M. Jean-Pierre Michel. Ma position est également fondée sur l’idée que la médecine, la technique peuvent pallier des insuffisances ou des impossibilités, mais qu’elles ne peuvent en définitive se substituer à la nature pour donner naissance à des enfants de nulle part, venus d’on ne sait où.

Eux-mêmes, bien sûr, ne savent pas non plus d’où ils viennent, et le code civil leur donne une filiation qui me paraît aujourd’hui totalement hypocrite, car, un jour, par le biais de l’ADN, ils pourront savoir que les mentions figurant sur leur état civil ne correspondent pas à leur père ou à leur mère.

Même s’il existe de véritables détresses parentales, il convient de rester serein. Bien entendu, à mon sens, la famille n’est pas déterminée par le mariage, et j’accepte la procréation médicalement assistée pour d’autres couples que les couples mariés, mais avec des gamètes issus d’au moins l’un de ceux qui seront les parents juridiques de l’enfant.

C’est la raison pour laquelle je me prononcerai en faveur de la gestation pour autrui telle qu’elle est encadrée dans le rapport d’information de 2008, Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui, rédigé au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales du Sénat, et issu du groupe de travail « Maternité pour autrui » présidé par Michèle André, dont Alain Milon ainsi que notre ancien collègue M. de Richemont étaient rapporteurs et dont je faisais moi-même partie.

Sur ce sujet, nous avons entendu les uns et les autres, nous avons encadré, et nous nous sommes rendus dans certains pays étrangers, notamment en Grande-Bretagne, où la loi est réduite au minimum : elle n’interdit rien, donc la gestation pour autrui est permise ; simplement, comme nous l’a affirmé le représentant du ministère de la santé, toute marchandisation est évitée. Les choses sont donc moins compliquées que chez nous !

En revanche, je ne voterai pas l’autorisation de transfert d’embryon post mortem. En effet, je redoute qu’un enfant né dans ces conditions, surtout s’il s’agit d’un garçon, ne rencontre ultérieurement de graves difficultés psychologiques, dues au transfert inévitable des sentiments que la mère opérera sur lui.

M. Paul Blanc. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Michel. Je suis bien conscient, mes chers collègues, que mes positions ne seront pas intégralement partagées, y compris au sein du groupe auquel j’appartiens, mais c’est le pari audacieux de ce débat, et c’est aussi ce qui le justifie.

La loi ne peut arrêter le mouvement ; dès lors, elle doit l’accompagner socialement et politiquement pour qu’il acquière des structures et un cadre reconnus.

Telle est la tâche à laquelle nous devons nous atteler, en tenant compte des consensus qui « enjamberont » certainement nos lignes de partage habituelles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC-SPG et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont. (Applaudissements sur plusieurs travées de lUMP.)

Mme Bernadette Dupont. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la bioéthique voté par l’Assemblée nationale nous revient aujourd’hui, et il nous appartient de l’accepter, de le consolider ou de le rejeter.

J’opterai pour la consolidation, car l’accepter en l’état, ce serait laisser la porte ouverte, par certaines ambiguïtés, à toutes sortes d’interprétations et le rejeter, ce serait nier les avancées proposées.

Cette loi sera fondamentale : elle est un enjeu d’humanité. Le respect de la dignité humaine, sujet déjà évoqué lors de précédents débats de société suivis avec beaucoup d’attention par nos concitoyens, en est le premier principe. Nos concitoyens sont en effet conscients de la gravité du vote de leurs représentants et restent partagés entre, d’une part, les avancées prometteuses de la science et de la technique et, d’autre part, les risques d’exploitation biologique et de marchandisation du corps humain. L’enjeu est vertigineux !

Le progrès ne peut et ne doit exclure la réflexion éthique.

D’autres, mieux que je ne saurais le faire – en particulier Marie-Thérèse Hermange, à laquelle je veux rendre hommage –,…

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Bernadette Dupont. … ont abordé ou aborderont des sujets comme la procréation médicalement assistée, le tri et le double tri d’embryons, les embryons surnuméraires, la recherche sur l’embryon et les dérogations possibles, le transfert d’embryon post mortem, la gestation pour autrui, avec toutes les conséquences induites, dont le non-respect de l’indisponibilité du corps humain. Pour ma part, je me concentrerai sur quelques articles.

