M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.

M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaiterais faire état, à titre liminaire, de quatre réflexions.

Premièrement, la loi que nous allons voter, à la différence des lois de bioéthique précédentes, n’intègre pas l’horizon d’une révision indexée sur les progrès scientifiques à venir. Elle se place sur le plan des principes et il me semble intéressant de le noter car, s’il est effectivement souhaitable d’adapter la loi à l’état des connaissances scientifiques, l’éthique ne saurait y être subordonnée ni en devenir une variable d’ajustement.

Deuxièmement, l’éthique est-elle au service de la science ou la science au service de l’éthique ? Poser ainsi la question, ce n’est pas opposer l’une à l’autre, mais tenter de hiérarchiser et clarifier les finalités et les moyens. Selon moi, la fin ne saurait justifier les moyens.

De ce point de vue, je regrette que ce débat n’ait pas préalablement bénéficié, comme à l’Assemblée nationale, de la constitution d’une commission ad hoc. Nous aurions pu ainsi clairement marquer l’équilibre à respecter entre les exigences éthiques et les considérations scientifiques. Je souhaite cependant rendre hommage aux deux rapporteurs, car ces deux préoccupations ont guidé leurs réflexions et leurs travaux.

Troisièmement, un texte si particulier peut s’envisager sous deux perspectives : il s’agit soit de poser des principes stricts en prévoyant des dérogations, soit d’autoriser des pratiques en les assortissant de mesures d’encadrement. J’opte résolument pour la première solution : mieux vaut poser des principes se référant à l’éthique, quitte à les assouplir, plutôt que de prévoir des autorisations dont l’encadrement sera très vite difficile à maîtriser.

Quatrièmement, face à ce texte difficile, je conditionnerai mes votes au respect de deux principes. D’une part, la science doit rester un moyen au service de l’homme et non une fin en soi. D’autre part, il convient de veiller au respect des droits de l’enfant, le droit à l’enfant ne devant jamais leur porter atteinte. Ne laissons pas planer le spectre du Docteur Folamour sur nos débats !

Gardons toujours à l’esprit une vision équilibrée de la famille, à la fois réalité biologique, si importante aux yeux de l’enfant, et lieu d’éducation pour sa construction sociale, point de vue privilégié par les parents.

Les questions majeures qui se posent aujourd’hui sont sensiblement les mêmes que celles qui furent posées en 2004. J’en vois quatre, qui transcendent le texte et inspirent les mesures que nous allons examiner. Elles concernent la prédiction, le don d’organe, l’anonymat du don de gamètes et la procréation médicale assistée.

S’agissant d’abord de la prédiction, j’observe que la science a désormais le formidable pouvoir de détecter les caractéristiques du fœtus et ses pathologies, au premier rang desquelles la trisomie 21. Ce terrible service rendu aux parents leur révèle une différence, une maladie. Vise-t-il à trouver les voies de la guérison ou bien à faire peser sur eux le regard d’une société qui aspire au risque zéro et refuse le handicap ? Si la frontière entre ces deux options semble théoriquement balisée, prenons garde, dans la pratique, à ne pas développer un eugénisme, sous couvert de compassion et d’information.

Pour ce qui est du don d’organe, il ne saurait être assimilé au don de gamètes. Il n’en partage ni la nature ni la destination ! L’organe a un intérêt médical, celui de guérir et de réparer, alors que le gamète est utilisé pour la procréation. Donner la vie à un nouvel être humain, ce n’est pas la même chose que de transplanter un organe ! Sauver une vie, ce n’est pas en créer une nouvelle ! Les gamètes ne sont donc pas de simples « matériaux » biologiques.

À ce titre, je voudrais souligner combien les termes employés lors des débats m’ont parfois mis mal à l’aise : le gamète, l’ovocyte, l’embryon lui-même sont souvent désignés comme du « matériel » biologique. J’en veux pour preuve le terme terrible de « bébé-médicament », ainsi que les notions de sélection, de stocks, de rendement, d’offre et de demande. Gardons-nous de dériver pas vers l’eugénisme, le risque zéro et l’enfant parfait !

