Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Robert del Picchia. Nous savons d’expérience, en Europe, quels malheurs ont causé les aspirations à la pureté religieuse, sociale ou raciale. Une fois n’est pas coutume, tirons de notre histoire et des errances du passé les leçons de courage qui guideront notre action diplomatique en Europe et dans le monde. Là encore, c’est un message de la vieille Europe qui me semble d’actualité. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Madame la présidente, madame la ministre d’État, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, en raison de l’actualité africaine, la diplomatie française tourne aujourd’hui naturellement son attention vers le Sahel, la Côte d’Ivoire et la Tunisie.

Toutefois, je vous invite à prendre un peu de recul, pour distinguer les différentes lignes géographiques de la politique étrangère du Gouvernement.

Je constate la priorité donnée à la construction européenne, aux États-Unis, notre allié du nord de l’Amérique, et à l’Afrique, cette « zone d’héritage » unie à la France par des liens complexes.

Je discerne également une volonté de nous tourner vers les puissances de l’Est : la Russie, l’Inde et la Chine, auxquelles le chef de la diplomatie consacre temps et déplacements.

En revanche, un continent fait l’objet de bien moins d’attention : l’Amérique centrale et latine. Que constate-t-on ? Tous les efforts et moyens de la diplomatie française sur ce continent se concentrent sur le partenariat stratégique avec un État, le Brésil, considéré comme une puissance émergente comparable à l’Inde ou à la Chine, et non – j’y insiste – comme un acteur intégré dans une stratégie élaborée pour la région.

En Amérique du Sud, le désengagement de la France est criant. Il demeure certes, presque pour la bonne forme, une coopération scientifique, universitaire et culturelle, au travers, par exemple, des programmes STIC-AmSud, MATH-AmSud ou AMSUD-Pasteur, mais la priorité est manifestement ailleurs.

Quelque 11 000 étudiants d’Amérique centrale et latine sont inscrits dans les universités françaises, contre plus de 45 000 en provenance d’Asie. Alors que la France bénéficie d’une remarquable image, presque 60 % des quelque 140 000 étudiants sud-américains partant à l’étranger s’orientent vers les États-Unis.

Quant à la coopération économique, son ambition est dérisoire : elle ne représente que 2 % de nos échanges commerciaux et concerne pour les trois quarts seulement quatre pays du continent, à savoir le Brésil, à hauteur de plus de 35 %, le Mexique, pour 15 %, le Chili, à concurrence de 11 %, et l’Argentine, pour 9 %.

L’exemple du Chili illustre la faiblesse de l’investissement français au regard de notre rang de cinquième puissance économique mondiale : la France est le seizième fournisseur du Chili, son cinquième fournisseur et investisseur européen derrière l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie…

Or la démocratie, les droits de l’homme, l’organisation multipolaire du monde, thème qui rapproche le Brésil et la France, sont des valeurs que nous partageons avec l’ensemble des États d’Amérique latine, comme en témoigne notre relation ancienne et privilégiée avec eux. Notre diplomatie défend ces valeurs universelles ; notre présence économique ne peut-elle servir à soutenir la même ambition ?

Il est certain que la France ne peut laisser de côté l’Amérique du Sud : elle est, grâce à la Guyane, un pays américain. Le développement des départements français de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane est lié à celui des pays voisins, et rend indispensable un investissement de la France dans la Caraïbe, ainsi que dans l’ensemble, au minimum, du bassin amazonien : un investissement diplomatique et économique, et pas seulement scientifique ou culturel.

Plus spécifiquement, pour la Guyane, il s’agit certes du Brésil, mais également du Surinam et du Guyana. Concrètement, qu’en est-il de la situation des populations du Maroni et de l’Oyapock, dont les territoires ancestraux ne s’arrêtent pas aux rives du fleuve et ne connaissent pas les frontières ? Faire évoluer la situation administrative de ces populations ne représente-t-il pas un enjeu majeur de droit international ?

