, la démagogie n’ayant pas de limites, économiser d’abord sur les élus. On allait réduire de moitié le nombre des conseillers généraux et régionaux. En fait, selon les derniers projets, leur nombre ne serait réduit que de 25 % environ. Mais, surtout, en professionnalisant les élus départementaux et régionaux, on s’oblige à leur trouver un statut avec cotisations sociales et cotisations retraite. Et on imagine même que les suppléants, ou, plus probablement, les suppléantes, pourraient remplacer les titulaires, notamment dans des représentations. Évidemment, ces gens-là devraient être indemnisés de leurs frais. Les nouveaux élus coûteront plus cher : c’est évident !

Et tout cela s’est fait dans une improvisation surprenante, pour ne pas dire dans une pagaille indescriptible. En vingt ans de vie parlementaire, Jean-Claude Peyronnet n’a jamais connu, me dit-il, sous aucun gouvernement de droite ou de gauche, un tel pilotage à vue multipliant les tentatives et les reculs au gré de la mauvaise humeur du Parlement et, en particulier, de tout ou partie de la majorité.

Nous sommes partis de quatre textes, et l’on n’a cessé de nous expliquer qu’il s’agissait là d’une construction progressive et rationnelle, et surtout qu’il ne fallait pas que la discussion des deux premiers interfère avec la discussion du troisième, relatif au mode de scrutin, et pas davantage avec la discussion du quatrième, qui a trait aux compétences. Et voilà que, subrepticement, le Gouvernement, par un simple amendement, a réglé la question électorale qui devait être traitée dans le troisième texte.

Vous démontrez ainsi, monsieur le ministre, qu’étaient fondées les interrogations et les critiques que nous avons formulées lors de la première lecture et qui portaient sur le mode de scrutin uninominal à un tour, sur le nombre de cantons, sur l’impossibilité de respecter le principe d’égalité des suffrages, sur le recul de la parité, tous points sur lesquels vous avez refusé de débattre.

Vous êtes maintenant dans l’impasse, sauf à rompre les accords que vous avez négociés en première lecture avec une des composantes de votre majorité.

Vous feriez mieux de renoncer et d’abandonner ce projet. Ce serait souhaitable, car vous nous laissez au milieu du gué avec un projet qui, comme on dit en Limousin, n’est « ni fait ni à faire ».

S’agissant des métropoles, il semble évident qu’il était nécessaire, pour des raisons de clarté démocratique et d’efficacité, d’élire les conseillers métropolitains au scrutin universel direct. Cette innovation aurait entraîné une modification du statut des communes. Ce n’était pas gênant, puisque les métropoles sont une nouvelle institution ; mais à condition que l’adhésion des communes soit bien volontaire et qu’elles sachent clairement quel serait leur avenir. Au lieu de cela, en deuxième lecture, on nous propose pour ces métropoles une gouvernance incertaine, malgré le très gros travail de réécriture réalisé par la commission des lois du Sénat.

Pour la clause de compétence générale, la même incertitude peut être relevée. Vous l’avez d’abord supprimée. Puis, vous avez laissé le Parlement la rétablir de fait, mais en la limitant aux seuls domaines de compétences non attribuées, ce qui ne lève pas totalement les ambiguïtés sur la capacité d’investissement des communes.

Ce domaine des compétences attribuées à chaque collectivité est un élément majeur, car il est le moyen, pour chacune des catégories de collectivités, pour peu qu’elle en ait les moyens, d’affirmer ou non son autonomie Or c’est un domaine que vous n’avez jamais eu l’intention de traiter ; vous étiez trop préoccupés par le seul souci de brider les capacités d’action des collectivités territoriales.

En réalité, il faudrait tout reprendre. Ce n’est pas trop tard : il vous suffit de retirer votre texte.

Il faudrait tout reprendre, avec le souci d’un véritable dialogue, une fois accepté le principe du renoncement au conseiller territorial, dont personne ne veut ; le groupe de l’Union centriste vient ainsi de nous dire ce qu’il en pensait...

