M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous abordons l’examen est, en effet, très important et substantiel. La commission des finances y a beaucoup travaillé. Le texte qu’elle soumet au Sénat nous semble équilibré. Il marque plusieurs avancées significatives dans le sens d’une meilleure régulation et d’une transparence encore plus grande. D'ailleurs, Mme la ministre vient de citer plusieurs de nos initiatives qui ont fait l’objet d’amendements désormais intégrés au texte de la commission.

Mes chers collègues, compte tenu de l’heure à laquelle nous abordons la discussion de ce texte et de la nécessité de consacrer toute notre énergie, ce soir et cette nuit, à l’examen de ses articles, j’en resterai là pour mon intervention dans la discussion générale.

M. le président. Monsieur le rapporteur général, je vous remercie infiniment de votre coopération.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de régulation bancaire et financière
Discussion générale (suite)

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Communication du conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé ce jour M. le président du Sénat qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel quatre décisions de renvoi de questions prioritaires de constitutionnalité (2010-72 QPC, 2010-74 QPC, 2010-75 QPC et 2010-76 QPC).

Les textes de ces décisions de renvoi sont disponibles au bureau de la distribution.

Acte est donné de ces communications.

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de régulation bancaire et financière
Discussion générale (suite)

Régulation bancaire et financière

Suite de la discussion d'un projet de loi

(Texte de la commission)

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de régulation bancaire et financière
Articles additionnels avant le chapitre Ier

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de régulation bancaire et financière.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voici ce que l’on peut lire dans le préambule du rapport d’étape de novembre 2008 issu des travaux du groupe de travail Assemblée nationale-Sénat sur la crise financière internationale : « Il est nécessaire de revoir la ligne de partage entre autorégulation et régulation et de replacer les États et donc la politique au centre du jeu monétaire et financier international ».

Chacun se souvient également des déclarations du Président de la République sur la nécessité de moraliser et de refonder le capitalisme. Ainsi, en septembre 2008 : « Une certaine idée de la mondialisation s’achève avec la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir ». Et le Président de la République de conclure : « Alors, ou bien les professionnels se mettent d’accord sur des pratiques acceptables, ou bien nous réglerons le problème par la loi avant la fin de l’année ».

Si nous examinons le chemin parcouru depuis la crise systémique découlant, entre autres, des défauts de paiement sur les subprimes et de la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers, nous ne pouvons que constater que ces déclarations, purement incantatoires, n’ont pas été suivies d’effet.

Malheureusement, avec le projet de loi dit de régulation bancaire et financière qui nous est présenté aujourd'hui, nous sommes bien en deçà de ce qui est nécessaire afin de « réglementer les banques pour réguler le système », selon les propres termes de Nicolas Sarkozy.

Pour sa part, notre groupe considère que les dérèglements des marchés financiers par le développement d’outils et de supports de plus en plus sophistiqués et spécialisés sont l’un des vecteurs essentiels d’une mondialisation qui ne profite qu’à quelques-uns et qui, malgré le développement des échanges et l’émergence de nouvelles puissances économiques, ne permet pas de répondre aux attentes de la majorité de la population.

Les tensions de l’été et de l’automne 2008 nous ont d’ailleurs permis, à la suite de l’intervention massive des États dans le fonctionnement des marchés financiers, de constater une nouvelle forme de crise financière, à savoir une crise obligataire qui a affecté des pays comme l’Espagne ou la Grèce, notamment.

C’est ainsi que nous nous sommes trouvés confrontés au plan de sauvetage de la Grèce, que notre groupe a qualifié de « plan de sauvetage des créanciers de la Grèce », puisque l’argent public mobilisé, notamment en France, pour sauver ce pays de la banqueroute ne l’était que pour permettre aux banques de s’exonérer d’un risque supporté désormais par les États.

Depuis, ce furent deux ans de tensions, deux ans de sommets internationaux, deux ans de négociations.

Portant sur la régulation bancaire et financière, le texte qui nous est présenté aujourd’hui constitue un aboutissement, un point d’orgue, pour des dispositions déjà prises afin de prétendument « moraliser » et « refonder » le capitalisme en stabilisant les marchés.

Le projet de loi comporte deux volets essentiels.

