M. Guy Fischer. Une mise à mort !

M. Jean-Pierre Godefroy. ... qui avaient entamé une longue et difficile négociation et qui ont été pris de court par les amendements déposés par le Gouvernement à l’Assemblée nationale, reprise pure et simple de la position patronale.

Le Sénat avait fait un gros travail sur cette partie du texte, grâce aux efforts coordonnés du rapporteur et de tous les membres de la commission des affaires sociales. Le texte ne réglait pas tous les problèmes, loin s’en faut ! Mais enfin, on avait progressé.

Hier, deux modifications ont été adoptées par la commission mixte paritaire, l’une positive, l’autre totalement négative.

J’évoquerai d’abord le point positif. À l’article 25 undecies, la commission mixte paritaire a supprimé, à la suite de l’amendement que nous avons proposé, la référence au directeur du service de santé au travail comme garant de l’indépendance du médecin du travail.

Vous le savez, cela heurtait profondément les médecins du travail. Ceux-ci nous ont rappelé que leur indépendance, comme celle de tous les autres médecins, était garantie par l’article 95 du code de déontologie médicale et que, par ailleurs, ils étaient des salariés protégés par le code du travail. Ils voyaient d’un très mauvais œil le fait d’être ainsi placés sous la tutelle du directeur du service de santé au travail, alors que le texte les dépossède déjà de leurs missions et de leurs prérogatives, et ne leur confie plus que des fonctions d’exécution.

Le point extrêmement négatif concerne la gouvernance des services de santé au travail et les modifications prévues par la commission mixte paritaire à l’article 25 sexies. Je le dis sans ambages : c’est une véritable régression, je dirais même une trahison, par rapport au texte voté à l’unanimité au Sénat !

Je rappelle que c’était une recommandation de la mission d’information du Sénat sur le mal-être au travail, elle aussi votée à l’unanimité. Je ne doute pas que le patronat a su user de toute son « influence » pour obtenir de la commission mixte paritaire ce retour en arrière.

M. Guy Fischer. Ils ont fait du lobbying !

M. Jean-Pierre Godefroy. J’avais dit, dès la discussion générale, que l’introduction du paritarisme dans la gestion des services de santé au travail était une avancée, à condition qu’il s’agisse d’un véritable paritarisme, à l’instar de ce qui passe dans d’autres organismes.

Le système trouvé par le Sénat était équilibré et permettait d’associer employeurs et salariés à la gestion des services de santé au travail.

A contrario, la rédaction de la commission mixte paritaire crée un faux paritarisme, un paritarisme en trompe-l’œil. En effet, dès lors que le président du conseil d’administration du service de santé au travail est issu automatiquement du même collège, à savoir celui des employeurs, et que sa voix est prépondérante, cela ne changera pas grand-chose par rapport à la situation actuelle ; simplement aura-t-il plus souvent besoin d’utiliser cette prérogative.

La vérité, c’est que les employeurs ont une vision de propriétaire de la médecine du travail. C’est pourquoi ils ne veulent absolument pas que les syndicats de salariés disposent d’un véritable droit de regard sur la manière dont les finances de la médecine du travail sont utilisées.

En proposant un poste de vice-président au collège « salariés », c’est un strapontin que l’on offre aux salariés, en quelque sorte un poste d’observateur, sans pouvoirs. C’est la raison pour laquelle le Sénat avait adopté l’alternance présidence-trésorier, tous les trois ans, pour les deux collèges, ce qui représentait une réelle garantie et garantissait un exercice réel du paritarisme.

Je regrette d’autant plus ce revirement que, lors de cette séance publique, vous ne vous étiez pas opposé, monsieur le ministre, à la rédaction du Sénat.

M. Jean-Pierre Godefroy. Je crois même que vous aviez même émis un avis favorable sur cet amendement.

Une question, dès lors, se pose. Le Gouvernement était-il informé de cette modification ? À moins qu’il ne soit à l’origine de celle-ci ! (M. le rapporteur s’exclame.) Dans ce cas, nous pourrions estimer, légitimement, avoir été bernés en séance publique.