Alors, tout serait possible. Nous nous prenons à rêver que vous accepterez de discuter de nos propositions, au lieu de les rejeter par principe : instauration du suffrage universel direct pour les métropoles, respect des intercommunalités dans le découpage cantonal, extension de la proportionnelle pour toutes les communes, maintien clair de la compétence générale pour les départements et les régions.

En revanche, il faut revoir les périmètres de compétences entre l’État et les collectivités, et singulièrement entre l’État et les conseils généraux. Les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, par exemple, sont handicapés par un double pilotage du préfet et du président du conseil général,…

M. Didier Guillaume. C’est clair !

Mme Bernadette Bourzai. … qui fait la part belle à la bonne volonté des personnes. Il faut choisir : la totalité de la sécurité civile départementale doit être exercée par le préfet ou par le président du conseil général. Vous ne pouvez pas en rester au projet que vous avez présenté il y a quelques jours aux élus de la Conférence nationale des services d’incendie et de secours, la CNSIS, et qui tend à créer un corps d’officiers d’État contrôlé par lui et coupé de sa base. Discutons-en au Parlement : c’est le lieu pour un tel débat !

De même, il faut affirmer clairement que le financement des grandes allocations de solidarité que sont l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, la prestation de compensation du handicap, la PCH, et le RMI/RSA relève de la responsabilité nationale. Nous avons longtemps pensé que le volume financier qu’elles représentent pourrait constituer un atout pour les départements. Or ces dispositifs fonctionnent de plus en plus mal et les collectivités n’ont plus les moyens de les assumer.

Inversement, des pans entiers de l’administration déconcentrée de l’État n’ont plus de raison d’exister après la mise en place de la révision générale des politiques publiques, la RGPP : les directions départementales du ministère de la jeunesse et des sports – DDJS – ou ce qu’il en reste et les directions régionales des affaires culturelles – DRAC – ou ce qu’il en reste également n’ont plus aujourd’hui de substance. Vous devriez abandonner totalement ces compétences aux élus locaux. Ils savent faire, et ils assument déjà l’essentiel de ces dépenses.

Vous le constatez, il y avait mieux à faire que cette construction baroque d’un conseiller territorial bivalent, qui ne pourra pas assumer sa double charge, mais dont la création accroît, à coup sûr, la confusion, dans la mesure où l’originalité et la complémentarité des deux assemblées locales que sont le conseil général et le conseil régional ne sont pas respectées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur quelques travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre de l’intérieur, lors de la première lecture, vous prétendiez vouloir instaurer, à travers le projet de loi portant réforme des collectivités territoriales, deux nouveaux couples : communes-intercommunalité, d’une part, départements-région, d’autre part. Le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale montre, encore davantage, combien cette présentation était illusoire.

En réalité, le Gouvernement veut, en premier lieu, appliquer la rigueur aux collectivités territoriales, en réduisant leur nombre, principalement au détriment des petites communes.

Je ne conteste pas le principe de l’achèvement de la carte de l’intercommunalité. Nous l’avons élaborée ensemble, monsieur Mercier, nous savons donc de quoi nous parlons. J’observe simplement que la plupart des mesures adoptées, ou proposées, visent à durcir son fonctionnement et à renforcer les pouvoirs du préfet.

Pourquoi tant de méfiance à l’égard des élus ? On a l’impression que le Gouvernement veut mettre en place un marteau-pilon pour écraser une mouche !

Il serait si facile, monsieur le ministre, de donner aux préfets des directives leur recommandant la concertation avec les élus et la souplesse dans l’application des dispositifs. Les préfets savent faire. Ils n’ont que très rarement besoin de prendre des dispositions coercitives. Ils peuvent compter sur le sens de l’intérêt général des élus locaux.

