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Dossier législatif : projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014
Discussion générale (suite)

Programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014

Adoption définitive des conclusions modifiées du rapport d'une commission mixte paritaire

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014
Article 2

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 (texte de la commission mixte paritaire n° 171, rapport n° 167).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, en remplacement de M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je profiterai de ma présence à cette tribune, en remplacement de M. Philippe Marini, pour vous inviter à partager deux motifs de satisfaction.

En premier lieu, le texte des conclusions de la commission mixte paritaire reprend intégralement celui qui a été adopté par le Sénat, à l’exception d’un article, que nous avons jugé plus opportun de faire figurer dans la loi de finances pour 2011. J’y vois un hommage à la qualité des travaux conduits au Sénat.

En second lieu, avec cette loi de programmation des finances publiques, nous commençons de nous doter de règles de gouvernance suffisamment contraignantes pour nous protéger de nos tentations dépensières et, par là même, nous aider à retrouver une situation budgétaire soutenable.

En effet, ainsi que nous l’avons exprimé lors de l’examen du texte, nous concevons cette loi de programmation comme un dispositif d’étape, avant la révision constitutionnelle devant introduire dans notre loi fondamentale des dispositions inspirées des conclusions du groupe de travail que présidait Michel Camdessus au printemps dernier.

Dans notre esprit, il y a lieu désormais de considérer que le programme de stabilité transmis à la Commission européenne fixe la trajectoire de nos finances publiques. Il s’agit du document de référence, dont les lois financières annuelles – la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale – doivent devenir les déclinaisons.

Pour que la trajectoire pluriannuelle puisse contraindre juridiquement les lois de finances, il nous faut modifier notre Constitution et procéder à deux réformes.

Premièrement, il faut créer des lois-cadres des finances publiques dans lesquelles figureraient les montants de mesures à prendre chaque année, en recettes et en dépenses, pour permettre le respect de la trajectoire. Il s’agirait en fait d’instituer un plancher de recettes et un plafond de dépenses.

Deuxièmement, il faut faire en sorte que le Conseil constitutionnel contrôle que la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale de chaque année comportent effectivement des dispositions de même montant et, le cas échéant, censure les dérapages.

Une telle réforme aurait une portée considérable. Sur le fond, elle nous contraindrait à la vertu. Sur la forme, elle impliquerait un contrôle conjoint du Conseil constitutionnel sur la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale, donnant ainsi un argument supplémentaire en faveur d’un rapprochement, voire d’une fusion, des deux lois financières, avec peut-être un article d’équilibre unique.

C’est en ayant en tête cette nouvelle « hiérarchie » des normes financières que nous avions abordé le projet de loi de programmation des finances publiques et que nous nous sommes efforcés de rendre ce texte plus opérationnel.

Si nous voulons que le Conseil constitutionnel puisse comparer les montants inscrits dans la loi de finances à ceux figurant dans une loi-cadre, il convient de les exprimer de la même manière. C’est la raison pour laquelle nous avons remplacé les normes exprimées en pourcentages par des normes exprimées en milliards d’euros constants.

Si nous voulons que la norme soit contraignante, il faut qu’elle soit vérifiable, année après année, et que la sanction puisse être immédiate. C’est la raison pour laquelle nous avons remplacé des normes exprimées en moyenne sur la période de programmation par des normes annuelles.

Enfin, si nous voulons que la trajectoire du programme de stabilité acquière dans notre débat politique le statut de norme supérieure en matière de finances publiques, il importe qu’elle en ait la légitimité. C’est pourquoi nous avons souhaité que le programme de stabilité soit soumis au Parlement préalablement à sa transmission à la Commission européenne et que, dans la mesure du possible, le Parlement puisse s’exprimer par un vote.

Reste un point qui n’est pas réglé par la loi de programmation : la sincérité des prévisions sur lesquelles repose le scénario économique qui sous-tend la trajectoire budgétaire.