Cela témoignerait également, une fois de plus, de votre conception totalement biaisée du dialogue social, comme le prouve également ce qui s’est passé tout au long de la préparation et de l’examen de ce projet de loi et qui explique largement son rejet par la population.

Vous avez la possibilité, monsieur le ministre, et vous seul, de rétablir la version votée à l’unanimité par le Sénat en déposant un amendement. C’est à l’aune de cette décision que nous jugerons votre réelle volonté d’établir un vrai paritarisme dans la médecine du travail.

Au-delà de ce texte, qui va donc finir par être voté, c’est un malaise plus général que l’opinion exprime dans la rue et au travers des sondages. Les Français rejettent cette réforme des retraites, car ce que le Gouvernement leur présente comme des « réformes » depuis 2007 – et même bien avant, depuis 2002 ! – conduit à une régression générale des conditions de vie : logement inaccessible, durée de transport allongée, travail sous pression, emplois précaires, accès aux soins de plus en plus coûteux, services publics menacés, supprimés ou privatisés, etc. La liste est tellement longue que je n’ai pas le temps de l’égrener ici ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

La réforme des retraites fonctionne aujourd’hui comme une cristallisation. Trois ans après l’élection du Président de la République, les Français rejettent l’injustice érigée en mode de gestion économique, sociale et politique par celui-là même qui devrait être le garant de la cohésion nationale.

Si l’effort doit être fait par la nation, cet effort doit être réparti. Vous n’entendez pas le cri des travailleurs, mes chers collègues ! Vous êtes sourds à leur appel de justice et de respect. Ils sont la force productive de notre pays, et vous leur tournez délibérément le dos. Je suis persuadé qu’ils sauront, à très brève échéance, vous le faire savoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec le coup de force visant à faire adopter le texte issu de la commission mixte paritaire sans débat et par vote unique, vous persistez dans des méthodes d’un autre âge, qui ne font pas honneur à notre assemblée et qui couvrent, en matière financière, le montage le plus injuste et le plus inefficace de cette loi de régression sociale que vous osez encore appeler réforme !

Quelles sont les réponses que vous apportez au financement des retraites ? Allongement de la durée de cotisation, report de l’âge de départ en retraite – ce recul social pleinement assumé par Benoist Apparu ! –, recul de l’âge de liquidation sans décote : voilà les seules solutions, pesant uniquement sur les salariés, que vous avez trouvées !

Un an de cotisations en plus pour un smicard, c’est 800 euros de plus sur l’année. Vous pouvez multiplier cette somme par 3 millions pour avoir une idée de ce que cela représente !

Reculer de deux ans l’âge légal de départ et porter à 67 ans l’âge auquel la décote cesse de s’appliquer, voilà le moyen le plus sûr de limiter le niveau des pensions de sortie et de raccourcir la durée de versement.

Au fond, travailler plus et plus longtemps, pour toucher moins et moins longtemps.

M. Guy Fischer. Très bien !

M. Bernard Vera. C’est ce que j’avais appelé la spéculation sur la mort lors des explications de vote de vendredi dernier !

M. Bernard Vera. Penchons-nous maintenant sur la question des prélèvements qui vont être effectués sur les revenus les plus élevés. Dans une logique de pur affichage, le Gouvernement a pensé que cela « ferait bien » de taxer, légèrement, les revenus du capital et du patrimoine.

Mais que pèsent les 180 millions d’euros récupérés cette année sur les plus-values face aux milliards de cotisations, sans droits à pension supplémentaires, que vous allez racketter sur le travail des salariés ?

À la vérité, si l’on avait voulu assurer le financement de nos retraites, il était parfaitement possible de trouver d’autres pistes. Par exemple en se posant cette question simple : ne serait-il pas légitime, normal et tout à fait concevable que la France consacre plus de 13,5 % de la richesse nationale à assurer un revenu de remplacement, une retraite ou une pension à plus de 12 millions de nos compatriotes, c’est-à-dire un Français sur cinq ?

Ce débat financier a-t-il eu lieu ? Évidemment, non.

