Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Alduy.

M. Jean-Paul Alduy. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je vais vous donner lecture du texte de l’intervention de Melle Sophie Joissains, empêchée.

« Permettez-moi d’égrener, au sein de ce débat, les quelques convictions principales qui me poussent à voter ce projet de loi, et cela sans empiéter sur l’excellent travail, que je salue, réalisé tant par le président Jean-Jacques Hyest et la commission des lois que par notre rapporteur, François-Noël Buffet.

« D’abord, avant tout juriste, je crois sincèrement qu’une loi est nécessaire en la matière. Pourquoi ? Seul le Parlement, élu par la nation comme émanation du peuple, dispose de la légitimité nécessaire pour réglementer l’exercice d’une liberté publique. C’est bien là notre maxime : “ Par le peuple, pour le peuple et avec le peuple ”.

« Je crois que le Conseil d’État a donné une définition suffisante de l’ordre public immatériel ou sociétal, point qui a fait couler autant d’encre que de salive, pour que cette notion soit consacrée ; à nous maintenant de la légitimer par une loi.

« À ceux qui avancent l’argument numérique, prétextant que seules 2 000 personnes sont concernées, je rétorque la phrase de Montesquieu : “ Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous. ” Aucune écorchure à la face de notre République ne doit être tolérée, au risque de menacer l’édifice tout entier.

« Le premier point essentiel à mes yeux est que ce projet de loi pose le débat sur le plan sécuritaire. Ce texte interdira à tous les citoyens la dissimulation volontaire et permanente d’identité, de quelque manière que ce soit, avec les quelques exceptions nécessaires. Cette approche permet de traiter tous les citoyens de la même manière, principe d’égalité, comme l’énonce notre Constitution, puisque tous les hommes naissent libres et égaux en droit.

« Car la France se vit à visage découvert, pour tous, lorsque nous sommes dans l’espace public. Quels sont ces lieux, finalement ? Tous ceux où la société s’exprime dans son ensemble, où l’on vit ensemble ; bref, toutes les agoras où l’expression des droits liés à la vie privée ne peut être absolue.

« En un mot, la République est une et indivisible, et les lieux publics sont les lieux privilégiés d’expression de ce fondement de notre société. Aucun comportement mettant en cause notre cohésion n’y est toléré, et ce projet de loi renforce cette réalité juridique en interdisant d’y dissimuler son visage.

« Pourquoi est-ce si important de ne pas cacher son visage ?

« Parce que dans les sociétés libres et démocratiques prévaut en principe la règle, implicite mais élémentaire, selon laquelle nul échange entre les personnes, nulle vie sociale n’est possible, dans l’espace public, sans réciprocité du regard et de la visibilité : les personnes se rencontrent et entrent en relation à visage découvert.

« En France, le pacte social trouve son expression juridique fondamentale dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, dont l’article 4 affirme que “ la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ”. Or, comme cela a été affirmé devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, qui cache son visage nuit à autrui “ en lui signifiant qu’il n’est pas assez digne, pur ou respectable ” pour se présenter à lui à visage découvert.

« Consécutivement, la dissimulation du visage est donc une atteinte à la dignité de la personne humaine, ce que notre Constitution condamne lorsqu’elle dispose que “ la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ”.

« Ainsi, porter un masque, une cagoule ou un voile intégral remet en cause le lien social qui unit chaque individu à la collectivité qui l’entoure. Notre société française est diverse, et riche de sa diversité, chaque personne y est différente et différenciée. Briser cette réalité en prônant une uniformisation reviendrait à condamner notre modèle républicain et notre pacte social. Ne nous y trompons pas, c’est bien de cela qu’il s’agit.

« Sécurité et égalité dans l’espace commun des lieux publics sont indispensables à la liberté et à la dignité de la personne humaine.

« J’ajouterai un mot sur la laïcité.

« J’ai été surprise d’entendre certains orateurs vouloir limiter sa portée. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur la traduction juridique de la laïcité, qui s’organise autour de trois principes : la neutralité de l’État, la protection de la liberté de conscience, notamment religieuse, et le pluralisme des cultes.