Le premier volet porte sur la régulation des activités de bourse et des activités bancaires. Il s’agit de renforcer le rôle et les prérogatives de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, et de mettre en place les conditions d’un contrôle prudentiel renforcé des activités de banque, d’une part, en transposant une directive européenne et, d’autre part, en mettant en œuvre une partie des recommandations du Comité de Bâle sur les ratios de fonds propres des établissements de crédit.

Le texte comporte également des mesures relatives au financement par les marchés des grandes entreprises inscrites à la cote officielle. Ces mesures, à notre sens, n’apportent pas de modifications substantielles à la situation existante.

Le second volet du texte porte sur le financement de l’économie et organise la privatisation rampante de l’établissement public de crédit aux PME, OSEO, au motif affiché de lui donner une plus grande efficacité dans l’action qu’il mène en direction des entreprises.

De telles mesures, complétées par des opérations sur le crédit foncier et le crédit immobilier, ne permettent pas, en réalité, de tirer de conclusions fondamentales sur le travail accompli par les parlementaires depuis deux ans au regard de la situation, qui est celle d’une crise systémique.

Si ce projet de loi doit constituer un point d’orgue dans la série des textes consacrés à guérir, puis à prévenir les effets de la crise systémique, qu’il me soit permis de dire que nous sommes loin, très loin du compte.

Ainsi en est-il de l’activité des autorités de contrôle. Poussés par les directives communautaires dans des domaines fort divers, les pays de l’Union européenne ont tous été amenés à créer des autorités indépendantes de contrôle pour s’occuper des marchés financiers et pour réguler différents secteurs, l’énergie, les postes et télécommunications ou encore l’audiovisuel.

Ces autorités indépendantes sont conçues, de fait, dès le départ, comme des outils de démembrement de la puissance publique, puisque ce qui relevait de la compétence de l’État, légitimé par le suffrage universel, est confié à un aréopage sans autre légitimité que celle découlant de la désignation de ses membres par des autorités élues.

Chaque autorité indépendante devient de facto une instance de contrôle non démocratique puisqu’elle dicte à la fois la loi et le règlement à l’ensemble des acteurs intervenant dans son champ de compétence.

L’Autorité des marchés financiers n’échappe pas à cette règle. Elle est même dotée d’un impressionnant règlement intérieur qui participe de son intervention autonome.

Nous ne savons pas si les droits et pouvoirs de l’AMF se trouveront renforcés par l’éventuelle adoption de ce texte. Mais, ce que nous savons, c’est que le renforcement du rôle de l’autorité de contrôle n’a pas conduit l’Autorité des marchés financiers à intervenir dans une affaire de présumés délits d’initié comme celle d’EADS. Fixer un cadre aux sanctions susceptibles d’être prononcées par une autorité indépendante alors que de telles sanctions n’ont pas été prises dans cette affaire, bien qu’elles aient paru évidentes, prouve qu’il ne faut accorder qu’une confiance limitée aux prérogatives de telles structures.

Je ferai quelques observations sur les ratios de Bâle III, éléments importants du premier volet de ce texte.

La crise systémique a montré la nécessité qu’il y avait pour nos banques d’être en situation de disposer de fonds propres afin de faire face aux risques, d’autant que la diversification des implantations des banques et des entreprises d’investissement de notre pays est suffisamment large pour susciter des facteurs de risque.

Le renforcement des fonds propres, déjà éprouvé avec les récents stress tests que les banques françaises auraient passés avec succès, est sans doute une nécessité, mais il présente un caractère contradictoire. En effet, rien n’empêche nos établissements de crédit de répondre aux recommandations du Comité de Bâle en réservant leurs crédits aux entreprises comme aux particuliers les plus solvables et en relevant leurs marges commerciales.

Pour ne donner qu’un exemple hexagonal, n’oublions pas que les banques, depuis la banalisation du livret A, disposent d’un instrument financier rémunéré à moins de 2 points, alors qu’elles ont besoin d’instruments de refinancement à un taux deux fois plus élevé. N’oublions pas non plus que l’ouverture à la concurrence leur a rapporté 4,2 milliards d’euros tirés de l’épargne populaire. C’est autant d’argent qui manque aujourd'hui pour loger les sans-abri et les mal-logés.