Quel est notre effort de coopération pour le développement du Guyana, lorsque la présence économique française dans ce pays se résume à une entreprise de production de cœurs de palmier et d’ananas biologiques ?

Par ailleurs, fallait-il attendre qu’un drame survienne à Haïti pour intervenir – et si mal – dans ce pays autrefois français, aujourd’hui l’un des plus sinistrés du monde ? Les ressources consacrées à Haïti sont importantes, mais, un an après le séisme, le constat de carences graves dans la réorganisation et la reconstruction du pays doit être dressé. La France aurait dû jouer un rôle structurant majeur ; elle a abandonné une place qui lui revenait naturellement.

La lutte contre l’immigration clandestine, la gestion durable des ressources forestières sur le plateau des Guyanes et le développement endogène des départements français d’Amérique ne peuvent aboutir sans une stratégie économique régionale viable, une actualisation du droit international et une adaptation de la réglementation européenne.

Madame la ministre d’État, le général de Gaulle traçait comme ligne directrice « le resserrement du rapport entre l’Amérique latine et la France pour aider le monde à s’établir dans le progrès, l’équilibre et la paix ». Certes, le monde a changé depuis, mais ne reste-t-il rien de cette ambition ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je souhaite d’abord remercier M. le président de la commission, Josselin de Rohan, d’avoir organisé ce débat, qui témoigne de la volonté de notre assemblée de se mobiliser sur les problèmes de politique étrangère, que l’actualité rend particulièrement sensibles.

Certes, il est parfois un peu triste de constater que des querelles sémantiques et des positions quelque peu excessives nous conduisent à oublier notre capacité de consensus en ce domaine.

M. Jean-Louis Carrère. C’est son côté giscardien ! (Sourires.)

M. Jacques Blanc. Mes chers collègues, j’ai participé, le 13 janvier dernier, comme un certain nombre d’entre nous, à la réunion du groupe d’amitié France-Tunisie du Sénat. Nous avons alors été capables d’adopter à l’unanimité une résolution rappelant les déclarations énergiques du président du Sénat, M. Gérard Larcher, auquel je tiens à rendre hommage, qui avait condamné, le 12 janvier, la répression en Tunisie. Nous avons dénoncé les effets tragiques de la situation et apporté notre soutien à celles et ceux qui demandent le respect des libertés d’expression et de manifestation et de toutes les libertés publiques, en indiquant que l’avenir de la Tunisie appartenait à son peuple et en demandant que la France et l’Union européenne, dans le cadre de leurs relations avec ce pays, pèsent de tout leur poids pour que celui-ci respecte les droits fondamentaux garantis par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Nous avons alors joué le rôle qu’on peut attendre d’une assemblée.

Le Gouvernement tient incontestablement compte de l’analyse objective des événements survenus en Tunisie, tout en veillant à ne pas prêter le flanc aux critiques relatives à une ingérence éventuelle.

Ne déformons pas les propos des uns et des autres ! L’heure n’est pas à l’analyse de différentes attitudes.

M. Jean-Jacques Mirassou. Tout de même !

M. Jacques Blanc. Retenons simplement que les représentants du Sénat ont voulu manifester leur soutien au peuple tunisien.

Chacun sait ce qui s’est passé. L’important, c’est que nous souhaitions tous, aujourd’hui, permettre au peuple tunisien ami de la France de bénéficier de toutes les libertés et de s’organiser comme il l’entend, dans le respect de la démocratie. Telle est notre mission.

Pour ma part, je veux voir dans ce débat la capacité de notre assemblée d’apporter une contribution, comme l’a d’ailleurs fait le président du Sénat alors que nous nous trouvions ensemble en Turquie.

M. Jean-Louis Carrère. Vous voyagez beaucoup !

M. Jacques Blanc. Si le Gouvernement possède ses propres positions, la Haute Assemblée a aussi la capacité, dans le respect des uns et des autres, de dire ce qu’elle pense.