À tous les articles titre II concernant les dons d’organes en vue de greffe, on ajoute subrepticement des dispositions relatives au don de gamètes. Or celui-ci ne peut être inclus dans une campagne « don de vie ». Il est fondamentalement le « don de la vie », et non un objet de greffe au sens habituel du terme.

Mme Bernadette Dupont. Le don de gamètes ne peut faire l’objet que d’un traitement tout à fait unique.

Au titre III, qui traite du diagnostic prénatal, l’amendement proposé par Jean Leonetti est sage et fondamental, les examens étant prescrits « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Je sais qu’il est contesté par nombre de spécialistes de la grossesse, médecins, sages-femmes, par notre commission des affaires sociales, autant qu’il est approuvé par d’autres. Vous le comprendrez, je suis de ceux-ci.

En effet, on ne peut envisager d’obliger chaque femme enceinte à subir des examens qui ne sont pas sans risque pour l’embryon, qui n’offrent aucune garantie quant au résultat et qui sont aussi susceptibles de rendre anxiogène une grossesse, laquelle constitue tout de même le rôle essentiel de la femme et doit rester une période d’espérance confiante et sereine pour la plupart des femmes.

Dans le diagnostic prénatal, j’insisterai particulièrement sur les examens systématiques de dépistage de la trisomie 21. À cet égard, je remercie Anne-Marie Payet de la très belle déclaration qu’elle a faite sur le sujet. Cette anomalie chromosomique non létale n’a ni prévention ni thérapie possible in utero. Une fois qu’elle est détectée, il reste donc le recours à l’avortement, pour lequel de fortes pressions sont couramment exercées puisque, Anne-Marie Payet l’a rappelé, sur les 92 % de cas diagnostiqués, 96 % aboutissent à la suppression du fœtus.

Pourquoi cette sélection, qui va à l’encontre de l’article 16 du code civil et qui est discriminatoire : critère biologique ou même, irai-je jusqu’à dire, « délit de faciès » ? Raisons psychologiques, raisons économiques, raisons systémiques ? Est-ce une philosophie ? Dans tous les cas, c’est à n’en pas douter une forme d’eugénisme, hors de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son humanité, qui soulève la question du regard que la société posera sur celui qui naîtra malgré tout et sur sa famille, mais aussi sur celui qui naîtra en étant porteur d’un autre handicap non détecté et tout aussi invalidant. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)

À vouloir lisser, on engendrera des conflits, et notre société apportera la preuve qu’elle est incapable d’accueillir les plus vulnérables d’entre nous, pourtant moteurs de solidarité et de fraternité.

Je vois cependant, à l’article 12 bis, une lueur d’espoir puisqu’il prévoit des pistes de financement et de promotion de la recherche médicale pour le traitement de la trisomie 21, à laquelle la commission des affaires sociales ajoute les anomalies cytogénétiques. La presse de ce jour livre la nouvelle d’un essai thérapeutique encourageant : il s’agit d’une molécule testée en Espagne qui a un effet positif sur la mémoire et la psychomotricité, modifiant ainsi, dans la trisomie 21, l’effet néfaste du chromosome surnuméraire.

Je souscrirai par ailleurs volontiers à la nécessité d’une formation, dans le cursus universitaire, à l’annonce du diagnostic pessimiste. Top peu de médecins sont aujourd’hui capables d’accompagner une famille à qui est révélé ce diagnostic, tout simplement parce qu’ils sont désemparés.

Parmi les points positifs, il faut également retenir le fait de proposer, lorsqu’il y a suspicion avérée d’une grossesse à risque, une liste d’associations spécialisées dans la maladie ou le handicap dépistés.

De même, l’article 13 bis prévoit un temps de réflexion avant toute décision et c’est essentiel, comme l’est le dialogue confiant entre la femme enceinte et son médecin, pour qui une formation à l’annonce du diagnostic pessimiste me paraît décidément nécessaire.

Le titre V traite d’un sujet qui suscite de fortes discussions, tant il est sensible.

Il me semble pertinent de décider d’une levée à tout le moins partielle de l’anonymat du don de gamètes si l’enfant devenu majeur est demandeur. Cela s’inscrit dans le cadre de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée par la France, qui stipule que tout enfant a droit à la connaissance de ses origines. Par ailleurs, parentalité et hérédité ne se contredisent pas.

