compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

M. François Fortassin.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

3

 
Dossier législatif : proposition de résolution présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, relative à la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg
Discussion générale (fin)

Sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg

Adoption d'une proposition de résolution

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de résolution relative à la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Roland Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 358).

Dans le débat, la parole est à M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution.

M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 mars dernier, les parlementaires européens ont voté l’amendement dit « Fox », du nom du député européen britannique Ashley Fox, amendement ramenant, de fait, de douze à onze le nombre de sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg pour les années 2012 et 2013.

Cet amendement vise à positionner deux périodes de session de deux jours chacune sur une même semaine, aux mois d’octobre 2012 et 2013, en lieu et place des deux sessions de quatre jours prévues initialement au cours de ce mois.

Depuis plusieurs années – vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues –, certains lobbies, emmenés par les plus eurosceptiques des députés européens, s’évertuent à vider de leur contenu les sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg. Le bien-nommé amendement Fox, adopté à la faveur d’un vote à bulletin secret, procédure très rarement utilisée, entre dans cette même logique. Il s’agit là d’une nouvelle attaque visant à remettre en cause le siège du Parlement européen à Strasbourg.

La souveraineté du Parlement européen dans l’organisation de ses sessions ne peut évidemment pas être contestée. En revanche, je regrette l’état d’esprit qui prévaut à ces réorganisations et, surtout, le non-respect manifeste des traités qui, sur ce point, sont sans équivoque : « le Parlement européen a son siège à Strasbourg où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. » À cet égard, le Gouvernement français, par la voix de M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes, a d’ailleurs clairement fait part, le 14 mars dernier, de son intention de saisir une nouvelle fois la Cour de justice de l’Union européenne, afin de contester la légalité de la décision prise par le Parlement européen.

En outre, la mise en place de deux sessions de deux jours sur une même semaine, alors que toutes les autres sessions plénières se déroulent mensuellement sur une période de quatre jours, contrevient sans nul doute au « rythme régulier » auquel le Parlement européen devrait tenir ses sessions.

Je rappelle en ce sens l’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 1er octobre 1997, arrêt qui a en effet annulé, à la demande de la République française, soutenue devant la cour par le Grand-Duché de Luxembourg – cela sera encore le cas cette fois –, la délibération du Parlement européen du 20 septembre 1995 fixant déjà à onze le nombre de sessions plénières devant avoir lieu à Strasbourg pour l’année 1996. À l’appui de cette décision, l’arrêt mentionnait que « le siège du Parlement est le lieu où doivent être tenues, à un rythme régulier, douze périodes de sessions plénières ordinaires de cette institution ». Il précisait également que « des périodes de sessions plénières additionnelles ne peuvent donc être fixées dans un autre lieu de travail que si le Parlement tient les douze périodes de sessions plénières ordinaires à Strasbourg, lieu du siège de l’institution ». La cour a ajouté par ailleurs qu’« il est cependant constant entre les parties que les périodes de sessions plénières s’étendant d’un lundi à un vendredi se tiennent à Strasbourg ».

Le vote de l’amendement Fox va donc très clairement à l’encontre de la jurisprudence communautaire. Il est également dommageable aux intérêts de l’institution et, plus généralement, de l’Union européenne dans son ensemble. En effet, alors que les pouvoirs du Parlement européen se sont accrus au fil des traités successifs et que le travail parlementaire est devenu sans cesse plus dense, les calendriers, tels qu’ils ont été votés, mettent à mal l’ambition démocratique de l’institution.

Cibler en permanence le siège de Strasbourg, c’est remettre en cause l’équilibre institutionnel de l’Union européenne. En effet, une Europe centralisée serait contraire au principe même d’une Europe « unie dans sa diversité », devise, je vous le rappelle, de l’Union européenne. L’Europe est polycentrique. L’Union a fait le choix de déconcentrer ses centres de décision, afin d’être incarnée dans différents États membres.

Vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, Strasbourg tire sa légitimité non seulement du droit, mais surtout de l’Histoire. Le cœur de l’Europe s’est mis à battre à Strasbourg le 10 août 1949, lors de la session constitutive du Conseil de l’Europe. Moins d’un an après, le 9 mai 1950, Robert Schuman y a prononcé sa fameuse déclaration, qui deviendra le véritable acte de naissance de l’Europe communautaire.

Le choix de la localisation du Parlement européen à Strasbourg est donc loin d’être le fruit du hasard. La construction de l’Europe s’est fondée sur le dépassement des conflits historiques et, plus singulièrement, sur la réconciliation franco-allemande, dont Strasbourg est à l’évidence le symbole. Siège de la première organisation paneuropéenne créée par les gouvernements au sortir de la guerre, à savoir le Conseil de l’Europe, Strasbourg a conscience des responsabilités qui lui incombent dans la mise en œuvre du projet de construction d’une Europe unie autour des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme.