Revenons-en d’ailleurs au fondement même de notre ambition. Il est en effet faux de prétendre que le Président de la République n’a pas ses propres convictions.

M. Jean-Louis Carrère. Au contraire ! Nous sommes sûrs qu’il en a !

M. Jacques Blanc. Pour preuve, je citerai la volonté qui l’anime concernant l’Union pour la Méditerranée, l’UPM. Je vous invite d’ailleurs à relire ses propos sur ce sujet. Certes, ce grand projet, cette ambition très forte n’a pas pu déboucher immédiatement sur des résultats tangibles. Mais est-ce la faute de la France si le problème israélo-palestinien n’est pas encore réglé ? (Exclamations sur les travées socialistes.)

Mes chers collègues, aucun gouvernement français, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a pu modifier, quelle que soit sa volonté, le cours des choses ! Bien sûr, tous ont souhaité favoriser la paix ! Mais soyons honnêtes, les socialistes n’ont pas été meilleurs en ce domaine.

M. Jean-Louis Carrère. Je savais que ça allait venir ! (Sourires.)

M. Jacques Blanc. Au moment de la chute du mur de Berlin et de la réunification allemande…

M. Jean-Louis Carrère. C’est la faute à Robespierre !

M. Jacques Blanc. Je ne parle pas de « faute » ! Je dis simplement que, au travers de l’Union pour la Méditerranée, nous devons affirmer, plus que jamais, notre détermination, pour contribuer au nécessaire développement économique qu’attend la jeunesse de la Tunisie et de l’ensemble du bassin méditerranéen. Oui à l’Union du Maghreb arabe ! Malgré les difficultés qui peuvent surgir, chacun le sait, entre l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, notre mission est de favoriser ce mouvement.

Je crois profondément à l’Union pour la Méditerranée (Applaudissements sur les travées de lUMP.), que nous devons fortement épauler, en soutenant l’action du Gouvernement et de Mme la ministre d’État ou des coopérations sous-étatiques.

J’ai l’honneur d’avoir œuvré, dans le cadre du Comité des régions, des collectivités territoriales des trois rives de la Méditerranée, à la mise en place de l’ARLEM, l’Assemblée régionale et locale euro-méditerranéenne.

Par ailleurs, j’ai le privilège d’être rapporteur de la commission « eau » de l’UPM. Nous portons des messages sur des questions essentielles, qui décideront, demain, de la paix ou de la guerre dans cette région du monde.

Par conséquent, cessons de régler nos comptes ! Cela n’intéresse personne !

M. Jacques Blanc. Ayons la volonté et l’ambition de permettre à la France d’être le pays au monde où l’on porte avec le plus de force et de conviction un message pour la Méditerranée ! (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre d'État. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord saluer l’initiative prise par le Sénat, sous l’impulsion de M. le président Josselin de Rohan, d’organiser ce débat sur des questions de politique étrangère. Les interventions ont tout à la fois montré l’intérêt que chacun porte à ces sujets et traduit la complexité des enjeux de la politique internationale.

Disposant malheureusement de peu de temps pour vous répondre, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essaierai d’aller à l’essentiel, en souhaitant que le débat puisse être un peu plus approfondi une prochaine fois.

Notre politique internationale doit s’articuler autour de trois axes : l’urgence des crises, la cohérence de nos engagements et la mise en œuvre de nos ambitions pour l’avenir.

Pour ce qui concerne les crises, j’évoquerai dans un premier temps la Côte d’Ivoire.

Nous encourageons une issue pacifique et négociée du conflit, privilégiant une solution africaine et, si possible, ivoirienne. À cet effet, face à la complexité de la situation, nous devons maintenir la pression diplomatique, avec l’ensemble des acteurs, pour tenter de peser sur M. Gbagbo.

La France ne fait pas obstacle à la préparation d’une option militaire africaine, mais elle la considère, comme l’a dit M. le président de Rohan, comme le recours ultime. Je privilégie donc les sanctions individuelles et économiques.

