M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je comprends tout à fait la motivation des auteurs de la proposition de loi qui nous est soumise.

En effet, depuis un an ou deux, le Gouvernement a voulu faire passer en force divers textes concernant notamment les collectivités territoriales et le droit en général. Cette attitude est tout à fait déplacée et intolérable. Je ne reviendrai pas sur le charcutage des circonscriptions législatives, qui sera très bientôt suivi du charcutage des cantons, en vue de l’élection des conseillers territoriaux, sans parler du charcutage des intercommunalités ! La pratique gouvernementale, adoptée sous l’autorité du Président de la République, est parfaitement indécente.

Nos collègues du groupe du RDSE ont donc raison de s’opposer à ces méthodes, mais la solution qu’ils préconisent ne répond pas au problème posé.

S’il s’agit d’obtenir du Gouvernement et de sa majorité qu’ils fassent preuve d’un minimum d’éthique, qu’ils adoptent un comportement correct à l’égard des collectivités territoriales et qu’ils respectent la démocratie locale, je suis tout à fait d’accord. En revanche, changer les rapports de force institutionnels et attribuer au Sénat un droit de veto dans certains domaines ne me paraît pas être le meilleur moyen de faire fonctionner la démocratie, ni d’ailleurs de conforter le rôle du Sénat. En effet, à vouloir trop en faire, on risque de susciter des contestations de la légitimité du Sénat.

J’ai été député avant de devenir sénateur : j’ai été élu à l’Assemblée nationale par quelque 100 000 électeurs, alors que les voix de 200 ou 300 grands électeurs ont suffi à m’envoyer au Sénat. Le suffrage universel indirect est certes tout aussi légitime que le suffrage universel direct, mais, qu’on le veuille ou non, ce n’est tout de même pas la même chose !

Je ne peux donc pas m’associer à cette proposition de loi. Si je désapprouve la politique du Gouvernement et l’attitude du Président de la République, si je juge certaines pratiques intolérables, voire scandaleuses, j’estime néanmoins que nous ne devons pas non plus tomber dans l’excès inverse. À mon avis, cette proposition de loi ne contribuera pas obligatoirement à conforter la légitimité du rôle du Sénat, parce qu’elle pourrait susciter un « effet boomerang ».

Par conséquent, je ne voterai pas cette proposition de loi.

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. Surtout, ne changeons rien !

M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après de longues semaines de discussion sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, M. Collin nous soumet une proposition de loi constitutionnelle tendant à écarter le recours à la procédure du « dernier mot » donné à l’Assemblée nationale, en cas d’échec de la commission mixte paritaire, pour les textes ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales.

Il est vrai que la tentation est grande d’abroger cette disposition de l’article 45 de la Constitution ! Mais quelle erreur ferions-nous en adoptant cette proposition de loi ! En effet, monsieur Collin, nous ne saurions adopter aujourd’hui votre texte : non pas au nom de quelque principe ou d’une quelconque objection politique, mais pour des raisons constitutionnelles et républicaines.

La discussion des textes législatifs dans les deux chambres parlementaires ne figure-t-elle pas parmi les fondements de notre démocratie et nos principes républicains ? Le peuple français a lui-même ratifié par référendum, le 28 septembre 1958, le principe du « dernier mot à l’Assemblée nationale », inscrit à l’article 45 de la Constitution. Il peut être révisé, conformément à l’article 89 de la Constitution, à l’initiative du Président de la République, sur proposition du Premier ministre ou des membres du Parlement. Cependant, la procédure diffère selon les cas, et il me semble important de rappeler, à cet instant, ce qui les distingue.

Tout projet ou proposition de révision constitutionnelle doit être examiné et voté en termes identiques par les deux assemblées. Les deux chambres disposent par conséquent d’un égal pouvoir constituant. La révision constitutionnelle ainsi adoptée doit ensuite être ratifiée soit par référendum, soit par vote à la majorité des trois cinquièmes du Congrès, convoqué sur décision du Président de la République.

