Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Aucun engagement n’a été pris !

M. Jean-Michel Baylet. Dans le même ordre d’idée, il serait également souhaitable que les décisions en matière d’action sociale soient également partagées, car les conseilleurs, voire les décideurs, ne sont pas toujours les payeurs.

En tout état de cause, la prise en charge de la dépendance ne doit pas se limiter au seul aspect financier. Elle doit être envisagée dans sa globalité, notamment, et même surtout, dans sa dimension humaine. Je pense tout particulièrement à la place primordiale des aidants, dont je tiens à saluer le dévouement. La prise en charge des personnes âgées repose fortement sur ces 3,5 millions de non-professionnels qui, il est vrai, sont souvent des membres de la famille. Les aidants ont besoin d’être accompagnés, soutenus et reconnus. Ils sont, vous le savez, confrontés non seulement à des difficultés financières, mais aussi à des épreuves psychologiques, à des responsabilités qui affectent leur vie familiale, sociale ou professionnelle et qui les mènent parfois à un certain isolement social.

Madame la ministre, les radicaux de gauche, comme le groupe du RDSE, ont à cœur la mise en place d’une réforme de la dépendance, réforme que nous souhaitons de grande ampleur, à la hauteur de ses enjeux financiers et surtout humains. Ne nous y trompons pas : oui, il faut une réforme, mais pas n’importe laquelle, et certainement pas une réforme qui s’appuierait encore et toujours sur les mêmes : les collectivités locales d’un côté, les Français les plus faibles de l’autre.

Soyez donc assurée, madame la ministre, que nous serons à la fois attentifs et vigilants quant aux modalités et au contenu d’une grande loi relative à la prise en charge de la dépendance, loi que nous appelons de nos vœux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, M. le président de la mission commune d’information et M. Jean-Pierre Fourcade applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2008 que le combat… le débat, voulais-je dire… (Rires.)

M. le président. C’est la même chose !

M. Philippe Marini, président de la mission commune d’information. Le débat est un combat !

M. Adrien Gouteyron. Lapsus révélateur !

M. Bruno Sido. Chassez le naturel, il revient au galop !

M. Guy Fischer. Vous lisez en moi, chers collègues ! (Sourires.)

Depuis 2008 que le débat et la réflexion sur ce que votre majorité appelle « la prise en charge de la dépendance » a commencé au Sénat, notre conviction de fond a peu évolué…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Pour la faire évoluer, c’est dur !

M. Guy Fischer. … et nous demeurons plus que jamais attachés à un principe pour nous essentiel : apporter une réponse solidaire, juste et nationale aux besoins de nos concitoyens.

Cette exigence de justice sociale est d’autant plus importante pour nous que le Président de la République et son Gouvernement s’attachent méthodiquement à mettre à bas ce qui fonde notre République : son caractère social.

Les récentes prises de position du chef de l’État sur ce dossier le confirment. Il entend franchir avec la dépendance une nouvelle étape vers l’instauration d’une société assurantielle. Or un tel modèle de société se situe à l’exact opposé du pacte social qui unit nos concitoyens depuis 1946, c’est-à-dire depuis la mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance.

Avant de poursuivre cette démonstration, il m’apparaît important de préciser certains concepts fondamentaux qui justifient notre opposition au projet que préparent conjointement le Gouvernement, les parlementaires de sa majorité et les représentants du patronat, des assurances privées et des groupes bancaires.

Tout d’abord, nous ne souhaitons pas que l’on appréhende le débat qui s’annonce sous l’angle restrictif de la « dépendance ». Nous préférons à ce terme l’expression « prise en charge des besoins liés à la perte d’autonomie ».

Vous comprendrez bien que la différence entre ces deux dénominations n’est pas uniquement de nature sémantique. L’expression que nous retenons correspond en effet à une approche globale des besoins des personnes en situation de perte d’autonomie, situation qui peut survenir progressivement, du fait du vieillissement, ou brutalement, à la suite d’un accident ou d’une maladie invalidante.

Pour nous, la perte d’autonomie est la résultante multifactorielle de situations qui jalonnent la vie de tout individu. Ces situations, prévisibles ou non, peuvent mener à une perte d’autonomie physique, psychologique ou cognitive et avoir des répercussions matérielles, sociales et familiales. Elles peuvent être cumulatives, porter atteinte à la dignité, voire à la poursuite de l’existence.

