M. Charles Gautier. Ah ! C’est nouveau !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Les comparaisons avec les situations voisines ne sont pas toujours pertinentes et vous avez très justement distingué la situation des États fédéraux ou quasi fédéraux de celle des États unitaires comme la France. Il est vrai que notre situation est tout à fait particulière en Europe.

Pour le reste, nous ne sommes pas forcément d’accord, c’est évident, mais il est vrai que, dans la mesure où vous avez refusé de voter la révision constitutionnelle, ce désaccord est logique. Il n’est que la conséquence de la position que vous aviez adoptée en 2008.

Je remercie également M. Amoudry d’avoir souligné que le transfert de missions, notamment celles du Défenseur des enfants, au Défenseur des droits constitue en réalité un progrès. Le Défenseur des droits est en effet doté d’une autorité établie par la Constitution et dispose de pouvoirs spéciaux particuliers plus larges que ceux dont disposent aujourd’hui les différentes autorités administratives indépendantes. Il ne s’agit en aucun cas d’une régression ; c’est au contraire une avancée.

J’ai bien entendu les propos qui ont été tenus sur la CNIL. Le Gouvernement a pour première préoccupation de veiller avant tout à ne pas fragiliser la CNIL, à la préserver au regard des dispositions européennes et à faire en sorte que les avis qu’elle rend soient étayés.

Monsieur Lecerf, je vous remercie d’avoir rappelé que le Gouvernement avait probablement été l’un de ceux qui auront le plus fait pour la défense des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Comme je l’ai dit voilà quelques instants, le Sénat examinera au cours du mois de février la réforme de la garde à vue, texte fondamental qui vise à conférer aux personnes privées de liberté dans le cadre d’une enquête judiciaire de nouvelles garanties et de nouveaux droits. Vous avez parfaitement mesuré, monsieur le sénateur, les apports, dans ce domaine, de la révision constitutionnelle. Les deux textes qui sont soumis à votre examen aujourd’hui visent simplement à mettre en œuvre les différentes potentialités offertes par la révision de 2008.

Madame Boumediene-Thiery, je vous remercie d’avoir salué l’article 71–1 de la Constitution comme un progrès de l’état de droit. Vous en avez toutefois tiré plusieurs conséquences qui, après cette reconnaissance, ne me semblent pas tout à fait logiques. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Certes, il vous appartient bien naturellement de le faire. Plusieurs orateurs ont dit que nous supprimions la HALDE, la CNDS, le Défenseur des enfants. Je souhaite rappeler que ce n’est pas du tout le cas. Nous ne supprimons pas…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. … mais rassemblons toutes ces institutions et cela semble normal. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Vous êtes parlementaire, vous connaissez les sujets, et vous votez les lois…

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si, même en votant contre. Mais, pour les citoyens de notre pays, avoir cinq ou six autorités qui traitent des droits ou libertés publiques se traduit par une absence de lisibilité.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Elles ne traitent pas de la même chose !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Nous ne faisons que rassembler ces autorités au sein du Défenseur des droits et le hisser à un niveau constitutionnel en reprenant toutes les compétences des institutions existantes.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous les mettez sous tutelle !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous ne pouvez qu’être satisfaite par ce texte et non seulement saluer l’article 71–1, comme vous l’avez fort bien fait, mais également voter en faveur du texte émanant des travaux de votre commission. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.)

Madame Garriaud-Maylam, vous avez attiré l’attention sur la situation particulière des Français de l’étranger…

Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est la directive européenne !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. … et je vous remercie de l’avoir fait. Vous avez mentionné le fait que nos concitoyens bénéficiaient de la possibilité de saisir directement un collaborateur du Médiateur. Les choses vont continuer, sans aucun problème, de la même façon. Certes, c’est à la convenance du Défenseur des droits, mais je ne vois pas comment il pourrait agir autrement que le Médiateur de la République. Les travaux préparatoires que nous menons actuellement et les explications que nous donnons en ce moment même ne pourront que le conduire à cette solution.