Mais ce projet protège-t-il les droits de l’enfant ou privilégie-t-il le droit à enfant ? Il ne fait nulle part référence à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ce texte, dans ses contradictions, a besoin d’être encore resserré.

Je terminerai en insistant pour que la loi votée fasse l’objet, au fil du temps, d’un suivi régulier par le Parlement, à la fois au regard de son exécution et en fonction des résultats de la recherche.

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !

Mme Bernadette Dupont. L’homme pour la science ou la science pour l’homme ? Une question que l’on ne saurait ignorer et qui engage le législateur que nous sommes. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste. –Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Roselle Cros.

Mme Roselle Cros. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, rendez-vous désormais régulier, la révision des lois de bioéthique est un temps à part de la vie parlementaire.

Elle s’impose aujourd’hui non seulement au vu des évolutions rapides de la science et des technologies médicales, mais aussi au regard des changements des mentalités et des demandes de notre société. Le contexte de 2011 n’est plus celui de 2004.

Faisant appel aux principes éthiques et aux convictions philosophiques ou religieuses autant qu’à l’engagement politique, la réflexion de chacun transcende les clivages partisans.

Avant d’entrer dans l’examen du texte, j’aimerais rappeler que la France est le premier pays d’Europe à s’être doté d’une législation complète en matière de bioéthique, posant des principes forts, rappelés par M. le rapporteur, privilégiant le projet collectif tout en s’efforçant de respecter l’autonomie individuelle.

Nous nous félicitons donc que, sous l’impulsion de la commission des affaires sociales, le projet autorise la ratification de la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, inspirée des lois de 1994.

Quels sont les principaux enjeux scientifiques et sociaux du texte ?

Le premier est le droit à l’information.

Je souscris pleinement à la réécriture de la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave. Il est toutefois souhaitable de la compléter en prévoyant le cas où un donneur de gamètes apprendrait qu’il est atteint d’une telle affection : il faudrait alors permettre à l’enfant ou aux enfants issus de ses dons d’être informés. Je défendrai un amendement en ce sens.

De même, compte tenu de la pénurie d’organes disponibles pour les greffes vitales, je suis très favorable à l’élargissement du cercle des donneurs vivants par l’autorisation encadrée du don croisé d’organes.

L’insuffisance de dons d’organes n’en restera pas moins problématique, et c’est pourquoi nous attendons beaucoup de la mission confiée par le présent texte à l’Agence de la biomédecine, qui vise à amplifier les campagnes de sensibilisation menée par cette dernière en direction des jeunes. Je voudrais d’ailleurs rendre hommage à cette agence, qui encadre les quatre domaines du prélèvement et de la greffe, de la procréation, de l’embryologie, de la génétique, et dont le sérieux et la qualité du travail sont unanimement reconnus.

Le don étant un acte de générosité encore peu répandu dans notre culture, il y a lieu d’encourager les prélèvements de sang de cordon, qui permettent d’effectuer des greffes allogéniques, dont le nombre a plus que quadruplé ces dernières années, avec des résultats thérapeutiques incontestables.

Pour cela, les campagnes de sensibilisation doivent être renforcées, tant en direction des cliniques dotées de services d’obstétrique qu’auprès des sages-femmes, souvent réticentes du fait de réelles difficultés techniques.

Le droit à l’information et le désir de savoir posent des questions plus délicates lorsqu’il s’agit du diagnostic prénatal. Les députés proposent que des examens de biologie médicale et d’imagerie ne soient proposés aux femmes enceintes que « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Mais c’est faire porter au médecin une responsabilité qui comporte une large part d’incertitude et de subjectivité. Cela revient aussi à introduire une inégalité entre les femmes les mieux informées et les autres. C’est à la femme, bien éclairée et conseillée par le médecin, que doit revenir la décision. Il ne s’agit pas d’un dépistage systématique mais bien d’une proposition. Et quand bien même une anomalie serait décelée, la femme a toujours le choix – c’est heureux ! – de poursuivre ou non sa grossesse et de se faire accompagner pour assumer sa décision et, le cas échéant, mieux préparer la naissance.