Les personnes qui souffrent d’une perte d’autonomie peuvent se retrouver dépendantes de leurs proches, au premier rang desquels les membres de leur famille, ou de personnes intervenant dans un contexte professionnel. Pour atténuer le risque de dépendance, il est impératif que nous construisions, en amont, une politique publique et solidaire.

L’autre divergence fondamentale que nous avons avec le Gouvernement porte sur le champ de ce que devrait recouvrir la perte d’autonomie. Nous l’avions indiqué en 2008, nous l’avons réaffirmé dans notre contribution au rapport de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création d’un cinquième risque, en janvier dernier : nous souhaitons une prise en charge universelle des besoins résultant de la perte d’autonomie. Autrement dit, nous ne voulons pas que ce débat débouche sur des dispositions légales qui écarteraient les personnes en situation de handicap. Bien qu’il s’agisse là de deux manifestations distinctes de la perte d’autonomie pouvant appeler des réponses matérielles et humaines différentes, l’exigence reste la même : éviter que l’autonomie perdue ou en voie de l’être ne se traduise par une destruction, même partielle, du lien social.

La prise en charge de la perte d’autonomie n’a de sens que si elle place au cœur de ses ambitions la satisfaction des besoins propres à chacun de nos concitoyens. Et nous soutenons que le motif invoqué par le Gouvernement pour écarter aujourd’hui l’intégration des besoins liés au handicap dans la prise en charge de la perte d’autonomie est uniquement d’ordre économique.

Madame la ministre, alors que vous participiez aux manifestations célébrant les cinquante ans de l’Union nationale des associations de parents et amis de personnes handicapées mentales, l’UNAPEI – je tiens d’ailleurs à saluer cette fédération pour son travail et ses cinquante ans de combat –, vous avez affirmé : « La réforme se limitera donc aux personnes âgées dépendantes. Dans un contexte budgétaire tendu, c’est là la garantie que cette réforme ne se traduira pas par un recul des droits pour les personnes handicapées, recul qui aurait pu résulter d’une convergence vers le bas. » Autrement dit, pour vous, il ne pourrait y avoir de réformes tendant à renforcer les droits de toutes et de tous ; voilà un bel aveu !

Nous considérons pour notre part que la perte d’autonomie, qu’elle soit due à l’âge ou consécutive à un handicap, doit faire l’objet d’une même prise en charge. C’est d’ailleurs cette conviction qui nous a conduits, dès 2008, à refuser la dénomination de « cinquième risque » utilisée alors.

Cette appellation, issue du secteur assurantiel, à qui vous entendez livrer le marché de la dépendance, n’est pas appropriée à la perte d’autonomie. Pour le groupe CRC-SPG, la vie, ses évolutions, les éventuelles dégradations des conditions d’existence ne sont pas des risques assurantiels ; ce sont des besoins à satisfaire. La référence au risque n’est donc pas neutre : elle s’inscrit dans votre volonté de substituer l’assurance à la solidarité, de faire croire que la seule prévention possible reposerait sur la conclusion de contrats d’épargne ou d’assurance pouvant, le cas échéant, permettre le financement au moins partiel des besoins liés à cette situation. Or la dépendance, pour reprendre votre vocable, n’est ni un risque en soi, ni un risque pour la société.

Tout d’abord, la perte d’autonomie pourrait être considérablement limitée si nous construisions une politique solidaire, une véritable politique de prévention mobilisant toutes les énergies et toutes les solidarités en amont. Cela passe notamment par le développement du concept de design universel ou d’architecture pour tous : l’espace public doit faire l’objet d’une réappropriation par tous les publics. Concrètement, il faut pour cela créer et promouvoir des équipements, des architectures, des environnements simples d’emploi et adaptés au plus grand nombre possible d’utilisateurs. Cela implique de revenir sur l’ensemble des dérogations relatives au bâti et de faire de l’accessibilité pour tous un principe incontournable, un préalable à toute nouvelle construction ou à tout projet pouvant accueillir du public.

Mes chers collègues, si les assurances sont très intéressées par le pactole que pourrait constituer votre conception de la prise en charge de la dépendance, elles ne veulent pas entendre parler du handicap, et ce pour une simple et bonne raison : elles estiment ne rien avoir à y gagner, contrairement à ce qui se passe avec le vieillissement.

En 2008, la Fédération française des sociétés d’assurance, la FFSA, comptait 2 007 600 assurés versant 387,6 millions d’euros de cotisations au titre d’un contrat pour lequel la dépendance était la garantie principale et elle payait 112,4 millions d’euros de rente, soit une différence de 275,2 millions d’euros. En 2009, 2 024 200 assurés versaient 403,1 millions d’euros de cotisations pour 127,7 millions d’euros de rente versés, soit une différence de 275,4 millions d’euros.