La coexistence de ces deux procédures tient évidemment à des raisons politiques. Le général de Gaulle craignait que les initiatives parlementaires de révision constitutionnelle n’aient pour objet de détruire son œuvre. Aussi, connaissant la réserve de certains parlementaires à l’égard de la pratique référendaire, espérait-il limiter leurs tentations en prévoyant que tout projet de révision de la Constitution d’origine parlementaire serait obligatoirement soumis à référendum.

Alors, quelle disposition nous empêche aujourd’hui d’engager une telle procédure ? Sur le plan formel, aucune. Pourtant, c’est bien le renvoi à la commission de la présente proposition de loi que nous propose M. Gélard, rapporteur de la commission des lois. Comme l’a brillamment exposé M. Hyest en son nom, si nous devions adopter cette proposition de loi en l’état, la procédure référendaire pourrait être lancée. Or elle ne serait pas adaptée à la circonstance.

La question que vous soulevez aujourd’hui, monsieur Collin, est, en réalité, institutionnelle avant d’être politique. Or l’histoire de la Ve République nous montre que les révisions constitutionnelles de 1998, de 2005 et de 2007, relatives respectivement à la Nouvelle-Calédonie, à la charte de l’environnement et au statut pénal du chef de l’État, ont été adoptées par la voie de la ratification par le Congrès. Seule celle concernant le quinquennat, en 2000, a été adoptée par la voie référendaire : l’enjeu était alors de faire choisir par le peuple français la durée du mandat de son représentant à la fonction suprême, tandis que les autres révisions avaient trait à l’organisation de nos institutions.

La pratique observée, me direz-vous, a conduit à conférer au chef de l’État un véritable « droit de veto » en matière de révision de la Constitution, alors que celle-ci ne le prévoit pas. Il n’en est rien, puisque tout dépend de qui prend l’initiative de la révision ! Si le projet de révision constitutionnelle est d’origine parlementaire, il devra être approuvé par référendum ; en revanche, s’il émane du pouvoir exécutif, il appartient au Président de la République de choisir la procédure.

Mais ne nous égarons pas, mes chers collègues : le problème qui nous occupe aujourd’hui a trait non pas à la méthode, mais bien au fond du sujet traité. Pensez-vous raisonnablement que les Français ressentent le besoin de s’exprimer par voie référendaire sur l’organisation des travaux des chambres parlementaires ? Car il s’agit bien ici d’une « guerre de chapelles » entre les deux chambres sur le processus d’examen des textes législatifs.

L’article 45 de la Constitution, que vous souhaitez compléter, ou plutôt amputer, est totalement transparent. Il est nécessaire de le lire à la lumière de l’article 39, qui précise que les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat. C’est bien cet article de la Constitution qui nous intéresse au premier chef, et qui fonde toute notre légitimité législative. Quel besoin aurions-nous de modifier la procédure existante, alors que l’article 24 de la Constitution sanctuarise le statut du Sénat, en précisant qu’il « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » ? Les Français le savent, et les élus ne s’y méprennent pas.

Mes chers collègues, légiférer sur l’ensemble des textes qui nous sont soumis avec le souci permanent du respect de l’équité territoriale, des élus qui gouvernent les collectivités et des besoins de nos concitoyens nous grandirait. De surcroît, il me semble important que députés et sénateurs se fassent mutuellement confiance pour réussir à trouver les dispositions les plus appropriées sur chacun des sujets sur lesquels ils légifèrent ensemble.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutiendra la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission déposée par M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant au renvoi à la commission.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République
Article unique (début)

M. le président. Je suis saisi, par M. Gélard, au nom de la commission, d'une motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale la proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République (n° 58, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. le président de la commission des lois, pour présenter la motion.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Monsieur le président, j’ai déjà expliqué, lors de la discussion générale, pour quels motifs le renvoi à la commission nous paraissait être la meilleure solution. Un débat constitutionnel sur l’équilibre des institutions parlementaires pourra le cas échéant se tenir ultérieurement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Philippe Richert, ministre. Je me suis également exprimé sur cette motion lors de mon intervention liminaire.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.

Je rappelle que l’avis du Gouvernement est favorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 127 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 338
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l’adoption 153
Contre 185

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion de l’article unique.

