M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant même l’examen des orientations présentées aujourd’hui, il me paraît nécessaire de procéder à une mise en perspective préalable du débat sur la prise en charge de la perte d’autonomie, que vient de rouvrir le Président de la République.

Trois questions se posent, en effet, et la portée de la réforme annoncée dépend des réponses qui y seront apportées.

En premier lieu, pourquoi relancer ce débat maintenant ? Il y a en effet près de quatre ans que l’actuel Président de la République déclarait, haut et fort, à Bercy, le 29 avril 2007, vouloir créer pas moins qu’un « droit opposable à la prise en charge de la dépendance ». Puis, nous n’en avons plus du tout entendu parler. De même, le projet de loi que l’ancien ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité avait annoncé vouloir déposer n’a finalement pas été présenté avant son départ du Gouvernement, en janvier 2009. Le rapport qui nous est présenté aujourd’hui rappelle utilement, dans sa page 7, la chronologie de ces quatre années « blanches ».

Pour quelle raison, après tout ce temps écoulé – la mission commune d’information sénatoriale ne s’était d’ailleurs plus réunie depuis le 8 décembre 2008 –, assistons-nous au brusque déploiement d’une véritable machine de guerre, dès après la conférence de presse du 16 novembre 2010 ?

M. Philippe Marini, président de la mission commune d’information. C’est une guerre très pacifique !

M. Yves Daudigny. On nous annonce le lancement d’un débat national, la publication d’un décret portant création d’un comité interministériel sur la dépendance, la mise en place de quatre groupes thématiques réunissant l’ensemble des acteurs – et pas moins de cinquante personnes par groupe –, l’engagement de débats interrégionaux, la création d’un site internet de recueil de contributions citoyennes, la saisine du Conseil économique, social et environnemental...

M. Philippe Marini, président de la mission commune d’information. Pourquoi redoutez-vous de ce débat ?

M. Yves Daudigny. Deuxième cause d’étonnement, le calendrier de la réforme annoncée est fixé avant même que ne le soient ses objectifs !

Le rendez-vous législatif serait la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, à l’automne prochain. Est-ce mieux dire que le Gouvernement, en fait de réforme de la prise en charge de la perte d’autonomie, n’envisage que des mesures financières d’ajustement ?

M. Guy Fischer. Voilà !

M. Yves Daudigny. Il y aurait là, pour le moins, comme un paradoxe, une distorsion frappante, au regard de l’ampleur du débat national engagé, qui porte sur la place des seniors dans la société. Mais il est vrai que le discours du 8 février 2011 a modifié ce dispositif, en annonçant la présentation, avant l’été prochain, d’un projet de loi spécifique préparé par le Gouvernement. Que croire ?

Depuis 2007, le Président de la Réplique manie en effet l’ambiguïté, alternant, au fil de ses déclarations, son intention de créer, un jour, une « cinquième branche de la protection sociale » et, le lendemain, un « cinquième risque de sécurité sociale », quand il ne se réfère pas à ces deux notions distinctes dans un même discours, alors que le recours à une loi organique serait, pour cela, indispensable. Il ne l’ignore pas, bien sûr, puisqu’il a lui-même écarté cette hypothèse.

Mme Raymonde Le Texier. C’est la politique de Gribouille !

M. Yves Daudigny. Troisième source d’étonnement, pourquoi ce ton et ce vocabulaire de dramaturge : « un déficit de financement colossal », « l’un des problèmes les plus douloureux auxquels nos familles seront confrontées », « un sujet aussi grave », « apporter une réponse à l’angoisse de la dépendance »...

M. Guy Fischer. Il fait dans le catastrophisme !

M. Yves Daudigny. Le projet de réforme sera-t-il limité, comme l’a voulu le Président de la République, aux seules personnes âgées en perte d’autonomie, à l’exclusion, singulièrement, des personnes handicapées laissées sur le bord de la route ?

Mme Bernadette Dupont et M. Paul Blanc. C’est faux !

M. Guy Fischer. Bien sûr que si !

M. Yves Daudigny. Cette communication anxiogène vise-t-elle indirectement à déstabiliser plus encore ce qui reste de financement solidaire de notre système de protection sociale ?