Le 8 février dernier, Nicolas Sarkozy annonçait devant le Conseil économique, social et environnemental : « […] je demande à chacun d’entre vous d’examiner toutes les autres options possibles, de n’écarter d’emblée aucune solution, y compris celle de l’assurance, pour des a priori idéologiques. » Derrière cette déclaration se dissimule en réalité l’affirmation, d’emblée, précisément pour des raisons idéologiques, du transfert de la dépendance du champ de la solidarité au domaine marchand.

M. Philippe Marini, président de la mission commune d’information. Les idéologies ne sont pas toujours mauvaises !

M. Guy Fischer. Notez, mes chers collègues, la contradiction suivante : celui qui déclare ne vouloir écarter aucune piste pour des motifs idéologiques en repousse précisément une : celle de la solidarité nationale !

M. Bruno Sido. Pas du tout !

M. Guy Fischer. C’est pourtant cette piste, et elle seule, qui peut garantir, à l’ensemble de nos concitoyens, un traitement équitable et de nature à répondre à tous leurs besoins.

M. Bruno Sido. C’est excessif !

M. Guy Fischer. C’est pourquoi, pour notre part, nous proposons le principe d’un financement assumé par ces deux piliers que sont la sécurité sociale et le financement public.

Nous suggérons, tout d’abord, de repenser en profondeur le financement de la sécurité sociale et de réformer considérablement les cotisations sociales, afin que celles-ci soient calculées en fonction à la fois de la masse salariale versée par l’entreprise, du niveau de qualification et de la qualité de l’emploi. Cette modulation entraînera immanquablement une modification des comportements des employeurs, favorable à l’emploi et aux rémunérations.

Le financement que nous proposons doit également s’accompagner d’une réforme fiscale conforme à l’idée que nous nous faisons d’une fiscalité juste et redistributive. Il n’est en effet pas acceptable, comme le préconisent les partisans d’une taxation du patrimoine des classes moyennes ou modestes ou de l’instauration d’une seconde journée de solidarité, que ce financement pèse indistinctement sur tous les ménages.

À l’opposé de cette logique, nous voulons créer une contribution supplémentaire portant sur les revenus financiers des entreprises, des banques et des assurances, ainsi que sur les ménages les plus riches. Une telle contribution permettrait de dégager, sur la base des profits réalisés en 2009, près de 40 milliards d’euros pour l’assurance maladie, 25 milliards d'euros pour la retraite et 16 milliards d'euros pour la famille, étant entendu que la part du financement supportée par la sécurité sociale devrait provenir, selon nous, de l’assurance maladie. La dernière étape de cette réforme fiscale résiderait dans la suppression progressive de la CSG, couplée à une réforme des tranches de l’impôt sur le revenu.

Les sommes ainsi dégagées seraient destinées, pour la part issue de la sécurité sociale, au paiement des prestations et, pour les ressources tirées de la fiscalité, au financement d’un pôle public national structuré de manière départementale, chargé non seulement de financer, mais également d’imaginer de manière cohérente une vaste politique d’élaboration de structures d’accueil, de formation, de professionnalisation et de création d’emplois qualifiés en nombre dans le domaine des services d’aide à la personne, en partenariat avec le monde associatif.

Bien que favorables au maintien du caractère national des prestations en cause, garantie d’une égalité territoriale et d’une solidarité nationale entre nos concitoyens, nous n’écartons pas pour autant les départements, qui doivent continuer à jouer un rôle incontournable. Si l’échelon national est plus adapté à la définition des critères servant à l’attribution des prestations, le département doit demeurer le niveau opérationnel de proximité.

Or, on le constate bien aujourd’hui eu égard aux difficultés que rencontrent les départements dans le cadre de la distribution des allocations individuelles de solidarité, notamment l’APA, l’État ne joue plus son rôle. Nous entendons lui permettre d’assurer, grâce à de financements nouveaux, une véritable compensation, à l’euro près, des sommes engagées par les départements.