« À ceux-là, je voudrais demander de bien vouloir considérer les positions prises par le président de l’Observatoire de la laïcité, qui rappelait que, pour l’ensemble des membres de cette instance, “ la défense de la laïcité a un objet plus large que sa définition stricte, […] elle inclut les atteintes aux principes de l’égalité républicaine et la lutte contre les visées communautaires ”.

« Or c’est bien là l’objet de ce texte : défendre notre pacte républicain, scellé autour de valeurs communes qui garantissent le socle de notre République.

« C’est la raison pour laquelle je m’inscris en faux contre ceux qui voudraient faire de ce projet de loi une atteinte aux Français de référence musulmane, lesquels, comme tous les citoyens français, demandent le droit à l’indifférenciation, à être traités comme les autres, parce qu’ils sont comme les autres ! Ne faisons pas de démagogie, l’enjeu est trop important.

« En conclusion, nous avons un modèle de société, un modèle républicain, une conjugaison de nos valeurs particulières qui est unique. En cela, voter ce projet de loi à la plus large majorité de nos voix sera surtout un signal fort de soutien à toutes celles et à tous ceux qui, dans le monde, se battent pour sortir de l’autoritarisme, du communautarisme et de l’extrémisme.

« Oui, la France a des valeurs fondamentales. Elles sont inscrites dans nos textes fondateurs, et les parlementaires n’ont aucun mal à les conjuguer au xxie siècle quand il s’agit de les préserver ! C’est le cas aujourd’hui.

« Nous sommes, que nous le voulions ou non, regardés dans le monde. Alors, “ bas les masques ! ” Jouons franc jeu, tous ensemble, quand il s’agit de défendre notre modèle social et notre pacte républicain. Votons ensemble ce projet de loi qui réaffirme notre identité et notre combat pour la République. » (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Adrien Giraud applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au début du mois d’août de cette année, l’UNESCO a classé les pitons, cirques et remparts de la Réunion au patrimoine mondial de l’humanité. Pour paraphraser le ministre chargé de l’écologie, « cette reconnaissance internationale témoigne de la place essentielle de l’outre-mer dans les richesses naturelles de la France ».

Mais la Réunion possède d’autres richesses que ses paysages et sa biodiversité : son histoire, sa culture, nées d’un brassage culturel intense.

En effet, le peuplement de la Réunion s’est fait par un mouvement continu d’immigration venant d’Europe, d’Afrique, de Madagascar, d’Inde, de Chine et des îles situées aux alentours. Ces populations diverses ont connu, sous la pression de l’esclavagisme, puis de la colonisation, un double phénomène : l’acculturation d’abord, puis la création, grâce au métissage, d’une nouvelle culture – la culture ou l’unité réunionnaise selon certains, la « civilisation créole » pour d’autres.

C’est ce métissage qui a permis à l’identité réunionnaise d’être intrinsèquement disposée à s’enrichir des apports de toutes ses composantes, indépendamment des hiérarchies sociales, culturelles et cultuelles imposées par le système.

Cette unité réunionnaise est marquée par un ciment commun constitué des éléments suivants : la langue créole et un « vivre ensemble » qui, à l’heure des questionnements identitaires, est cité en exemple.

Ce « vivre ensemble » propre à la Réunion eu égard à son histoire et qui s’inscrit dans le droit fil des valeurs républicaines est notamment fondé sur le respect des différents cultes et pratiques religieuses, qui se confondent parfois. Parmi ces religions, on compte notamment le catholicisme, l’hindouisme et l’islam.

Cet islam, venu du nord de l’Inde, a su, dès la fin du xixe siècle, intégrer ses institutions religieuses dans l’espace public réunionnais. Cette visibilité tranquille, cette intégration de l’islam au sein de la société réunionnaise a permis de préserver notre île des remous et des polémiques suscités en France continentale par le port du foulard islamique par les jeunes filles dans les établissements scolaires et autres questions concernant l’intégration des musulmans dans la société française.

