Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, mes chers collègues, avec l’examen de ce projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, l’occasion nous est donnée de participer à une sorte de débat budgétaire anticipé, quelques jours avant la discussion du projet de loi de finances pour 2011.

Ce projet de loi de programmation des finances publiques est le deuxième du genre, le premier – pour la période 2009-2012, adopté en février 2009 – ayant été rendu rapidement caduc par la crise. Comparé à ce dernier, le présent projet comporte un certain nombre de règles et de dispositions nouvelles, pertinentes et utiles, notamment en matière de norme d’évolution des dépenses publiques, de pilotage des prélèvements obligatoires ou encore de maîtrise de l’ONDAM, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie.

Elles devraient permettre, selon le Gouvernement, de réduire nos déficits à un rythme soutenu durant les quatre prochaines années. On ne peut qu’inciter l’exécutif à suivre cette voie.

L’examen de ce projet de loi permet également au Parlement d’avoir un débat sur l’évolution des finances publiques à moyen terme, puisqu’il définit une trajectoire pluriannuelle d’évolution des comptes publics.

Les lois de programmation des finances publiques consistent tout d’abord en un exercice de prévision macroéconomique, puisque le Gouvernement indique ses prévisions en matière de croissance du PIB, de déficits publics et du niveau de la dette.

Bien évidemment, les trajectoires des finances publiques sont particulièrement aléatoires puisqu’elles dépendent des hypothèses macroéconomiques retenues par le Gouvernement en ce qui concerne les prévisions de croissance, mais aussi l’inflation, l’évolution de la masse salariale ou l’élasticité des recettes. C’est pourquoi il convient selon moi de rester prudent en ces matières.

Ainsi, le Gouvernement envisage dans ce projet de loi une croissance annuelle du PIB en volume de 2,5 % par an entre 2012 et 2014. Les hypothèses de croissance du Gouvernement sont supérieures à celles retenues par le Fonds monétaire international et l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, qui prévoient un taux de croissance du PIB compris entre 1,6 % et 2,1 % sur la période 2011-2014, dans un environnement international où la reprise paraît encore incertaine et où les risques de rechute ne sont pas exclus.

Une prévision de croissance de 1,5 % nous paraît beaucoup plus réaliste et raisonnable que celle de 2,5 % initialement retenue par le Gouvernement. Notre commission des finances, dans sa grande sagesse, l’a ramenée à 2 % afin de rester crédible face à nos interlocuteurs. Adopter cette estimation prudente permet en outre de minimiser les risques de surévaluation de la hausse du PIB. Cela permet enfin, si les taux de croissance s’avèrent supérieurs, d’utiliser le surplus de recettes pour réduire plus vite les déficits publics.

Ainsi, l’hypothèse d’une croissance molle de 1,5 % entre 2010 et 2014, qui me semble la plus réaliste, ne permettrait pas le retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB, même en 2014, ni l’inversion de la courbe de l’endettement public, lequel dépasserait 91 % du PIB en 2014. Nous sommes alors proches du scénario alternatif esquissé par la commission des finances.

Le risque des prévisions trop optimistes est de surévaluer le rattrapage des pertes de production et les rentrées fiscales, tandis que l’objectif de maîtrise des dépenses est très ambitieux.

Par exemple, pour 2011, le Gouvernement affiche une réduction historique du déficit de l’État de 152 milliards d’euros à 92 milliards d’euros, qui résulte essentiellement d’un simple effet mécanique lié à la non-reconduction des mesures exceptionnelles de crise en 2011. La réduction des dépenses ne représente pas grand-chose dans la réduction du déficit.

La programmation pluriannuelle est donc extrêmement sensible à la croissance, ce qui laisse à penser que la réduction du déficit et l’infléchissement de la dette publique à la baisse devront reposer non sur d’hypothétiques recettes de croissance mais sur la stricte maîtrise des dépenses.

Cela signifie que, pour la décennie à venir, un effort supplémentaire devra être réalisé, tant en matière de dépenses que de recettes, pour résorber progressivement un déficit structurel qui a été creusé, depuis de trop nombreuses années, par des baisses d’impôt massives non compensées par des économies sur la dépense.