Recompter les bulletins ne serait pas une solution. Trop de temps s’est écoulé depuis l’élection et le recomptage ne serait pas fiable. Recommencer l’élection est également à éviter, puisque, dans l’ambiance de tension et de violence qui prévaut aujourd’hui, cela constituerait un risque majeur.

Des options intéressantes se sont fait jour. Espérons que, avec l’aide des chefs d’État africains, nous réussissions à les faire prévaloir.

J’en viens maintenant à la situation des otages français. Les uns et les autres, vous avez souligné le caractère dramatique de la prise d’otage qui a eu lieu au Niger et du sort tragique de nos compatriotes.

Face au terrorisme dans cette région du monde, notre stratégie repose sur une véritable coopération avec les pays sahéliens, qui en sont, M. le ministre Jean-Marie Bockel l’a souligné, les premières victimes.

Des concertations ont également lieu avec les pays d’Afrique du Nord les plus concernés : l’Algérie, la Libye, le Maroc et la Mauritanie.

Trois axes guident notre coopération : renforcer les capacités de sécurité des États concernés ; favoriser le développement de ces pays, de façon à faire disparaître le terreau favorable au terrorisme lié aux difficultés des populations ; enfin, protéger nos ressortissants et nos emprises, en coopération avec les autorités des pays d’accueil.

Tous les intervenants, notamment M. Jacques Gautier et le président de Rohan, ont souligné l’importance de cette action. Il est vrai qu’elle accompagne notre politique.

Je ne peux donc pas être d’accord avec vous, monsieur Berthou, lorsque vous prétendez que notre politique est inconsistante et que la Chine prend seule position dans ces pays. En réalité, la Chine, vous l’avez d’ailleurs très bien dit, s’intéresse uniquement aux ressources. La façon dont elle considère ces pays est de plus en plus perçue par ces derniers, qui se tournent alors vers la France et l’Europe. Je le souligne, s’il nous faut travailler en liaison avec les organisations africaines, il convient également d’associer au maximum l’Europe.

Permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’évoquer maintenant la crise tunisienne.

Je prendrai quelques instants pour répondre à Mme Demessine concernant les propos que j’ai tenus la semaine dernière lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement à l’Assemblée nationale. Répondant aux deux questions qui m’ont été posées, il me semble avoir été claire. Si mes paroles ont été mal comprises, je le regrette, car elles visaient justement à exprimer ma sensibilité face aux souffrances du peuple tunisien, plusieurs personnes ayant été tuées par la police au cours des manifestations.

Je suis donc scandalisée que certains, y compris cet après-midi, aient pu sciemment déformer mes propos, en les sortant de leur contexte ou en les adossant à des contre-vérités, pour créer une polémique politicienne, qui n’a pas lieu d’être, surtout dans cette période. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

À l’Assemblée nationale, j’avais déploré l’usage disproportionné – ou plutôt « excessif » – de la force. Comme chacun d’entre vous, j’avais été bouleversée par les tirs à balles réelles qui ont fait de nombreux morts parmi les manifestants, dont un professeur franco-tunisien et un photographe franco-allemand.

Ce que j’ai dit, vous le savez bien, c’est que l’on peut gérer des manifestations, mêmes violentes, sans ouvrir le feu ni faire de morts. C’est ce que nous faisons en France depuis plus de vingt ans, y compris dans des situations extrêmement difficiles.

M. Jean-Louis Carrère. C’est une position de complaisance !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. C’est pourquoi j’ai dit que nous étions prêts, dans l’avenir bien sûr, à transmettre par le biais de formations ce savoir-faire, pour aider les forces de l’ordre tunisiennes à permettre l’expression de la liberté, tout en garantissant la sécurité des manifestants.