La troisième question majeure est celle de l’anonymat et de l’accès aux origines. J’avoue avoir longtemps hésité sur le point de savoir si l’on devait ou non lever l’anonymat. Dès lors que l’on considère le don de gamètes comme un acte qui n’est pas anodin, il semble impossible de refuser à l’enfant l’accès à son histoire, ainsi que vient de le dire excellemment Mme Des Esgaulx. Ce don a en effet des conséquences majeures, à savoir la naissance d’êtres humains, qui, tôt ou tard, se poseront la question de leurs origines.

La famille et la relation entre les parents et l’enfant ne se cantonnent pas à un lien social et culturel. Le lien est également biologique : c’est une loi naturelle qu’il serait dangereux d’ignorer, au risque de causer des dégâts psychologiques importants parmi les membres de la famille.

Accéder à ses origines devrait être un droit légitime. Je suis bien entendu tout à fait conscient des problèmes que cela crée lorsqu’un même donneur engendre de nombreuses vies.

La France a signé la Convention internationale des droits de l’enfant, rédigée sous l’égide des Nations unies, ainsi que, en 1997, la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, textes qui reconnaissent à l’enfant, notamment celui qui est né sous X, ce droit de connaître ses origines. Dans ces conditions, je ne vois pas comment l’on pourrait refuser de l’accorder aux enfants nés de dons de gamètes. L’adulte, le donneur, le médecin, sont certes les responsables de la vie ainsi donnée, mais le point de vue de l’enfant – celui qui souhaite savoir d’où il vient, celui qui a soif de repères – ne peut pas être ignoré !

Enfin, s’agissant de la procréation médicale assistée, je rappelle que l’enfant n’est en aucun cas un droit, mais bien un sujet de droit. C’est particulièrement vrai dans le cas de la procréation post mortem, où la motivation principale ne me semble pas être l’enfant ! Faire un enfant pour faire son deuil et ainsi créer un orphelin est, à mes yeux, un acte qui ne privilégie pas l’intérêt de l’enfant ! Quelle est alors la place de celui-ci ?

Des contradictions flagrantes émaillent d’ailleurs le débat sur l’enfant post mortem : comment peut-on prôner l’implantation post mortem au nom du lien biologique tout en affirmant que l’enfant ne se détermine que par le lien éducatif ? Comment peut-on désigner la paternité comme un lien social et justifier l’implantation post mortem, qui ampute de facto l’enfant d’un père ?

M. Dominique de Legge. L’implantation post mortem ouvre également la voie à la gestation pour autrui dans le cas d’hommes veufs souhaitant à tout prix un enfant d’une épouse décédée. Il convient de s’interroger sur ces dérives possibles.

L’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de sa personne, reconnus par le droit supranational, ne sauraient composer avec de telles ambitions scientifiques.

En conclusion, je dirai que j’aborde cette discussion avec plus de questions que de certitudes. Au terme de nos débats sur une loi dont la vocation doit être de protéger la famille et l’enfant, mon vote sera conditionné par la réponse à ces questions simples : les droits de l’enfant sont-ils respectés par ce texte et sortent-ils renforcés de son adoption ? Le primat de l’humain sur la science est-il assuré ?

La science doit rester un moyen au service de l’homme et non une fin en soi. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains.

Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne suis pas une scientifique, mais une juriste, que la lecture de ce projet de loi a, je vous l’avoue, ébahie.

J’ai eu la vive impression de lire le scénario audacieux et brillant d’un film d’anticipation, qui aurait pu être l’œuvre de George Orwell. Nous sommes dans le réel, et pourtant il manque à ce scénario un ingrédient pour qu’il puisse être crédible, être à l’origine d’une fiction réussie : l’humanité.

Ce texte est un condensé de propositions censées pallier de véritables misères et désespérances humaines : des femmes dont le désir d’enfant ne peut être assouvi, des malades désespérés, en quête de panacée. Ces aspirations sont ô combien légitimes et les solutions esquissées ou apportées, parfaitement généreuses, ingénieuses, laborieuses.