La meilleure preuve en est que, passé le débat sur les comptes notionnels, la majorité du Sénat a opté pour le blocage de la discussion des amendements de l’opposition sénatoriale susceptibles de montrer que d’autres voies pouvaient être suivies.

Car là est la clé de cette réforme : vous avez opté pour la soumission de la protection sociale aux contraintes des marchés financiers, pour plaire aux agences de notation et réduire les déficits publics par la mise en œuvre d’une politique d’austérité. Pour notre part, nous avons défendu une logique d’insoumission.

Une insoumission qui passe par la majoration de l’impôt de solidarité sur la fortune, par une remise en cause des prélèvements libératoires, par la mise en question des régimes privilégiés qui favorisent aujourd’hui le détournement du produit du travail vers les marchés financiers, vers les gaspillages de la spéculation.

Votre appel catastrophiste sur le thème : « Il faut faire cette réforme sinon qui paiera les retraites ? » ne supporte pas l’analyse.

Quand on consacre 172 milliards d’euros par an à exonérer les entreprises du paiement de leurs impôts et cotisations sociales, comment peut-on dire que les 7 milliards ou 10 milliards d’euros de déficit de trésorerie de l’assurance vieillesse deviendraient insupportables ?

Comment ne pas pointer le fait que votre loi condamne les salariés au régime sec alors que vous étiez prêt, en 2008, à dépenser 360 milliards d’euros pour sauver des banques qui vous ont remercié depuis en privant de crédit des milliers de PME, causant ainsi des liquidations d’activités et d’emplois par centaines de milliers ?

Nos propositions de financement conduisent concrètement à offrir une alternative moderne à la situation dans laquelle vous avez placé, texte après texte, notre système de retraite, une alternative au déclin, qui fait aujourd’hui débattre et réfléchir l’ensemble du corps social de notre pays.

Car, s’il y a bien une chose qui ressort de l’expérience, c’est qu’aucun des reculs que vous avez eu l’occasion de mettre en œuvre depuis 1993 n’a conduit à retrouver l’équilibre du système en général. C’est un peu comme si tout avait été fait pour que la perte de pouvoir d’achat, de substance et de qualité de notre système de retraite ne soit, in fine, que le moyen que vous avez trouvé pour convaincre les Françaises et les Français du bien-fondé du passage à un système de fonds de pension qui irait jouer l’argent des pensions sur les marchés boursiers.

Nous, nous pensons que la solidarité collective est la réponse la plus moderne qui soit aux problèmes de notre temps.

Permettez-moi d’ailleurs un petit rappel historique, en guise de conclusion.

À la Libération, quand la République, rétablie dans ses droits et ses pouvoirs, a créé notre système de retraite par répartition, elle a choisi la modernité évidente de la solidarité interprofessionnelle et intergénérationnelle.

Dans sa grande modernité, ce régime général de retraite a même pris à son compte de solder les retraites créées avant la Seconde Guerre mondiale et qui, pour une bonne partie, étaient fondées sur un principe de capitalisation. Cette capitalisation s’était évidemment effondrée après la tourmente des années de guerre et laissait des pensions d’un niveau ridiculement bas.

Comme nous ne voulons pas soumettre l’avenir de nos retraites aux aléas du marché boursier, que ce soit par capitalisation, par mise en œuvre des retraites par points ou par comptes notionnels, nous ne pouvons opposer que les réponses collectives et solidaires que nous avons préconisées.

Devant cette profonde divergence de vues, nous ne pouvons que vous confirmer notre rejet de votre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. Guy Fischer. Très bien ! Voilà du sérieux !

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Au pays des sourds, les aveugles sont rois !

Voilà votre gloire, messieurs les ministres, mes chers collègues de la majorité. En braves soldats que vous êtes, vous n’avez pas failli aux ordres. Vous avez su ne pas voir les milliers de manifestants et avez su ignorer la contestation massive. Vous avez su rester courageusement fermés à la négociation, résolument sourds aux alternatives, imperméables aux débats.