Demande de renvoi à la commission
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République
Article unique (fin)

Article unique

L’article 45 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

L’alinéa précédent ne s’applique pas aux projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales au sens du deuxième alinéa de l’article 39, ainsi qu’aux propositions de loi ayant le même objet.

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.

En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 128 :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 222
Majorité absolue des suffrages exprimés 112
Pour l’adoption 45
Contre 177

Le Sénat n'a pas adopté.

M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi constitutionnelle. C’est dommage !

M. Jean-Pierre Plancade. C’est regrettable pour le Sénat et pour la République !

Article unique (début)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle tendant à renforcer la fonction de représentation par le Sénat des collectivités territoriales de la République
 

5

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 7 décembre 2010, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-97 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi relative aux télécommunications
Discussion générale (suite)

Télécommunications

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative aux télécommunications, présentée par M. Daniel Marsin, M. Yvon Collin et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 676 [2009-2010], rapport n° 139).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Marsin, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative aux télécommunications
Article 1er

M. Daniel Marsin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début du XXIe siècle, la téléphonie mobile et l’internet connaissent un développement considérable dans le monde entier. Rien qu’en France, ce marché est extrêmement important : il représentait un chiffre d’affaires de quelque 20,4 milliards d’euros en 2009, pour plus de 61,5 millions d’abonnés à la téléphonie mobile, le marché de la vente et de la location de téléphones mobiles atteignant pour sa part près de 760 millions d’euros.

Les fabricants de téléphones mobiles, ainsi que les exploitants de réseaux et les opérateurs, cherchent continuellement à séduire de futurs clients ou à fidéliser leurs abonnés par des offres toujours plus étendues, tant en matière de services – courrier électronique, GPS, internet 3 G – que d’équipements – photo, MP 3, vidéo –, reposant sur des technologies sans cesse renouvelées.

Si le client ou l’abonné ne peut que se réjouir de cet éventail de choix, force est de constater qu’il se heurte rapidement aux limites et aux inconvénients découlant de certaines pratiques des constructeurs et des opérateurs.

De la relation triangulaire entre constructeur, opérateur et client naissent des pratiques abusives, un imbroglio d’engagements et d’accords toujours plus complexes conditionnant l’utilisation du mobile par son propriétaire, dont le gagnant est rarement l’utilisateur-abonné, qui en est même souvent tout simplement la victime !

En effet, le revers de la médaille, dans ce domaine, c’est que le consommateur est entraîné dans une jungle impitoyable ! À première vue, la liberté semble de mise, mais, en fait, la loi du plus fort règne sur fond de guerre de positions, dont seul le consommateur, dindon de la farce, sort au bout du compte perdant.

Il est donc de notre devoir, mes chers collègues, d’agir et de proposer des normes pour encadrer cette relation triangulaire et, surtout, protéger davantage le consommateur, comme nous y invite Montesquieu dans L’Esprit des lois : « Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi. Mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. »

C’est donc inspirés et guidés par ces mots que plusieurs de mes collègues du RDSE et moi-même avons rédigé et déposé cette proposition de loi. Car, en la matière, il est grand temps de corriger la loi, et plus encore de combler un vide juridique qui profite, comme toujours, aux plus forts, au détriment des plus faibles. (M. Bruno Sido acquiesce.)

Notre mission de législateur n’est-elle pas précisément de venir en aide aux plus faibles, en l’espèce le client-consommateur de téléphonie mobile ? N’oublions jamais, mes chers collègues, qu’il est des cas où la liberté opprime et la loi libère. Le sujet qui nous occupe aujourd’hui constitue un de ces cas, et, avec mes collègues du RDSE, nous espérons emporter votre adhésion pour porter remède à cette situation.

Bien entendu, nous ne voulons accabler ni les constructeurs ni les opérateurs ; nous entendons seulement trouver un juste équilibre entre les réalités du marché, les contraintes économiques et la protection du consommateur.