Des efforts considérables doivent être engagés pour réduire la dépense publique, monsieur le ministre, et seules des réformes de structure très profondes permettront de la contenir. Le respect scrupuleux de l’objectif d’évolution des dépenses publiques ainsi que l’approfondissement de la réduction des niches fiscales et sociales seront alors indispensables.

Le Gouvernement affirme faire le choix d’une réduction durable du déficit fondée sur la maîtrise des dépenses publiques. Pour cela, il fixe un objectif d’évolution des dépenses publiques qui se veut ambitieux, puisque la progression des dépenses de l’ensemble des administrations publiques devra être limitée à 0,8 % en moyenne annuelle entre 2011 et 2014, alors que ces dépenses ont progressé ces dernières années de 2,3 % en moyenne.

Malheureusement, comme vous le savez, monsieur le ministre, cela ne sera pas suffisant. De plus, cet effort devra principalement porter sur la maîtrise de la dépense sociale et locale, puisque ce sont elles qui ont le plus progressé ces dernières années, notamment du fait de la crise, où les stabilisateurs économiques ont pleinement joué leur rôle.

Cela implique de diviser par trois le rythme de progression des dépenses publiques, ce qui serait inédit. Cela représente environ 16 milliards d’euros d’économies par an, soit plus de 66 milliards d’euros sur la période couverte par le projet de loi, alors que l’effort moyen de réduction de la dépense publique n’a pas dépassé deux milliards d’euros par an jusqu’à présent !

En outre, l’effort devra porter sur la réduction de la progression naturelle des dépenses les moins maîtrisables faute de leviers efficaces pour les réguler, à savoir celles des administrations locales et des administrations sociales. Cela implique également de maintenir les prélèvements obligatoires à leur niveau actuel en s’interdisant impérativement toute mesure nouvelle de baisse. Plus encore, ne faudra-t-il pas les revoir à la hausse pour tendre vers l’objectif d’un déficit public s’élevant à 3 % du PIB ?

Le Gouvernement s’engage à atteindre cet objectif d’ici à 2013, ce qui suppose de réduire le déficit structurel de 1 % du PIB – soit 20 milliards d’euros – par an. Pour réduire le déficit public à 6 % du PIB en 2011, l’exécutif utilise le levier des recettes, en créant plus de 10 milliards d’euros de recettes nouvelles.

Avec ce scénario optimiste, le Gouvernement mettrait fin à la progression de la dette publique à partir de 2013, date à partir de laquelle celle-ci commencerait à diminuer grâce au retour à un solde public positif, après avoir représenté 87,4 % en 2012. L’année prochaine, notre pays devra continuer de s’endetter pour financer son déficit qui sera encore de 6 %. La dette publique, qui s’élèvera l’année prochaine à 1748 milliards d’euros, met le Gouvernement au pied du mur.

La soutenabilité de la dette publique française dépend donc directement de notre capacité à réduire le déficit, notamment structurel, faute de quoi nous connaîtrions l’effet d’emballement de la dette décrit par Philippe Séguin, avec les risques que nous connaissons.

Le premier d’entre eux serait lié à l’absence de marges de manœuvre budgétaires, du fait du poids de la charge des intérêts de la dette, qui vont passer de 4,5 milliards d’euros actuellement à 5 milliards d’euros en moyenne en 2012 et en 2013. La dette, qui est déjà le deuxième poste de dépenses du budget, atteindra en 2013 un niveau historique de près de 57 milliards d’euros. Si la remontée progressive des taux d’intérêts se confirme – comme on peut le redouter, et comme vous le prévoyez vous-même, monsieur le ministre, en anticipant une hausse d’environ 150 points de base dès 2011 –, la charge de la dette pourrait devenir le premier poste budgétaire de l’État, devant l’enseignement scolaire.

Par ailleurs, la crédibilité de notre pays sera mise en doute du fait de son incapacité à rembourser sa dette, avec le risque d’une dégradation de la note de la France par les agences de notation. Sachant également que notre dette publique est détenue à 70 % par des non-résidents, le risque qu’elle échappe à tout contrôle est bien réel.

Enfin, le risque d’une hausse des taux d’intérêt par les opérateurs de marché du fait de l’incapacité de la France à réduire son niveau d’endettement alourdirait encore la charge de la dette. Je le rappelle, un point de hausse des taux d’intérêt équivaudrait à alourdir de 10 milliards d’euros la charge de la dette. N’oublions pas non plus que l’endettement à court terme n’a cessé de croître pour atteindre près de 20 % de la dette totale en 2009.