Toutefois, si j’admire profondément le progrès scientifique, ces propositions me laissent un froid insidieux dans le cœur. Je n’y vois pas trace de ce qui doit faire loi, de ce devant quoi nous devons nous incliner, de ce à quoi il nous faut avant tout faire droit : l’intérêt de l’enfant.

N’étant pas scientifique, je le répète, je n’entrerai pas dans le détail de toutes les questions soulevées par ce texte. Celui-ci nous conduit, me semble-t-il, à nous interroger sur la transmission et sur ce que la société à venir réserve à nos enfants.

Quelle société peut, sans faillir, programmer froidement et minutieusement la venue au monde d’enfants dont le sort, déjà tracé, sera d’être abandonnés à la naissance par leur mère pour être donnés, confiés, voire vendus à une autre femme ? En effet, qu’elle soit légale ou illégale, cette pratique, dans le monde de convoitise qui est le nôtre, donne déjà lieu et donnera encore lieu à un commerce des plus sordides.

Quelle société peut programmer la venue au monde d’enfants dont les pères sont morts au moment de leur conception ?

Que veut une société dont les pères biologiques resteront, de manière programmée, et non accidentelle, anonymes pour leur progéniture ?

Sommes-nous dans une société où le droit à l’enfant prime les droits de l’enfant ? Là est la vraie question ! Car l’enfant a le droit de ne pas être abandonné, sauf cas de force majeure, le droit d’être pourvu, autant que possible, de parents bien vivants et structurants, le droit d’avoir des racines, de savoir, s’il le souhaite, d’où il vient, pour ne pas avoir le sentiment d’être né sans avoir été précédé d’une histoire, de n’être en quelque sorte de nulle part, comme s’il était issu de graines semées aux quatre vents.

La gestation pour autrui a peut-être été ou sera peut-être, en tant qu’acte isolé, un geste exceptionnel, un geste d’une grande beauté ; légalisée, banalisée, elle consacre l’abandon, voire la commercialisation de l’être humain.

Le transfert d’embryons post mortem peut être la survivance, la continuité d’un amour, d’un être aimé et hors du commun ; dans le réel, il reste un enfant orphelin.

Le transfert d’embryons post mortem légalisé consacre et banalise le statut d’orphelin.

L’anonymat du don de gamètes minimise, réduit à sa plus simple expression la fonction génitrice. La transmission, même sur le plan thérapeutique, demeure une responsabilité. L’origine biologique peut être primordiale pour un individu, que ce soit dans sa construction personnelle, dans sa conception du monde ou, plus prosaïquement, dans la collecte d’informations concernant sa santé. Personne n’a le droit de programmer cette mutilation psychique.

Pour tous ces enfants objets, où se situera l’altérité ? Que penser d’une société où les enfants naissent de procédures déshumanisées, où les droits fondamentaux existent de manière exorbitante pour les parents, au préjudice de ceux, inexistants, des enfants ?

La fin ne peut justifier les moyens. Cette phrase sera sans doute souvent répétée au cours de ce débat, tout comme celle-ci : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ces deux maximes sont anciennes, elles n’ont jamais été révisées et n’ont pas pris une ride.

Les principes éthiques sont et doivent être inaltérables. Ce sont des lois d’airain qui ne peuvent changer au gré des soubresauts de l’actualité. Je me félicite qu’aucune révision ne soit prévue dans le temps. Afin que le foisonnement scientifique ne soit pas anarchique ou dangereux, nous devrons le confronter à la loi, mais s’il en est besoin.

Ne nous trompons pas de maître : la science ne peut que servir !

Beaucoup diront : « Cela se fait dans d’autres pays ». C’est ennuyeux en effet ; c’est sûrement une chose à considérer. Un jour peut-être les règles éthiques devront-elles se prendre à plus grande échelle. Néanmoins, en aucune manière, nous ne pouvons et ne devons transiger avec ce qu’il y a de plus sacré pour satisfaire une uniformité de pensée ou de mœurs.