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur Anziani, vous avez été, me semble-t-il, légèrement excessif (Protestations sur les travées du groupe socialiste.),…

Mme Alima Boumediene-Thiery. Ce n’est pas son habitude !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. … ce qui a quelque peu desservi la qualité de votre démonstration.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, vous avez semblé regretter d’avoir manqué le grand rendez-vous de juillet 2008, lorsque, en révisant la Constitution, le constituant a créé cet arsenal de défense des droits et des libertés, constitué notamment de la question prioritaire de constitutionnalité, du Défenseur des droits et de la saisine directe du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables. Je comprends que vous éprouviez des regrets d’avoir manqué un tel rendez-vous et je ne peux que vous convier à ne pas manquer celui-ci. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

 
 
 

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…

La discussion générale commune est close.

projet de loi organique

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°14.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, modifié par l'Assemblée nationale, relatif au Défenseur des droits (n° 259, 2010-2011).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Robert Badinter, auteur de la motion.

 
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au Défenseur des droits
Article 1er

M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme lors de la première lecture, je me présente devant vous pour soutenir une motion tendant à opposer la question préalable.

La séance d’aujourd’hui m’a paru très intéressante, marquée par de beaux moments d’éloquence. En particulier, j’ai été sensible à la conclusion du doyen Gélard, si radicalement différente de celle de notre collègue M. Sueur. L’un – vous, monsieur le doyen – a en effet parlé d’une avancée considérable des libertés tandis que l’autre – notre ami Jean-Pierre Sueur – a déploré une régression organisée. Toutefois, cela ne surprendra personne, la situation est plus simple : il s’agit, j’en suis convaincu, de la reprise en main d’autorités indépendantes devenues par trop indépendantes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

M. Robert Badinter. Je m’adresse désormais aux éminents juristes présents dans cette assemblée. Dans les dix ou les quinze dernières années, l’un d’entre vous a-t-il jamais lu une proposition tendant à créer un Défenseur unique, concentrant une multitude de pouvoirs face à l’administration et l’exécutif et réunissant en une seule organisation les diverses autorités indépendantes qui existaient ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le rapport de M. Gélard est allé dans ce sens-là !

M. Robert Badinter. Non, il ne conclut pas en ce sens. Il n’invente pas ce que nous avons vu jaillir, à la surprise et parfois à l’émerveillement général, comme jadis Minerve de Jupiter, tout armé du rapport Balladur : le Défenseur des droits, qui s’appelait alors, d’un nom plus pompeux, le Défenseur des libertés. Nous avons tous été surpris, d’autant plus que le concept associé à celui-là était si flou que Mme le garde des sceaux, que nous avons interrogée à plusieurs reprises alors que j’avais le plaisir d’œuvrer au sein de la commission, n’a jamais pu nous dire avec exactitude ce que ses missions recouvriraient.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous le savions !

M. Robert Badinter. Vous avez de la chance !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. J’étais alors rapporteur du texte sur la révision constitutionnelle !

M. Robert Badinter. Même lorsque nous écoutions Mme le garde des sceaux, elle disait : « On verra ! », ce qui ne manquait pas de nous surprendre. Donc, au départ, on ne savait pas ce que seraient ces missions. Toutefois, jamais nous n’aurions pu croire qu’il serait demandé au Parlement de rassembler sous une même houlette, un même chef, des autorités aussi différentes dans leurs missions et dans leurs méthodes que la médiature, la HALDE, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, le Défenseur des enfants, et même, dans la version adoptée par l’Assemblée nationale, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, que l’on doit à une convention internationale.