Madame la ministre, monsieur le président et monsieur le rapporteur de la mission commune d’information, tels sont, exposés de manière nécessairement synthétique, les éléments de réflexion et de proposition que les membres du groupe CRC-SPG entendaient vous livrer et soumettre prochainement à débat, en associant l’ensemble des acteurs intéressés par ce sujet. Ces propositions sont à l’opposé de celles que vous formulez et que, croyez-le bien, nous combattrons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les nombreux textes relatifs au domaine social que nous avons eu à examiner l’automne dernier – projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale, projet de loi portant réforme des retraites, projet de loi de financement de la sécurité sociale et projet de loi de finances – ont mis en évidence, avec acuité, les difficultés de financement auxquelles notre régime de sécurité sociale est aujourd’hui confronté.

Or, comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer, les mesures qui ont été alors prises, certes nécessaires, sont loin de solder le passé et de sécuriser l’avenir, d’autant que notre système de sécurité sociale doit faire face à un autre défi, objet de notre débat aujourd’hui : le vieillissement de la population. Cette évolution démographique emportera, en effet, des conséquences fortes en termes de dépenses de santé, de pensions de retraite et de dépenses liées à la prise en charge de la dépendance.

L’effort public consacré à la prise en charge de la perte d’autonomie est déjà aujourd’hui non négligeable : plus de 20 milliards d’euros par an. Des progrès importants ont été réalisés, qu’il s’agisse de la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie ou de plans pluriannuels – plan Vieillissement et solidarités, plan Solidarité-Grand Âge – ; ils ont permis une amélioration, tant qualitative que quantitative, de l’offre de soins et d’hébergement.

Néanmoins, la tâche est encore considérable ; je pense en particulier au reste à charge des familles qui demeure, dans de nombreux cas, très élevé.

Le défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui en matière de prise en charge des personnes âgées dépendantes relève cependant quelque peu, pardonnez-moi l’expression, de la quadrature du cercle : comment continuer à garantir à nos concitoyens une base solide de prestations financées par la solidarité nationale dans un contexte budgétaire aussi contraint, marqué, par ailleurs, par la compétition accrue entre les économies, qui empêche d’augmenter les cotisations sociales pesant sur le travail ?

La mission sénatoriale d’information privilégie un financement mixte public-privé de la prise en charge de la dépendance. Cette voie me paraît, en effet, la plus raisonnable, compte tenu de la situation des finances publiques de notre pays. Par ailleurs, comme l’a souligné notre collègue Alain Vasselle, rapporteur de la mission, les différents risques couverts par les actuelles branches de la sécurité sociale donnent déjà lieu aujourd’hui à des financements complémentaires. Il conviendra néanmoins de prévoir une aide pour l’assurance des personnes aux revenus modestes.

La mission sénatoriale d’information suggère d’autres pistes de réflexion : mise en place d’un gage sur le patrimoine pour l’APA à domicile ; création d’une seconde journée de solidarité, que les orateurs précédents ont évoquée ...

Compte tenu de l’ampleur des dépenses actuelles – et que dire de celles qui s’annoncent –, de la dégradation des comptes sociaux et de l’effet différé de certaines réformes proposées – ainsi, la mise en place d’une assurance ne produira des effets qu’à moyen terme –, des recettes nouvelles devront être affectées à la prise en charge de la perte d’autonomie.

Cependant, le poids de cet effort ne saurait, à mes yeux, peser sur les seules générations actuelles d’actifs. Au moment où la réforme des retraites a principalement sollicité ces derniers – j’ai déjà eu l’occasion de le souligner –, il convient d’engager une réflexion sur l’augmentation de l’effort contributif des retraités aux dépenses liées au vieillissement de la nation.

Le niveau de vie moyen des retraités s’est considérablement amélioré depuis les années soixante-dix. Si l’on prend en compte les revenus du patrimoine, les placements financiers et immobiliers et les loyers non versés – les retraités sont souvent propriétaires –, leur niveau de vie moyen paraît même légèrement supérieur à celui des actifs. De ce fait, certains avantages fiscaux dont ils bénéficient, notamment le taux réduit de CSG sur les pensions, pourraient être aujourd’hui révisés.

J’avais déposé un amendement allant dans ce sens lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Cet amendement tendait à préserver les « petites » pensions : je proposais que le taux de la CSG ne soit relevé que pour les contribuables imposés au taux de 6,6 %. Les personnes exonérées de CSG sur leurs pensions, ou bénéficiant du taux réduit de 3,8 %, n’étaient pas concernées. Cette mesure aurait conduit à un surcroît de recettes de près de 1,7 milliard d’euros.