Il est évidemment inenvisageable – je tiens à le souligner, Mme Demessine ayant évoqué une telle possibilité – que la France prête un concours direct aux forces de l’ordre d’un autre pays. C’est contraire à nos principes et à nos lois. Je ne préconise pas, en tant qu’ancien ministre de la défense, ancien ministre de l’intérieur et ancien ministre de la justice, des solutions contraires à nos lois, car je les connais ! J’aimerais d’ailleurs que ce soit le cas de tout un chacun ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Aujourd’hui, monsieur le président de Rohan, monsieur Robert del Picchia, vous avez évoqué les voix nombreuses qui s’élèvent aujourd’hui pour expliquer a posteriori la crise tunisienne. Je vous remercie de dénoncer ceux qui prédisent le passé.

Monsieur Berthou, je souhaite vous rappeler deux dates. En 1997, M. Jospin a accueilli M. Ben Ali à Matignon, en faisant l’éloge de la situation tunisienne.

M. Bernard Piras. Cela fait treize ans !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Beaucoup plus récemment, en 2008, M. Strauss-Kahn a fait l’éloge, à Tunis, de la réussite du pays. Il a d’ailleurs reçu à cette occasion, des mains de M. Ben Ali, une décoration.

Selon moi, il est inutile de chercher à polémiquer.

M. Roland Courteau. C’est pourtant ce que vous faites !

M. Jacques Berthou. Vous vous dédouanez en accusant les autres !

M. Jean-Louis Carrère. C’est dérisoire ! Vous êtes une polémiste !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Dans ces moments décisifs pour l’avenir de la Tunisie, la France doit montrer qu’elle se tient aux côtés du peuple tunisien. C’est cela qui est important. Nous voulons, dans toute la mesure du possible, aider un peuple ami, sans pour autant interférer dans ses affaires, Jacques Blanc a raison en la matière.

Aujourd’hui, la situation sécuritaire en Tunisie est contrastée. On observe à la fois une reprise du travail et des approvisionnements et, dans le même temps, des pillages et des règlements de comptes.

Le paysage politique lui-même est mouvant. Certains ministres du gouvernement d’union nationale qui vient d’être composé ont d’ores et déjà démissionné.

M. Jean-Louis Carrère. Cela n’arriverait pas ici !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Ce gouvernement va devoir rétablir l’ordre public, convaincre le peuple tunisien de sa crédibilité et préparer les élections. L’aspiration des Tunisiens à plus de démocratie et à plus de liberté ne pourra être satisfaite que si des élections libres sont organisées. Mais, monsieur Pozzo di Borgo, vous avez raison, ces objectifs ne pourront être atteints que si nous savons répondre aux attentes économiques et sociales de la population. De ce point de vue, l’Union du Maghreb arabe est, pour chacun des pays qui la forment, une voie à développer et à consolider.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les engagements de la France s’inscrivent également dans la durée.

Ainsi que j’ai eu l’occasion de le souligner, l’Union européenne demeure aujourd’hui le seul recours possible face à la crise économique et au défi de la mondialisation. Notre première priorité reste la réponse globale qu’elle doit apporter à la crise. Il nous faut maintenant un véritable volet de convergence, en matière fiscale et sociale comme en matière de réduction des écarts de compétitivité. Ce sera l’enjeu des prochains Conseils européens.

L’Union européenne doit ensuite s’affirmer comme un acteur global et une puissance politique dans la mondialisation ; vous l’avez rappelé, monsieur del Picchia.

Pour accroître notre influence, nous devons à la fois nous appuyer sur les nouveaux acteurs stables de l’Union européenne, le président et le Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et les nouveaux outils du traité de Lisbonne. Il nous faut également développer la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD.

L’engagement français en faveur de la défense européenne est intact. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN, loin de l’amoindrir, l’a au contraire renforcé.

M. Jean Bizet. Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous devons donc nous attacher à une réelle relance de la défense européenne autour de cette coopération. Pour que cet objectif soit atteint, nous avons besoin de tous nos partenaires.