Les raisons à cela sont simples. Ces autorités administratives indépendantes avaient non seulement des compétences et des actions diverses mais également des approches très différentes. Ainsi, le Médiateur est intercesseur. Il tend vers la conciliation, la négociation, et intervient. Pour sa part, la HALDE a des pouvoirs presque juridictionnels. De même, le Défenseur des enfants relève d’une perspective fort différente. En somme, les approches sont extrêmement hétérogènes, et en particulier, monsieur le garde des sceaux, lorsqu’il s’agit du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Ce sont là des autorités chargées de domaines distincts requérant des approches spécifiques. Et c’est la raison pour laquelle, si on évoquait une simplification nécessaire et, concernant le Médiateur, une constitutionnalisation méritée, personne ne pensait qu’un patron unique défendrait tous les droits, ceux de tous les citoyens, des personnes physiques comme des personnes morales de la société française. Si c’est là le triomphe de la pensée de Montesquieu, il serait préférable de revenir au texte d’origine.

Dès lors, en l’état, l’enjeu du débat est de savoir ce que l’on va gagner ou perdre. Nous devons, je pense, rendre ici hommage aux responsables des autorités administratives indépendantes, pour tout ce qu’elles ont fait et pour tout ce que leurs responsables ont accompli. J’aurais aimé, monsieur le garde des sceaux, qu’il y eût à cet égard quelques paroles plus chaleureuses.

Mais, cela mis à part, placées ainsi en position d’adjointes – et il n’est jamais agréable, lorsqu’on a été maître à bord, de devenir l’adjoint, même sur un navire plus important –, elles vont perdre et nous allons perdre, en premier lieu, – et là est l’essentiel – l’indépendance. C’est précisément ce que nous attendons de ces autorités administratives. L’indépendance ne peut être qu’à l’égard de tous, et notamment à l’encontre de toute hiérarchie.

Or, dans cette configuration, plutôt qu’indépendants, les responsables de ces autorités ne seront plus que des adjoints dépendants de leur supérieur hiérarchique, au point même d’être privés de droit de vote lorsque viendra siéger le Défenseur lui-même. Non seulement leur indépendance disparaîtra au profit de ce dernier, mais encore le sens de la responsabilité, si important, si mobilisateur, quand il s’agit de défendre les droits des citoyens face aux administrations, viendra à s’émousser sinon à s’évanouir.

Nous connaissons tous le méfait des grandes structures bureaucratiques. Nous savons tous que leurs responsables se renvoient compétences et responsabilités, tantôt plus haut, tantôt plus bas. Ce rapport direct entre les citoyens et l’autorité, ici très personnalisée, à laquelle ils s’adressent pour défendre leurs droits s’évaporera, se dissoudra dans ce grand ensemble bureaucratique qui nous est proposé.

En outre, s’agissant cette fois-ci du Défenseur des droits lui-même, nous pouvons nous demander ce que seront ses tâches. Il présidera à cette structure pyramidale, si complexe, si importante dans l’étendue de ses missions. En occupant cette fonction, il lui faudra, nécessairement, non seulement l’orchestrer quotidiennement et apaiser, au passage, les inévitables rivalités et conflits personnels entre ceux qui se trouveront agir sous son autorité – ainsi est la loi des choses dans ces administrations géantes –, mais encore il lui faudra évidemment conserver des relations avec le Parlement, que nous espérons étroites, préparer un rapport annuel qu’il viendra soutenir devant nous. Au temps où nous sommes, au-delà de ses rapports nécessaires avec les deux assemblées, et bien sûr avec les ministres auxquels il faudra s’adresser, il lui faudra tenir sa place, comme il est d’usage à l’heure actuelle, dans les médias.

Mesurez l’étendue de ses obligations et de ses responsabilités ! Si le Défenseur des droits occupera dans la République une position brillante – qui, je le sais, n’est pas sans susciter de nombreuses vocations, et c’est bien légitime –, il perdra assurément de l’efficacité et, ce qui est plus important encore, le sens du terrain. Il est évident qu’il n’aura pas le temps de se pencher sur les dossiers, de regarder, d’écouter les situations humaines. C’est cela que nous avons créé. Désormais, nous avons enlevé à ceux qui en avaient la responsabilité le pouvoir qu’ils exerçaient en relation avec les citoyens eux-mêmes et, au sommet de la pyramide, nous avons placé une personne et une seule, le Défenseur des droits.