Dans une démocratie normale, l’intérêt général n’est pas incarné par les préfets – quels que soient leurs mérites –, hauts fonctionnaires de grande qualité et que je connais bien, mais doit résulter d’un dialogue approfondi avec les élus, qui ont pour eux la légitimité du suffrage universel, dans le cadre, bien entendu, des collectivités qu’ils administrent.

M. Jean-Pierre Chevènement. Tant de précautions nous interpellent : quel sort voulez-vous réserver à nos communes, dans un premier temps, à travers la transformation des intercommunalités en quatrième niveau de collectivités, et surtout peut-être, dans un second temps, à travers le dispositif dit des « communes nouvelles » ?

Nous sommes tellement favorables à l’intercommunalité que plusieurs membres du groupe RDSE et moi-même vous proposerons d’en faire les briques de base de la constitution des territoires, qui se substitueraient, selon l’amendement présenté par M. Portelli et adopté par la commission des lois, aux cantons actuels.

Nous vous proposerons, à cet effet, d’avancer au 1er mars 2013 la date d’achèvement de la carte de l’intercommunalité. Évidemment, cela compliquera un peu votre travail de redécoupage, mais ce serait tellement plus clair du point de vue de la représentation effective de nos bassins de vie, et tellement plus conforme à la démocratie !

Mais est-ce vraiment là votre souci ?

Nous sommes très inquiets de ce que vous voulez faire à travers les fameuses « communes nouvelles ».

Nous sommes soucieux de voir que vous avez repris en commission des lois le texte de l’Assemblée nationale, revenant ainsi sur l’approbation de la création de ces communes par référendum, voulue en première lecture par le Sénat. Désormais, aux termes de votre texte, le préfet pourrait proposer la création d’une commune nouvelle en s’assurant de l’approbation des seuls conseils municipaux.

Sur ce point, je ne partage pas l’avis de M. Maurey, qui m’a précédé à cette tribune. Quand on connaît les moyens de pression dont disposent les préfets, mais également certains présidents de conseil général ou d’intercommunalité, on mesure que, si vous le vouliez, vous pourriez réussir là où la loi Marcellin avait échoué : réduire drastiquement le nombre des communes, à l’instar de la Belgique et de l’Allemagne, en le faisant passer, dans l’idéal, de 36 600 à 2 600, ce qui correspond au nombre des EPIC, chacun d’eux ayant théoriquement vocation à se transformer, un jour, en commune nouvelle. Vous n’irez pas jusque-là, bien sûr, mais l’intention est là.

Un tel dessein méconnaîtrait profondément le besoin de proximité de nos concitoyens, l’enracinement multiséculaire de nos communes et le rôle irremplaçable des 500 000 élus locaux, qui sont, pour la plupart, quasiment bénévoles.

Supprimer les communes, qui tiennent encore le pays, à un moment où les services publics se défont et où l’administration est en proie à la RGPP, ce serait défaire le lien social. Vous le savez, monsieur le ministre, c’est le maire que l’on appelle quand la maison brûle ou lorsqu’un désordre apparaît !

Aussi bien la « commune nouvelle » ne répond-elle à aucun besoin profond, l’intercommunalité ayant largement permis de résoudre efficacement le problème posé par l’émiettement communal. Le prétexte des économies budgétaires est risible. Certes, vous en faites sur le dos des collectivités locales, dont vous aviez annoncé, avant même le rendez-vous fiscal prévu en juin par la loi de finances pour 2010, le gel des dotations.

M. Hortefeux, en second lieu, déclarait vouloir installer un couple départements-région, sans doute pour justifier la création du conseiller territorial. Qu’en reste-t-il ?

Là encore, c’est une mauvaise idée : chacun de nos trois échelons territoriaux – commune, département et région – devrait avoir ses propres élus, chacun en vertu d’un mode de scrutin différent.