Dans le scénario du Gouvernement, le déficit de l’État devrait passer de 92 milliards d’euros en 2011 à 44,4 milliards d’euros en 2014, grâce à une forte « surréaction » des recettes fiscales et au gel des dépenses, hors charges d’intérêt de la dette et hors dépenses de pensions.

Le Gouvernement prévoit un double encadrement de l’évolution des dépenses de l’État – la norme « zéro volume » et la norme « zéro valeur » – qui devrait contribuer à l’apurement du déficit de l’État. Cette nouvelle norme devrait garantir que les économies dégagées serviront à réduire le déficit et viendront participer à l’effort de consolidation des finances publiques.

La stabilisation en valeur de l’ensemble des dépenses de l’État – hors charges d’intérêt de la dette et dépenses de pensions, qui continueront pour leur part à progresser sur cette période – est une nécessité pour respecter l’engagement de stabiliser en volume l’ensemble des dépenses de l’État sur la période 2011-2013. À l’inverse, ce sont les crédits des missions du budget général qui serviront de variables d’ajustement dans l’hypothèse où le poids de la charge de la dette ou des pensions des fonctionnaires serait supérieur à la norme « zéro volume ». C’est ainsi plus d’une mission sur deux de l’État qui verra son enveloppe globale gelée ou diminuée au cours de la période 2011-2014.

Le Gouvernement se fixe un objectif de réduction des dépenses supérieur à 12 milliards d’euros entre 2011 et 2013 à travers trois dispositions.

La première vise à stabiliser les dépenses de personnel avec la poursuite du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux au sein des ministères. Monsieur le ministre, cette règle devra également concerner les 583 opérateurs de l’État et il faudra prévoir un meilleur pilotage de la masse salariale. J’en rappelle l’enjeu.

Les opérateurs de l’État, qui reçoivent 34 milliards d’euros de subventions et de ressources fiscales, emploient 250 000 personnes, hors universités. Or leurs effectifs ont continué à progresser ces dernières années. Les ministères ont en effet transféré des personnels vers ces opérateurs afin de contourner les plafonds d’emplois. Voilà pourquoi les opérateurs doivent être soumis aux mêmes règles que les ministères.

Comme l’indique M. Marini, nous assistons à une « agencisation » de l’État. Depuis deux ans déjà, la commission des finances dénonce cette situation.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !

M. Jean-Jacques Jégou. Concernant la masse salariale, chaque augmentation de 1 % de la valeur du point d’indice accroît de 800 millions d’euros la dépense de l’État et de 1 milliard d’euros environ celle des collectivités locales et des hôpitaux. Le gel du point d’indice est donc indispensable, sachant que le salaire moyen brut par tête a progressé de 2,2 % par an de 1999 à 2009 pour une inflation annuelle de 1,7 %. Avec un objectif de maîtrise de la masse salariale, cette progression n’est donc pas soutenable.

La deuxième disposition vise à réduire de 10 % les dépenses de fonctionnement et d’intervention d’ici à 2013.

La simple stabilisation des dépenses de guichet imposerait de réaliser 5,7 milliards d’euros d’économies sur trois ans afin de contrecarrer l’évolution naturelle de ces dépenses. Les maîtriser nécessite donc de passer par une modification des paramètres législatifs ou réglementaires qui régissent le niveau et les conditions d’ouverture des droits aux prestations. Pour 2011, la réduction des dispositifs de guichet ne représenterait que 1,7 milliard d’euros.

Concernant les dépenses d’intervention, aucun chiffrage des économies attendues n’est précisé. Cette politique, même si elle est difficile à faire accepter à nos concitoyens, est indispensable.

La troisième disposition tend à geler en valeur les concours de l’État aux collectivités territoriales. Celles-ci devront donc réduire leurs dépenses, ce qui ne sera pas une mince affaire.

Les administrations de sécurité sociale devront, elles aussi, participer à cet effort, car, avec un déficit prévisionnel de 32,8 milliards d’euros en 2010, soit 1,7 % de PIB, elles représentent un enjeu majeur de la réduction du déficit public. Le Gouvernement se fixe un objectif ambitieux de maîtrise des dépenses dans ce secteur : réduire le déficit à moins de 12 milliards d’euros en 2014, soit 3 milliards d’euros ou 4 milliards d’euros par an, en fixant un ONDAM à 2,9 % en 2011, puis à 2,8 % les années suivantes.