Je soutiens également la position de la commission des affaires sociales en ce qui concerne l’implantation embryonnaire post mortem. L’autoriser, c’est faire peu de cas de l’intérêt de l’enfant, délibérément privé de père et chargé d’une lourde mission, celle d’être un « enfant-souvenir ».

Un autre volet du droit à l’information concerne le régime du don de gamètes. L’Assemblée nationale a voulu conserver le principe de l’anonymat. Notre commission a adopté une position totalement inverse, en autorisant la révélation de l’identité à l’enfant devenu majeur, s’il la demande.

Il nous faut concilier les intérêts des trois parties concernées : celui d’un couple qui ne souhaite pas nécessairement partager un secret susceptible de déstabiliser l’équilibre familial, celui du donneur, qui, ignorant son devenir, ne peut présager de sa réaction dix-huit ans plus tard, mais aussi celui de l’enfant, qui, se sachant issu d’une assistance médicale à la procréation, éprouvera, comme tout un chacun, le désir inné de connaître ses origines.

Le texte initial du Gouvernement me semble être celui qui concilie le mieux les intérêts des trois parties, sans risquer de dissuader les donneurs. Ainsi, le donneur décide de permettre soit l’accès à son identité, soit l’accès à tout ou partie des données non identifiantes prévues par l’article. Je proposerai donc de rétablir ce texte.

Le deuxième enjeu fort de ce projet est le devenir de la recherche sur l’embryon et les embryons surnuméraires, avec le possible développement de la médecine régénérative, soit à des fins thérapeutiques, soit dans le but de réparer des tissus ayant subi de graves lésions. Eu égard à l’importance de l’enjeu – l’avenir de ce champ de la recherche –, on ne peut interdire totalement cette piste.

Toutefois, considérant qu’aucun début de résultat n’a été constaté et prenant en compte le risque de heurter les convictions de nombre de nos concitoyens, le statut actuel, fait d’une interdiction assortie, le cas échéant, de dérogations, paraît demeurer approprié.

Le dernier enjeu est sociétal : il concerne la gestation pour autrui, pour laquelle il existe une demande, certes réelle, mais faible en nombre. Je ne suis pas favorable à l’instrumentalisation du corps de la femme, doutant de l’existence de motivations non lucratives, et je suis sensible aux arguments des psychanalystes et psychiatres qui soulignent les dangers de la GPA pour l’enfant, pour la femme qui le porte et pour les familles concernées. Enfin, je pense qu’aujourd’hui notre société elle-même n’est pas mûre pour accepter cette pratique.

En conclusion, j’aimerais remercier la commission des affaires sociales et sa présidente, Muguette Dini, et féliciter son rapporteur, M. Alain Milon, qui a su mener, dans le respect des convictions de chacun, les nombreuses auditions qui ont instruit et nourri notre réflexion. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif de ce projet de loi relatif à la bioéthique, je souhaiterais faire quelques remarques sur la méthode.

Il me semble que, face à un texte qui ne fait l’unanimité au sein d’aucun groupe politique, qui touche chacun d’entre nous dans ses convictions les plus intimes, qui fait appel à nos expériences, à nos valeurs, à notre conception de l’homme, de l’éthique, et donc de la bioéthique, nous allons un peu trop vite.

Adopté à l’Assemblée nationale le 15 février dernier, ce projet de loi vient en discussion au Sénat sept semaines plus tard, alors que nos travaux ont été suspendus pendant pratiquement trois semaines.

Au-delà du fait que nous avons été pris de court, qu’un remaniement est intervenu entre le passage de ce texte en conseil des ministres et son examen par le Parlement, je déplore également l’absence de constitution d’une commission spéciale pour étudier le projet.

Je pense aussi que ce texte aurait dû être élaboré bien plus tôt. Nous avons en effet deux ans de retard sur le calendrier : le précédent texte relatif à la bioéthique date de 2004 et il aurait dû être révisé après cinq ans. En ne respectant pas cette « clause de revoyure », madame la secrétaire d’État, vous avez laissé passer la date d’expiration du moratoire sur l’interdiction de la recherche sur l’embryon. En conséquence, l’Agence de la biomédecine ne peut plus délivrer d’autorisation de recherche, faute pour le Gouvernement et le Parlement d’assumer leurs responsabilités !