Toutefois, ce « vivre ensemble » ne saurait se réduire à une image d’Épinal. Ce modèle d’unité est mis à mal pour diverses raisons. La première d’entre elles est, sans conteste, le contexte socioéconomique difficile. Comment garantir notre cohésion et maintenir la confiance dans nos valeurs républicaines quand le taux de chômage dépasse 30 % de la population active, quand les revenus de plus de 50 % de la population totale du département sont inférieurs au seuil de pauvreté ? Chacun doit être conscient que notre région est au bord de l’explosion sociale. À cela s’ajoute un déni identitaire.

Ensuite, madame la ministre, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui n’est pas non plus propre à assurer ou à encourager ce « vivre ensemble ». Il stigmatise une partie de la population en visant une pratique vestimentaire à la fois extrêmement marginale et condamnée par la quasi-totalité de celle-ci, attachée au principe de liberté de la femme.

L’application de ce texte risque donc d’être vécue par certains comme un acte d’ostracisme et de susciter, par réaction, un renforcement du fondamentalisme islamique. Au final, ce texte condamnera certaines femmes musulmanes au confinement dans le cercle familial, dans la sphère domestique.

Ce déploiement législatif semble disproportionné, seules quelques centaines de femmes étant concernées en France, et déraisonnable, au vu du fondement juridique du projet de loi, alors qu’il existe déjà des dispositions réglementaires visant à interdire, dans certains cas, le port du voile intégral, ou du moins à limiter cette pratique et à dissuader de l’adopter. C’est le cas de la loi du 15 mars 2004, qui interdit, dans les établissements scolaires publics, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, ou encore de l’obligation faite aux agents publics de ne pas manifester leur obédience dans le cadre de leurs fonctions. Chaque citoyen français peut être soumis à un contrôle d’identité, qui ne peut se faire qu’à visage découvert. Se pose également le problème de l’application de ce texte.

Madame la ministre, garantir les valeurs de la République, c’est créer des conditions décentes de vie – emploi, logement, scolarité de qualité, santé – pour que chacun puisse s’inscrire dans le développement de la société. C’est aussi reconnaître le pluralisme d’une société.

C’est la raison pour laquelle je considère, madame la ministre, qu’une loi relative au sujet soulevé n’a pas lieu d’être. Aussi ne prendrai-je pas part au vote de ce texte, à l’instar de la présidente de mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Madame la présidente, madame la ministre d'État, mes chers collègues, mon intervention portera davantage sur la forme que sur le fond.

Sur le fond, je voterai bien sûr le texte transmis par l’Assemblée nationale, où il a été adopté à une large majorité ; je crois qu’il en ira de même ici au Sénat.

Je voterai d’autant plus volontiers ce projet de loi qu’il reprend pour l’essentiel la proposition de loi dont j’avais été à l’initiative, qui fut cosignée par cinquante collègues, dont Mme Christiane Hummel, aujourd’hui rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et déposée sur le bureau du Sénat fin juillet 2009.

Mon intervention portera donc plus sur la forme et la démarche.

Lorsque nous avons élaboré notre proposition de loi, nous nous sommes interrogés sur la méthode à employer pour résoudre, sans soulever de polémiques inutiles, un problème important, qui affecte l’ensemble du fonctionnement de la société française, avec des conséquences souvent graves et préoccupantes.

Nous nous sommes appuyés sur un principe de base : le droit, pour une nation, de se doter des moyens de savoir qui rentre et circule sur son territoire, ce qui suppose la justification de l’identité, par la possession d’un document tel qu’une carte d’identité ou un passeport, et la possibilité de comparer la photographie figurant sur celui-ci avec le visage de son détenteur. Il faut également prendre en considération les risques latents d’attentats et les agissements d’individus qui n’hésitent pas à monter des opérations de gangstérisme en se voilant le visage.

Il est dès lors normal que celles et ceux qui sont chargés d’assurer la sécurité des biens et des personnes dans notre pays aient les moyens de reconnaître et d’identifier les suspects, sans être forcément obligés de leur demander leurs papiers d’identité, au moins dans un premier temps.