Monsieur de Rohan, vous avez insisté sur la situation au Moyen-Orient. J’entreprends demain une tournée dans les principaux pays de cette zone. Il est évident que l’Union européenne doit elle aussi contribuer aux solutions de paix. Une tentative américaine est en cours. Comme je l’ai déclaré au représentant américain que j’ai rencontré, il faut désormais laisser à l’Union européenne comme aux pays arabes modérés la possibilité de mener des actions en faveur de la paix ; sinon, aucune issue ne sera trouvée.

De la même façon, MM. del Picchia, Jacques Blanc et Pozzo di Borgo l’ont rappelé, l’action de la France doit s’appuyer sur la création de l’Union pour la Méditerranée : celle-ci demeure une priorité pour notre pays. Oui, c’est vrai, des difficultés persistent, compte tenu de la situation entre Israël et la Palestine. Mais, comme l’a souligné Jean-Marie Bockel, cette union n’a rien perdu de son utilité.

Précisément, le recentrage de l’Union pour la Méditerranée sur des sujets et des projets concrets peut aider à sortir des blocages.

En ce sens, la mise en place opérationnelle du secrétariat de l’Union pour la Méditerranée à Barcelone, l’adoption du programme de travail et du budget pour 2011 constituent un signal positif. Ce secrétariat a commencé ses travaux, notamment sur l’eau, la recherche et l’enseignement supérieur. Nous pouvons poursuivre dans le domaine de la protection civile et des énergies renouvelables.

Monsieur Pozzo di Borgo, le partenariat avec la Russie peut également nous permettre de constituer un ensemble, à défaut d’un pôle intégré, nous permettant de peser dans le monde. L’année croisée franco-russe a été un succès qui doit être consolidé.

Messieurs Jacques Gautier et Josselin de Rohan, vous avez évoqué l’Afghanistan et le Pakistan. Permettez-moi d’abord de vous indiquer que je suis naturellement à la disposition du président de la commission des affaires étrangères, et plus généralement du Sénat, pour répondre à vos interrogations.

Il m’est difficile, compte tenu du temps qui m’est imparti, de répondre sur tous ces points. Toutefois, un débat pourrait avoir lieu – je le souhaite –, sans qu’il soit nécessairement suivi d’un vote. Aujourd'hui, ce qui importe, c’est la démarche : celle-ci consiste à transférer au fur et à mesure que cela est possible l’ensemble des pouvoirs au gouvernement afghan.

La situation du Pakistan s’est considérablement détériorée depuis quatre ans. Ce contexte doit nous amener à entreprendre une réflexion sur les moyens de soutenir les institutions démocratiques dans ce pays et de les renforcer.

Il a été question du terrorisme qui sévit en Afrique. Toutefois, il ne faut pas oublier la lutte contre la piraterie somalienne. De ce point de vue, l’opération navale Atalante, lancée en 2008 sur notre initiative, a permis de réduire le nombre d’attaques réussies. Pour autant, les actes de ce type se multiplient et s’étendent. Il faut donc agir et faire en sorte que l’impunité des pirates ne nuise pas à la crédibilité de nos actions. C’est la raison pour laquelle une mission chargée de formuler des propositions, notamment en matière judiciaire, a été confiée à M. Lang.

Bien entendu, monsieur Berthou, notre politique en Afrique ne se cantonne pas à la lutte contre la piraterie. Elle se caractérise aussi par un soutien aux organisations régionales – ce qui la distingue des actions antérieures qui reposaient sur une autre conception de nos rapports avec les pays africains –, par la réforme du dialogue entre les deux continents, comme par l’adaptation de notre dispositif de défense ou la mise en œuvre de coopérations multidimensionnelles.

Monsieur de Rohan, j’ai bien noté votre demande de débat sur la ratification des quatre accords de défense déjà conclus : elle est parfaitement légitime. Ce sont d’ailleurs cinq accords, et non pas quatre, qui ont déjà été signés : à ceux que vous avez évoqués, il faut ajouter celui qui a été passé avec les Comores. Par ailleurs, nous sommes en train de finaliser de nouveaux accords avec le Sénégal et Djibouti. Nous pourrons donc les examiner tous ensemble. Il va de soi que nous ne pourrons étudier celui avec la Côte d’Ivoire, qui n’est guère envisageable aujourd'hui.