Je le dis dès à présent et je le répéterai au long des débats : il est nécessaire de prévoir des dates de révision des lois de bioéthique et, surtout, de s’y tenir ! Le progrès technique va souvent plus vite que le droit, pourtant censé l’encadrer.

Voilà pour la méthode. Penchons-nous à présent sur le projet de loi qui nous est proposé.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail de la commission des affaires sociales, qui a permis d’améliorer le texte voté à l’Assemblée nationale.

Je salue ainsi la disparition de l’article 4 quater, qui introduisait un cavalier législatif supprimant l’ordonnance Ballereau et, par là même, l’encadrement de la profession de biologiste médical.

Je me réjouis également du toilettage de certains articles, notamment de la suppression de la « reconnaissance de la Nation » à l’égard des donneurs d’organe, disposition particulièrement inutile et ridicule.

Enfin, les membres de la commission, dans leur sagesse, ont également substitué au régime d’interdiction avec dérogations de la recherche sur les embryons, qui était parfaitement hypocrite, un système d’autorisation assortie de conditions et de garanties.

Cependant, ces améliorations restent marginales, tant ce projet de loi relatif à la bioéthique s’avère insuffisant et sans ambition.

Les avancées législatives majeures se font rarement dans le consensus, passant au contraire par des débats parlementaires passionnés, seuls à même de permettre de dépasser le statu quo et l’immobilisme.

Il y a des lois qui ne deviennent consensuelles qu’après leur adoption, comme celles sur la contraception, l’interruption volontaire de grossesse, le PACS… Nos prédécesseurs ont eu le courage et le mérite d’inscrire ces débats à l’ordre du jour.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un projet de loi sans envergure, du fait des tabous portés par les courants les plus traditionalistes de la majorité.

Tabou sur l’interruption de grossesse : trente-cinq ans après l’adoption de la loi Veil, on trouve dans ce projet de loi des dispositions qui traduisent un recul des droits des femmes en matière d’accès à l’interruption volontaire de grossesse. En dépit du temps qui s’est écoulé, les obstacles persistent, et nous devons rester vigilants pour défendre encore et toujours l’accès à l’avortement. Quand ce droit sera-t-il totalement acquis ?

Tabou sur les dons des homosexuels. La France manque de donneurs, notamment de sang et d’organes. Des personnes meurent faute d’être transfusées. L’an dernier, 277 personnes sont décédées du fait du manque de greffons. Plus de 10 000 autres figurent sur les listes d’attente cette année. Alors, quand allons-nous enfin autoriser nos concitoyens homosexuels à pouvoir effectuer cet acte citoyen qu’est le don de sang ou le don d’organe pour sauver des vies ? J’espère que notre assemblée aura enfin la lucidité de rectifier cette interdiction archaïque.

M. René-Pierre Signé. Elle n’a pas de justification !

M. Jean Desessard. Tabou sur l’assistance médicale à la procréation, qui reste interdite aux femmes célibataires et aux couples de femmes, alors même que les femmes célibataires sont autorisées à adopter des enfants. Combien de temps va-t-on maintenir cette entrave au droit de fonder une famille en raison de son choix de vie ou de son orientation sexuelle ?

Tabou sur la gestation pour autrui : le projet de loi relatif à la bioéthique n’aborde même pas la question de la reconnaissance juridique des enfants nés d’une GPA à l’étranger. Pourtant, en mars 2010, la cour d’appel de Paris a confirmé que deux jumelles nées d’une mère porteuse américaine – la GPA est légale en Californie – étaient bien les enfants d’un couple français. Néanmoins, elle a refusé la transcription des actes d’état civil… Et ce n’est pas un cas isolé : de plus en plus de parents ont recours à la GPA à l’étranger, faute de pouvoir le faire en France. Voulons-nous condamner ces enfants sans papiers à être « juridiquement orphelins » ?

Tabou sur la fin de vie, enfin. Le choix de l’aide médicalisée à mourir n’est toujours pas proposé aux personnes en fin de vie, preuve du manque de considération pour les dernières volontés des malades.

En ce qui concerne les souhaits des personnes en fin de vie, je précise d’ailleurs que les écologistes soutiendront l’amendement de M. Sueur visant à protéger juridiquement la volonté exprimée, de son vivant, par un donneur d’organe potentiel.