C’est le sens de l’article 1er de notre proposition de loi : aucun élément de la tenue vestimentaire des personnes présentes dans l’espace public ne doit faire obstacle à leur reconnaissance et à leur identification. Il n’était fait référence, s’agissant d’un sujet sensible, objet de polémique, ni aux cultures ni à des coutumes ou à des religions, mais seulement à l’application d’un droit fondamental, reconnu dans tous les pays du monde ou presque.

Chaque fois que l’on fait référence à des populations ciblées en raison de leur appartenance à une religion ou à une culture, on s’expose à des réactions polémiques inutiles et quelquefois dangereuses. Il nous semblait que la proposition de loi traitait au fond ce problème, sans pour autant susciter de controverses.

Si le projet de loi qui nous est soumis demeure assez concis, la préparation et le cheminement de ce dossier auraient peut-être pu être plus simples ! Mais est-ce encore possible aujourd’hui, alors que l’on se plaît à complexifier les choses ? Nous en avons la démonstration ici tous les jours au travers des textes qui nous sont soumis, ce qui alourdit nos débats et rend de moins en moins compréhensible, pour la majorité de nos concitoyens, les lois que nous votons.

Nous avons perdu de vue deux notions d’un intérêt extraordinaire : la simplicité et le bon sens. Puissions-nous y revenir, car beaucoup de difficultés auxquelles nous sommes confrontés et qui inquiètent nos concitoyens pourraient trouver des solutions avec leur aide.

Je suis satisfait, cela étant dit, que nous légiférions aujourd’hui sur ce problème délicat. Je vous en félicite, madame la ministre d’État, ainsi que nos rapporteurs, François-Noël Buffet et Christiane Hummel. Bien entendu, je voterai le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Gilles.

M. Bruno Gilles. Madame la présidente, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la dissimulation du visage, contrainte ou volontaire, sous un masque, un bandeau ou un voile intégral est contraire à l’ordre public social. Regarder l’autre dans les yeux n’est-il pas le « b-a ba » de la civilité au sein de notre société ? Vivre ensemble exige de vivre à visage découvert.

En ce qui concerne la dissimulation du visage sous un voile intégral, burqa ou niqab, qu’il s’agisse d’un choix volontaire ou d’une contrainte imposée, ce phénomène, récent, met en cause l’idée d’intégration fondée sur l’acceptation des valeurs de notre République.

L’être humain se manifeste et s’identifie par son visage, qui est l’expression première de sa personnalité. Toute dissimulation forcée du visage tend à la négation de la personne humaine. De telles pratiques sont chères à tous les preneurs d’otages. Elles sont incompatibles avec nos valeurs constitutionnelles de liberté, d’égalité, de fraternité et avec le respect dû à toute personne, en l’occurrence aux femmes, qui en découle.

La dissimulation volontaire du visage signifie quant à elle une mise à l’écart délibérée de la société nationale, le rejet de l’esprit de notre République. Dans bien des cas, il s’agit d’une réaction identitaire : certaines femmes musulmanes, souvent jeunes, bien que Françaises, ne se sentent pas intégrées dans notre société. Elles expriment ainsi leur malaise ou leur colère.

De telles pratiques malmènent notre démocratie. Elles traduisent une vision communautariste, contraire à nos principes constitutionnels : « la République est une et indivisible ».

La société française – quelles que soient nos origines, nos croyances et nos convictions –, et sans doute en premier lieu nos compatriotes musulmans, ressent avec malaise l’apparition du voile intégral.

L’islam, tel qu’il est vécu par la grande majorité de nos compatriotes musulmans et par nombre d’étrangers musulmans résidant sur notre sol, n’a rien à voir avec cette tenue vestimentaire. Pas plus d’ailleurs qu’avec celui de la plupart de nos voisins du pourtour méditerranéen, aujourd’hui confrontés au même phénomène et qui attendent que la France réagisse.