Nous avons une proposition pour répondre aux exigences du Comité de Bâle : que l’État, par son intervention directe ou par celle d’un établissement spécialisé, acquière une partie du capital de nos grandes banques et imprime de nouvelles orientations dans l’attribution des crédits aux particuliers comme aux entreprises, en favorisant les crédits consacrés au développement réel de l’emploi et de la production ainsi qu’à la satisfaction effective des besoins des ménages, par exemple le logement.

Venons-en à la question du passeport européen et à sa diffusion auprès des entreprises d’investissement qui en feraient la demande.

Ce débat, évidemment, nous ramène à celui que nous venons d’avoir sur les enjeux des conventions fiscales concernant trois de nos voisins, la Suisse, la Belgique et le Luxembourg.

La France, par la voix de son Président de la République, s’enorgueillit d’avoir fait valoir au niveau international la nécessité de lutter contre les paradis fiscaux. Le fameux « listage » des territoires non coopératifs, tel qu’il résulte des initiatives prises depuis deux ans, tendra, dans les faits, à estomper de plus en plus les pratiques délictuelles en les parant de l’apparence de la légalité. Car là est bien l’enjeu !

Nous ne croyons pas même l’espace d’un instant que les efforts de moralisation du capitalisme feront disparaître comme par enchantement les produits dérivés, les ventes de gré à gré, les ventes à découvert ou la titrisation. Ces véhicules de l’industrie financière créent trop de richesses, même artificiellement, pour disparaître.

Au demeurant, lorsque la proposition de loi instituant la fiducie a été votée au Sénat, inspirée en cela des trusts ou des sociétés de patrimoine familial de la législation luxembourgeoise, on a bien donné le vernis de la légalité à une pratique qui aurait pu procéder du délit, en d’autres temps…

Je ne crois pas que l’évasion fiscale soit meilleure quand elle est pratiquée en France sur des supports fournis par le droit français. C’est toujours de l’évasion fiscale, c'est-à-dire un procédé qui permet à quelques contribuables, particuliers ou entreprises, de se délester légalement de leurs obligations à l’égard de la société.

Ce gouvernement s’est d’ailleurs fait une spécialité de donner le vernis de la légalité à des activités délictuelles. N’a-t-on pas opportunément, au printemps dernier, fait adopter la loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, qui a rendu légale et visible l’offre de jeux d’opérateurs privés jusqu’ici situés dans le non-droit ?

Cette ouverture du marché s’est faite au bénéfice de quelques opérateurs hier illégaux et devenus aujourd'hui légaux. L’autorité de régulation s’attache désormais à défendre les intérêts de ces derniers en faisant la chasse à quelques sites illégaux qui tentent de contourner les règles.

Je crains qu’il n’en aille de même avec le passeport européen.

Je doute que l’on finisse par interdire à certains opérateurs financiers, investis dans le produit risqué ou très risqué, dans le produit dérivé, d’agir sur les places financières européennes, à commencer par la France. En effet, ces pratiques sont la spécificité de l’industrie financière britannique, luxembourgeoise et, en partie aussi, française.

Par ailleurs, les velléités de certains pays désireux d’interdire de telles pratiques se heurteront, selon moi, très rapidement à des fins de non-recevoir de la part de la Commission de Bruxelles, attachée aux principes de libre circulation des capitaux.

Quand on pense que la taxe sur les transactions financières, proposée par le Président de la République, a été purement et simplement balayée du revers de la main par le président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso, prétextant la perte de compétitivité de l’économie européenne et des problèmes de caractère technique, on voit que beaucoup de chemin reste à faire ! À moins que le discours présidentiel n’ait été qu’une affaire de posture…

Enfin, sur le financement des entreprises, plutôt que de renforcer OSEO en lui donnant le statut de société anonyme, c’est-à-dire en laissant la porte ouverte aux cessions partielles de capital, et de lui permettre de soutenir la comparaison avec la Caisse de dépôts et consignation, ce projet de loi aurait dû mettre l’accent sur la nécessité de la constitution d’un véritable pôle public de financement des PME. Au lieu de quoi, le texte qui nous est soumis conforte dans une logique de concurrence des établissements poursuivant des objectifs proches.

Au cours de ce débat, nous aurons l’occasion de présenter et de défendre des propositions que nous pensons de nature à mettre un terme à la domination des marchés et à rétablir le primat du politique.