Pour les dépenses d’assurance vieillesse, la réforme des retraites devrait suffire à rééquilibrer le régime selon le Gouvernement. Comme je l’ai dit ce matin en présentant mon rapport pour avis, il est très difficile d’être aussi optimiste que vous sur ce point, monsieur le ministre. Néanmoins, nous aurons l’occasion d’en reparler.

En l’absence d’éléments précis sur les dépenses qui seraient réduites ou supprimées, ce qui laisse dubitatif sur la réalité de leur réduction, le Gouvernement compte sur l’amélioration de la conjoncture et du marché du travail, donc sur la progression de la masse salariale et des recettes de la sécurité sociale.

À cet égard, on ne peut que regretter de ne pas disposer d’information sur la contribution des organismes de sécurité sociale autres que ceux du régime général à la réduction du déficit, alors que ceux-ci sont censés jouer un rôle important. Je rappelle que, compte tenu du vieillissement de la population, qui tire à la hausse les dépenses d’assurance vieillesse et d’assurance maladie, et compte tenu du progrès technique, qui renchérit le coût des soins, la maîtrise des dépenses de sécurité sociale ne pourra pas être atteinte sans réforme structurelle.

Du côté des recettes, le Gouvernement parie sur une hypothèse de croissance spontanée annuelle comprise entre 15 milliards d’euros et 19 milliards d’euros à compter de 2012, liée à une « surréaction » des recettes fiscales. De tels rythmes de progression apparaissent clairement surestimés compte tenu de la multiplication des dépenses fiscales qui ont réduit l’assiette et donc la dynamique des principaux impôts.

Par ailleurs, je me réjouis que la commission des finances ait rétabli la limitation à quatre ans de la durée de nouvelles niches, tant il est nécessaire pour le Parlement de pouvoir contrôler le coût des dépenses fiscales chaque année sur la durée de la programmation.

Il faut le redire, les objectifs indiqués dans les projets de loi de programmation des finances publiques ne sont pas contraignants et les trajectoires décrites n’ont qu’une valeur purement indicative. Notre exercice a donc ses limites. L’exemple de la précédente loi de programmation doit d’ailleurs nous inciter à la prudence, puisque, en partie du fait de la crise mais pas seulement, la plupart des engagements n’ont pas été tenus et les règles édictées n’ont pas été respectées.

Je prendrai deux exemples, qui ont d’ailleurs déjà été cités.

Ainsi, la règle édictée par l’article 11 de la précédente loi de programmation, qui prévoyait de gager les niches fiscales et sociales, a été systématiquement bafouée par le Gouvernement, notamment lors de la baisse du taux de la TVA dans la restauration, qui a entraîné une perte de recettes de 3 milliards d’euros pour l’État.

En outre, le Gouvernement utilise des artifices pour contourner les règles budgétaires qu’il a lui-même édictées : changements de périmètre de la norme de dépenses permettant de réduire le montant des dépenses de l’État prises en considération, recours aux dépenses fiscales à la place des crédits budgétaires ou encore recours croissant aux opérateurs de l’État pour échapper aux normes édictées pour les ministères. Toutes ces pratiques contreviennent aux règles de bonne gouvernance des finances publiques. Or je crains que ces tours de passe-passe comptables et budgétaires ne se reproduisent malgré les règles plus contraignantes du projet de loi.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que la double norme de dépenses ne soit pas transgressée par le Gouvernement grâce à ces divers types de contournements. C’est indispensable ! Cela réclame une véritable responsabilisation du Gouvernement et des responsables de programmes.

Ayant ces éléments présents à l’esprit, vous comprendrez que je reste sceptique sur la portée du texte que nous examinons aujourd’hui.

Au final, les lois de programmation des finances publiques permettent, sinon d’améliorer le pilotage de la gestion des comptes publics, du moins de donner aux gestionnaires une visibilité et une stabilité de leurs moyens, et de renforcer l’information du Parlement.