Pour eux, le port de cette tenue n’est pas une prescription coranique. Pas une fois le Coran ne cite les mots burqa ou niqab. D’ailleurs, lors du pèlerinage à La Mecque et de la liturgie autour de la Kaaba, il est strictement interdit aux femmes de se dissimuler le visage.

M. Bruno Gilles. Le 3 octobre 2009, le cheikh Al Tantaoui, recteur de l’université d’Al Azhar au Caire, a même défendu aux enseignantes et étudiantes le port de telles tenues, issues de coutumes et aucunement la marque d’une dévotion. (Mme Isabelle Debré approuve.) La Syrie, la Tunisie et bien d’autres pays l’ont interdit dans leur propre espace public. Son interdiction dans tout l’espace public en France ne semble donc nullement discriminatoire à l’égard de l’islam, mais constitue bien la solution juridique et politique pour préserver notre modèle démocratique républicain.

Certains prétendent qu’étendre l’interdiction à tout l’espace public s’assimilerait à une privation de liberté.

L’angélisme n’a pas sa place en la matière ! La frontière entre ordre public social et sécurité publique est mince. Ne voit-on pas les dangers que font courir de tels accoutrements ? A-t-on déjà oublié le braquage d’un bureau de poste dans l’Essonne, le 6 février dernier, par deux personnes vêtues d’un voile intégral ? À ce jour, faute d’indications sur leur physique, les malfrats courent toujours.

S’il semble raisonnable, comme le prévoit le projet de loi, d’user plus souvent de pédagogie que de sanctions pour mettre un terme au camouflage de quelques centaines ou milliers de femmes sous le voile intégral chez nous, il n’en faut pas moins nous montrer très fermes à l’égard de ceux qui prônent un tel accoutrement. Cette pratique vestimentaire se répand en Europe et dans le monde musulman, à l’instigation d’islamistes radicaux qui honnissent nos sociétés occidentales et les États qui entretiennent des liens avec elles.

Est-il exagéré d’imaginer que des terroristes puisse utiliser, eux aussi, cette tenue pour dissimuler armes et explosifs et atteindre incognito leur cible ? Ils le font en Irak ; pourquoi pas chez nous, puisque nous sommes dans leur ligne de mire ?

Si l’on doit prendre des mesures – et il faut le faire –contre le port du voile intégral dans tout l’espace public, ne faut-il pas, madame le ministre d’État, traiter le problème à sa racine : faire barrage en France aux courants islamistes radicaux, en ne tolérant plus qu’ils aient pignon sur rue ? Ces intégristes instrumentalisent leur religion à des fins politiques, au détriment de l’islam.

Quels sont les moyens sécuritaires au niveau européen pour entraver la progression de cet intégrisme qui opère depuis des années un travail de sape de nos démocraties ?

Parallèlement, l’islam ne doit-il pas être mieux considéré, ne serait-ce que pour la force de résistance de la grande majorité des Français musulmans à la politisation de leur religion ?

Chacun connaît la formule du Christ en réponse aux pharisiens : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », injonction en faveur de la séparation des pouvoirs spirituel et temporel pour les chrétiens.

M. Bruno Gilles. Il leur aura pourtant fallu près de deux mille ans pour admettre cette séparation fondatrice de notre laïcité !

Or, à cette injonction du Christ correspond un verset du Coran, qui dit à la sourate 42 que les affaires des hommes « sont l’objet de consultation entre eux », sans mentionner une quelconque ingérence de Dieu en ce domaine. Cette neutralité coranique, pour nombre de nos compatriotes musulmans, est l’évidente préconisation d’une séparation indispensable des pouvoirs politique et religieux.

Ces compatriotes qui adhèrent, sans qu’on ait eu à attendre pour cela deux mille ans, aux principes de la démocratie et de la laïcité, souhaitent aujourd’hui que la République se vive à visage découvert. Ne peut-on pas envisager, madame le ministre d’État, que le Gouvernement fasse peut-être mieux savoir que les Français musulmans, très majoritairement, se veulent Français d’abord et à part entière, au même titre que les autres Français, chrétiens, israélites, agnostiques, athées, en nous mettant sur un pied d’égalité, nous tous, les Français, en minimisant nos différences d’ordre spirituel ? N’est-ce pas tout simplement le moyen de damer le pion aux extrémistes radicaux de toute espèce ? (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Adrien Giraud applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, au plus fort de l’emballement du débat, j’ai hésité à m’exprimer pour répondre à la question suivante : à quel niveau faut-il accepter, à quel niveau faut-il refuser ?