À l’origine, le Défenseur des droits apparaissait simplement comme un médiateur constitutionnalisé – et il le méritait – à compétence et saisine élargies. Nous étions tous d’accord, à l’unanimité, pour cela.

À mesure que le débat évoluait, nous avons vu son royaume s’élargir, s’agrandir. Ce défenseur des droits avait beaucoup – et il a encore aujourd’hui – d’appétit et d’estomac. Mais il ne pourra certainement pas remplir la fonction qu’on attend de lui. Il ne sera plus, contrairement à l’ombudsman, qui est le modèle à conserver, une femme ou un homme de terrain.

Nous n’y aurons vraiment rien gagné. Nous y aurons, au contraire, perdu ce qui était en train de se faire, difficilement, c’est-à-dire la mise en place de contre-pouvoirs face à des administrations très puissantes. C’est ainsi !

J’entendais M. Gélard, et je comprends ce sentiment, espérer que le Défenseur des droits « à la française » suscite admiration et vocation à l’étranger. Pour avoir rencontré beaucoup d’ombudsmans, préoccupés par dessus tout par les misères individuelles et les cas douloureux qu’on leur soumet, je peux vous dire que nous resterons avec notre Défenseur des droits, qui n’aura jamais qu’un seul mérite, et il est facile de voir aux yeux de qui. Je rejoins là le propos de Jean-Pierre Sueur : à défaut de pouvoir nommer directement tous les responsables ou chefs de ces différentes autorités administratives indépendantes, si nécessaires et si diverses, le Président de la République pourra nommer directement le chef de l’ensemble de ces organisations placées désormais sous sa coupe.

C’est pourquoi, je le répète, nous ne sommes pas en présence d’un progrès des libertés, nous sommes tout simplement en présence d’un accroissement de notre singulière monocratie républicaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à rappeler que l’article 71-1 de la Constitution nous impose de faire une loi organique pour définir les modalités de son application. Notre devoir de parlementaires est donc de le mettre en œuvre, à l’instar de ce nous l’avons fait lors de précédents projets de loi organique.

Ensuite, je m’étonne qu’une motion tendant à opposer la question préalable soit déposée en deuxième lecture. En première lecture, cela pouvait à la limite se comprendre, même si l’article 71-1 de la Constitution s’impose à nous, mais en deuxième lecture, cela me paraît très surprenant. En effet, le processus est engagé : nous avons discuté et voté le texte en première lecture, et il nous revient tout naturellement après avoir été adopté par l’Assemblée nationale.

Toutes les autorités auxquelles le Défenseur des droits va se substituer étaient auparavant nommées par l’exécutif seul, sans avis du Parlement, et cela ne déplaisait à personne.

J’ai entendu tout à l’heure les louanges que certains de nos collègues adressaient à la Défenseure des enfants, au président de la CNDS, à la présidente de la HALDE ; on vantait leur indépendance.

Or, le Médiateur de la République et le Défenseur des enfants étaient nommés par décret en conseil des ministres, comme le sera le Défenseur des droits, mais sans avis préalable des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elles ne pourront pas refuser !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Si la personnalité proposée ne recueille pas une majorité suffisante, elle ne sera pas nommée !

Quant au président de la HALDE et au président de la CNDS, ils étaient nommés par le Président de la République seul. Ces personnalités étaient admirées, on les trouvait remarquables. Elles étaient donc indépendantes. En quoi le Défenseur des droits serait-il moins indépendant ?

Il n’y aura pas d’affaiblissement. Il aura quatre domaines de compétences, au lieu d’un seul. L’intention du constituant n’était pas de constitutionnaliser le Médiateur de la République. Cela eût d’ailleurs constitué une toute petite réforme. Notre objectif est d’une tout autre ampleur.