Vous l’aurez compris, chers collègues, nous ne voterons pas ce projet de loi, sauf modifications substantielles résultant de l’adoption des amendements que nous avons déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise financière provoquée par la faillite de Lehman Brothers et l’effondrement d’American International Group, AIG, est sans doute la plus grave que le monde ait connue depuis les années trente. On sait les dérives – phénomènes spéculatifs, prises de risque excessives, titrisation – qui ont conduit à cet effondrement du système financier.

La crise financière de l’automne 2008 a même été aggravée par le système financier international lui-même, ses dysfonctionnements et ses déséquilibres structurels étant de plus en plus considérables. Elle a d’abord touché la finance, avant de se propager à l’ensemble de l’économie. Le temps où la finance était subordonnée à l’activité économique est bien révolu !

Pour sortir de la crise économique mondiale et renverser ce cycle de défiance, il faut reconstruire la finance et, pour cela, rétablir la confiance entre les acteurs économiques et les marchés financiers, changer les règles qui ont conduit à la catastrophe et retrouver l’ordre normal des choses, c’est-à-dire un ordre où la finance est un outil au service de l’économie.

Tout le monde a pris conscience – et les décisions prises lors des trois sommets du G20, de Washington, Londres et Pittsburgh l’ont montré – de la nécessité de rebâtir un système financier dont l’objectif principal soit le financement de l’économie réelle et la croissance à long terme et non, comme cela a été le cas ces dernières années, la recherche unique de profits immédiats.

Les opinions publiques ont pu avoir le sentiment, encore récemment avec le G20 de Toronto, dont les résultats ont été décevants, que les efforts visant à renforcer la régulation financière et à la coordonner au plan mondial ont rarement dépassé le stade des déclarations d’intention. Il est vrai que, depuis deux ans, nos concitoyens ont plus entendu parler de mesures d’urgence, de sauvetage d’institutions bancaires, de milliards injectés dans l’économie, de plans de relance et de mesures d’accompagnement de sortie de crise que de décisions concrètes en matière de régulation du capitalisme financier.

Pourtant, en même temps qu’ils géraient l’urgence, les grands pays du G20, conscients qu’une réforme structurelle était indispensable pour rétablir la confiance dans les mécanismes de régulation de l’économie mondiale, ont ouvert de vastes chantiers destinés à encadrer le pouvoir de la finance. La liste de ces chantiers ouverts par les gouvernements du G20 est impressionnante : banques, fonds spéculatifs, produits dérivés, agences de notation, règles comptables, paradis fiscaux…

Malgré cela, certains peuvent avoir le sentiment que la mise en œuvre des nouvelles politiques de régulation se fait attendre. Au point que beaucoup ont pu penser, faute de décisions concrètes, que le monde d’hier, la finance d’avant la crise, qui a conduit à cette crise économique, est en train de ressurgir et que la tentation du business as usual a repris le dessus.

Mais aujourd’hui, après le vote en juillet du Dodd-Frank Act aux États-Unis, l’adoption quasi unanime d’une vaste supervision financière européenne par le Parlement européen, le 22 septembre dernier, et la discussion du projet de loi français de régulation bancaire et financière, on peut légitimement affirmer que le renforcement de la régulation financière prend forme, certes laborieusement, mais prend forme.

Comme l’ont indiqué les chefs d’État lors de la réunion du G20 à Londres, en avril 2009, cette réforme structurelle doit concerner en priorité le renforcement des échelons internationaux de supervision, l’extension du champ de cette supervision et le durcissement des normes appliquées.

Le projet de loi français suit cette direction et je ne m’étendrai pas sur ses apports, ni sur les nombreux dispositifs techniques qu’il met en place, M. le rapporteur général les ayant parfaitement décrits et analysés. Au-delà de ces mesures, les enjeux de ce texte sont essentiels, puisqu’il tend à renforcer la supervision des acteurs de marché, dans une période capitale pour la régulation bancaire et financière.

Le projet de loi de régulation bancaire et financière s’inscrit en effet dans le mouvement mondial de réglementation, et il est important que notre pays montre qu’il est prêt à traduire sur le plan national les décisions européennes et mondiales en la matière.