Malgré le scepticisme que j’ai exprimé sur la capacité d’une règle normative à contraindre les gouvernements à être vertueux en matière de maîtrise des dépenses publiques et de sécurisation des recettes, le groupe centriste, dans sa grande majorité, votera ce projet de loi. Celui-ci contient en effet plusieurs dispositions intéressantes et utiles pour améliorer le pilotage des finances publiques.

Je forme le vœu que le Gouvernement, contrairement aux habitudes prises par le passé, respecte au maximum les règles qu’il édicte, même si je sais que la veille d’une élection présidentielle n’est jamais propice à la maîtrise des dépenses publiques. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’intérêt du débat qui nous réunit à l’instant est double, et doublement révélateur.

Toute loi de programmation vise, par définition, à anticiper durablement l’avenir, à permettre une action plus pérenne et plus stable, autrement dit à établir ou à rétablir la confiance Cette perspective est d’autant plus large que le présent texte traite aussi de la question des prélèvements obligatoires et de celle de l’endettement.

Une loi de programmation constitue en outre un exercice potentiel de transparence démocratique en permettant à la représentation nationale – c’est aussi son rôle – de contrôler la sincérité des projets du Gouvernement.

Monsieur le ministre, vous entendez faire de ce projet de loi de programmation l’instrument du redressement des finances publiques, que vos choix politiques obstinés ont consciencieusement ruinées en dix ans, au point d’atteindre ce niveau de déficit proprement historique.

À force d’inertie et d’attentisme en matière d’emploi, à force de réduction des ressources, tous les organismes, toutes les institutions, tous les services assortis de l’adjectif « public » sont aujourd’hui au bord de l’asphyxie.

Or quelles mesures proposez-vous aujourd’hui pour rétablir l’équilibre, et seulement aujourd’hui, à un stade proche du non-retour, celui où l’ampleur de la dette détruit l’investissement ? La même chose ! La même recette appliquée à la réforme des retraites, à la dette sociale et mise en œuvre par le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale, supposés constituer la première étape de cette stratégie de redressement.

En tout premier lieu, ce sera un tour de vis supplémentaire dans la rigueur pour tous les acteurs, qu’ils soient ou non vertueux – les collectivités territoriales, par exemple, ne sont pas responsables de l’endettement de l’État –, tout en étant indifférent à la diversité et à la réalité des besoins.

Par la suite, ce ne seront pas des ressources nouvelles, pérennes et justement réparties que l’impôt sur le revenu, la CSG et la CRDS peuvent apporter, mais une augmentation déguisée de l’impôt au détriment des plus fragiles par de nouvelles dégradations des prises en charge et un prudent rabotage des niches fiscales, lequel est qualifié, dans cette magnifique langue de bois qui est la vôtre, de « reconstitution de ressources ».

Enfin, ce sera à nouveau l’attentisme d’une embellie spontanée de croissance dont vous projetez le taux à 2 % de PIB.

En juillet dernier, lors du débat qui a suivi la déclaration du Gouvernement sur les orientations des finances publiques pour 2011, le rendez-vous de cet automne était considéré comme décisif pour le rétablissement de l’équilibre des finances sociales. Nous y sommes. Qu’en est-il ?

S’agissant des retraites, la réforme est passée, au mépris des manifestants et des parlementaires, à coups de micros coupés, d’articles réservés, d’examens prioritaires et de vote bloqué ! La méthode n’est ni brillante ni honorable.

Pourquoi ce passage en force ? Il suffit de savoir compter.

Des 45 milliards d’euros nécessaires à l’horizon de 2018, la moitié proviendraient des mesures d’âge et de convergence. Soit ! Quant à l’autre moitié, c’est-à-dire 15,6 milliards d’euros, même qualifiés d’effort net de l’État, elle reste du déficit non financé ; 4,4 milliards d’euros proviendront de taxations nouvelles sur les ménages et les entreprises et 2,4 milliards d’euros seront pris dans la poche de l’UNEDIC, à la condition toutefois que le taux de chômage se réduise considérablement.

M. Yves Daudigny. Ce sont donc 18 milliards d’euros improbables, auxquels il faudra ajouter, dès l’entrée en vigueur de la réforme, quelque 500 millions d’euros annuels que coûtera le maintien au chômage deux années supplémentaires de toutes celles et ceux qui seront sans emploi à la veille de leur retraite.

Les Françaises et les Français l’ont bien compris : cette réforme n’est pas crédible, elle repose sur une équation financière impossible et profondément injuste !