Dans le premier cas, ce discours ne correspond pas à la réalité de l’évaluation démographique et financière des besoins à venir, lesquels ne prendront la forme – les constats sont ici partagés – ni du « tsunami gris » ni de la « bombe à retardement » qui sont parfois brandis.

Si l’exercice prospectif est rendu difficile par plusieurs incertitudes quant à l’évolution du mode de vie des femmes – et des conséquences qui en résulteront sur leur espérance de vie –, de la médecine ou du contexte financier, nous savons, en revanche, que la courbe de l’évolution des âges n’est pas celle de la dépendance, que l’incapacité survient de plus en plus tard, essentiellement après 85 ans, et dure de moins en moins longtemps, soit quatre ans en moyenne. Nous savons également – et nous sommes, là aussi, en accord avec la mission –, que l’évolution qui porterait les 1 % de PIB d’ores et déjà consacrés au financement de la dépendance à 1,5 % à l’horizon de 2030 est parfaitement supportable.

Reste alors la seconde hypothèse, celle d’une fragilisation telle des financements de la sécurité sociale qu’il ne sera nul besoin, comme s’en est d’ailleurs défendu par avance le Président de la République, il y a quelques jours, devant le Conseil économique, social et environnemental, de privatiser une sécurité sociale moribonde, dont le Gouvernement réduit constamment le taux de couverture.

M. Guy Fischer. Parce qu’il veut la démanteler !

M. Yves Daudigny. À ces trois questions, trois réponses, en forme de suggestions, laissent entrevoir, au-delà des discours compassionnels, un joli coup de billard à trois bandes pour le Gouvernement.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Qu’est-ce qu’on est intelligent !

M. Yves Daudigny. Et d’une : il satisfait dans l’immédiat son calendrier électoral.

Et de deux : il pourrait, par le biais du rendez-vous d’ores et déjà fixé à la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, établir un apparent équilibre de l’assurance maladie par un transfert de la part de l’ONDAM consacrée à la dépendance et peut-être aussi, du même coup, satisfaire à la réserve d’interprétation posée par Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 novembre 2010 sur la loi organique relative à la gestion de la dette sociale. En interdisant au Gouvernement de puiser dans les ressources destinées à la sécurité sociale pour abonder le remboursement de la dette transférée à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, cette décision impose pratiquement, cette année, le recours aux prélèvements obligatoires dont vous ne voulez pas.

Et de trois : « grâce » à la dépendance, le Gouvernement pourrait imposer l’ouverture encore plus large de la prise en charge des risques sociaux au secteur privé commercial et à la concurrence.

Je ne crois pas, pour ma part, au flou savamment entretenu sur le contenu et l’ampleur de la réforme annoncée…

M. Guy Fischer. On cherche à nous enfumer !

M. Yves Daudigny. Je suis bien convaincu qu’elle est, pour l’essentiel, déjà écrite, de même que la stratégie en est fixée, comme l’était par avance celle de la réforme des retraites. Je ne crois pas à la sincérité de l’organisation de ce grand débat, dont nous voyons bien qu’il est mis au service de convictions profondément individualistes !

Ce n’est pas le moindre des paradoxes, à cet égard, d’entendre le Président de la République se féliciter de ce que la France a mieux absorbé les effets de la crise que d’autres pays européens, grâce à l’existence d’un système de protection sociale solidaire qui en a amorti une partie des effets. Or c’est en contradiction absolue avec les principes mêmes de ce système protecteur que s’esquissent les grandes lignes du projet de réforme, que nous retrouvons dans les orientations liminaires du rapport de la mission commune d’information, à savoir : le rôle donné à la prévoyance individuelle pour la prise en charge de la perte d’autonomie ; la perspective de réinstaurer le gage patrimonial ; enfin, la distinction opérée entre les personnes âgées et les personnes handicapées.

Les constats et plusieurs propositions de ce rapport, cela a été dit, recueillent cependant notre accord : le maintien du GIR 4 dans le dispositif de l’APA, l’exclusion du recours à l’assurance obligatoire – ouf ! –; l’affirmation du principe de parité de financement de l’APA entre l’État et les conseils généraux. La majorité sénatoriale a rejeté une proposition de loi relative à la compensation des trois allocations de solidarité, que j’avais défendue à cette même tribune le 9 décembre dernier. Elle y revient aujourd’hui, tant mieux, même si ce n’est que très partiellement !