Cela méritait d’être salué à l’heure de considérer le travail accompli. Trois évidences sont frappantes. Tout d’abord, la procédure est mise au service d’une stratégie de « cadrage » – dans le temps et sur le fond – du débat parlementaire, qui ne sera bientôt plus, entre vos mains, que l’alibi démocratique de procédés césariens.

Au fond, le texte issu de cette commission mixte paritaire est aujourd’hui pratiquement identique à celui déposé en septembre dernier sur le bureau de l’Assemblée nationale. Rien d’essentiel n’a bougé.

Une trentaine de nos amendements ont certes été adoptés et confirmés ; c’est la reconnaissance du travail auquel notre groupe s’est attaché.

C’est sans compter tous nos amendements tombés sous le feu de l’article 40 et tous les autres rejetés en séance. Le débat était tranché d’avance, preuve en est le rétablissement de l’article 4 – pour lequel vous n’avez pas osé demander une seconde délibération –, ou encore de l’article 13 relatif aux infirmiers et professionnels de santé dans sa rédaction initiale. Aucune des modifications adoptées, de quelque groupe qu’elles émanent d’ailleurs, n’est propre à modifier réellement ce projet, si ce n’est à la marge. Et cette marge était vraisemblablement mesurée dès l’origine par les auteurs même du projet !

Les concessions présentées en cours de débat s’agissant des parents d’enfants handicapés et des parents de trois enfants – aussi attendues étaient-elles, mais aussi limitées sont-elles –, font évidemment partie de cette orchestration et ne font pas illusion, à moins de vous faire crédit d’une subite et tardive prise de conscience de la profonde injustice de cette réforme, ce qui ne semble pas être encore tout à fait exact.

De même étaient prémédités le rythme et le calendrier imposés au parlement : ouverture en session extraordinaire et clôture prématurée du débat à l’Assemblée nationale déjà contrainte par le « temps-guillotine », demande de réserve de tous les amendements portant articles additionnels, demande de priorité sur les deux articles clefs du projet portant recul de l’âge de la retraite et, enfin, vote bloqué au Sénat.

Stratégie également le fait d’avoir présenté un projet de réforme des retraites « en kit » ! Le présent texte ne comporte que les seules mesures d’âge. Une part du financement des retraites se trouve dans le projet de loi de finances à venir. Une autre part de financement viendra dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Une troisième part figure dans le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale qui vient d’être adopté... Vous privez ainsi de manière certaine et déloyale, pourrait-on dire, la représentation nationale des données essentielles et nécessaires à son jugement. Les rapporteurs des commissions, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, qui ont tous deux déploré ne pas disposer de toutes les informations utiles à cet égard, ne me démentiront pas.

Toujours est-il que la raison d’être de ce projet de réforme étant de ramener les comptes de l’assurance vieillesse à l’équilibre, nous nous sommes bien sûr penchés sur les financements prévus à cet effet, si dispersés soient-ils.

Ainsi, la seconde évidence frappante est votre difficulté persistante à l’égard des chiffres. L’objectif d’équilibre du régime est fixé à 2018. Il est malheureusement construit à la fois sur un tour de passe-passe, insuffisant à créer l’illusion d’une ressource, sur des hypothèses de croissance jugées irréalistes et déjà partiellement démenties, enfin, sur l’épuisement prématuré du fonds de réserve pour les retraites, mesure d’imprévision et de mauvaise gestion manifeste.

Il manque en effet déjà plus de 15 milliards dans votre compte, monsieur le ministre, soit plus du tiers des besoins ! Car, même requalifiés « effort net de l’État », ces 15 milliards d’euros ne sont pas financés.

Enfin, les deux tiers du financement total, 18,6 milliards, sont attendus des seules mesures d’âges sur l’hypothèse d’une croissance de 2 %, en réalité fort improbable. J’ajoute qu’en l’état actuel du chômage en France vous omettez d’intégrer à votre compte d’équilibre – qui en porte de moins en moins bien le nom – le coût du transfert sur l’UNEDIC. Celle-ci s’en est préoccupée et l’a évalué entre 440 millions et 530 millions de charges nouvelles. Il faudra également ajouter le coût de ce transfert vers l’assurance maladie et les départements, au titre des allocations d’invalidité et du RSA, que ces derniers devront verser pendant deux années supplémentaires.