La crise a ainsi mis en évidence la nécessité pour les régulateurs de disposer d’une vision de l’ensemble des risques, plus particulièrement ceux de nature systémique. Elle impose de mettre en place des structures transversales de surveillance aux niveaux national, européen et international, pour améliorer la capacité de prévention et d’évaluation des risques, comme la réactivité des régulateurs, par la mise en place des systèmes d’alerte. Elle implique également que les autorités de régulation des différents secteurs et des États coopèrent et échangent leurs informations.

Les autorités de régulation doivent également réduire le plus possible ce que l’on appelle les « angles morts », afin qu’aucun acteur ou produit financier, notamment les plus complexes et les plus dangereux, n’échappe à la surveillance ni à la réglementation. Cela passe par un renforcement de la transparence et de la traçabilité de ces produits – donc par des informations fiables sur leur nature, les parties et les risques inhérents aux opérations – et l’établissement d’une réglementation proportionnée à ces risques.

Il faut enfin responsabiliser les acteurs, en faisant apparaître et assumer clairement le coût du risque. C’est tout l’enjeu de Bâle III pour les banques : le Comité s’est engagé le 12 septembre dernier sur la voie d’un renforcement de leurs exigences prudentielles, en leur demandant d’augmenter, à terme, leurs fonds propres disponibles et leur ratio de solvabilité.

Si le projet de loi initial du Gouvernement pouvait être en deçà des attentes, nos collègues députés l’ont largement enrichi sur de nombreux aspects. Le texte ainsi renforcé prévoit désormais tout un arsenal de mesures de régulation et de supervision.

Le fonctionnement institutionnel de la régulation est ainsi considérablement amélioré par la création d’un conseil de régulation financière et du risque systémique et par la ratification de l’ordonnance portant création de l’Autorité de contrôle prudentiel qui rendra plus efficace la régulation.

Par ailleurs, le projet de loi étend et approfondit le champ de la réglementation financière en octroyant des pouvoirs d’urgence à l’Autorité des marchés financiers, dont les pouvoirs de sanction sont nettement étendus, en élargissant son champ de compétence aux produits dérivés et aux contrats sur échanges de défaut, les fameux CDS, en renforçant le régime de règlement et de livraison de titres, ou encore en rendant plus transparents les prêts de titres réalisés en période d’assemblée des actionnaires et en aménageant certaines procédures du droit boursier.

Le projet de loi prévoit également la création d’un comité des risques, dans les établissements financiers, et d’un comité des rémunérations, dans les établissements de crédit et les entreprises d’investissement, afin de responsabiliser les acteurs.

Enfin, de nombreux textes communautaires sont ou seront transposés grâce à ce véhicule législatif, notamment en ce qui concerne les collèges de superviseurs et les échanges d’informations entre régulateurs. Le Gouvernement pourra transposer plusieurs directives récentes sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, les droits des actionnaires ou les établissements de monnaie électronique.

À ce propos, il faut signaler tout particulièrement les dispositions européennes transposées ici sur les agences de notation, agences dont on sait qu’elles ont été l’un des maillons faibles du système financier. Ces dispositions prévoient, notamment, leur agrément et leur contrôle par l’AMF et leur responsabilisation, éléments selon nous essentiels.

Les agences de notation doivent être sévèrement encadrées dans leurs méthodologies, les outils et modèles qu’elles utilisent, les risques qu’elles mesurent – ce que l’on appelle leurs « standards » –, à la façon des professions de comptabilité et d’audit, qui sont encadrées et contrôlées au niveau supranational. Il est indispensable que des institutions qui émettent des avis aussi importants que des comptes soient soumises à des règles aussi exigeantes.

Il faut en effet rappeler que la crise économique commencée en 2008 présente le paradoxe d’avoir débuté au sein d’un des secteurs apparemment les plus régulés de l’économie, le secteur bancaire. Ce constat montre bien les limites des règles normatives, si elles sont contournées ou dépassées par des produits innovants. C’est pourquoi le renforcement des pouvoirs des superviseurs et l’amélioration des mécanismes destinés à garantir la transparence sont nécessaires pour prévenir les crises futures. Le simple ajustement technique des règles actuelles n’est pas suffisant.

La mondialisation financière rend également indispensable l’élargissement du champ de la régulation aux entités et territoires actuellement encore peu ou pas couverts, les fameux « trous noirs » de la finance mondiale que sont les hedge funds ou les paradis fiscaux. Ce point est prioritaire, car toute faille dans le champ d’application de la régulation la rendrait inopérante.