Bien sûr, nous serons également très attentifs à la décision que rendra le Conseil constitutionnel, si le Conseil d’État décide de le saisir de la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été récemment transmise par le tribunal administratif de Montreuil sur ce problème de compensation.

Mais nous ne pouvons suivre la mission d’information sur la question de la convergence. Le monde du handicap vit mal, et à juste titre, sa mise à l’écart d’un projet de réforme relatif à la perte d’autonomie. La barrière d’âge produit des écarts profondément inéquitables de prise en charge ! Elle constitue clairement une discrimination, humainement indéfendable et juridiquement contestable, en particulier au regard du droit européen qui prohibe toute distinction par l’âge dans l’attribution des prestations sanitaires et sociales. Je le rappelle, l’article L. 114-1-1 du code de l’action sociale et des familles, issu de la loi du 11 février 2005, énonce un droit à compensation « quels que soient l’origine et la nature de [la] déficience, [l’]âge et [le] mode de vie » ; au-delà de l’affirmation du droit, la loi prévoyait une mise en œuvre réaliste, car étalée dans le temps.

Certaines problématiques, nous le savons, sont communes aux deux catégories de population. Ainsi, les règles en matière d’accessibilité des lieux publics, issues de la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, profitent surtout, dans les faits, aux personnes âgées. Il en va de même des règles d’accessibilité dans le domaine de l’habitat ou de l’urbanisme : les personnes âgées vivent le plus souvent à domicile ; c’est seulement à partir de 96 ans que plus de 50 % d’entre elles se retrouvent dans des institutions.

La convergence sans confusion – car personne n’imagine, aujourd’hui ni demain, une allocation unique qui se substituerait à l’APA et à la PCH – est techniquement possible et financièrement supportable, dans un cadre solidaire rétabli et progressif.

S’agissant du recours à la prévoyance individuelle, nous savons que les coûts de gestion sont supérieurs à ceux de la sécurité sociale. Nous savons que les assurances commerciales trient les risques. Nous savons que les primes peuvent fortement varier et que les assurés paient beaucoup plus aux assureurs qu’ils ne paieraient en prélèvements obligatoires. Nous savons que les prestations forfaitaires servies ne sont pas adaptées aux besoins. Nous savons que nombre d’assurés ont tout perdu avec la chute des fonds de pension. (Mme Raymonde Le Texier et M. Jacky Le Menn approuvent.)

Cela devait être rappelé !

Selon Cynthia Fleury, c’est « supercherie […] de faire croire que le meilleur agent de protection de l’individu, c’est l’individu lui-même. Alors que l’on sait que l’individu sans structures collectives de défense devient plus vulnérable. »

L’enjeu est bien celui de notre contrat social, issu des Jours heureux, le programme du Conseil national de la résistance.

Permettez-moi, mes chers collègues, de citer une dernière phrase : « C’est dans le sort qu’elle réserve, dans la place qu’elle donne, dans la considération qu’elle porte aux plus humbles, aux plus vulnérables, aux plus fragiles, aux plus innocents des siens que se mesure la valeur morale et humaine d’une société ». Cette phrase est du Président de la République !

Madame la ministre, ce sont vos propositions, construites ou non sur une action collective, construites ou non sur la solidarité nationale, qui confirmeront ou détruiront la crédibilité de ces propos. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin

vice-président

M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui au Sénat un des débats les plus importants de ces prochaines années. Portant sur une question de société, c’est aussi un débat moral très attendu par nos concitoyens, parce qu’il concerne – ou concernera – la plupart d’entre nous un jour ou l’autre.

Sur un tel sujet, nous pouvons et nous devons éviter les clivages politiques, socioprofessionnels ou générationnels. Faisons en sorte, ou essayons de faire en sorte que ce débat garde son caractère humaniste. La dépendance ne concerne-t-elle pas pour beaucoup, malheureusement, une étape de la vie qui devrait être belle, cette période de transmission du témoin à nos enfants, de transmission de nos valeurs…

Il est de notre devoir, de notre responsabilité de parlementaires d’anticiper les grandes évolutions de nos sociétés et d’y apporter des solutions.