Depuis dix ans que vous gouvernez, vous auriez pu développer sur le long terme un projet ambitieux d’emploi des seniors. Vous ne l’avez pas fait, mais vous ne pouvez pas ne pas tenir compte, à court terme, de la réalité qui est que 85 % de ceux qui liquident leur pension au titre de l’âge sont au chômage, parmi lesquels 87 % de femmes sans emploi depuis plus de vingt ans !

Enfin, au prix d’une contre-vérité, d’un argument démographique contradictoire, d’une certaine légèreté à l’égard des règles que vous avez vous-même fixées et d’une gestion inconséquente des deniers publics, le fonds de réserve pour les retraites verra ses actifs et ses ressources transférés à la caisse d’amortissement de la dette sociale pour financer les déficits cumulés du régime des retraites des salariés.

Contre-vérité en effet, lorsque vous affirmez que ce transfert ne fait qu’anticiper l’utilisation du fonds en raison de la crise, alors qu’il est destiné à répondre à des besoins démographiques conjoncturels – le surcroît de dépenses que générera en 2020 l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom – et n’est nullement un instrument de gestion courante des comptes.

Légèreté lorsque vous décidez finalement de vous affranchir des règles posées par la loi organique pourtant écrite par vos soins en 2005.

La troisième évidence correspond à une autre des difficultés vous caractérisant, à l’égard cette fois de la notion de justice.

Vous entendez faire peser 85 % du coût de cette réforme sur les salariés du privé et les fonctionnaires, tandis que les prélèvements nouveaux envisagés par le PLF et le PLFSS pour 2011 – dont la représentation nationale n’a eu connaissance que tout récemment – protègent encore les plus hauts revenus et les entreprises. Nous vous avons proposé de répartir également cet effort par la taxation des revenus du capital, des stock-options, des plus-values de cession de filiales, de la valeur ajoutée des grandes entreprises à hauteur de 28 milliards et une hausse de 0,1 % par an des cotisations sur les revenus du travail à hauteur de 27 milliards. Où est la justice pour les actifs et les retraités d’aujourd’hui ?

La taxation au fil de l’eau des contrats multi-supports d’assurance-vie, comme la taxation de la réserve de capitalisation des sociétés d’assurance ne procurent pas de recettes à long terme, et, je l’ai déjà dit, vider aujourd’hui le fonds de réserve pour les retraites injurie l’avenir. Où est la justice pour les générations futures ?

Cette réforme – ce sera ma conclusion – profondément injuste, déséquilibrée et incohérente puisque inscrivant pour l’immédiat la nécessité d’une autre réforme a été, hier, qualifiée de « fiasco total ». Ce mot serait-il trop fort au regard des réactions de nos concitoyens depuis plusieurs semaines et depuis plusieurs mois ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec un grand désarroi et une vraie colère que nous sommes amenés à prendre la parole aujourd’hui, alors que nous sommes arrivés au terme d’une procédure législative qui, de bout en bout, a été menée à marche forcée.

Force est de constater que, face au rouleau compresseur idéologique et médiatique, il ne reste que très peu de place pour la démocratie. Les principes sont malmenés et, d’ailleurs, la procédure tronquée de la restitution de la commission mixte paritaire de ce jour n’en est que la dernière illustration.

Depuis le mois de juin, le Président de la République et son gouvernement ont décidé de nous imposer un texte sur les retraites, quoi qu’il en coûte à notre pays. Ce texte, principalement destiné aux agences de notation, nos concitoyens n’en veulent pas, ils le disent depuis la communication de votre projet.

Mais le Gouvernement n’en a cure et il s’obstine à faire de la rentrée 2010 une date marquante dans les étapes de la régression sociale qu’il nous impose depuis des années.

Cette fois encore, je le déplore, les victimes de ce texte seront les femmes !