S’agissant de la dette sociale, mêmes raisons, mêmes procédés, mêmes résultats : vous contournez encore la perspective de nouvelles sources de financement pour notre protection sociale ; vous cachez 130 milliards d’euros de dette sociale sous le tapis de la CADES, dont la durée de vie est allongée jusqu’en 2025 ; vous videz le Fonds de réserve pour les retraites, au mépris singulier de l’avenir des jeunes ; vous inventez de nouvelles taxes, non pérennes, sur les assurances.

L’Assemblée nationale refuse… Qu’à cela ne tienne, vous jouez sur les écritures, en privant la branche famille de 0,28 % de recettes de CSG, de la même manière que vous aviez privé le Fonds de solidarité vieillesse de 0,2 % de recettes de CSG en 2009. Ce dernier en est devenu déficitaire. Tel est le sort promis à la branche famille.

S’agissant enfin du projet de loi de financement de la sécurité sociale, pas de changement en vue ! En focalisant l’objectif sur la ligne bleue de l’ONDAM, vous faites comme si les besoins n’existaient pas, comme s’il n’y avait pas d’augmentation tendancielle des dépenses de santé et vous ne répondez pas, à nouveau, à la question première, celle des ressources nouvelles nécessaires au financement des besoins réels de la population.

Ce qui est proprement historique, c’est votre capacité d’oubli, votre refus de tirer les leçons que l’expérience vous assène. Ce qui est atterrant, c’est votre refus de mesurer les conséquences de cette politique récessive et contre-productive en termes économiques, sanitaires, sociaux et humains.

Non seulement vous ne baissez pas les déficits de 60 milliards d’euros, mais seulement de 10 milliards à 15 milliards d’euros, mais vous prétendez également graver une règle d’équilibre dans le marbre constitutionnel.

À toute nouvelle proposition, à tout autre projet que le vôtre, vous servez en boucle un seul argument, celui de la préservation de la compétitivité de nos entreprises. C’est au seul nom de cette compétitivité que vous décidez de laisser jouer librement les stabilisateurs automatiques.

Mais la loi du marché ne connaît que l’intérêt financier et le court terme. Vous confondez compétitivité et rentabilité. Le résultat est là, qui rend déjà caduque la loi du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, qui n’a ramené aucun expatrié fiscal en France, qui n’a empêché aucune délocalisation, parce que les investisseurs n’ont cure d’être compétitifs, ils veulent uniquement être rentables.

Les ressources fiscales existent. Quatre mesures suffiraient déjà à ramener 15 milliards d’euros de recettes dans le budget de l’État. La Cour des comptes vous le recommande, le Conseil des prélèvements obligatoires le prouve.

À cet égard, votre persévérance dans cette posture est telle que seul le dessein bien arrêté de détruire nos services publics et notre système de protection sociale peut l’expliquer.

Votre acharnement à diaboliser l’impôt le confirme : vous voulez faire oublier que sa fonction première…

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Réhabiliter l’impôt : on a déjà entendu cela en d’autres temps !

M. Yves Daudigny. … est de permettre l’action publique, l’entretien de la force publique et les dépenses d’administration par une contribution commune également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. C’est le fondement de notre pacte social solidaire, et c’est l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, conformément à la loi votée en 2008, nous avons aujourd’hui à nous prononcer sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2010 à 2014 et à poursuivre la réflexion sur les prélèvements obligatoires.

La contrainte que nous nous sommes imposée, même s’il s’agit d’un exercice difficile, a le mérite de ne pas nous cantonner dans une gestion à courte vue, année après année, sans considérer les incidences sur le futur que nous devons bâtir, ou tout du moins essayer de bâtir, ensemble.

Certains ne manqueront pas de souligner le caractère artificiel et aléatoire des schémas prévisionnels. Bien entendu, les expériences toutes récentes nous invitent à beaucoup de modestie et de prudence, tant l’évolution rapide du contexte mondial peut faire chavirer les plus belles constructions. Il est cependant nécessaire de se fixer des objectifs. Nous devons mener une politique volontariste qui permette un retour à un taux de croissance plus proche de celui de nos voisins européens. Nous le savons, dans notre pays, les réformes trop brusques ont du mal à passer.