Je suis au regret de vous rappeler que dans le rapport que j’ai rédigé sur les autorités administratives indépendantes bien avant la révision constitutionnelle, je mentionnais déjà la nécessité de fusionner les autorités administratives voisines, non seulement dans le domaine des droits et libertés, mais aussi dans d’autres domaines, économique, par exemple. Il s’agissait à mes yeux d’un processus nécessaire. Il convient en effet de ne pas multiplier les autorités administratives indépendantes, qui présentent en outre le défaut de permettre au Gouvernement d’échapper, dans une certaine mesure, au contrôle du Parlement puisqu’on leur transfère des pouvoirs qui appartenaient à l’exécutif.

Le Défenseur des droits, tel que nous l’avons conçu dans la révision constitutionnelle de 2008, aura, de par son statut et ses pouvoirs – supérieurs à ceux des personnalités qu’il remplace –, un poids qu’aucune de ces autorités ne peut avoir.

Mes chers collègues, comment conserver des petits défenseurs de droits qui seraient en concurrence permanente avec le Défenseur des droits, constitutionnalisé, qui, lui, sera une grosse machine ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le mot est lâché !

M. Jean-Pierre Sueur. Selon vous, il vaut mieux les éliminer !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, il est impossible d’aller dans le sens préconisé par les auteurs de la motion tendant à opposer la question préalable. Aussi, je vous invite à la rejeter.

M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.

Mme Josiane Mathon-Poinat. La belle idée de la création d’un défenseur des droits devient, sous votre plume, une idée manquée qui laisse un goût amer, tant elle revêt une réalité de piètre portée.

Vous enterrez un certain nombre d’autorités administratives indépendantes qui ont parfois su se montrer dérangeantes. Je ne peux que me montrer inquiète, pour ne pas dire très suspicieuse, quant à l’indépendance réelle du Défenseur des droits au regard de son mode de nomination. Vous cachez cette anomalie en le laissant décider seul s’il convient, ou non, de donner suite aux réclamations. Les autorités administratives indépendantes se diluent, et sont de fait remplacées par des adjoints sous tutelle.

L’inquiétude naît aussi de l’exercice souverain du Défenseur des droits sur un vaste champ de compétences, qui, d’ailleurs, dépasse largement l’objet de l’article 71-1 de la Constitution.

Le désaveu est total, bien au-delà de mon groupe. Les défenseurs des droits s’y opposent et s’en inquiètent, qu’il s’agisse de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, d’Amnesty international et de la plupart des autorités administratives indépendantes elles-mêmes qui, à peine arrivées à l’âge adulte, se voient déjà un peu disloquées.

La protection des droits exigeait une autorité indépendante exemplaire. C’est pourquoi nous voterons bien évidemment la motion qui a été présentée par M. Badinter. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le rapporteur, faisons un peu d’histoire. Cette histoire commence avec l’article 71-1 de la Constitution. L’article initial n’était pas rédigé comme il l’est aujourd’hui. C’est le Sénat, sur votre initiative, monsieur le président de la commission, qui a contribué à en modifier la rédaction.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !

M. Jean-Pierre Michel. Vous étiez déjà à la manœuvre pour que le Gouvernement puisse disposer d’une loi organique le plus large possible, qui permette d’y engouffrer tout ce que l’on voulait y mettre.

Voilà la réalité ! C’est la majorité du Sénat qui est responsable, aujourd’hui, de la disparition de toutes les autorités indépendantes qui ont fait leurs preuves. Le Défenseur des droits va remplacer des autorités bien différentes, certaines défendant les droits individuels, comme la HALDE ou le défenseur des libertés, et d’autres ayant une vocation plus générale, comme la Commission nationale de déontologie de la sécurité, qui est chargée de contrôler l’action de l’administration.

Cela était voulu dès le début. La manœuvre a commencé ici même, au sein de la majorité sénatoriale, qui est aujourd’hui responsable de ce recul des libertés publiques.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ?