Alors que vous avez à plusieurs reprises dénoncé les inégalités professionnelles entre femmes et hommes comme le « scandale de la République », vous ne faites rien, monsieur le ministre, ici comme ailleurs, pour y remédier.

Vous l’aviez dit, l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes « n’était pas le sujet de ce texte ». Vous avez tenu parole puisque ce dernier n’apporte rien, ou quasiment rien, pour réduire les inégalités salariales subies par les femmes.

Le présent projet de loi constitue un recul pour tous, en particulier pour les femmes. Or vous tentez de le présenter comme une grande progression pour les droits de celles-ci ! Votre objectif était de gagner la bataille de l’opinion – car, vous le savez, un électeur sur deux est une femme – mais, là aussi, vos discours se sont fracassés contre les réalités.

Objectivement, avec ce texte, toutes les conditions sont réunies pour que les inégalités dont sont victimes les femmes en matière de retraite perdurent et s’aggravent. Dans notre système par répartition, le montant des retraites de ces dernières est le double reflet de leur parcours professionnel, en raison tant des petits salaires qu’elles auront perçus que du nombre de trimestres qu’elles n’auront pas pu valider.

La retraite concentre donc des inégalités, car elle arrive en bout de chaîne. La carrière professionnelle des femmes s’articule souvent entre-temps partiel imposé, précarité, discrimination à l’embauche, salaires inférieurs à ceux des hommes, congés de maternité, congé parental... Avec votre réforme, elles devront subir les conséquences des inégalités de notre société, y compris au cours de leur retraite.

En matière de lutte contre les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, alors que la loi de 2006 n’est toujours pas appliquée, les membres de mon groupe avaient formulé des propositions. Vous avez délibérément refusé d’en débattre, en recourant à la procédure du vote unique et au couperet de l’article 40 de la Constitution.

Aujourd’hui, les femmes peuvent partir à la retraite à 65 ans tout en percevant une pension à taux plein. Avec le texte qui résultera de nos travaux, il leur faudra dorénavant cumuler énormément de conditions pour conserver ce droit : être nées entre 1951 et 1955, avoir élevé au moins trois enfants, avoir interrompu leur activité professionnelle à cette fin et avoir validé au préalable un nombre minimal de trimestres.

Monsieur le ministre, selon vous, 130 000 femmes seraient concernées – vous annoncez fièrement ce chiffre ; or seules 25 000 d’entre elles le seraient selon les syndicats. C’est très peu !

Le dispositif destiné aux mères de famille fonctionnaires qui, selon vous, était un avantage réservé à certaines femmes, m’inquiète également. Vous faites erreur : loin d’être un privilège, ce dispositif permet seulement à des femmes d’effectuer un choix de vie !

Vous affichez un grand satisfecit, estimant réglée pour les nouvelles générations la question de l’égalité. Or vous savez bien qu’il n’en est rien. Aujourd'hui, à trente ans, les femmes salariées totalisent déjà deux trimestres de cotisation de moins que leurs collègues masculins. De surcroît, seul 1 % des pères arrêtent, réduisent ou interrompent leur activité professionnelle après la naissance d’un enfant, contre 35 % des mères.

Monsieur le ministre, puisque vous nous opposez une bataille de chiffres, je tiens de nouveau à vous rappeler que, depuis que votre gouvernement est au pouvoir, notre pays a chuté à la 137e place sur 142 au classement mondial relatif à l’égalité entre les hommes et les femmes. Et vous osez parler de victoire pour les femmes ! Quelle triste victoire !

En réalité, votre texte les condamne une nouvelle fois à la défaite et celle-ci aura pour elles un goût encore plus amer puisqu’elles seront discriminées jusqu’à leur retraite. Il y a une certaine honte à aborder ainsi la question des droits des femmes, un irrespect que vous manipulez avec beaucoup d’efficacité. Je le regrette pour toutes ces femmes qui verront leur retraite rimer avec précarité.