Dans cette perspective de programmation des finances publiques, il n’est pas illogique de retenir des hypothèses macroéconomiques allant jusqu’à 2,5 % de croissance moyenne. Un tel taux est ambitieux, mais il n’est pas irraisonnable.

En revanche, une progression de la masse salariale de 2 % en 2010, de 2,9 % en 2011 et de 4,5 % les années suivantes me semble, je dois le dire, un peu trop optimiste. Elle laisserait présager une forte réduction du taux de chômage, réduction que la reprise d’activité ne permet pas d’envisager à ce niveau. Cela a une incidence particulière sur le point que je souhaite évoquer, celui du redressement des comptes sociaux.

En fondant les prévisions sur une dynamique des recettes de la sécurité sociale de 4,5 % à partir de 2012, on se donne, à mon avis, trop de facilités à laisser filer les dépenses. Or, si la branche vieillesse se trouve tendanciellement sur la voie de l’équilibre avec la réforme que nous venons de voter, tel n’est pas le cas des dépenses publiques de santé, qui doivent être strictement encadrées.

Je regrette également que le problème de la dette sociale ait été résolu par l’allongement de la durée de vie de la CADES, malgré l’engagement pris dans une loi, qui plus est une loi organique.

Je pense, comme l’a souligné M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle, que le relèvement de la CRDS était une solution sage et un signe fort envoyé à nos créanciers. Comme lui, monsieur le ministre, je ne pense pas que cette mesure, qui aurait pu avoir un caractère temporaire, aurait cassé la reprise économique.

S’arc-bouter sur de grands principes, contre les évidences, n’est pas forcément une saine gestion et une bonne politique d’avenir. Cette remarque est d’ailleurs valable pour tout le monde !

Au cours de la discussion de la loi portant réforme des retraites, nous avons beaucoup évoqué les niches fiscales et sociales. Il faut reconnaître qu’elles sont nombreuses et complexes. L’obligation de réaliser des études d’impact et le remarquable travail effectué par la Cour des comptes nous permettent d’y voir plus clair, mais avouons que ce n’est pas toujours facile.

Force est de constater que, dans l’Hexagone, le corporatisme est encore très présent et que les grands principes révolutionnaires d’égalité et de fraternité ne sont pas toujours d’actualité, ce qui explique la multitude des niches fiscales et sociales, dont l’efficacité économique est aléatoire et souvent contestable.

La mise à plat des niches est évidemment nécessaire ; c’est un moyen de réduire d’une manière significative nos déficits.

Certains allégements de charges sont justifiés, car ils ont concouru, et concourent encore, au maintien d’une activité soutenue. C’est le cas par exemple du taux réduit de TVA dans le secteur du bâtiment, mais il faut éviter les effets d’aubaine.

Ainsi, le mode de calcul de la réduction générale a pu conduire les employeurs à verser une partie de la rémunération sous forme de primes ponctuelles plutôt que de manière lissée sur douze mois. Il est mis fin à ce phénomène dans le PLFSS de cette année : la réduction sera désormais calculée en fonction d’une rémunération annuelle. Cette disposition va dans le bon sens, monsieur le ministre, ainsi d’ailleurs que la taxation des retraites chapeaux et des stock-options au même taux que les revenus salariaux, soit une recette supplémentaire de plus de 3 milliards d’euros.

Au-delà de ces mesures, nous devons aussi revoir l’ensemble de notre système de prélèvements, en ayant à l’esprit qu’il doit assurer un retour à l’équilibre des différents comptes, ceux de l’État, de la sécurité sociale et des collectivités locales.

Comment répartir la charge entre les diverses composantes de la richesse nationale ? Tel est bien le problème. On sait que, aujourd’hui, les revenus du travail sont sans doute trop taxés. Il faut donc trouver un juste équilibre, lequel devra reposer sur deux grands principes : la progressivité et la solidarité.

Dans la période de crise que nous traversons, nos concitoyens ont le sentiment profond d’une certaine injustice. Il nous importe donc de répartir équitablement les efforts qui doivent être faits afin de replacer notre pays dans la bonne direction.

Chacun d’entre vous a probablement sur sa table de chevet les propositions de la commission Attali. Même s’il paraît difficile de prendre au pied de la lettre toutes les suggestions qu’il contient, on ne saurait les ignorer.

Il nous faudra un grand courage politique pour respecter nos engagements de ce jour.