Ainsi, par ce texte, nous proposons, d’une part, de rendre plus transparentes les relations entre les fabricants d’équipements connectables et les opérateurs de téléphonie mobile, et, d’autre part, de mettre un terme aux pratiques abusives de certains opérateurs, visant à faire payer des frais de déblocage, dit « désimlockage », d’un mobile nouvellement acquis dans le cadre d’un réengagement pour une durée de douze mois au minimum.

Tout d’abord, pour tendre vers une réelle transparence sur le marché de la téléphonie mobile, les opérateurs doivent être tenus d’ouvrir leur réseau à tous les appareils conformes aux normes européennes, afin de libérer et de favoriser la concurrence, ce qui, comme le préconise le rapport de la commission Attali pour la libération de la croissance française, contribuera à améliorer le pouvoir d’achat du citoyen-consommateur.

Nous avons souhaité que ce principe, affirmé à l’échelon de l’Union européenne, soit inscrit dans notre loi nationale. Mais, nous a-t-on fait valoir à juste titre, l’article R. 20-22 du code des postes et des communications électroniques a déjà réglé ce point, en transposant la directive 1999/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 1999. Nous en prenons acte, même si, dans la pratique, les choses n’ont pas encore véritablement évolué.

Mais ce problème, auquel nous souhaitons apporter une solution décisive, ne se limite pas à la seule téléphonie mobile. De nombreuses connections au réseau sont aujourd’hui établies grâce à des tablettes, tel l’iPad, et il faut savoir s’adapter à la réalité de ce secteur en l’ouvrant également aux transferts de données. Dès lors, il convient d’intégrer définitivement la notion d’« équipements connectables ».

Ensuite, si nous sommes favorables à la libre concurrence et à l’élargissement des gammes et des offres, nous sommes tout aussi convaincus que le marché de la téléphonie mobile ne peut être efficace, ni équilibré et donc favorable au consommateur, si le fabricant d’un téléphone peut interdire l’accès à son matériel à certains opérateurs. De ce point de vue, le cas de l’iPhone a été révélateur.

En effet, Apple Europe avait volontairement bloqué l’iPhone pour le rendre exclusivement utilisable sur le réseau d’Orange. Craignant de voir fuir ses clients et souhaitant avoir la possibilité de commercialiser cet équipement, Bouygues Telecom a saisi l’Autorité de la concurrence d’une demande de mesures conservatoires, en arguant que l’exclusivité contractuelle accordée par Apple à Orange constituait une entente prohibée, notamment en raison du caractère injustifié de certains critères de sélection et de leur application discriminatoire.

L’Autorité de la concurrence, après avoir recueilli l’avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, le 4 novembre 2008, a enjoint à Apple et à France Télécom de suspendre l’application pour la France des stipulations contractuelles faisant d’Orange l’opérateur mobile exclusif pour l’iPhone et de ne pas introduire, dans les éventuels contrats futurs, une exclusivité supérieure à trois mois. Le 4 février 2009, la cour d’appel de Paris a confirmé cette décision.

Mais voilà, si a priori cette décision de justice a pu satisfaire les abonnés de Bouygues Telecom et de SFR, elle n’a pas réglé totalement la situation, puisque, au final, d’autres opérateurs, ceux que l’on appelle les opérateurs virtuels, qui louent les réseaux physiques d’Orange, de SFR et de Bouygues Telecom, sont lésés par Apple Europe, l’iPhone restant, pour eux, encore inaccessible aujourd'hui. À travers ces opérateurs virtuels, des centaines de milliers de clients sont concernés et lésés par ricochet.

En effet, ces derniers, ayant acheté un iPhone « nu », non lié à un abonnement, se trouvent bernés par le constructeur, puisque cet appareil est techniquement bloqué et donc inutilisable, sauf à le « bricoler », au risque de perdre des fonctionnalités, ainsi que la garantie du constructeur.

Par conséquent, mes chers collègues, nous ne pouvons pas attendre que la situation se règle d’elle-même ; nous devons légiférer sur ce point. Tel était d'ailleurs l’objet de l’amendement que nous avions déposé sur l’article 2, qui, pour des raisons de technique législative, a été repris par notre excellent rapporteur, notre collègue Pierre Hérisson, que je remercie chaleureusement de son investissement dans l’examen de ce texte. Cet amendement, qui nous permet de revenir à l’esprit initial de notre proposition de loi, tend à lutter contre de telles pratiques.