Nous ne partageons pas tous les mêmes croyances, les mêmes combats, les mêmes aspirations spirituelles, mais nous avons tous, au moins, une idée de l’homme. Au nom de cette idée, nous ne pouvons oublier que tout être humain mérite respect, liberté, considération et, surtout, amour. Cela commence un peu plus tôt qu’à la naissance.

Les cellules d’embryon ne sont pas des cellules ordinaires !

Je veux maintenant vous citer l’extrait d’un débat scientifique qui a eu lieu en commission des affaires sociales : « [...] nous avons besoin de nouveaux embryons, tout simplement pour donner des moyens suffisants à la thérapie cellulaire. […] compte tenu des incompatibilités et en passant par les propriétés de l’antigène HLA, [il faudra] 22 000 donneurs potentiels pour prélever des cellules de vingt embryons compatibles avec 55 % de la population caucasienne ».

Le besoin de nouveaux embryons se fait jour. Pourra-t-on se contenter de l’existant ? Permettez-moi d’en douter.

Symboliquement, la vie ne peut être créée pour servir la maladie ou la mort. Voilà qui serait une vision d’horreur !

Tout cela est déterminant pour la société de demain. Pour toutes ces raisons, je voterai, si besoin est, contre la gestation pour autrui, contre le transfert d’embryons post mortem et pour la levée de l’anonymat du don de gamètes, pour l’interdiction de la recherche sur l’embryon et la promotion d’autres techniques.

En complément de ce texte, il faudrait introduire de véritables assouplissements en matière d’adoption.

M. Charles Revet. Très bien !

Mlle Sophie Joissains. Beaucoup sont laissés sur le bord du chemin par les tragédies de la vie. La générosité et la grandeur de notre civilisation dépendent de notre attitude envers ceux qui n’ont rien et attendent tout.

Avant de continuer à produire – c’est le mot – de multiples embryons, dont l’immense majorité partira en fumée ou deviendra sujet d’expérience – je suis d’ailleurs très réservée sur la question du nombre des embryons surnuméraires –, notre société devra s’interroger sur son ambition, sur le sens – c’est la maître-mot – qui est le sien et sur celui qu’elle aura demain.

Si nous n’envisageons pas ce débat sous l’angle d’un humanisme vigilant, où l’intérêt de l’enfant prend et reprend toute sa place, si nous commençons à faire ce qui est aujourd’hui l’exception la règle, si nous devenons consuméristes à ce point, je crains que le monde que nous aborderons, aussi riche en progrès scientifiques soit-il, ne perde toute dimension transcendante et ne soit plus à l’échelle ni d’un homme ni d’un dieu. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. le président. La parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai été tenté de reprendre l’intervention que j’avais faite lors de l’examen de la précédente loi relative à la bioéthique, car, si les techniques évoluent, les questions d’éthique sont immuables. Je pense donc toujours avec Chateaubriand qu’« il ne faut pas plier les réalités du présent aux rêves de l’avenir ». Cette maxime de prudence s’impose plus que jamais dans le domaine de la bioéthique.

Nous ne devons pas nous laisser dicter nos choix par la science ou les appétits financiers de certains. Or nous constatons une divinisation de la science devant laquelle tout devrait céder. Vu l’enjeu, une commission spéciale sur cette question aurait été bienvenue.

Aussi, je ne trouve pas dans le texte issu des délibérations de l’Assemblée nationale, modifié par les travaux de notre commission, de raisons suffisantes pour voter en faveur de ce projet de loi. Au contraire, de multiples aspects militent pour que je vote contre et je n’aperçois pas dans les quelques évolutions qui sortiront des débats de motifs me conduisant à changer de position.

Je n’aborderai évidemment pas tout ce qui conforte mon point de vue ; d’autres se sont exprimés bien mieux que moi voilà quelques instants.

Les dispositifs plus ou moins alambiqués concernant la recherche sur l’embryon sont inacceptables et la position de la commission n’améliore pas la situation, loin s’en faut.