Dans un contexte désormais apaisé, il me paraît important de m’adresser, par-delà cette enceinte, avec tout le respect que je leur porte, à celles dont le texte qui nous est soumis dit qu’elles ont choisi de porter une tenue destinée à dissimuler leur visage. Je le fais pour leur exposer les raisons qui me conduisent aujourd’hui à voter ce projet de loi.

Je voudrais m’adresser à ces femmes en évoquant comment ma conception de la relation à l’autre, dans sa triple dimension culturelle, humaine et transcendante, peut se retrouver dans ce projet de loi. Je m’exprimerai sans entrer dans le jeu des arguments et contre-arguments, des grilles de pensée s’opposant aux grilles de pensée, mais en cherchant les éléments susceptibles de lever les incompréhensions et le masque des apparences.

Que me dicte ma pensée, dans la dimension culturelle ou transversale du rapport à l’autre ? Même si un quart des femmes intégralement voilées seraient nées dans une famille de culture ou de tradition non musulmane, il n’en est pas moins vrai que porter le voile, c’est exprimer le choix d’une autre culture, une certaine forme de déracinement, voire d’exil. Mais faire passage dans une autre culture donne à ouvrir son regard pour vivre un rapport positif avec l’extériorité, dictant ainsi dans le lieu de vie d’adoption une certaine réserve, une réserve existentielle.

L’examen de la question du voile intégral est donc l’occasion pour tous de reconnaître que le rapport à l’autre, à ses conceptions et à ses pratiques différentes, doit toujours permettre de mieux s’ouvrir à lui et de s’enrichir soi-même dans le pays où l’on a décidé de vivre.

Telle est la première dimension du projet de loi, qui entend associer le respect de l’ordre public au principe constitutionnel du respect de la dignité de la personne humaine, entendu comme une exigence morale collective, car, au-delà de la personne elle-même, c’est aussi sa relation aux autres qui est en jeu.

Le projet de loi manifeste une deuxième dimension, tout aussi essentielle : la dimension humaine ou horizontale. Indirectement, ce texte nous dit que le visage est rencontre.

Selon Lévinas, les choses n’ont pas d’identité, ce sont des êtres sans visage : « Le visage n’est pas l’assemblage d’un nez, d’un front, d’yeux, etc., il est tout cela certes, mais prend la signification d’un visage par la dimension nouvelle qu’il ouvre à la perception d’un être. Par le visage, l’être n’est pas seulement enfermé dans sa forme […] il est ouvert. » Dans cette ouverture, l’être apparaît non pas comme une représentation, mais comme autrui au-delà de toutes les cultures.

Ainsi, c’est dans la socialité du face à face que s’institue le rapport à autrui, irréductible aux relations qui s’établissent dans le cadre des institutions sociales. Telle est la dimension humaine qu’institue aussi ce projet de loi, qu’en ce sens j’approuve, tout en notant deux tendances paradoxales, consistant l’une à démythifier le corps, l’autre à le cacher. Ces deux tendances ont leurs excès, sachant que, dans un cas comme dans l’autre, les femmes sont les premières victimes.

La troisième dimension, la dimension verticale, que recèle le présent texte, est celle qu’imprime en moi mon for intérieur.

Pour ma part, je le crois, c’est dépouillé de ses vêtements jusqu’à l’arrachement de tous ses masques, tant psychologiques que sociaux, que chacun aura à vivre l’ultime face à face, attendant l’heure où, comme le soulignait notre illustre prédécesseur dans cette enceinte, Victor Hugo, « le masque tombera du visage de l’homme et le voile du visage de Dieu ».