M. Jean-Pierre Michel. Inscrire un Défenseur des droits dans la Constitution, pourquoi pas ? Mais ce sont les membres de la majorité sénatoriale qui ont permis au Gouvernement, dans la loi organique, de définir un périmètre le plus large possible. Et la navette ressemble à une mascarade : on y met ceci, on enlève cela, on y introduit une chose puis on la retire avant de la remettre. On ne sait pas à quoi aboutira la commission mixte paritaire. Tout cela est vraiment indigne – je le dis comme je le pense – de la défense des libertés !

La seconde raison pour laquelle nous voterons la motion tendant à opposer la question préalable est que, de par son mode de désignation, le Défenseur des droits sera un personnage politique, politisé. Monsieur le rapporteur, vous le savez, la majorité négative des trois cinquièmes ne veut strictement rien dire. Elle n’a même pas un effet préventif comme le prétend M. le président de la commission des lois : il s’agit d’un leurre total !

Si l’on veut que le Défenseur des droits soit indépendant, il faut, à l’instar d’autres démocraties, qu’il soit élu par la majorité des trois cinquièmes des deux chambres du Parlement (M. Robert Badinter opine.), et non pas désigné par le Président de la République.

On dit même, mais « on » peut se tromper, – je le dis en séance publique afin que mes propos figurent dans le compte rendu des débats – que le futur Défenseur des droits serait – j’espère que les gazettes et les journaux bien informés qui prétendent cela se trompent – une compensation pour quelqu’un qui perdrait son mandat de député lors des prochaines élections législatives. (Protestations sur les travées de lUMP.)

Mme Catherine Troendle. Oh ! On ne peut pas entendre ça !

M. Jean-Pierre Michel. Mes chers collègues, je prends acte de votre protestation et j’espère qu’elle sera entendue en haut lieu, si tant est que l’on vous entende parfois en haut lieu, ce qui ne semble pas se produire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous avez en partie raison, monsieur Jean-Pierre Michel. Lors de la discussion du texte en première lecture au Sénat, nous avons considéré que le Défenseur des droits, à la différence du Médiateur de la République, devait être constitutionnalisé.

À titre personnel, je ne voyais aucun intérêt à constitutionnaliser le Médiateur de la République. Il fallait lui donner des pouvoirs nouveaux.

Le Médiateur lui-même se plaignait de ne pas avoir un pouvoir suffisant pour défendre les droits de manière efficace.

M. Christian Cointat. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut distinguer la médiation et la défense des droits.

Notre idée était que tous les droits devaient être défendus par une seule autorité.

M. Christian Cointat. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Dès lors, en donnant des pouvoirs importants au Défenseur des droits, il devenait évident que la HALDE devait être intégrée au sein de celui-ci. D’ailleurs, la HALDE est si bien connue que nombre d’entre nous ignorent la signification exacte de ce sigle…

Mme Éliane Assassi. N’exagérez pas !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les termes « défenseur des droits », qu’il s’agisse des droits de tous nos concitoyens ou des droits des enfants, sont très clairs. Si les autorités administratives indépendantes chargées de la protection des droits et libertés n’étaient pas intégrées au sein du Défenseur des droits, il pourrait y avoir une concurrence, qui serait bien compliqué de gérer.

Lorsque le Parlement a créé le Médiateur de la République, en 1973…

M. Robert Badinter. En 1974, par Valéry Giscard d’Estaing.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le Président Giscard d’Estaing a été à l’origine de dispositions qui constituèrent des progrès en matière de libertés.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le Médiateur de la République a été créé en janvier 1973.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est bien ce qu’il me semblait. Le Sénat avait alors joué un rôle important, comme ce fut notamment le cas pour la création de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

En fait, lors de sa création, personne n’aurait pensé que le Médiateur de la République allait acquérir une telle autorité. Il doit cette autorité à la personnalité de ceux qui occupèrent ce poste, et qui, comme Jacques Pelletier, ont su s’élever bien au-dessus de leurs responsabilités politiques : la fonction créé une responsabilité.

Tout ce que l’on peut lire dans les gazettes…