Chaque fois, on fait un pas vers de nouvelles transgressions et je suis peu rassuré par l’action des thuriféraires de la recherche sur l’embryon. Le bon sens commanderait d’ailleurs de cesser de créer des embryons surnuméraires.

Les différentes dispositions du texte ne nous préservent pas de la marchandisation du corps humain. Se pose ainsi la délicate question de l’anonymat. Il est donc nécessaire de distinguer les dons concernant des éléments du corps.

Pour les dons d’organes ou le don du sang, l’anonymat ne soulève pas de question. Pour ce qui est des dons de gamètes, qui ne sont en rien comparables, la levée de l’anonymat est inéluctable, puisque nous avons ratifié des conventions internationales nous engageant à garantir le droit d’accès à ses origines. En conséquence, cela remettra aussi en cause le principe de l’accouchement sous X.

S’agissant de la question des dons de gamètes, permettre la procréation par tiers donneur a été une erreur dont nous n’avons pas fini de voir toutes les conséquences dévastatrices pour la vie des personnes. La sagesse serait un jour d’abandonner cette possibilité.

La commission a écarté à juste titre la possibilité de faire naître sciemment un enfant sans père. Elle a aussi écarté la gestation pour autrui, qui ne peut que provoquer la déconstruction de la maternité, la déconstruction de la filiation. La GPA, c’est l’institutionnalisation de la marchandisation du corps de la femme, très probablement de celles qui sont les plus pauvres et les plus fragiles. C’est la consécration du droit à l’enfant et l’officialisation de l’abandon d’enfant.

La technique des mères porteuses constitue une atteinte aux principes fondateurs de notre civilisation : le respect de la dignité humaine, celle de la femme, qui ne peut être réduite à un instrument de gestation, et la dignité de l’enfant, qui ne peut faire l’objet d’un contrat entre adultes. De ce point de vue, les promoteurs de la GPA génèrent de grands risques pour notre société.

Ce n’est pas parce que certains ne respectent pas une règle qu’il faut la changer. Tout cela n’est pas compatible avec la conception de l’homme et de la famille à laquelle je me réfère.

Je veux maintenant aborder la question du dépistage prénatal, notamment celui de la trisomie 21.

Notre société a institué vis-à-vis des porteurs de cette anomalie chromosomique un délit de faciès et a fait du trisomique la tête de Turc de la génétique. (Oh ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) On préfère supprimer le malade plutôt que de lutter contre la maladie.

La loi de 1994 a introduit l’eugénisme ; celle de 2004 a accentué la tendance et celle de 2011 la confirmera. En effet, dans un État de droit, démocratique, on a créé un pouvoir total, radical, exceptionnel, dérogatoire, exorbitant, d’ordre divin, qui est celui de donner la mort de manière préméditée à un enfant uniquement parce qu’il est petit, malade ou handicapé. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)

Ce dépistage – ce pistage devrais-je dire – est devenu un acte politique collectif sur l’initiative de la puissance publique. Il est fondé sur un calcul coût-bénéfice du dépistage de la trisomie 21 qui fait froid dans le dos. C’est d’ailleurs une curieuse politique de santé publique dont les effets collatéraux ont pour conséquence la mort d’un plus grand nombre de sujets non atteints que de sujets malades, puisque, pour supprimer un fœtus trisomique, on supprime deux autres fœtus.

Il serait bon alors de tout calculer et de corriger les chiffres en tenant compte du nombre d’enfants sains qui ne sont pas nés et de tout ce que peut apporter une personne trisomique quand, par exemple, elle se distingue au festival de Cannes …

Il faut aussi s’interroger sur le marché juteux que cela représente pour certains laboratoires, qui, de plus, livrent des tests à la fiabilité incertaine. À l’heure où se posent des questions sur les liens d’intérêt entre experts et fabricants de médicaments, je considère qu’on est peu regardant sur ce point. Mais il ne faut pas gêner le marketing de l’eugénisme. En effet, 800 000 dépistages par an, cela rapporte !