Le thème de la dépendance se retrouvera naturellement, au cours des prochaines années, dans la plupart des politiques publiques menées par les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche. Bien sûr, c’est une question de santé publique, une question de société, mais aussi une question familiale, économique, urbaine.

La dépendance est tout simplement le résultat de l’allongement de la durée de la vie et de sa principale conséquence, le vieillissement de la population française.

Nonobstant les progrès considérables de la médecine, il faudra trouver des réponses adaptées pour tous ces Français qui connaissent une perte d’autonomie importante et qui ne peuvent pas toujours compter sur leur famille.

Un tiers des Français – cela a été dit – aura plus de soixante ans en 2035. Onze millions d’entre eux auront plus de quatre-vingts ans en 2050. Si, bien sûr, ces données démographiques constituent une très bonne nouvelle pour notre pays, c’est l’ensemble de notre modèle économique et social qui va s’en trouver bouleversé.

Cette évolution fondamentale, il nous faut dès maintenant l’accompagner. En effet, seule une personne âgée sur cinq est aujourd’hui en mesure de financer sur ses seuls revenus son hébergement en maison de retraite.

Pour toutes ces raisons, le Président de la République et le Gouvernement ont souhaité que la prise en charge de la perte d’autonomie soit un chantier majeur en 2011. Dans son discours de politique générale du 24 novembre 2010, le Premier ministre a annoncé une grande concertation nationale sur la protection sociale, ayant pour objectif principal de traiter la question de la dépendance, dont le coût est estimé à 21 milliards d’euros par an.

Au-delà de ces différentes remarques sur le plan sociétal et humain, il nous appartient de trouver des financements viables et pérennes.

Nous le savons, cette réforme intervient dans un contexte financier dégradé. Malgré la sortie de crise, la situation demeure fragile. L’état de nos finances publiques est préoccupant et nous sommes tous conscients que la maîtrise de nos déficits est une impérieuse nécessité.

Il nous faudra donc faire preuve d’imagination, d’inventivité, et surtout il nous faudra trouver de nouveaux financements si nous voulons mettre en place une prestation universelle de compensation de la perte d’autonomie.

En somme, nous avons trois impératifs : ne pas accroître nos déficits ; ne pas taxer plus le travail en augmentant les charges sociales et ne pas laisser aux familles toute la charge financière de la dépendance.

L’un des enjeux du cinquième risque est celui du financement des prestations individuelles et du « reste à charge » pour les usagers. Le recours à la prévoyance collective ou individuelle a été évoqué par le Président de la République comme un financement complémentaire aux financements émanant des solidarités nationale et familiale, ainsi que de la participation directe de l’usager.

Nous devrons aussi être très attentifs à la place du conseil général, qui, depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, est devenu le chef de file de l’action sociale en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées. Dans mon département, le conseil général vient de voter un budget avoisinant 200 millions d’euros pour 2011 en faveur de ces publics, soit pratiquement 30 % du budget total.

M. Pierre Jamet, directeur général des services du conseil général du Rhône, qui a remis son rapport sur les finances départementales, le 22 avril 2010, au Premier ministre, a mis en exergue les difficultés croissantes des départements pour absorber dans leur budget la montée en charge des prestations sociales, avec la diminution inversement proportionnelle de leurs recettes.

Pour répondre à cette urgence, la loi de finances rectificative pour 2010 a mis en place un fonds exceptionnel de soutien aux départements en difficulté, abondé à hauteur de 150 millions d’euros.

Aujourd’hui, nous ne partons pas de rien.

L’excellent rapport sur la prise en charge de la dépendance et la création du cinquième risque, rédigé, au nom de la mission commune d’information, par notre collègue Alain Vasselle, nous rappelle très précisément toutes les mesures qui ont été prises depuis des années. Mais il dresse aussi le constat de l’accroissement significatif et nécessaire de l’effort public en direction des personnes âgées dépendantes.

Depuis 2008, M. le rapporteur les a soulignées, de nombreuses évolutions très positives ont eu lieu. Je pense en particulier au plan de relance de l’économie, qui a permis d’accélérer la création de nouvelles places dans les structures d’accueil. Je pense au plan Alzheimer, mais aussi à la réforme de la tarification des EHPAD ou encore à la réforme de la gouvernance du secteur médico-social, avec la création des agences régionales de santé.