Mme Nicole Bricq. Il y a de quoi faire !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La commission des finances du Sénat, rejoignant d’ailleurs les recommandations de la Commission européenne, plaide en faveur de l’instauration d’une « règle de sincérité » qui conduirait le Gouvernement à systématiquement retenir des hypothèses prudentes. La sincérité, monsieur le ministre, c’est la révolution introduite par la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. L’effort budgétaire demandé serait nécessairement plus important, mais la crédibilité en serait accrue d’autant. Aujourd’hui, l’absence de crédibilité se paye sur les marchés des obligations d’État, en points de base supplémentaires par rapport aux conditions de financement de l’Allemagne. Compte tenu des conditions de marché qui se profilent, il serait judicieux de faire le pari que la rigueur budgétaire supplémentaire sera plus que compensée par de moindres charges financières.

En acceptant d’insérer dans le rapport annexé un chiffrage des mesures supplémentaires à prendre pour respecter la trajectoire de solde en cas de croissance plus faible que prévu, le Gouvernement a montré qu’il commence à se rallier à ce type de raisonnement. C’est de bon augure !

En tout état de cause, monsieur le ministre, lorsque ce texte aura, dans quelques minutes, été définitivement adopté, nous disposerons d’un bel outil, qu’il faudra faire vivre et protéger. Je rappelle que, dès la discussion du projet de loi de finances pour 2011, nous avons été saisis de demandes de dérogations aux nouvelles règles, en particulier à celle de l’interdiction, pour les opérateurs de l’État, d’emprunter à plus d’un an.

Le redressement des finances publiques nécessite un effort et une vigilance de tous les instants. Le bilan que nous tirerons tout à l’heure de la discussion du projet de loi de finances pour 2011 nous montrera qu’il nous reste en ce domaine des progrès à faire. Voilà une raison de plus d’adopter ce vertueux projet de loi de programmation des finances publiques. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président Arthuis, je voudrais tout d’abord saluer la qualité des travaux de la commission des finances, la haute tenue de nos débats en séance plénière et l’acuité de votre regard sur les finances publiques de notre pays. Vos objectifs exigeants en matière de réduction des déficits publics ont été partagés au sein de la commission mixte paritaire. Je tiens à vous exprimer la reconnaissance du Gouvernement pour l’action que vous menez depuis tant d’années. Je ne doute pas que l’évolution actuelle vers davantage de rigueur budgétaire soit pour vous un motif de satisfaction !

Vous m’avez interpellé indirectement sur la nécessité d’améliorer encore la transparence. À cet égard, j’estime comme vous que la loi organique relative aux lois de finances a été une avancée considérable vers plus de transparence et de sincérité.

Avec la Cour des comptes, la France est l’un des très rares pays à disposer d’un outil de certification donnant une vision très claire de la réalité de la situation budgétaire. Votre implication, aux côtés d’autres parlementaires et du Gouvernement, dans les travaux du groupe présidé par M. Camdessus et de la Conférence des finances publiques a permis de déboucher sur des engagements allant clairement dans la bonne direction. Je pense notamment au monopole des lois de finances pour la discussion des dispositifs fiscaux. Dans un passé récent, on a pu constater que mettre en place des systèmes dérogatoires au droit commun en matière fiscale au fil de l’examen de textes thématiques était le plus sûr moyen de poursuivre dans la voie de l’accumulation sans fin de dépenses de nature fiscale, en créant ce que l’on appelle des niches, fiscales ou sociales, dispositifs que nous commençons à remettre légitimement en cause. Nous avons encore du chemin à parcourir à cet égard, mais l’orientation prise est indiscutablement la bonne.

Ce projet de loi de programmation des finances publiques, tel qu’issu des travaux de la commission mixte paritaire, va lui aussi dans le bon sens.

Il nous a d’abord semblé important d’encadrer l’action publique par de nouvelles règles de conduite de la politique budgétaire. Ces règles sont exigeantes et peuvent être qualifiées de courageuses s’agissant de la maîtrise durable des trois sources traditionnelles de la dépense publique : l’État, les collectivités territoriales et les dépenses sociales.

Ainsi, l’État devra respecter, pour sa dépense, la norme « zéro valeur » hors charge de la dette et des pensions. Il s’agit, tout en assumant le poids du passé, d’instituer pour l’avenir une évolution modérée des dépenses de l’État, ce qui permettra des économies.

Cette même norme « zéro valeur » s’appliquera pour l’évolution des dotations de l’État aux collectivités locales. Ce ne sera pas facile, mais les collectivités territoriales se trouveront incitées à se mobiliser autour de réformes importantes. Dans la mesure où le gel des dotations ne concernera pas le Fonds de compensation pour la TVA, nous protégeons malgré tout la capacité d’investissement des collectivités territoriales, invitées à réduire leurs dépenses de fonctionnement. De ce point de vue, nous avons, me semble-t-il, trouvé un bon équilibre.

Enfin, s’agissant des dépenses sociales, une progression annuelle inférieure à 3 % de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, sur l’ensemble de la période de programmation est prévue. Cela représente un effort important, un objectif exigeant. Cette année, pour la première fois depuis 1997, l’ONDAM aura été respecté : jusqu’à présent, les objectifs fixés n’étaient jamais atteints. Nous nous donnons les moyens de tenir cette ligne les prochaines années, sans altérer notre modèle social.

Par ailleurs, j’ai réuni lundi dernier à Bercy les dirigeants des opérateurs de l’État, pour leur exposer les mesures les concernant. C’est une question de cohérence : alors que l’État consent des efforts et en demande aux Français, on ne saurait admettre que, parallèlement, un certain nombre de structures soient exemptées de la logique de réduction des dépenses publiques, tels des satellites échappant à l’atmosphère terrestre. Les efforts devront porter sur les modalités de rémunération des dirigeants, la programmation globale des coûts de fonctionnement, mais aussi et surtout la maîtrise et la surveillance de l’endettement.

La discussion du projet de loi de programmation des finances publiques a également permis de faire évoluer la position du Gouvernement sur la nouvelle procédure de semestre européen.

Le rendez-vous prévu à la mi-avril débouchera sur un vote du Parlement sur les engagements de la France à l’égard de ses partenaires européens dans le cadre du programme de stabilité. Nous nous sommes efforcés de trouver le juste équilibre entre les exigences européennes qui s’imposent à la France et la nécessité d’associer pleinement le Parlement aux discussions, y compris au travers d’un vote, dont les modalités restent encore à discuter.

Enfin, les amendements que je présenterai tout à l’heure au nom du Gouvernement ne portent que sur de très modestes modifications de coordination par rapport à la version du texte issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Un premier amendement concerne les plafonds des crédits alloués aux missions du budget général de l’État pour 2011. Il vise à les rendre cohérents avec les mesures inscrites par voie d’amendements dans la loi de finances pour 2011.

Le second amendement tend à l’actualisation de la trajectoire des dépenses des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, dans un souci de cohérence avec la loi de financement de la sécurité sociale de 2011.

Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les principaux éléments à retenir de ce projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, tel qu’il est issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, je serai brève, m’étant déjà exprimée sur la trajectoire des finances publiques pour les trois ans à venir avant la suspension de séance, au cours de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2010.

Nous avons vu tout à l’heure que la réduction du déficit en 2010, d’ailleurs minime, était ponctuelle. Le pari du Gouvernement de le diminuer conformément à la trajectoire transmise à Bruxelles repose sur deux hypothèses : une croissance relativement soutenue et une faible remontée des taux d’intérêt.

Le Gouvernement table en effet sur un taux de croissance de 2 %, devant engendrer un surcroît de recettes fiscales. Or je crois avoir démontré, lors de la discussion du projet de loi de finances rectificative, que l’élasticité des recettes fiscales ne s’est pas confirmée en 2010, alors que le taux de croissance serait passé de -2,2 % en 2009 à 1,7 % en 2010. Les recettes fiscales ne suivent pas la reprise, et tous les conjoncturistes estiment qu’il est très aléatoire de compter sur une croissance soutenue en 2011. La Commission européenne elle-même a révisé ses prévisions de croissance pour la France.

Quant aux taux d’intérêt, il est plus que probable qu’ils repartent à la hausse.

Dès lors, nous réaffirmons que la trajectoire tracée par le Gouvernement est peu crédible.

M. le rapporteur général nous avait présenté, lors de l’examen du projet de loi de programmation des finances publiques, un scénario alternatif pour le cas où la croissance ne serait pas au rendez-vous. Le représentant du Gouvernement n’avait guère goûté ce scénario alternatif, mais il avait affirmé que l’objectif de réduction du déficit serait « intangible ».

Cela étant, monsieur le ministre, la question des moyens que le Gouvernement utilisera pour respecter la trajectoire annoncée pour les finances publiques, avec une réduction intangible du déficit, reste pendante : relèvement des impôts et/ou réduction des dépenses ? Nous subirons sans doute la double peine…

M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général pointent volontiers du doigt les dépenses sociales,…

Mme Nicole Bricq. … qui sont pourtant indispensables pour soutenir une reprise très fragile. Nous estimons notamment que l’effort prévu sur les trois années à venir en faveur des contrats aidés, dont le nombre devrait diminuer, est insuffisant.

Si votre projet est en fait de ponctionner les dépenses sociales, évidemment sans le dire eu égard à l’échéance électorale de 2012, cela signifie que votre prévision de réduction du déficit ne repose sur rien de solide, monsieur le ministre. Cela n’échappera pas plus aux analystes financiers qu’à nous…

Je crains que notre pays ne soit finalement rattrapé par sa dette galopante, détenue à 70 % par des non-résidents qui n’auront aucun état d’âme à vendre. Cette situation a de quoi faire frémir !

On le sait, la réduction du déficit prévue pour 2011 est mécanique : elle est liée à l’arrêt du plan de relance, à la fin du grand emprunt et aux conséquences de la suppression de la taxe professionnelle. Que fera-t-on en 2012, année de tous les dangers et année électorale ? Il faudra trouver, sur deux ans, deux points de PIB. Excusez du peu…

En conclusion, s’il ne fallait retenir qu’une chose de ce projet de loi de programmation des finances publiques, c’est qu’il n’est pas crédible. Il prévoit notamment le gel des dotations financières de l’État aux collectivités territoriales, ce qui nous avait amenés à déposer un amendement tendant à supprimer, à l’article 86 bis A du projet de loi de finances pour 2011, la référence à « l’effort financier de l’État en faveur des collectivités territoriales ». Quand on gèle les dotations, quand on réduit de façon drastique l’autonomie fiscale des collectivités territoriales par la suppression de la taxe professionnelle, c’est un peu fort de café d’employer une telle formule ! Il faut que les mots correspondent à la réalité ! La commission mixte paritaire a finalement décidé de retenir l’expression neutre de « transferts financiers ».

Monsieur le ministre, le groupe socialiste votera bien évidemment contre ce projet de loi de programmation des finances publiques qui n’est pas crédible et prive les collectivités territoriales de marge de manœuvre financière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, nous approchons du terme du marathon budgétaire, et l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 nous donne l’occasion d’émettre des hypothèses, des doutes ou des questionnements sur l’avenir du budget de l’État.

L’évolution de la dette publique, la crise grecque et l’attaque de notre monnaie nous ont rappelé l’ardente nécessité de mener une politique vertueuse en matière de finances publiques. Nous sommes tous d’accord sur ce point, même si nous n’avons pas, bien entendu, la même conception de la vertu dans ce domaine !

Le déficit public est important. La norme fixée en commission mixte paritaire devrait conduire à une diminution du pouvoir d’achat de l’État, tout en maintenant l’effort engagé lors des exercices budgétaires précédents. La question des déficits n’est pas nouvelle, puisqu’elle empoisonne la vie politique française depuis le début des années quatre-vingt.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Et même avant !

M. François Fortassin. Effectivement !

Tous les gouvernements ont eu leur part de responsabilité dans cette situation, et depuis cette époque le Parlement n’a jamais réussi à voter un budget en équilibre.

Malheureusement, le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire risque de porter un coup très rude aux collectivités territoriales, puisqu’il tend à prévoir le gel des dotations de l’État, et ce jusqu’en 2014.

Monsieur le ministre, vous n’ignorez pas qu’un gel de ces dotations équivaut, en réalité, à une baisse nette des ressources des collectivités territoriales, du fait de l’inflation et de l’accroissement, en période de crise, des revendications légitimes de nos concitoyens. La baisse des dotations sera d’environ 2 %. Or l’augmentation de l’indice des prix des dépenses communales, communément appelé « panier du maire », est généralement double de l’inflation. Nos collectivités vont incontestablement souffrir, et en plus on va les culpabiliser !

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais non ! Elles feront des efforts !

M. François Fortassin. Elles en ont déjà fait ! Je rappelle que les collectivités territoriales assurent 70 % de l’investissement de notre pays, tandis qu’elles ne sont responsables de la dette publique qu’à hauteur de 10 % : on peut donc considérer qu’elles sont globalement vertueuses !

M. Jean-Marc Todeschini. Ils sont autistes !

M. François Fortassin. C’est donc bien à une baisse réelle des dotations de l’État que seront confrontés nos territoires, et ce pendant plusieurs années. Le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire est bel et bien la traduction d’un dogmatisme libéral, qui marque de façon quasiment irrémédiable la rupture du pacte républicain,…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Non !

M. François Fortassin. … dont les communes sont un fondement.

On nous explique que les communes sortiront renforcées de la réforme des collectivités territoriales,…

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !

M. François Fortassin. … mais nous n’en sommes pas totalement convaincus.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est en marchant qu’on avance !

M. François Fortassin. En réalité, la commission mixte paritaire parachève le travail de sape entamé avec la suppression de la taxe professionnelle, qui prive nos collectivités de leurs marges de manœuvre financières, et poursuivi avec la fameuse réforme des collectivités territoriales. Tout le monde s’accorde à reconnaître que cette dernière se caractérise par un manque de visibilité, une absence de cohérence et la remise en cause, à terme, de la légitimité des régions, qui ne voteront plus d’impôt. Les exécutifs régionaux deviendront, en définitive, de simples faire-valoir ; de loi de finances en loi de finances, ils n’auront plus de prise sur leurs ressources futures. Leurs investissements seront paralysés, car sans fiscalité dynamique, il n’est pas possible d’envisager d’investir à long terme.

Pour les départements, on peut avoir quelques doutes. Quant au bloc communal et intercommunal, il pourra peut-être tirer son épingle du jeu.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !

M. François Fortassin. Monsieur le président de la commission des finances, pouvez-vous m’assurer que l’horizon des départements est dégagé ?

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Non !

M. François Fortassin. Et les régions, ont-elles encore un avenir ? Je vous vois dubitatif, cela me suffit !

À l’évidence, nous allons vers une réduction de l’autonomie fiscale des collectivités.

Quant à la clause de revoyure, nous ne savons pas ce que cette notion recouvre exactement : elle risque de rester sans effet.

Je le répète, qu’on le veuille ou non, on gèle les dotations tout en culpabilisant les collectivités qui souhaitent assumer auprès de leurs contribuables une hausse d’impôt pour mener à bien leurs projets, tout à fait nécessaires.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Elles pourront le faire !

M. François Fortassin. Or moins d’investissements publics, c’est moins de travail pour nos entreprises. Incontestablement, et c’est peut-être le plus grave, notre pays va entrer dans une ère de morosité.

Ce projet de loi de programmation de nos finances publiques se présente donc comme un complément financier de la réforme des collectivités territoriales : les deux textes ont pour objet l’application de la révision générale des politiques publiques à nos collectivités territoriales, alors que, je le redis, celles-ci ne contribuent que pour moins de 10 % à l’endettement public, mais pour plus de 70 % à l’investissement public.

Il ne restera plus aux exécutifs locaux qu’à imposer une forte hausse de la fiscalité locale restant à leur disposition, ce qui, bien entendu, les conduira à devoir assumer une certaine impopularité.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Comment réduire le déficit ?

M. Jean-Marc Todeschini. Commencez par ne pas le creuser !

M. François Fortassin. Il y a deux voies principales pour cela, monsieur le président de la commission des finances, mais vous ne serez peut-être pas d’accord avec moi !

La première solution consiste à geler les dépenses,…

M. Jean-Marc Todeschini. Certaines, pas toutes !

M. François Fortassin. … comme vous vous y employez à merveille !

La seconde est d’essayer d’augmenter les recettes. Cela est difficile, me direz-vous, mais c’est parce que vous ne voulez pas toucher aux avantages dont bénéficient les plus nantis de nos concitoyens.

Mme Nicole Bricq. Et voilà !

M. François Fortassin. C’est pourtant de cette façon que l’on peut trouver l’argent dont notre pays a besoin.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous avons voté ensemble l’abrogation du bouclier fiscal, la semaine dernière.

M. François Fortassin. En définitive, pour relancer la croissance, il faut mener une politique audacieuse d’investissement. Or, en une vingtaine d’années – ce n’est pas à vous, président de conseil général, que je vais apprendre cela ! –, les investissements des collectivités territoriales, et en particulier des départements, ont explosé. Pour autant, ces départements ne se sont pas appauvris ; ils se sont même enrichis, car ces dépenses étaient généralement très utiles pour répondre aux besoins de nos concitoyens et ont permis de donner du travail aux entreprises.

En gelant les dépenses, on fait entrer notre pays dans une ère de morosité, de frilosité, et l’on ne donne pas confiance à nos concitoyens. Tel est, personnellement, le reproche majeur que je fais à ce projet de loi de programmation des finances publiques. À cela s’ajoutent, bien entendu, la charge très lourde des intérêts de la dette, ainsi que le non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux. Certes, cette dernière mesure entraînera, mécaniquement, une baisse des dépenses,…

Mme Nicole Bricq. Pas de beaucoup !

M. François Fortassin. … mais, en contrepartie, elle affectera incontestablement le pouvoir d’achat, car ce n’est pas avec des petits boulots et des salaires maigres que l’on relancera la consommation et, partant, la croissance, laquelle est en berne pour longtemps.

Autrement dit, avec ce texte, vous nous engagez sur un chemin semé d’épines.

Mme Nicole Bricq. Et de ronces !

M. François Fortassin. Pour notre part, nous n’avons aucune envie de nous égratigner ; la majorité de notre groupe votera donc contre les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programmation des finances publiques. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.

M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réduction des déficits publics passe nécessairement par l’emploi de trois outils essentiels : un système fiscal performant, à la fois juste et efficace ; un moindre recours à la dépense fiscale ; une juste allocation de la dépense publique.

Utilisés à bon escient, ces trois leviers de l’action publique peuvent permettre de contenir dans des limites raisonnables, tant à court terme qu’à long terme, le déficit public. En soi, celui-ci est loin de constituer une tare, de même que la dette publique n’est pas condamnable a priori. La vraie question est de savoir pourquoi il y a une dette et pourquoi il peut y avoir un déficit budgétaire.

Lors de la discussion en première lecture de ce projet de loi, j’avais indiqué que notre législation fiscale est truffée de mesures de dépense fiscale et d’allégement de l’impôt sur les sociétés, à hauteur de plus de 106 milliards d’euros, soit deux fois le produit net de cet impôt. Ainsi, alors que le taux d’imposition des bénéfices est théoriquement de 33,33 %, il est en pratique trois fois inférieur, compte tenu des mesures prises pour que le barème ne s’applique pas en totalité. Selon la Cour des comptes et le Conseil des prélèvements obligatoires, les groupes inscrits à la cote du CAC 40 paient en moyenne un impôt sur les sociétés représentant 8 % de leurs bénéfices, c’est-à-dire le taux d’imposition apparent de bien des salariés dans notre pays.

Par ailleurs, les niches sociales coûtent 66 milliards d’euros aux finances publiques, les allégements généraux de cotisations pesant à eux seuls 26 milliards d’euros.

Quand on additionne niches fiscales et niches sociales, on aboutit à un total de 172 milliards d’euros, soit exactement le montant cumulé du déficit budgétaire prévisible cette année et du déficit du régime général de la sécurité sociale.

Les dispositifs les plus coûteux de notre législation sont le régime des sociétés « mère-fille » – 34,9 milliards d’euros en 2009 –, le régime d’intégration fiscale des groupes –19,5 milliards d’euros – et le régime dérogatoire des plus-values, qui représente un cadeau de 6 milliards d’euros pour les entreprises.

Toutes ces mesures mobilisent l’équivalent du budget de l’enseignement scolaire pour, en définitive, voir Total investir en Birmanie, Renault faire construire ses voitures en Turquie ou en Slovénie, et PSA filialiser l’activité de production d’équipements et mettre en œuvre des plans sociaux !

Les principaux bénéficiaires des allégements généraux de cotisations sociales sont les grandes enseignes de la distribution, qui ont fait du temps partiel imposé leur credo social et de la revente de produits manufacturés importés la source de leurs profits.

On mesure donc clairement l’urgence d’une profonde réforme fiscale et sociale qui aurait comme objectifs prioritaires l’égalité de traitement entre les contribuables, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises, l’efficacité économique, la transparence et la simplicité.

Réduire la dépense fiscale de 3 milliards d’euros pour les années 2012, 2013 et 2014 est très largement insuffisant ! Nous devons procéder à une remise en cause, autrement plus audacieuse que celle qui est prévue par le présent projet de loi, de chaque mesure de dépense fiscale comme de chaque dispositif dérogatoire.

Le crédit d’impôt recherche, tel qu’il a été modifié, a-t-il permis de relancer l’innovation dans les entreprises, petites ou grandes ? A-t-il facilité l’embauche et l’activité de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, singulièrement de l’enseignement scientifique ? Si tel n’est pas le cas, il faut revoir cette mesure.

Le régime d’intégration des groupes permet-il le maintien des activités industrielles dans notre pays ? Favorise-t-il le développement des investissements productifs et de l’emploi ? Si tel n’est pas le cas, il faut en redéfinir les conditions d’application, et s’interroger notamment sur les prix de transfert, véritables trappes à optimisation fiscale.

Les exonérations de cotisations sociales, racket subi par le monde du travail, ont-elles un effet positif sur la création d’emplois, sur la lutte contre les inégalités salariales entre hommes et femmes, sur la promotion interne des salariés, sur leur évolution salariale ? Si tel n’est pas le cas et si la persistance de ces dispositifs participe à l’écrasement des salaires, à la non-reconnaissance des diplômes et qualifications initiales ou acquises, il faut les remettre en cause.

De fait, quelles sont l’utilité et l’efficacité d’un dispositif général d’allégement des cotisations coûtant 26 milliards d’euros et permettant de préserver 800 000 emplois, soit un coût de 30 000 euros par an et par emploi ? D’autant que l’on nous annonce que le SMIC mensuel brut va être fixé à 1 365 euros, c’est-à-dire que les cotisations sociales patronales seront en principe inférieures à 6 000 euros annuels.

Je pourrais aussi m’arrêter sur d’autres mesures fiscales, notamment sur celles qui figuraient dans le « paquet fiscal » de l’été 2007, tel l’allégement des droits de succession, devenu un outil d’optimisation fiscale pour les plus hauts patrimoines, les donations étant pour ceux-ci l’arme de la défiscalisation !

Nous pourrions, d’ailleurs, nous interroger sur le sens des débats fiscaux, budgétaires et financiers les plus récents, qui ont donné le jour à de nombreux nouveaux régimes dérogatoires, et mesurer combien coûtent aujourd’hui ces dispositifs aux comptes publics.

Nous savons, par exemple, ce que coûte l’auto-liquidation du bouclier fiscal : 142 millions d’euros en 2009. Nous savons ce que coûte le bouclier fiscal : 678 millions d’euros en 2010, montant d’ailleurs majoré des coûts de trésorerie découlant de l’absence de recettes correspondante.

Puisqu’il est établi que ce dispositif n’a pas atteint les objectifs assignés et qu’il est quasiment certain que ses principaux bénéficiaires n’ont pas fait preuve de la plus grande transparence dans leur déclaration fiscale, il est plus que temps de le supprimer.

Cette suppression ne doit pas être conditionnée. Le bouclier fiscal doit être supprimé parce qu’il est coûteux et inefficace, socialement et économiquement. Rien ne justifie, quel que soit l’angle d’approche adopté, que cette mesure doive être accompagnée de la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, l’ISF.

On pourrait s’interroger de la même manière sur le dispositif « ISF-PME », rectifié dans le projet de loi de finances pour 2011. Ce dispositif ne vise pas à permettre aux redevables de l’ISF d’exprimer leur attachement particulier aux petites entreprises en leur apportant concours et capital ! Il n’est qu’une niche de plus destinée à alléger l’ISF, dont on se sert à concurrence de la somme nécessaire pour échapper autant que possible à cet impôt.