Cette piste ne pourra pas être écartée éternellement, car il me semble particulièrement légitime de demander un effort à toute la population, à l’heure où le Parlement vient d’accepter non seulement d’utiliser de manière anticipée le Fonds de réserve pour les retraites, mais aussi de prolonger de quatre années la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, autrement dit, de reporter sur les générations futures une charge qu’il souhaitait pleinement assumer voilà encore cinq ans.

La sécurisation des recettes de notre système de sécurité sociale représente un enjeu majeur qui doit être concilié non seulement avec les impératifs de compétitivité économique de notre pays, mais aussi avec un devoir d’équité, dans le cas présent d’équité entre les générations. Celle-ci conditionne en partie l’acceptation du système.

Le débat sur la prise en charge de la dépendance ne se réduit certes pas, et heureusement, à des considérations financières, mais ces dernières constituent néanmoins l’un des paramètres incontournables du problème à résoudre. Si le calendrier annoncé par le Gouvernement n’est pas modifié, c’est par des mesures d’ordre financier que le débat parlementaire débutera, dans le cadre de l’examen des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2012.

M. Guy Fischer. Exactement !

M. Jean-Jacques Jégou. Bien sûr, le débat reste ouvert et toutes les pistes de réforme doivent être étudiées. Néanmoins, des choix importants devront être rapidement effectués. Madame la ministre, compte tenu de la proximité d’une élection majeure, je crains que nous ne puissions guère progresser avant 2012. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. Guy Fischer. Nous en reparlerons en 2013 !

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido.

M. Bruno Sido. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la France vieillit ! Un Français sur trois sera âgé de plus de 60 ans en 2050, contre moins d’un sur cinq aujourd’hui. Plus de 15 % de la population sera âgée de plus de 75 ans ; le nombre de personnes âgées dépendantes devrait connaître une augmentation de 1 % par an jusqu’en 2040 ; chaque année, 80 000 personnes supplémentaires dépassent l’âge de 80 ans. Ces faits sont le revers de la médaille du baby-boom et de l’allongement continu de l’espérance de vie.

Vivre plus longtemps, en meilleure forme, et rester chez soi jusqu’à un âge avancé est non pas un problème mais, au contraire, une immense chance.

L’allocation personnalisée d’autonomie représente une belle avancée sociétale. Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce point.

Sur cette question majeure, je considère qu’il est de la responsabilité de la représentation nationale, avec le concours du Gouvernement, de rechercher et de trouver une solution partagée, qui soit le fruit d’un accord transcendant les clivages habituels entre la gauche et la droite, entre la majorité et l’opposition.

Se fixer pour objectif la mise en place d’un consensus est primordial : c’est la condition sine qua non pour refonder le pacte républicain de solidarité entre les générations.

En matière de prise en charge de la perte d’autonomie, il est indispensable de prendre suffisamment de hauteur par rapport aux contingences politiques quotidiennes. En rassemblant la majorité, l’opposition, le Gouvernement et les acteurs clés de la dépendance que sont les conseils généraux, nous nous donnons collectivement les moyens de réussir à déterminer des solutions pérennes, qui engagent bien au-delà du jeu démocratique des alternances politiques.

Comme l’a clairement relevé notre collègue Alain Vasselle dans le cadre de la mission commune d’information sur la prise en charge de la dépendance et la création d’un cinquième risque, le statu quo n’est tout simplement pas tenable. Les pistes de réflexion sont multiples.

Je me félicite que, malgré les difficultés économiques, nous ayons trouvé jusqu’à présent les moyens financiers d’honorer cette obligation morale que les enfants, que nous sommes tous, ont envers leurs parents. Cet acte de solidarité entre les générations est à la base du « vivre ensemble » : quelle mère de famille compte le temps et les efforts qu’elle consacre à ses enfants ? Quel père n’a pas constamment à l’esprit la réussite et l’avenir de ses enfants ?

De mon point de vue, la question de la dépendance n’est donc pas une affaire d’argent. L’objectif est d’ordre sociétal.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Tout à fait !

M. Bruno Sido. Ensuite, seulement, il nous revient de trouver les moyens matériels à mettre en œuvre pour assurer la pérennité d’un acquis menacé.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Exactement !

M. Bruno Sido. L’APA représente un coût de 22 milliards d’euros par an, dont 17 milliards d'euros sont supportés par l’assurance maladie et l’État et 5 milliards d'euros sont à la charge des conseils généraux.

Alors que le Président de la République a lancé le grand débat national sur la dépendance, les départements ont vocation à participer à cette concertation d’envergure. Force est de le constater : l’APA pèse fortement sur les finances locales et va même – M. Adnot l’a souligné – au-delà de ce qu’elles peuvent supporter.