N’ayant pas le temps d’évoquer toutes les mesures préconisées dans le rapport de la mission commune d’information, je voudrais conclure mon intervention en insistant sur celles qui, à mes yeux, sont les plus pertinentes.

Tout d’abord, il m’apparaît effectivement indispensable d’accentuer la politique de prévention de la perte d’autonomie et d’améliorer l’évaluation des besoins, la « solvabilisation » des personnes âgées en perte d’autonomie, ainsi que la gestion de l’APA.

Des efforts doivent être fournis pour assurer et développer le maintien à domicile. C’est d’ailleurs un souhait qu’expriment de nombreuses personnes âgées : elles désirent conserver le plus longtemps possible le cadre de vie dans lequel elles ont leurs habitudes, leurs repères, leurs souvenirs. Nous devrons donc être très attentifs, à terme, au décrochage qui peut survenir entre l’effectif des personnes dépendantes et celui des aidants à domicile, ce décrochage pouvant avoir une influence sur les possibilités de maintien à domicile.

Par ailleurs, je soutiens le principe d’une organisation et d’un financement de la prise en charge de la dépendance reposant sur un partenariat entre les secteurs public et privé. Je suis opposé à une assurance obligatoire, mais favorable à une assurance facultative, contractée sur la base du volontariat.

M. Alain Vasselle, rapporteur de la mission commune d’information. Très bien !

M. Bernard Fournier. La prise en compte de la dépendance ne doit pas reposer sur la seule puissance publique ; elle doit tendre vers un juste équilibre entre la solidarité nationale, la prévoyance, la solidarité familiale et la responsabilité individuelle. C’est pour cela, aussi, que l’idée de la création d’une deuxième journée de solidarité peut avoir beaucoup de sens.

Enfin, il est aussi important d’affirmer le principe de parité de financement de l’APA entre l’État et les conseils généraux.

En conclusion, je me félicite que le Président de la République et les membres de la mission commune d’information aient très clairement rappelé qu’ils ne souhaitaient pas « diluer le handicap dans la dépendance ».

Ces débats vont se poursuivre dans les prochains mois, au Parlement, mais aussi dans nos territoires. D’ailleurs, dès après-demain, M. le président du Sénat se rendra dans mon département de la Loire pour que nous échangions autour du sujet de la dépendance. Nous vous ferons donc part, madame le ministre, des observations et des propositions que nous pourrons recueillir dans nos territoires respectifs. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Valérie Létard applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.

Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à partir du constat juste et équilibré dressé par nos collègues Alain Vasselle et Philippe Marini, il nous faut, en abordant ce sujet sensible de la prise en charge de la dépendance, essayer de nous poser les bonnes questions.

À mon sens, celles-ci sont au nombre de trois. Comment respecter le libre choix des personnes âgées entre domicile et établissement ? Comment concilier l’équité et la proximité ? Comment partager justement le coût financier de cet effort ?

Première question : comment respecter le libre choix des personnes âgées ?

C’est un engagement pris, dès 2007, par le Président de la République. C’est une question de respect et de dignité. Mais, il ne faut pas se le cacher, c’est aussi une inflexion à donner pour orienter une partie plus importante de nos efforts sur le développement de l’offre à domicile – soins infirmiers à domicile, accueils de jour, hébergements temporaires –, plutôt que de se concentrer sur la seule poursuite de créations massives de structures d’hébergement.

Ce choix a plusieurs conséquences, que je listerai rapidement.

S’agissant du renforcement de notre effort en matière de prévention, le rapport de notre collègue Valérie Rosso-Debord contient des pistes intéressantes.

S’agissant du maintien impératif du groupe iso-ressources 4, le GIR 4, dans le dispositif de l’APA et son amélioration, je partage complètement l’analyse de la mission sénatoriale. Supprimer ce niveau d’entrée dans l’aide reviendrait à fragiliser l’ensemble du système, car nous prendrions ainsi le risque d’accroître les hospitalisations accélérées et, donc, les dépenses de santé.