Cette dimension imprègne notre culture aux racines judéo-chrétiennes et nous conduit à affirmer, avec les hommes et les femmes de notre pays, telle Élisabeth Badinter, que, dans la civilisation occidentale, il n’y a pas de vêtement du visage. Cette dimension rejoint ce que nous dit fondamentalement le présent texte : notre pays a une pensée de l’homme.

Pour l’ensemble de ces raisons, je voterai ce projet de loi, tout en pensant que la République doit veiller à rester dans les clous de l’ordre public et ne pas s’immiscer dans la vie privée des personnes. Notre collègue Buffet semble avoir rigoureusement pris en compte cette précaution dans son rapport, et nous ne pouvons que nous en féliciter. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le ministre d'État.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à souligner la grande qualité de ce débat. Certes, comme toujours, il a été recouru à quelques figures de style politiciennes, mais cela était sans doute inévitable et je ne m’en offusquerai pas.

Je relèverai surtout, pour m’en réjouir, le rejet unanime du communautarisme qui s’est exprimé et l’attachement que vous avez manifesté, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, aux fondements de la République, à l’égalité, au respect dû aux hommes.

Dans ces conditions, il est regrettable qu’un consensus complet n’ait pu voir le jour pour des raisons étrangères au texte, d’autant que, depuis le début de la réflexion, menée notamment par la commission d’information parlementaire, tout a été fait pour y associer tous les partis politiques de notre pays et pour rechercher ensemble des solutions acceptées de tous.

Cela étant, l’essentiel est que l’expression de l’attachement aux valeurs de la République soit la plus large possible et constitue une affirmation forte de notre rassemblement autour des principes et des valeurs inscrits dans notre Constitution.

Je remercie M. Buffet du travail qu’il a accompli. L’intervention du législateur est nécessaire et ne saurait dépendre du nombre de personnes dissimulant leur visage sur la voie publique, car les règles de notre « vivre ensemble » et les principes qui fondent notre pacte républicain sont en jeu.

Vous avez rappelé à juste titre qu’il n’existe aucune liberté individuelle illimitée. Même la liberté de se vêtir comme on le souhaite n’exclut pas l’interdiction de circuler sans aucun vêtement dans un espace public. Toute liberté trouve ses limites là où commence celle des autres : c’est un principe que nous connaissons tous, et c’est bien au législateur qu’il incombe d’assurer la conciliation entre les différentes libertés, conformément à l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Madame Hummel, parmi les principes républicains bafoués par la dissimulation du visage dans l’espace public figure celui de l’égalité, auquel nos concitoyens sont très fermement attachés. Certes, il y a encore du chemin à faire pour que l’égalité entre les hommes et les femmes, qui est l’un des aspects de ce principe, devienne réalité, mais en tout état de cause le présent texte n’a d’autre objet que d’assurer le respect mutuel dans l’espace public.

Le présent texte prône le rassemblement, la concorde ; il a pour seul objet de permettre à chacun de trouver dans l’espace public un espace de respect mutuel.

Madame Borvo Cohen-Seat, il convient d’éviter les amalgames, même si c’est parfois difficile. Tel est l’esprit qui sous-tend ce projet de loi et la démarche suivie depuis l’origine. Élaborer un texte de loi est nécessaire : contrairement à ce que certains orateurs ont soutenu, on ne peut, en l’espèce, se référer à des textes existants. S’agissant d’apporter une restriction à une liberté, seul le législateur est habilité à intervenir.

Quant au risque juridique, il me semble que vous l’exagérez quelque peu. Dans son rapport de mars 2010, le Conseil d’État, je le redis, s’est borné à relever que, à ce jour, le Conseil constitutionnel n’avait pas précisément défini ce qu’est l’ordre public « sociétal », « social » ou « immatériel », quelle que soit l’appellation retenue. Le Conseil constitutionnel a simplement laissé entrevoir, dans certaines de ses décisions, qu’il reconnaissait l’existence de celui-ci.

J’ajoute, madame le sénateur, que c’est un élu appartenant à votre parti qui est à l’origine de la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la pratique du port du voile sur le territoire français.