La mise en œuvre du renforcement de la régulation financière est un processus lent et complexe, car elle nécessite la recherche d’accords, au niveau international et européen, de l’ensemble des acteurs et des États. Il faut d’ailleurs saluer les efforts en ce sens du gouvernement français sur la scène internationale. Il faut aussi se réjouir du récent accord sur la supervision financière européenne, dont j’ai parlé tout à l’heure. Malheureusement, cet événement n’a pas trouvé l’écho qu’il mérite auprès du grand public et n’a pas été salué comme il aurait dû l’être, vu son importance, alors que l’action de l’Union européenne est décisive en la matière.

Le renforcement de la régulation passe par la création de structures supplémentaires, l’affectation de moyens en rapport et l’ajustement technique des normes, mais il ne pourra être effectif que si les autorités nationales, européennes et mondiales qui seront chargées de mettre en œuvre la réforme de la régulation sont reconnues comme légitimes afin de pouvoir garantir son efficacité et donc prévenir et traiter les futures crises. Tel est l’enjeu du prochain sommet du G20 à Séoul, en novembre prochain : les chefs d’État et de gouvernement devront montrer leur détermination à poursuivre dans la voie de la régulation du système financier.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste considère que ce projet de loi va dans le bon sens et le votera. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur le banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux ans après la disparition de la banque d’affaires Lehman Brothers, nous devons nous prononcer sur un projet de loi annoncé et attendu, puisqu’il a été présenté en conseil des ministres le 16 décembre 2009.

Après avoir reçu le soutien de la Nation, les banques ont remboursé dans leur quasi-totalité les sommes qui leur avaient été prêtées. Elles ont passé haut la main l’épreuve, pas trop difficile il est vrai, des stress tests et la finalisation de Bâle III a été saluée par un rebond de la bourse. Pendant ce temps-là, bonus, stock options et dividendes sont toujours d’actualité. On serait donc tenté de conclure que rien n’a changé.

Rien ? Pas tout à fait ! L’Union européenne se dote d’institutions de supervision financière ; les G20, surtout celui de Londres, ont entamé la bataille contre les paradis fiscaux, ou ont tout au moins ouvert un chemin en ce sens ; les États-Unis ont adopté, en juillet 2010, la loi Dodd-Frank qui, malgré ses limites, tourne le dos à la période de la dérégulation, quand elle n’amorce pas une franche rupture.

Mais le temps des marchés n’est pas celui de la démocratie, et les marchés, il faut bien le dire, ont repris l’avantage sur la démocratie, sur la puissance publique.

Dans une phase que l’on pourra sans doute qualifier, au regard de l’histoire, de « grand tournant », la vraie question qui se pose est de savoir si nous sommes à la hauteur de la responsabilité qui est la nôtre. Il est permis d’en douter.

On ne peut durablement se réfugier dans l’attente d’accords mondiaux toujours hypothétiques ou de décisions européennes pour s’exonérer ainsi de toute action au niveau national, comme je l’ai dit tout à l’heure au cours de notre débat sur les paradis fiscaux, mais j’y reviendrai.

Si nous refusions d’agir au niveau national, ce serait à coup sûr la meilleure façon de ne pas peser sur les choix européens, comme sur les choix mondiaux. Or l’échelle européenne est bien celle qui est pertinente en la matière.

Nous avons donc, nous, législateurs, l’obligation de prendre nos marques, de réglementer, de réguler et de prévenir, car nous savons que l’État ne pourra plus jouer les pompiers et que les responsables politiques s’exposeront, s’ils n’agissent pas, à la terrible et légitime rancœur des peuples auxquels on demande de payer la crise, sans en avoir tiré toutes les leçons pour l’avenir.

Le texte de la commission ne se situe pas au niveau de responsabilité que nous souhaitons. On prétend renforcer la supervision des acteurs et des marchés financiers tout en soutenant le financement de l’économie, objectif louable, mais les discours ne correspondent pas à la réalité. Le texte assure un service minimum et la confiance dans l’autorégulation des acteurs continue à dominer le paysage.

En commission, le rapporteur général a eu un mot, assez vrai du reste : il a estimé que le texte qui nous arrivait de l’Assemblée nationale était une sorte de DDOEF, autrement dit un projet de loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier.