M. le président. Dans la suite du débat, nous en sommes parvenus aux interventions des orateurs des groupes.

La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’avenir de la politique agricole commune, sujet lourd de conséquences sociales, environnementales et économiques, fait suite au rapport d’information intitulé « Redonner du sens à la PAC ». Il s’inscrit également dans le processus de réforme de la politique agricole commune, qui a donné lieu à une résolution du Parlement européen et, dernièrement, à une communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen et au Comité des régions. Cet été, des propositions législatives devraient être présentées par la Commission européenne ; s’ensuivra alors la procédure de codécision, appliquée pour la première fois dans le cadre d’une réforme de la PAC.

Le présent débat est donc l’occasion de faire entendre la voix des parlementaires nationaux et de montrer que l’on peut construire une PAC qui garantisse la sécurité alimentaire, valorise les territoires, préserve les ressources naturelles et réponde au problème majeur et récurrent de la faiblesse des revenus agricoles.

Le texte d’orientation présenté par le commissaire européen comporte sans aucun doute des points positifs : la mise en place d’un mécanisme d’aides incitatives dès lors que l’environnement est valorisé, la volonté de mieux aider les petites exploitations, avec un ciblage au plus près des territoires, ainsi que la prise en compte de la notion d’agriculteur actif.

Cela étant, il est important de ne pas faire preuve d’angélisme et de bien comprendre que, pendant que nous discutons de l’avenir de l’agriculture, d’autres sont sur le point de le sceller. En effet, M. David Walker, président des négociations sur l’agriculture dans le cadre de l’OMC, a confirmé que celles-ci entreront dans leur phase finale à partir du 17 janvier prochain, en vue de l’élaboration d’un projet révisé de « modalités » quasiment définitif d’ici à la fin du mois de mars et de la conclusion complète du Cycle de Doha avant la fin de l’année.

Or, à la lecture de la partie consacrée à l’agriculture de ce projet révisé de modalités – il date du 6 décembre 2008, mais reste le document de travail principal –, on s’aperçoit qu’un certain nombre de questions seront réglées dans ce cadre-là. Cela donne un avant-goût amer de ce que pourrait être la nouvelle PAC : une politique fidèle au dogme ultralibéral, sous couvert de restrictions budgétaires.

Ainsi, dans le cadre des négociations actuelles, certains pays, les États-Unis et le Brésil notamment, souhaiteraient empêcher l’Union européenne de conserver des outils de régulation ou de gestion de crise. D’ores et déjà, il a été convenu de supprimer les subventions à l’exportation dès 2013 en cas d’accord. Une telle mesure concernerait également les subventions déguisées en crédit ou en aide alimentaire autre que d’urgence et celles qui sont relatives aux activités d’exportation des entreprises commerciales. Pour le soutien interne, le plafond de la boîte orange devrait être réduit, tandis que la boîte bleue serait plafonnée. Pour l’accès au marché, il semblerait qu’il soit convenu d’une modalité de réduction par bande tarifaire, les droits de douane les plus élevés devant être revus à la baisse.

Dans ce contexte, vous avez déclaré, monsieur le ministre, que, « aujourd’hui […], le budget de la PAC est sécurisé […], la régulation des marchés a pris la place de l’idée folle de libéralisation des marchés agricoles et ça, on le doit à l’action volontariste de la France ». Permettez-moi d’être moins optimiste que vous, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, comme vous le savez, l’agriculture est un secteur particulier, caractérisé par un cycle de production à long terme et exposé à la volatilité extrême du marché ainsi qu’aux catastrophes naturelles.

Le manque d’élasticité de la demande et la grande dépendance des agriculteurs par rapport aux acheteurs, qui décident des prix, imposent une réforme en profondeur de la gestion de l’offre et un contrôle des prix aux niveaux européen et mondial.

Cette question fut également abordée avec vous lors des débats sur le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, au travers de notre demande de généralisation du coefficient multiplicateur.

La volatilité néfaste des prix agricoles a été renforcée par les phénomènes de spéculation sur les matières premières agricoles. Ainsi, M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation, a largement décrit et dénoncé « le processus d’acquisition et de location de terres à grande échelle [qui] s’est accéléré après la crise mondiale des prix alimentaires de 2008. […] Les investisseurs privés, y compris les fonds d’investissement, sont de plus en plus attirés par le secteur agricole et spéculent de plus en plus sur les terres arables. »

La spéculation sur les matières premières agricoles a bien entendu des conséquences sur le cours des prix des produits agricoles. Pourtant, cette question n’apparaît pas dans les négociations internationales et européennes.

Les mesures annoncées pour lutter contre les dérives de la spéculation financière dans le cadre du G 20 sont en effet bien dérisoires au regard de l’ampleur du phénomène. Le Président de la République a ainsi déclaré que, « sur la volatilité du prix des matières premières, nous avons obtenu de mandater les organisations internationales dans le domaine de l’énergie comme dans celui de l’agriculture pour produire expertises et recommandations en vue de décisions sous notre présidence ». Vous l’avouerez, la situation mériterait des engagements plus forts !

En effet, sans un encadrement des prix et une interdiction de toute spéculation sur les denrées et les terres agricoles, l’Union européenne ne pourra garantir des prix rémunérateurs aux agriculteurs, sans compter que la spéculation multiplie les échanges, et donc les transports, au mépris des objectifs environnementaux que s’est fixés la communauté internationale.

Ensuite, pour ce qui concerne le maintien des aides, la PAC a perdu beaucoup de sa légitimité dans la mesure où 20 % des agriculteurs perçoivent 80 % des aides et que les plus gros bénéficiaires ont pu être le prince de Monaco ou la reine d’Angleterre ! (M. le ministre sourit.) Nous sommes donc favorables au ciblage des aides, par le recours à la notion d’agriculteur actif.

Il serait également nécessaire, à l’avenir, de simplifier le versement des aides de la PAC. Cette année, par exemple, les éleveurs ont rencontré des difficultés à cet égard, entre la modulation de 8 %, le versement des aides en plusieurs fois et l’application des coefficients stabilisateurs.

Ces aides sont nécessaires, mais elles ne constituent toujours pas des réponses adaptées au problème des revenus des exploitants. La question du revenu agricole doit selon nous prendre une place centrale dans la réforme de la politique agricole commune. Il est urgent de mettre un terme au dumping social au sein de l’Union européenne et de procéder à une harmonisation par le haut des salaires et des normes sociales pour les travailleurs du secteur. À cet égard, nous estimons que la « convergence des aides » peut être utilisée comme un levier incitatif.

Le Parlement européen, dans sa résolution sur l’avenir de la politique agricole commune après 2013, considère que « la PAC doit répondre immédiatement aux effets de la crise économique sur les entreprises agricoles, tels que le manque d’accès au crédit pour les agriculteurs, les pressions exercées sur les revenus agricoles et la hausse du chômage dans les zones rurales ». Il estime à ce titre que la réduction des paiements directs dans le cadre du premier pilier aurait des conséquences dévastatrices.

Nous soutenons ces positions ; il convient d’étendre l’application du principe de subsidiarité, de plafonner les aides et de les lier à l’emploi.

À l’inverse, les propositions de la Commission relatives à la rémunération du travail restent très en deçà de nos attentes. Aucun mécanisme comparable au système de préférence communautaire n’est proposé.

Malgré la crise du secteur laitier et l’importance avérée des instruments d’intervention publique sur le marché, la Commission souhaite rationaliser et simplifier les outils existants. Il est vrai qu’un certain nombre d’entre eux risquent de tomber sous le coup des accords de Doha. Comme nous l’avons dit, les restitutions à l’exportation devraient être interdites dans le cadre de l’OMC, et les droits de douane et les contingents largement limités.

La suppression des quotas pour le lait et, à moyen terme, pour le sucre dans le cadre d’un marché ouvert aboutira à une baisse des prix au détriment des producteurs, en situation de dépendance face aux secteurs de la transformation et de la grande distribution.

Nous regrettons d’ailleurs que la Commission n’aborde pas la question de la répartition de la valeur ajoutée dans la filière agroalimentaire, et nous sommes très sceptiques quant à l’efficacité de la contractualisation pour corriger le déséquilibre des relations commerciales.

Enfin, il serait regrettable que la nouvelle politique agricole s’affranchisse de la question de la dépendance de l’Europe en matière de protéines, au moment où l’ensemble des productions européennes riches en protéines végétales ne couvrent que 24 % des besoins des élevages, et seulement 1 % des besoins en soja.

Pour répondre à ces besoins, l’Union européenne se tourne vers l’extérieur, notamment vers le continent américain. Or les importations de protéines végétales posent des problèmes majeurs sur plusieurs plans.

D’abord, les producteurs sont dépendants de la fluctuation des prix des produits sources de protéines végétales, notamment du tourteau de soja. Ces prix sont susceptibles d’augmenter avec la croissance de la demande à l’échelle mondiale, en particulier de celle des pays d’Europe centrale et orientale et de l’Asie.

Ensuite, ces productions ont un impact social et environnemental important, notamment en Amérique du Sud, d’où provient 85 % du soja importé par l’Union européenne, du fait des changements directs et indirects d’affectation des sols – selon l’IEEP, l’Institute for european environmental policy, la hausse des prix du soja en 2007 aurait amené un doublement en quatre mois des surfaces soumises à la déforestation –, de l’utilisation accrue de pesticides et de la pression exercée sur les petits paysans.

Pour conclure, aux yeux des membres du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, l’agriculture ne peut être considérée comme un secteur marchand banal. Notre position sur ce point est claire : il faut sortir l’agriculture du cadre de l’OMC.

En effet, les politiques agricoles et alimentaires doivent être détachées de toute forme de dumping social, économique ou environnemental. Des règles nouvelles doivent prévaloir : soutien à l’agriculture paysanne et à la pêche artisanale, fondé sur les connaissances agro-écologiques ; prix agricoles rémunérateurs et non spéculatifs ; relocalisation des productions ; promotion de garanties sociales et environnementales ; valorisation des circuits courts et limitation des échanges à la diversification.

Il s’agit là d’enjeux humains et environnementaux incontournables. Pour nous, la sécurité alimentaire reste le défi central pour l’agriculture, non seulement pour l’Union européenne, mais pour le monde. Selon la FAO, la demande alimentaire mondiale devrait doubler d’ici à 2050. Aujourd’hui, en Europe, plus de 40 millions de personnes pauvres ne bénéficient pas d’une alimentation suffisante. La politique agricole que nous mènerons ne sera ni juste, ni solidaire, ni susceptible de garantir des prix rémunérateurs, un développement durable des territoires et la préservation des ressources naturelles si elle reste soumise aux politiques commerciales déterminées au sein de l’OMC. Non seulement le système actuel est délétère pour l’agriculture européenne, mais il conduit à exploiter indignement les pays du Sud et à affamer les populations. Lors de la réunion de Paris pour l’avenir de la PAC, qui s’est tenue le 10 décembre 2009, vous déclariez, monsieur le ministre, que « l’agriculture, c’est la conception que l’on se fait de notre avenir en Europe et de l’avenir de l’Europe dans le monde ». Cet avenir, nous souhaitons le garantir à notre agriculture, mais certainement pas au détriment des pays du Sud, ni pour le plus grand profit des spéculateurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.

M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole commune appartient à l’histoire de la construction européenne. Elle tient une place comparable à celle des premiers accords sur le charbon et l’acier dans le panthéon européen des accords politiques.

Toutefois, après toutes les étapes que nous avons connues avec l’élargissement de l’Union européenne et les négociations au sein de l’Organisation mondiale du commerce, la politique agricole commune est aujourd’hui remise en cause, du fait de la marchandisation des productions agroalimentaires et de ses propres errements, qui ont engendré parfois des effets pervers, telle la surproduction, accompagnée de difficultés de financement et d’une mauvaise répartition des revenus.

Cependant, de nombreux succès peuvent être mis à l’actif de la politique agricole commune. Ainsi, depuis 1962, année du premier règlement européen, la part des dépenses alimentaires dans les revenus disponibles des ménages est passée de 42 % à 15 %. Par ailleurs, en dépit des procès qui sont régulièrement instruits contre la « malbouffe », on ne peut que constater que l’espérance de vie des Français est parmi les plus élevées du monde et qu’elle continue à croître. C’est le signe que le productivisme – souvent confondu avec la productivité –, indispensable pour répondre au défi posé par la croissance de la demande en matière d’alimentation, a su concilier l’accroissement des volumes et le respect des exigences institutionnelles, alors que les enjeux nutritionnels sont souvent devenus des débats de société.

On constate en outre que l’Europe est devenue le deuxième exportateur mondial dans le secteur agricole, en une période où l’environnement international s’est modifié. Nous sommes en train de passer rapidement d’un monde dominé par l’Occident à un monde de partenariats multipolaires, avec l’émergence de préoccupations environnementales et de pénuries de matières premières.

Dans ce contexte, je souhaite que l’on révise, en fonction des rapports de force et de nos propres contraintes, les trois concepts fondateurs de la PAC, à savoir l’unité de marché, la solidarité financière et la préférence communautaire.

En matière de préférence communautaire, il serait bon que la réflexion soit menée à l’aune de notre sécurité alimentaire et de notre dépendance en matière de protéines végétales. On peut envisager de remettre en cause les accords de Blair House, mais, à l’échelle de la planète, les choses se présentent différemment : l’agriculture est confrontée aux défis de la croissance démographique mondiale. Pour l’heure, la réponse n’est pas satisfaisante, ce qui ne laisse pas d’être inquiétant pour l’avenir.

L’agriculture française a devant elle des perspectives très ouvertes, à condition qu’elle soit forte. Ces dernières années, nous avons voté deux textes, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche et la loi de modernisation de l’économie, qui intéressent l’agriculture et mettent l’accent sur l’organisation des filières, tant il est vrai que celles-ci ont parfois autant besoin d’organisation que de subventions…

Je constate que ces textes tendent à rétablir un pouvoir compensateur, au sens que donnait à cette expression l’économiste américain Galbraith, au profit des producteurs. La contractualisation, qui est devenue l’idée centrale, n’est pas une découverte, mais elle est apparue comme une réponse adaptée et s’est épanouie, avec les coopératives, dans la majeure partie des grandes filières agricoles françaises qui ont réussi.

Les coopératives constituent une forme originale et efficiente du capitalisme moderne, la forme la plus aboutie de l’organisation professionnelle. Elles sont des entreprises de marché ne pouvant faire l’objet d’une OPA ou d’une délocalisation. Leur structure financière comporte une part de capital impartageable, c’est-à-dire liée sans défaillance à l’outil de travail. Leurs actionnaires sont des coopérateurs et des fournisseurs, souvent peu soucieux de rendement élevé du capital à court terme, mais attachés à la réalisation des investissements.

La coopérative est une arme de guerre économique redoutable sur les marchés. Elle peut offrir au monde paysan toutes les options adéquates en matière d’organisation et de rémunération du travail de chacun, aussi bien pour le marché intérieur que pour l’export.

Ainsi, que peut-on faire pour aider les coopératives à se développer davantage ? Il faut d’abord reconnaître leur importance et s’intéresser à leur avenir. Lors du dernier remaniement ministériel, il y a eu un cafouillage sur les attributions des différents ministères en matière d’autorité sur la DGCS. Cela a été ressenti comme un désaveu par les coopérateurs, malgré les préconisations réconfortantes du récent rapport Vercamer. La situation n’est pas satisfaisante.

Pour conforter la place de l’agriculture française au sein de l’Europe, il faut travailler à accroître la taille des entreprises agroalimentaires tout en réfléchissant aux méthodes de gouvernance, afin de privilégier celles qui n’éloignent pas trop les hommes du centre de commandement ; autrement dit, les unions sont préférables aux fusions, l’essentiel étant d’atteindre le seuil critique nécessaire pour couvrir le marché. Il faudra en parler avec la DGCCRF, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et son ministre de tutelle.

Enfin, pour les détenteurs des capitaux nomades qui circulent dans le monde financier, il est aujourd’hui plus rentable d’investir sur les marchés à terme du sucre ou du blé qu’en bourse. Tant que cette situation perdurera, je ne pourrai guère faire confiance aux marchés à terme pour améliorer le revenu des producteurs. Il conviendra de transmettre ce message au G 20, monsieur le ministre !

Le deuxième pilier aidant, je souhaite que l’extension du périmètre de vos attributions à l’aménagement du territoire et au développement rural vous permette d’être davantage encore le ministre des agriculteurs. (Applaudissements.)

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Candidatures à deux missions communes d'information

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-quatre membres de la mission commune d’information sur les dysfonctionnements éventuels de notre système de contrôle et d’évaluation des médicaments, révélés à l’occasion du retrait de la vente en novembre 2009 d’une molécule prescrite dans le cadre du diabète, commercialisée sous le nom de Médiator, et sur les moyens d’y remédier en tant que de besoin.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

L’ordre du jour appelle la désignation des vingt-six membres de la mission commune d’information sur les conséquences de la révision générale des politiques publiques pour les collectivités territoriales et les services publics locaux.

Je rappelle que cette mission a été créée à l’initiative du groupe socialiste, en application de l’article 6 bis du règlement du Sénat, qui prévoit pour chaque groupe un « droit de tirage » pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information par année parlementaire.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

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Débat sur l'avenir de la politique agricole commune (suite)

M. le président. Nous reprenons le débat sur l’avenir de la politique agricole commune.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Raymond Vall. (M. Yvon Collin applaudit.)

M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2013 la politique agricole commune devra avoir accompli sa mue. Quelle sera la nouvelle PAC ? C’est là une question angoissante pour de nombreux agriculteurs dont le revenu disponible dépend en grande partie, voire en totalité, des aides directes de l’Union européenne.

Incompréhensible, coûteuse, injuste, nocive… Les griefs adressés à la PAC ne sont pas nouveaux, mais cette litanie de reproches, dont certains sont peut-être fondés, ne doit pas occulter une formidable réussite : la PAC a permis de garantir l’autosuffisance alimentaire de l’Europe. Atteindre cet objectif était loin d’être évident en 1962, lors de la création de cette politique communautaire. Il reste d’actualité dans un monde où près de 1 milliard de personnes souffrent de sous-alimentation et où il faudra nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050, contre 6,5 milliards aujourd’hui.

La PAC originelle a eu le mérite de limiter la diminution du nombre d’agriculteurs en Europe et d’assurer à ceux-ci un revenu décent. Accusée, sans doute à juste titre, d’avoir favorisé une course à la productivité, contribué à l’érosion des sols, empêché l’essor agricole des pays émergents, elle a changé de cap en 1992. On est passé, en deux décennies, d’une politique interventionniste sur des marchés contrôlés à un processus de libéralisation accélérée, menant à une régulation par le marché, les filières devant s’adapter. On voit aujourd’hui le résultat ! Les deux années passées ont montré que les revenus de complément tirés de la PAC ne permettent guère d’amortir les soubresauts des prix mondiaux et les conséquences des aléas naturels.

On nous a annoncé une augmentation de 66 % des revenus agricoles en 2010. Il n’y a pas là de quoi se réjouir outre mesure : il s’agit d’abord d’un rattrapage après les baisses de 2008 et de 2009, et ce chiffre masque de fortes disparités suivant les exploitations, l’embellie profitant surtout aux grandes cultures, les éleveurs, quant à eux, étant toujours en grande difficulté.

Il serait évidemment absurde de préconiser un retour à l’ancienne PAC, qui a montré ses limites et ses excès. Il serait tout aussi stérile de ne pas entendre les critiques, de ne pas voir les imperfections ou de ne pas répondre aux attentes de réforme.

La France a su faire adopter une politique agricole favorable à ses intérêts, mais elle s’est ensuite crispée pendant des décennies sur ses avantages, sans se préoccuper de leur obsolescence ni des changements de rapports de force intervenus au fil des élargissements successifs.

On le sait, premier poste de dépenses de l’Union européenne avec un budget de 55 milliards d’euros en 2010, la PAC suscite les convoitises : dans le cadre des négociations sur les perspectives financières pour la période 2014-2020, les tentations seront fortes de dégager à ses dépens des marges de manœuvre pour servir d’autres priorités.

La France devra affronter les pays partisans d’une plus grande libéralisation du secteur, tels que le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark ou la République tchèque. Certains se satisferaient pleinement d’une PAC sans argent, qui se bornerait à fixer des règles de régulation, au sens anglais du terme, c’est-à-dire des règles commerciales sur la concurrence et la traçabilité.

Une chose est sûre, l’heure sera en tout cas à un rééquilibrage des aides entre les pays. Si la montée en puissance des aides du premier pilier dans les nouveaux États membres devrait atténuer l’écart constaté aujourd’hui avec les anciens États membres, restent les inégalités criantes et bien connues entre régions, entre secteurs et entre agriculteurs. Voilà de quoi susciter l’incompréhension non seulement des bénéficiaires lésés, mais aussi du grand public, qui a de plus en plus de mal à trouver une légitimité à la PAC, d’autant que, paradoxalement, celle-ci ne permet pas toujours aux agriculteurs de vivre de la vente de leurs produits.

Si l’on ajoute à ces défauts de la PAC réformée un bilan en matière d’environnement et de développement rural à peine satisfaisant, sinon décevant, et des effets pervers, sur le prix du foncier par exemple, qui freine l’installation de nouveaux exploitants, on comprend bien que le statu quo n’est plus possible. Pour autant, quelle direction prendre ?

Dans une communication présentée le 18 novembre dernier, la Commission européenne esquisse les scénarii possibles. Je dois dire que le scénario que semble privilégier le commissaire européen Dacian Ciolos nous rassure quelque peu, tant il rompt avec le point de vue « tout libéral » de son prédécesseur, Mariann Fischer Boel.

Cependant, ce « ouf » de soulagement n’est pas un plébiscite. Nous partageons bien sûr l’idée de mettre en place une PAC plus juste et plus équitable, avec la fin du système des références historiques, la prise en compte de l’emploi et des handicaps naturels dans l’attribution des aides, l’orientation du soutien vers les agriculteurs actifs, l’instauration d’un plafonnement par exploitation et d’un niveau minimal garanti pour les petites exploitations. Cette attention aux petites exploitations, qui a tant manqué jusqu’à présent, est une nécessité, car ce sont elles qui assurent la vitalité économique et humaine de nos zones rurales, comme le grand Sud-Ouest, et en particulier le département du Gers.