Néanmoins, réalistes et soucieux des règles du marché, des stratégies et des coûts des campagnes de lancement d’un nouveau produit, nous avons tout de même pris en compte le cas des contrats d’exclusivité temporaire liés à la mise sur le marché d’un nouveau matériel.

Enfin, au-delà des pratiques anticoncurrentielles précédemment évoquées entre constructeurs et opérateurs, il ne faut pas oublier que, pour le citoyen-consommateur lambda, tout ce système est flou, pour ne pas dire opaque et dépourvu de normes établies et limpides.

Le citoyen-consommateur est tiraillé entre des offres de services téléphoniques et d’équipements toujours plus alléchantes les unes que les autres, comportant des tarifs préférentiels assortis d’un abonnement et du dernier téléphone mobile à la mode. Séduit, il s’engage pour douze ou vingt-quatre mois, sans véritablement connaître les obligations qui s’imposeront à lui dans la pratique. Qui plus est, les conditions générales de vente, en cas d’acquisition d’un nouvel appareil, avec ou sans points de fidélité, accompagnée d’un réabonnement à l’offre initiale de services téléphoniques pour une nouvelle durée de douze à vingt-quatre mois, sont étrangement muettes sur la question du verrouillage et les conditions financières du déblocage.

Ainsi, jour après jour, le consommateur se trouve pris dans un système dont il ne connaît, à vrai dire, ni les tenants ni les aboutissants. Il constate simplement qu’on l’oblige à se réengager pour douze ou vingt-quatre mois supplémentaires pour obtenir un téléphone à un tarif prétendument préférentiel, en réalité largement payé tout au long de l’exécution de son contrat initial, voire au-delà du fait des consommations hors forfait facturées au prix fort. Lié par cet engagement, il ne peut s’en libérer sans acquitter des pénalités.

De plus, malgré sa fidélité, l’utilisation de son téléphone est restreinte par l’opérateur : le compteur repart de zéro et il devra attendre jusqu’à six mois supplémentaires…

M. Yvon Collin. Scandaleux !

M. Daniel Marsin, auteur de la proposition de loi. … à partir de ce réengagement pour pouvoir l’utiliser librement, à condition qu’il en demande le déverrouillage. Avant le terme de ce délai, un tel déverrouillage est payant et peut coûter jusqu’à 300 euros !

M. Yvon Collin. C’est inadmissible !

M. Daniel Marsin, auteur de la proposition de loi. Les raisons de sécurité, de lutte contre la fraude et le vol invoquées par les opérateurs pour justifier le maintien de ce délai sont fallacieuses, puisque, dans ces cas, il suffit de communiquer le numéro de la carte SIM ou le code IMEI – international mobile equipment identity – à l’opérateur pour qu’il bloque le téléphone à distance.

Les pratiques des opérateurs sont officiellement justifiées par le risque de fraude, mais, en réalité, nous le savons bien, elles sont motivées par des considérations économiques : il s’agit d’« enfermer » le client et d’empêcher la concurrence de jouer.

Ces pratiques désarment nos concitoyens ! Ils peuvent alors être tentés de faire déverrouiller leur mobile par le « bricoleur » du coin, solution illégale et pénalisante. Perdu dans cette jungle de règles plus ou moins douteuses qu’il ne maîtrise pas, le consommateur ne peut être blâmé. En effet, comme l’a justement dit Hervé Bazin, « quand la loi redevient celle de la jungle, c’est un honneur d’être déclaré hors-la-loi ».

Ici même, dans les couloirs de la Haute Assemblée, on entend parfois dire qu’il est logique et de bonne guerre de faire déverrouiller son téléphone en marge de la procédure payante de l’opérateur. Mais cette position, apparemment frappée au coin du bon sens, ne tient pas lorsque l’on sait que le déverrouillage sauvage fait perdre à l’utilisateur la garantie du constructeur et le prive de certaines des fonctionnalités de l’équipement nouvellement acquis.