Cette revue de détail de la dépense fiscale, véritable cancer de la gestion publique qu’il convient de combattre, constitue l’un des axes forts de toute réforme fiscale. Cette réforme doit être portée par une exigence simple : faire que notre système de prélèvements sociaux et fiscaux encourage une allocation de la ressource en faveur de l’emploi, de la croissance, de l’activité économique réelle et cesse par conséquent de donner la priorité aux impératifs financiers en favorisant les rentes de situation et en s’attachant avant tout à assurer la rémunération la plus élevée possible du capital.

Relever le taux de la cotisation patronale destinée au financement des retraites, pour ne donner qu’un exemple tiré de l’actualité, ce n’est pas accroître les prélèvements assis sur le travail ; ce n’est que rendre aux salariés, sous forme de « salaire socialisé », la valeur que leur travail permet de créer !

Quelques centaines de millions d’euros de cotisations sociales de plus sont bien préférables à tant de milliards d’euros gaspillés dans des raids boursiers hasardeux ou dans la rémunération excessive des actionnaires, tout simplement parce que quelques millions d’euros de cotisations sociales de plus, ce sont autant de prestations sociales supplémentaires.

Nous sommes ainsi clairement favorables à l’instauration de nouveaux prélèvements sociaux pour financer la dépendance, des prélèvements mutualisés et collectifs, solidaires, en dehors de tout recours à un dispositif assurantiel qui ne réglera rien et conduira à l’émergence de nouvelles poches de pauvreté au sein des générations les plus âgées.

Mes chers collègues, est-il préférable que notre système fiscal et social privilégie les placements boursiers, les opérations stratégiques capitalistiques, ou qu’il permette de financer une retraite à 85 % du SMIC pour tous, la couverture optimale des dépenses de santé des ménages, la juste réparation des dommages causés par les accidents du travail et les maladies professionnelles ?

Telle est notre position de fond sur le devenir de nos prélèvements obligatoires, et donc sur la programmation des finances publiques. Pour l’heure, tout ce que prévoit la loi de programmation des finances publiques, dans sa rédaction issue de la commission mixte paritaire, conduira à vassaliser les politiques publiques nationales aux impératifs de la construction européenne, singulièrement à la stabilité de l’euro. Réduction des déficits et de la dépense publique, gel des ressources allouées aux collectivités locales font partie du credo monétariste qui sous-tend cette loi de programmation. Ainsi, on va continuer de supprimer des emplois publics et inciter les collectivités territoriales à faire de même.

Cette loi de programmation est également inspirée par la croyance dans le retour à une croissance plus forte, par la grâce de la seule bonne volonté des acteurs économiques que constituent les entreprises. Investissement en progression, créations d’emplois et croissance de l’activité devraient ainsi découler naturellement des choix opérés par l’État sur le plan de la fiscalité comme sur celui des cotisations sociales.

Mais qui peut croire que ce qui n’a pas marché jusqu’à présent va soudain produire des résultats positifs ? Depuis trop longtemps, nous empilons incitations fiscales sur exonérations sociales sans que cela ait la moindre efficacité durable sur le niveau de l’activité.

Ce qui est à craindre, c’est que cette loi de programmation des finances publiques ne trouve pas la moindre application dans les années à venir, d’une part parce qu’elle porte sur des exercices budgétaires postérieurs à la présente législature, et que l’on ne peut écarter la possibilité d’une alternance politique promouvant une autre conception générale des politiques publiques, d’autre part parce que l’amélioration prévue des comptes publics est conditionnée par des hypothèses de croissance peu réalistes.

Quels sacrifices faudra-t-il alors imposer à notre peuple pour tenir les objectifs fixés ? Nous ne voulons pas de cette austérité de longue haleine pour la France, qui risque fort d’exténuer notre économie et nos concitoyens.

Dès maintenant, nous pouvons penser que la présente loi de programmation aura le même avenir que la précédente, c’est-à-dire qu’elle sera abrogée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)