Nous saluons aussi une nouvelle étape dans la prise en compte de l’impératif écologique, avec notamment la reconnaissance de l’apport des agriculteurs au regard des objectifs d’intérêt public que sont le maintien des paysages, l’aménagement des territoires, la lutte contre le réchauffement climatique. Cette fonction de l’agriculture justifie amplement, s’il en était besoin, que l’Europe consacre un demi-point de PIB à la PAC.

Cela étant, ces bonnes intentions masquent des lacunes. Alors que l’impérative résolution du problème de la volatilité des prix des matières premières agricoles a été inscrite à l’ordre du jour des discussions du G 20, le texte de la Commission demeure très insuffisant en matière de régulation des marchés agricoles.

Comment les agriculteurs peuvent-ils gérer leur exploitation quand, en l’espace de trois mois, un prix peut passer de 100 à 200 euros, avant de retomber à 100 euros deux mois plus tard ? Sur cette question de la volatilité des cours, la Commission semble en rester à l’idée que la régulation doit se faire par le marché et qu’il revient aux filières de s’adapter. Aucun nouvel instrument n’est envisagé, seul le maintien des outils existants est prévu, alors même qu’aujourd’hui certaines filières, comme celle de la viande, sont en grande difficulté.

Par ailleurs, le texte de la Commission ne dit rien de l’effort financier que devra assumer l’Europe. Or, cette question est cruciale : une « PAC forte », comme l’appelle de ses vœux M. Ciolos, suppose un budget à la hauteur ! Espérons qu’après avoir donné des espoirs aux agriculteurs, la Commission leur apportera une traduction budgétaire…

Enfin, rien non plus n’affirme la « préférence communautaire ». Si ce n’est pas là un « gros mot » pour M. Sarkozy, il semble que cela en reste un pour la Commission !

J’ai bien conscience, monsieur le ministre, que ce document donne le coup d’envoi de discussions âpres. Comment abordez-vous cette période ? Quelles seront vos idées-forces ? Nous savons votre détermination.

L’agriculture et l’alimentation sont parties intégrantes de la société française, comme l’atteste le succès rencontré tous les ans par le salon de la porte de Versailles, où veaux, vaches, cochons font le bonheur de tous les visiteurs. Ce salon est un trait d’union nécessaire entre citadins et ruraux, qui souvent se méconnaissent alors qu’ils ont pourtant besoin les uns des autres.

Il faut sans aucun doute répondre aux critiques et aux attentes, mais personne n’a intérêt à ce que la PAC n’atteigne pas ses trois objectifs essentiels – unité du marché, solidarité financière et préférence communautaire – ni à ce qu’elle soit affaiblie ou démantelée.

Certes, la PAC devra en 2013 être plus juste, plus verte qu’elle ne l’était auparavant. Elle doit gagner en lisibilité et cesser d’apparaître comme un écheveau de dispositifs techniques d’une infinie complexité, ce qui peut donner le sentiment qu’elle avance masquée. Les sigles fleurissent plus vite que les coquelicots dans un champ de blé ! Elle doit enfin aborder la question décisive la part des différents acteurs dans la chaîne de formation de la valeur.

À l’heure actuelle, c’est le marché, et lui seul, qui décide, en parfaite cohérence avec la doctrine économique libérale. Ce n’est plus acceptable. Est-il normal que les ententes entre agriculteurs en vue de fixer les prix soient sanctionnées, tandis que les concentrations excessives dans la distribution et dans certains secteurs de l’industrie alimentaire sont tolérées ? Dans les vingt-sept pays de l’Union, quinze chaînes de distribution contrôlent déjà à elles seules 77 % du marché alimentaire. Le droit de la concurrence ne s’applique pas à tous de manière égale !

Quoi qu’il en soit, la PAC ne doit pas disparaître. N’oublions pas que ce dispositif, mis en place voilà un demi-siècle, est quasiment l’unique politique commune européenne. Est-ce un modèle ? Non, mais c’est du moins un exemple pour quiconque estime que l’avenir de l’Europe ne peut être que collectif. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)