Nous avons tout fait pour nous opposer à cette régression sociale inadmissible. Le texte est passé tout de même et on voit de quelle manière. Quoi qu’il en soit, vous pouvez compter sur la détermination des membres du groupe CRC-SPG pour rester mobilisés, aux côtés de nos concitoyens, jusqu’au retrait de cette réforme injuste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. À l’issue de ces trois semaines de débat sur le projet de loi portant réforme des retraites, il me reste le goût amer d’une occasion ratée, et j’en tire la désagréable impression que notre pays, faute de dialogue social, s’engage dans une crise sociale grave.

La discussion du projet de loi susvisé est donc une occasion ratée, car nous allons à contre-sens de l’Histoire.

Monsieur le ministre, vous partez d’un postulat faux ; vous pensez qu’il faut travailler davantage. Pourtant, dans nos sociétés développées, il est possible d’envisager autrement le travail. Grâce au progrès technologique, à l’augmentation de la productivité, la production des biens nécessaires à la société nécessite un travail d’une durée plus limitée qu’auparavant. De fait, c’est la question de la répartition du temps de travail qui est posée, non celle de son augmentation.

Face à la logique du principe « travailler toujours plus », induisant des heures supplémentaires à n’en plus finir, et à l’objectif de travailler toujours plus longtemps conduisant au report de l’âge de la retraite, nous, écologistes, proposons de travailler mieux, de travailler moins, mais de travailler tous.

L’écologie, est une question non pas subsidiaire, mais centrale. La nécessité de limiter les pollutions, de préserver l’air, les sols et les océans, d’économiser les ressources naturelles nous oblige à penser différemment l’activité humaine et les droits qui y sont associés. Nous pouvons, nous devons limiter la production des biens industriels qui ne sont pas indispensables et privilégier les activités de service, de santé et d’échanges. C’est pourquoi votre loi fait fausse route : oublier les contraintes environnementales, c’est s’assurer que votre projet n’a rien de durable.

Monsieur le ministre, votre réforme est inefficace, car les seniors ne trouveront pas plus d’emplois demain qu’aujourd’hui. En effet, le marché du travail dans notre pays est hyper standardisé ; c’est en France que le taux de productivité horaire est le plus élevé, ce qui signifie une recherche du salarié le plus conforme, le plus performant.

Le report de l’âge minimal de départ à la retraite n’a pas de sens lorsque ne sont pas résolues ni même abordées, les difficultés d’insertion des jeunes dans l’emploi et les départs anticipés des seniors.

Les quelques mesures que vous avez prises ne parviendront pas à enrayer ce processus d’exclusion des plus anciens du monde du travail.

Rien n’a été fait pour les jeunes, qu’ils soient étudiants, apprentis, stagiaires ou à la recherche d’emploi.

Votre politique de destruction des services publics dans les secteurs de l’éducation, de la santé, de la petite enfance, de la dépendance est nuisible pour l’emploi et nous entraîne dans un cercle vicieux... Elle a pour conséquence moins d’actifs. Moins d’actifs, c’est moins de cotisations, et donc cela revient à « plomber » encore plus le système par répartition.

Contrairement à ce que vous affirmez, réformer les retraites sans réformer l’emploi, sans résorber le chômage ne permet pas de garantir la pérennité du système par répartition.

Monsieur le ministre, votre réforme n’est pas seulement de courte vue et inefficace ; elle est aussi injuste.

Si certains de nos concitoyens s’épanouissent au travail, la majeure partie des salariés sont soumis à des critères de rentabilité intenables, à un management qui les pressure toujours plus. Pour la plupart d’entre eux, le travail est aliénant.

Monsieur le ministre, pour comprendre la mobilisation sociale contre votre projet, vous devez vous plonger dans la réalité.

Pensez-vous que dans les raffineries ou sur les chaînes de montage, les ouvriers vont accepter de travailler en 3x8 deux ans de plus ?

Pensez-vous que les couvreurs, les charpentiers, qui grimpent sur les toitures, soient capables de le faire deux ans de plus ?

Pensez-vous que tous ceux qui sont exposés à des substances toxiques ou cancérigènes – ceux qui travaillent dans le secteur du bâtiment, par exemple – puissent continuer à les respirer deux ans de plus ?