Comme le rappelait la Cour des comptes dans un rapport paru à l’automne 2009 : « ce sont souvent les départements les plus pauvres, ceux qui disposent des recettes fiscales les moins dynamiques, qui doivent en même temps faire face aux charges les plus importantes ».

L’écart entre les sommes versées directement par les départements et celles qui leur sont transférées par l’État au titre de la solidarité nationale s’établit aujourd’hui à plus de 4 milliards d’euros. Cette situation, que le Gouvernement connaît, a des conséquences sur l’ensemble des politiques départementales.

Je tiens à cet égard à remercier M. le Premier ministre de la qualité de son écoute. Je lui sais gré d’avoir commandé à Pierre Jamet un rapport, devenu incontournable, qui a permis d’établir un diagnostic aujourd’hui partagé.

Madame la ministre, nous serons à vos côtés lors du débat que vous organiserez d’ici à juin prochain, et auquel les départements prendront toute leur part.

Si l’APA semble stabilisée – en fonction du vieillissement naturel de la population, bien entendu –, la prestation de compensation du handicap voit actuellement s’envoler le nombre de ses bénéficiaires et ses coûts. Les réponses à apporter devront aussi tenir compte de ce constat pour s’inscrire dans la durée, tant il vrai que dépendance et handicap sont étroitement imbriqués.

J’en viens à mes propositions. Je fais partie de ceux qui souhaitent le recours à une seconde journée de solidarité. Certes, c’est une contrainte, mais elle est nécessaire pour trouver les moyens de nous occuper convenablement de nos parents et pourrait rapporter plus de 2 milliards d’euros chaque année, comme l’a indiqué M. Marini. Je ne doute pas que cet effort sera accepté, s’il est équitablement réparti. De fait, les familles, aujourd’hui, sont éclatées : les enfants sont souvent établis loin du domicile de leurs parents et ne peuvent s’occuper d’eux au quotidien – c’est un changement important qui est intervenu dans notre société au cours des dernières décennies – ; le soin d’assurer une présence aux côtés des parents doit donc être confié à d’autres personnes et représente, très légitimement, un coût.

En d’autres termes, en acceptant de travailler une journée de plus dans l’année, nous aiderons nos parents à rester autonomes le plus longtemps possible. Encore faudra-t-il s’assurer, et j’insiste sur ce point, que les crédits destinés aux personnes âgées aillent, dans leur intégralité, aux personnes âgées…

Mme Raymonde Le Texier. Vous avez raison d’insister !

M. Bruno Sido. À cette fin, la gouvernance de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie devra être revisitée.

En ce qui concerne l’augmentation de la CSG, je suis favorable à un alignement des taux, sans distinction.

Le mode assurantiel représente aussi une partie de la solution : pourquoi ne pas envisager la souscription d’une assurance volontaire obligatoire, labellisée par la CNSA, qui garantirait un socle de prestations ? À ce jour, près de 5 millions de Français ont déjà souscrit une assurance dépendance. Bien sûr, pour ceux qui n’ont ni revenus suffisants ni patrimoine, la solidarité nationale doit jouer, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’aide sociale.

Qu’en est-il du recours sur succession ? Quoi que l’on en pense, cette option se heurte à de multiples obstacles. Je n’en évoquerai qu’un : les personnes âgées dont le patrimoine est restreint risquent d’être nombreuses à refuser l’aide dont elles ont pourtant besoin afin de ne pas amoindrir leur succession. D’un point de vue humain, cette question est donc très complexe. Je n’insiste pas en cet instant, mais il faudra y revenir. Toutes ces orientations méritent d’être étudiées avec objectivité et lucidité, sans tabou.

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j’ai le sentiment qu’il n’existe pas de solution unilatérale. Si nous voulons répondre au défi de la dépendance, qui est aussi pluriel que le vieillissement est singulier, il est important de considérer l’intérêt, les attentes et les besoins de chacun. Au regard des pistes proposées, la solution devra être globale et l’effort partagé.

À l’occasion de ce débat, il nous est demandé de réfléchir, dans une optique de nouvelle gouvernance, à ce que seront, dans un futur proche, les bases de nos aides sociales et les moyens de leur financement : autant de questions qui méritent que nous dépassions notre quant à soi pour nous engager dans la création de ce nouveau champ de solidarité collective. Le débat sur la dépendance nous offre l’opportunité de renforcer notre cohésion nationale et de garantir à nos enfants un avenir plus serein. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)