De tabou en tabou, globalement, les sénatrices et sénateurs écologistes ne notent aucune avancée dans ce projet de loi en matière de respect de l’autonomie des personnes, c'est-à-dire de possibilité de décider pour elles-mêmes, en connaissance de cause, en fonction des choix que la science leur permet.

Nous ne souhaitons pas édicter un modèle unique de vie, allant de la procréation à la mort, voire au-delà. Cependant, je suis profondément convaincu que nos concitoyens aspirent à la liberté de disposer de leur corps tout au long de leur vie.

Les Français le savent bien, ouvrir des possibilités n’a jamais obligé personne à les mettre en œuvre. Permettre le diagnostic prénatal n’oblige personne à procéder à une interruption médicalisée de grossesse. Avoir autorisé le PACS n’a empêché aucun couple hétérosexuel de se marier. De même, permettre l’euthanasie n’empêchera personne de préférer les soins palliatifs ou même la poursuite acharnée des soins.

Voici ma conception du rôle du législateur face à des thèmes aussi complexes que celui de la bioéthique. Le législateur doit encadrer le progrès médical, trouver un équilibre entre le développement de celui-ci et le respect des règles éthiques correspondant aux aspirations de notre société.

Je doute que la discussion des articles permette de remédier au manque d’ambition de ce texte, et je crains que, en restant trop frileuse par rapport à ses voisins, la France ne règle aucun problème.

En éludant ces questions de société, nous incitons les Français à recourir à certaines pratiques légalisées dans des pays voisins. Mon souhait serait que les couples de femmes n’aient plus à aller en Belgique pour mettre au monde des « bébés-Thalys »…

M. Jean Desessard. … et qu’il soit mis fin à la pratique consistant, pour les plus fortunés de ceux qui arrivent en fin de vie, à aller chercher en Suisse une assistance à mourir.

M. René-Pierre Signé. Même à l’approche de la mort, mieux vaut être riche que pauvre !

M. Jean Desessard. On ne doit pas laisser les individus se débrouiller comme ils le peuvent !

Nos concitoyens méritaient un projet de loi à la hauteur des enjeux de société : le Parlement ne peut rester passif devant les évolutions sociales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. René-Pierre Signé. Il y a dans ce discours quelques vérités bien senties !

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain. (Applaudissements sur plusieurs travées de lUMP.)

M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat que nous menons n’est pas celui d’une société conservatrice. Chaque pays analyse les questions en fonction de son histoire. À vouloir faire s’affronter progressistes et conservateurs, on se trompe.

Nous souhaitons donner à la personne humaine les moyens d’utiliser la science pour renforcer ses libertés. Il nous faut fixer des limites à l’individualisme et à la cupidité, renforcer le don contre la marchandisation.

Madame la secrétaire d'État, le scientisme nous vante quotidiennement les avantages de telle ou telle cellule souche embryonnaire, tout en dénonçant l’obscurantisme et le retard que prendrait la France.

Je souhaite que les chercheurs travaillent sur les cellules embryonnaires par dérogation. Mais j’observe que, à cet égard, les choses ne fonctionnent pas si mal, même si nous dénonçons la tracasserie et les lourdeurs administratives. Admettre des dérogations, c’est accepter des exceptions bien encadrées par la règle, afin de ne pas pénaliser nos concitoyens et de ne pas se fermer au progrès, qui est porteur non seulement d’avancées, mais également d’illusions.

Le passage de l’interdiction avec dérogations à l’autorisation sous conditions, pour des résultats qui peuvent être identiques, marque la volonté symbolique de modifier une approche de la recherche sur l’embryon et les cellules souches.

La juriste Florence Bellivier, dans un bulletin d’information de l’Ordre national des médecins, souligne qu’« un régime d’interdiction avec dérogations me semble plus juste. » Elle ajoute : « Quand une question morale pose problème, la loi doit refléter le dilemme éthique. En outre, si le législateur avait préféré l’autorisation sous conditions, il ouvrait la porte à une multiplication des sanctions pénales en cas de transgression. »

Le bon sens scientifique pourrait porter toutes les parures de l’avantage pour ce qui concerne le dépistage de la trisomie 21, mais celui-ci ne peut se concevoir que par la volonté des personnes concernées, éclairées et loyalement informées.