M. André Lardeux. Les limiter aux situations à risque – 1 % peut-être – ferait faire de sérieuses économies, mais toucher aux rentes de situation – plus de 100 millions d’euros pas an – demanderait du courage.

M. Charles Revet. Très bien !

M. André Lardeux. Si l’on consacrait ne serait-ce que la moitié de ces sommes à la recherche sur la maladie, cela changerait beaucoup de choses. Il est révélateur que la trisomie 21 ne figure pas dans le plan « maladies rares ».

M. Alain Milon, rapporteur. Ce n’est pas une maladie rare !

M. André Lardeux. Pourtant, un plan de recherche sur la trisomie 21 honorerait notre pays.

La France est le pays qui va le plus loin dans cet eugénisme, puisque 92 % des trisomies sont repérées, contre 70 % en Europe, et 96 % d’entre elles sont suivies d’un avortement. Cela ne suffit pas à certains, puisqu’un député s’est inquiété de savoir pourquoi il en reste encore 4 % !

Notons ainsi qu’un pays comme la Suède n’a pas de politique de dépistage de la trisomie 21.

On entretient donc les Français dans la phobie de l’enfant trisomique et, au nom de la norme mythique de l’enfant parfait, on encourage une culture eugénique qui conduit à transformer la génétique en un redoutable système policier. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Celle-ci n’est plus ce qu’elle devrait être, à savoir un service au bien de l’homme.

Le revers de la médaille, c’est bien sûr la judiciarisation de plus en plus grande de la pratique médicale. Cela aboutit à des positions qui méritent pour le moins réflexion. En effet, la société conserve-t-elle sa dignité si elle établit des seuils de dignité ? Laisser entendre que l’élimination d’un enfant est une liberté relève d’un raisonnement controuvé. Ce ne sont pas les distinguos qui se veulent subtils entre eugénisme individuel et eugénisme collectif qui changent la donne, puisque le développement de l’eugénisme dit « individuel » relève d’une décision collective. Ainsi, on a osé écrire qu’un fœtus atteint de trisomie 21 peut légitimement bénéficier d’une interruption médicale de grossesse. On se demande où est le bénéfice pour le fœtus concerné !

On a donc un groupe sélectionné sur la base du génome de ses membres ; ceux-ci font l’objet d’atteintes à la vie de nature à entraîner la destruction partielle ou totale de leur groupe. Cela se fait sur la base d’un plan concerté : analyse coût-bénéfice, stratégie de dépistage, objectifs de performance et de qualité, moyens de financement. Je n’ose imaginer comment on aurait appelé cela en d’autres lieux et en d’autres temps. L’article 211–1 du code pénal apportera peut-être la réponse ...

D’aucuns objectent que cela conduit à la remise en cause de la loi Veil. Quoi que, les uns et les autres, nous pensions sur le sujet, ce n’est pas ce qui est en cause. En effet, la loi Veil n’a jamais dit que l’enfant à naître n’était ni un être humain ni une personne pour l’excellente raison qu’aucune loi ne peut le proclamer. On peut même dire que la loi autorisant l’avortement est bien la preuve que l’enfant à naître est une personne, sans quoi il n’y aurait pas eu besoin d’une loi pour y porter atteinte.

Le texte proposé n’apportant pas de modification sur le fond de cette question, je ne pourrai évidemment pas modifier la position que j’avais adoptée voilà sept ans.

Enfin, informer toutes les femmes est pervers, puisque l’on crée chez la très grande majorité d’entre elles une anxiété inutile. On voit ainsi des parents traumatisés et culpabilisés après qu’on leur eut imposé brutalement de choisir entre la charge d’un enfant trisomique ou d’avoir un avortement sur la conscience.

Cette question suffit à elle seule pour que je vote contre l’ensemble du texte. Ce projet de loi fourre-tout n’est que le symbole d’une époque déboussolée, d’une société qui n’a plus de repères. Il est loin de remplir la mission de la loi, qui est de protéger les personnes et de défendre l’égalité de tous en droit et en dignité. En effet, il oublie que toute vie est un trésor.