Monsieur Ibrahim Ramadani, les Comores sont aujourd'hui entrés dans une nouvelle phase. La France, sans avoir aucun commentaire à faire sur les personnes, félicite les candidats vainqueurs. La prise de fonction des nouvelles équipes marque ainsi l’achèvement du processus de transition démocratique. Nous souhaitons que ce soit aussi l’occasion d’un partenariat accru entre la France et les Comores, entre Mayotte et les autres îles de l’archipel.

J’en viens au viol d’une magistrate à Mayotte. Leurs auteurs, au nombre de trois, ont été identifiés à la faveur de prélèvements ADN et ont été arrêtés grâce aux efforts de notre poste à Moroni, de notre ambassadeur et de l’attaché de sécurité intérieure.

Le juge d’instruction s’est rendu pour la cinquième fois aux Comores. Il nous faut maintenant attendre la désignation de la juridiction de jugement saisie du dossier pour que la justice comorienne se prononce sur la demande d’extradition.

À Madagascar, la France s’emploie depuis le début à promouvoir une sortie de crise pacifique et durable. Nous souhaitons aujourd'hui la fin rapide de la période actuelle de transition. Cette approche réaliste est de plus en plus partagée par les uns et les autres.

J’en viens à la question des droits de l’homme. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, depuis l’annonce de la condamnation de Mme Sakineh Mohammadi Ashtiani, la France, avec ses partenaires européens, appelle sans relâche et avec fermeté à sa libération. Nous sommes également très préoccupés par la situation de ses proches.

Enfin, nos ambitions dessinent à long terme les lignes force de notre politique.

Mme Demessine a évoqué la nécessaire politique d’influence de la France. Je suis d’accord avec elle sur ce point, mais je ne le suis plus lorsqu’elle considère que la France est un petit pays économique : c’est vraiment nier la réalité de la place de nos entreprises sur l’échelle des grandes entreprises mondiales !

Pour ma part, j’entends défendre une politique d’influence qui combine tous les facteurs, qu’ils soient économiques, culturels, linguistiques, et les savoir-faire éducatifs. Cette politique, d’ailleurs, est globale : elle doit mobiliser, à côté de l’État et tout particulièrement du Quai d’Orsay, les acteurs publics et privés, les collectivités territoriales, les entreprises et, naturellement, madame Goulet, les parlementaires. Je souhaite pouvoir davantage associer les sénateurs à mes déplacements ainsi qu’à la réflexion globale sur ces questions. C'est la raison pour laquelle j’ai proposé à M. de Rohan la collaboration de diplomates à la commission des affaires étrangères, ce qui enrichira nos échanges.

Cette politique d’influence suppose un ministère modernisé. C’est ce à quoi je m’attacherai. Pour cela, il faut des moyens. Après avoir entendu M. Jean-Louis Carrère, je ne doute pas qu’il votera sans hésiter les suppléments budgétaires que je réclamerai…

Monsieur Antoinette, il est un peu tard pour évoquer l’Amérique latine, mais j’attache une très grande importance à ce sujet. Nous n’avons que trop ignoré ce continent, alors qu’il offre de grandes possibilités et qu’il nous faut tisser avec lui des liens de coopération.

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, face aux enjeux de la mondialisation, l’unité de la nation française demeure notre premier atout.

Les questions de politique étrangère méritent une approche sereine, constructive, dictée par le seul intérêt général, au-delà même des intérêts partisans.

Cette exigence, je le sais, est la vôtre, quelles que soient les circonstances politiques ; c’est la mienne ; c’est aussi celle de tous ceux qui croient en la grandeur de la France et qui travaillent en ce sens. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)