S’agissant de l’effort important nécessaire pour former les personnels à prendre en charge des personnes très dépendantes à domicile, il faut poursuivre le plan de développement des métiers et formations du secteur médico-social que j’avais déjà soutenu en 2008. Je persiste à penser que c’est une des clés de la réussite de notre politique en faveur des personnes âgées, qu’elles restent à leur domicile ou qu’elles intègrent un établissement.

Enfin, il faut repenser l’articulation entre le domicile et l’établissement pour aller vers des plateformes de services couvrant tout le parcours des personnes, afin d’éviter les ruptures de prise en charge.

Deuxième question, fondamentale elle aussi, comment concilier équité et proximité ?

Comme devant la maladie, nous ne sommes pas tous égaux devant le vieillissement. Cela implique que ce risque relève d’abord de la solidarité nationale, et une société solidaire doit aider à prendre en charge cet aléa collectivement, d’où la proposition de la CNSA en octobre 2007 de créer un droit universel à une compensation personnalisée pour l’autonomie.

Ce droit doit donner accès à une évaluation des besoins d’aide, à un plan de compensation et au versement d’une prestation personnalisés. Pour ma part, je reprends complètement à mon compte ces propositions et c’est sur ces bases qu’il nous faut, à mon sens, construire la réforme.

En pratique, cela implique trois déclinaisons logiques.

Premièrement, nous acceptons une péréquation afin d’assurer cette aide à toutes les personnes âgées, de manière équivalente en tout point du territoire. Les départements ruraux pauvres ou urbains pauvres doivent être assurés du soutien financier nécessaire. Il faut réfléchir à la manière dont nous répartirons la charge entre l’État, les départements, les usagers et revoir la clé de répartition de l’APA.

Deuxièmement, nous acceptons la nécessité d’établir une équité entre les plus riches et les plus pauvres en fonction de la capacité financière de chacun. Dans cette optique, il est d’ailleurs légitime d’encourager les personnes disposant de revenus suffisants à recourir au système assurantiel.

Troisièmement, nous nous fixons comme un des objectifs majeurs de la réforme de réduire le reste à charge des résidents en établissement, en agissant sur la prise en charge des aides-soignantes et de l’animation.

Dernière question enfin, quels choix financiers pour assurer cette prise en charge ?

Il est difficile d’évaluer précisément le besoin de financement – M. Alain Vasselle avançait le chiffre d’un milliard d’euros par an. Mais, contrairement à l’assurance maladie, et grâce au mode de fonctionnement de la CNSA et des départements, nous partons d’une situation saine, car les besoins à couvrir ne s’accompagnent d’aucun endettement ou passif à apurer.

Du côté des économies possibles, on pourrait certes choisir de revenir au recours sur succession de la prestation spécifique dépendance, la PSD. D’une manière ou d’une autre, ce serait une fausse économie et je n’y suis pas favorable. On peut en revanche s’interroger sur le bien-fondé de l’aide fiscale à l’hébergement en EHPAD. Ces 300 millions d’euros pourraient être plus utilement affectés.

Mais le compte n’y sera pas sans envisager d’autres recettes.

La plus simple, à l’assiette la plus large et au taux le plus faible, est la contribution sociale généralisée, la CSG. 0,1 point de CSG représente 1,3 milliard d’euros. Toutefois, je n’ignore pas la difficulté à agir sur ce levier dans le contexte financier actuel.

La piste de la seconde journée de solidarité, que vous avez rappelée, est très intéressante et il faut la creuser. (Bravo ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

Mais commençons par la piste que le groupe de l’Union centriste avait proposée dès 2004, c'est-à-dire l’élargissement de cette journée de solidarité aux non-salariés sur la base du taux appliqué aux cotisations des salariés : cela représenterait une recette de 750 millions d’euros.

Troisième piste, pourquoi ne pas réfléchir, à l’occasion de la refonte de la fiscalité sur le patrimoine, à l’affectation d’une fraction des droits sur les successions au financement de la dépendance : 1 % représenterait 2 milliards d’euros ?

Dernière piste, enfin, pourquoi ne pas réaménager la dégressivité de l’aide en GIR 1, afin de concentrer l’aide sur les personnes qui en ont le plus besoin ?