Pour conclure, je dirai que la qualité d’une société ou d’une civilisation se mesure au respect qu’elle manifeste envers les plus faibles de ses membres. Une société techniquement parfaite dans laquelle seuls sont admis les membres pleinement productifs devrait être totalement indigne de l’homme, pervertie par une sorte de discrimination non moins condamnable que la discrimination raciale. (Applaudissements sur quelques travées de lUMP et de lUnion centriste.)

M. Jean-Louis Carrère. Vous applaudissez ? Avez-vous vraiment bien écouté ce qu’il a dit ? (M. Roland Courteau renchérit.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.

M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat, dans son ensemble, est de très haute tenue, même si je ne partage pas tout ce qui vient d’être dit.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Jacques Blanc. Il démontre que nous sommes capables de dépasser nos positions partisanes, de respecter le point de vue de chacun.

Nous avons abordé ces sujets avec modestie et aussi, oserais-je le dire, avec un peu d’angoisse. Le médecin que je suis sait en effet combien il est important pour le malade d’obtenir des réponses, il connaît la douleur des couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfant. Je sais aussi, parce que je l’ai appris lorsque j’exerçais en tant que neuropsychiatre dans un établissement prenant en charge les enfants handicapés, quelles peuvent être les espérances de ces enfants.

Voilà pourquoi il faut permettre à la science d’avancer. Mais la science n’est pas une divinité ; elle apporte des réponses à des problèmes quotidiens.

Si nous sommes demandeurs de progrès scientifiques, nous savons aussi que ceux-ci peuvent déboucher sur des situations inacceptables. Il nous appartient donc de rappeler un certain nombre de principes éthiques.

Je salue d’ailleurs le très bon équilibre que vous avez su trouver, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, même si je ne suis pas d’accord sur tous les points. Ainsi, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’avant-propos du rapport, qui précise que « [...] le débat, en matière bioéthique, ne permet pas et ne permettra jamais l’émergence d’un réel consensus : […], il a pour but de soulever un perpétuel questionnement, […], plus que de fournir des réponses définitives ».

Le propre de notre démocratie est de nous permettre de nous retrouver. C’est pourquoi je n’intente de procès à personne : je sais que nous avons tous les mêmes exigences de protection de la dignité des personnes et des droits de l’enfant – principes que nous sommes déterminés à faire respecter – et que nous sommes également tous confrontés à des situations qui posent question. En tant que législateurs, il nous appartient donc aujourd'hui d’avancer, comme nous avait fortement permis de le faire en 2004 – vous étiez alors Premier ministre, monsieur le président – M. Jean-François Mattei, à qui je tiens ici à rendre hommage.

Il était bon de prévoir un rendez-vous tous les cinq ans – nous avons un peu dépassé le délai – afin de nous permettre de faire le point. L’objectif était non pas de remettre en cause les fondements de notre éthique, mais de répondre à des situations nouvelles. L’intérêt d’un tel rendez-vous a été démontré. Dès lors, pourquoi ne pas en fixer un nouveau dans cinq ans ?

Monsieur le rapporteur, vous l’avez vous-même indiqué, la situation pourrait évoluer d’ici à deux ou trois ans, par exemple en ce qui concerne la vitrification ovocytaire. À cet égard, j’indique que je souhaite que ce procédé se développe, tant dans le public que dans le privé, car il rendra possible, au lieu de constituer des stocks d’embryons congelés destinés à être éventuellement réimplantés par la suite, de ne congeler que des gamètes. Cela permettra de ne procéder à la fécondation qu’au moment opportun et limitera, de ce fait, le nombre d’embryons congelés.

Lorsque j’étais président du conseil régional du Languedoc-Roussillon – pardonnez-moi de me citer –, j’ai lancé à Montpellier le premier centre de biothérapie cellulaire. Je sais les réponses que cette technique peut apporter – les recherches ne sont pas exclusivement effectuées sur des cellules embryonnaires – …