Ainsi, si nous pouvons accepter, comme l’a proposé par le biais d’un amendement M. le rapporteur de la commission de l’économie, que, au titre de l’engagement initial, le téléphone puisse être bloqué pendant trois mois, contre six aujourd'hui, nous ne pouvons, en revanche, accepter que la concurrence soit bridée par le blocage du téléphone en cas de réengagement. Il y aurait d’ailleurs sans doute beaucoup à dire sur les modalités de ce réengagement.

Il est juste que le « désimlockage » soit gratuit et immédiat dès lors que le client utilise déjà l’offre de service téléphonique depuis douze mois, voire dix-huit mois. Tel est le sens de l’article 3, qu’un compromis réussi entre les propositions du rapporteur et notre sous-amendement doit enrichir.

Mes chers collègues, monsieur le ministre, nous ne pouvons plus cautionner ces pratiques plus ou moins abusives, qui pénalisent lourdement nos concitoyens ! Ne pas légiférer aujourd’hui, c’est accepter que le consommateur soit piégé et qu’il reste à la merci de ces oligopoles.

MM. Yvon Collin et Jean-Pierre Plancade. Très bien !

M. Daniel Marsin, auteur de la proposition de loi. Il est de notre devoir de législateur d’agir pour que cela cesse ! Ce faisant, nous assumerons tout simplement nos responsabilités.

Pour l’heure, nos concitoyens se plaignent, les plus avertis saisissant la justice, souvent avec succès, tandis que les autres optent pour un déverrouillage sauvage et risqué. Les associations de consommateurs ne cessent de nous interpeller. Des tables rondes sont organisées, des engagements sont pris par les opérateurs, qui n’engagent en fait que ceux qui les écoutent… Des initiatives sont prises, telle la consultation publique lancée par l’ARCEP, faisant suite à ses travaux sur l’application de l’article 17 de la loi Chatel.

Malgré tout cela, rien ne change, parce que les oligopoles savent bien que peu de consommateurs engageront des actions en justice. Il est donc de notre devoir d’intervenir et de légiférer aujourd’hui, de la façon la plus juste qui soit, en notre âme et conscience, hors de toute pression, fût-elle amicale !

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous réjouissons que notre texte initial ait pu être enrichi des amendements de notre excellent rapporteur Pierre Hérisson, tendant à insérer des articles additionnels relatifs aux conditions du désengagement, à l’interdiction de la surfacturation des hotlines d’assistance aux abonnés et, enfin, à l’encadrement des frais de résiliation d’abonnement.

D’autres collègues, de tous bords politiques, ont également contribué à améliorer cette proposition de loi par le biais d’amendements opportuns, visant à répondre à certains besoins.

Le débat s’est donc ouvert sur ce sujet dans notre assemblée. Il est tout à notre honneur d’avoir osé exprimer clairement notre volonté de garantir les droits des consommateurs.

Certains, notamment les opérateurs ou les constructeurs, estiment que nous allons trop loin et trop vite ; d’autres, tels les consommateurs ou les associations de consommateurs, jugent que nous sommes trop timorés, comme j’ai pu le lire dans la presse. Entre ces deux avis intéressés, nous recherchons un juste équilibre, pour parvenir à élaborer un texte efficace, ayant du sens, permettant, par une politique des petits pas, de régler des problèmes concrets, tout en prenant en compte les contraintes économiques, que nous comprenons parfaitement, en clarifiant les règles du jeu pour les consommateurs et en introduisant plus de transparence.

Mes chers collègues, en légiférant avec de tels objectifs et dans un tel état d’esprit, il est patent que nous, élus de proximité, assumons la mission qui nous incombe devant nos concitoyens. Au-delà des pressions que nous subissons tous et qui, somme toute, sont bien naturelles, nous devons avoir conscience qu’en votant ce texte, opportunément amendé et enrichi, nous cherchons à libérer des millions de nos concitoyens d’un engagement léonin par lequel on voudrait les contraindre. Il me semble que le Sénat s’honorerait en adoptant cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de lUMP.)