En fait, M. Balladur semblait avoir vendu la mèche : il s’agissait, selon lui, de faire s’évaporer les départements dans la région. Mais la mèche était mouillée : les métropoles, dans l’esprit du Gouvernement, semblent avoir détrôné les régions. Et on ne sait plus très bien si l’élection des conseillers territoriaux ne va pas entraîner la condensation de la région dans les départements, plutôt que l’évaporation de ces derniers dans celle-ci. (Sourires.)

Chaque président de conseil général siégera en effet au conseil régional, avec derrière lui ses barons. Je souhaite bien du plaisir aux futurs présidents de région ! (Marques d’approbation sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Est-ce bien cela que vous voulez ? Vous ne le savez plus vous-même, comme le montre la création des métropoles, dont l’Assemblée nationale a encore accru le champ de compétences au détriment des départements et des régions, ainsi décapitées.

Où se situera le siège de ces départements moignons et de ces régions étêtées ? Dans la métropole ou dans un nouveau chef-lieu ?

La création de métropoles repose sur une idée fausse : si nos grandes villes ne peuvent se comparer aux grandes villes allemandes, espagnoles ou italiennes, c’est tout simplement parce que la France s’est faite autour de Paris, qui est une ville-monde.

Vous ne pouvez à la fois faire le Grand Paris et créer, en France, de véritables métropoles européennes, à l’exception peut-être de Lyon, Marseille et Toulouse...

Vous allez casser le « jardin à la française » de notre organisation territoriale. Sept régions et sans doute une bonne douzaine de départements verront leur cohésion gravement perturbée. Les inégalités se creuseront entre ces métropoles qui se dresseront, comme les donjons d’autrefois, à l’horizon de forêts et de friches où survivront de nouveaux manants. (Sourires.)

L’Assemblée nationale a tout de même fait une bonne chose : maintenir, comme le Sénat l’avait proposé pour les fusions de régions et de départements, l’exigence de délibérations concordantes des conseils élus et d’un accord de la majorité absolue des électeurs inscrits dans chaque collectivité.

Elle a surtout prévu à l’article 13 bis, et comme je le souhaitais, un strict encadrement de l’éventuelle fusion d’une région et des départements qui la composent.

Il n’en reste pas moins, monsieur le ministre, que cette réforme posera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.

Prenons le cas de l’Alsace. Une fois la merveilleuse ville de Strasbourg érigée en nouvelle principauté, on fusionnera le Haut-Rhin avec ce qui restera du Bas-Rhin, une sorte de croissant allant de Sélestat à Wissembourg, en passant par Saverne, afin de contourner Strasbourg.

Cela ne tient pas debout ! Que de casse-têtes en perspective ! Et je ne parle pas de la désignation des conseillers territoriaux, selon un mode de scrutin que le Sénat devait être le premier à connaître, comme l’a judicieusement rappelé le rapporteur M. Jean-Patrick Courtois. Là aussi, le Gouvernement semble atteint d’une sorte de danse de Saint-Guy, proposant à l’Assemblée nationale un amendement contraire au texte qu’il avait accepté au Sénat lors de la première lecture. Cet amendement a d’abord été retiré, puis réintroduit par le Gouvernement.

Pour ma part, je considère que ce mode de scrutin uninominal à deux tours est le moins mauvais. Il permet d’ancrer les élus dans les territoires. Il favoriserait cependant un bipartisme excessif si le seuil de qualification pour le deuxième tour n’était pas abaissé.

Que veut, en définitive, le Gouvernement ? Parfaire l’intercommunalité, ou bien en faire un quatrième niveau de collectivités et l’antichambre de « nouvelles communes » se substituant aux anciennes ? Magnifier les régions ou, au contraire, les décapiter par l’institution des métropoles ? Interdire les « financements croisés », ou les laisser à la discrétion des régions et des départements ? Vous ne le savez plus vous-même !

Je m’autorise, monsieur le ministre, un pronostic : faute d’être pragmatique et consensuel, votre projet de loi, s’il est voté, n’aura pas grand avenir. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC-SPG. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.