La construction européenne s’est développée sur le principe de trois villes hôtes d’institutions, jouant chacune un rôle spécifique, nécessaire et indispensable. Aux côtés de Bruxelles et Luxembourg, qui incarnent respectivement le pouvoir exécutif et judiciaire de l’Union européenne, Strasbourg est le siège du pouvoir législatif. La ville est par ailleurs – faut-il le rappeler ? – le symbole historique de l’humanisme, de la démocratie, de la paix, des droits de l’homme et des citoyens. Elle est ainsi le siège de plusieurs institutions qui incarnent ces valeurs : le Conseil de l’Europe, dont la mission est de promouvoir la démocratie, de protéger les droits de l’homme et l’État de droit en Europe ; la Cour européenne des droits de l’homme, le Médiateur européen et, enfin, le Parlement européen. Il s’agit donc non pas d’opposer ces trois capitales – Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg –, mais bien de les associer dans une perspective de complémentarité.

D’ailleurs, dans cette lignée, le conseil municipal de Strasbourg a acté la création prochaine d’un « Lieu d’Europe », qui aura pour mission principale de faire découvrir l’Europe aux citoyens et de renforcer leur sentiment d’appartenance à un ensemble géographique et politique large.

Nous avons également noué avec le Parlement européen un partenariat qui se décline à travers maintes actions conjointes, la plus emblématique étant sans aucun doute le prix Sakharov, remis chaque année par le Parlement européen. Je pense aussi à la Fête de l’Europe ou aux journées portes ouvertes. Nous entendons approfondir encore ce partenariat, qui pourra peut-être se concrétiser par une convention, à l’instar de celle qui a été conclue entre la ville de Strasbourg et le Conseil de l’Europe en mai 2010.

À l’heure où les peuples se soulèvent au nom des valeurs que je viens d’évoquer et où les Européens ont besoin de repères forts pour traverser la crise qui les accable, le rayonnement européen et international de Strasbourg contribue pleinement à celui de la France. « Strasbourg, capitale européenne » n’est donc pas un simple enjeu municipal. C’est une cause nationale, qui nécessite l’engagement ferme et résolu, dans la durée, de toutes les autorités de l’État.

C’est la raison pour laquelle je souhaite voir aujourd’hui l’ensemble des groupes parlementaires du Sénat soutenir cette proposition de résolution, qui « demande […] aux institutions européennes et notamment au Conseil d’empêcher toute remise en cause de la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg ».

Cette proposition de résolution ayant été reprise par le député Armand Jung et déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, j’espère voir acter une position nationale ferme et forte sur cette question par l’ensemble du Parlement.

Pour répondre aux arguments avancés par ceux qui sont opposés à ce que le Parlement européen siège à Strasbourg, je prendrai la liberté de rappeler certains éléments.

En matière d’accessibilité, outre les actions qui devraient être menées dans le cadre du prochain contrat triennal, j’ai invité, lors de la réunion annuelle des trois capitales européennes en juin 2010, les bourgmestres de Bruxelles et de Luxembourg à répondre de concert à la consultation de la Commission européenne sur les grands projets d’infrastructure visant à la constitution d’un vaste réseau transeuropéen de transport. Ainsi, dans une déclaration commune en date du 10 septembre 2010, nous avons appelé à la réalisation rapide du projet Eurocaprail, soulignant son « intérêt prioritaire » pour « améliorer la qualité, la performance et la fréquence des liaisons ferroviaires » entre nos trois villes, sièges d’institutions européennes.

À cet égard, je tiens à vous informer que, dès la session que le Parlement européen tiendra la semaine prochaine, un second train Thalys sera mis en service, à neuf minutes d’intervalle avec le premier, pour relier Strasbourg et Bruxelles via Paris.

Les conditions de l’hébergement hôtelier à Strasbourg inspirent aux députés qui militent en faveur d’une localisation du Parlement européen à Bruxelles l’un de leurs principaux arguments : ces députés arguent en effet de l’augmentation des tarifs pendant les sessions, hors de proportion selon eux et conduisant au dépassement des plafonds autorisés dans le cadre du per diem. D’autres arguments relèvent de la même critique.

Cette situation révèle l’état de mécontentement dans lequel se trouvent aujourd’hui l’administration et les personnels du Parlement européen, ainsi que celui des députés eux-mêmes.

Afin de remédier à cela, nous avons décidé de réunir ce mois-ci les hôteliers strasbourgeois en vue d’améliorer la qualité de l’offre d’hébergement. À cette occasion, le projet d’une charte des hôteliers sera relancé.

Strasbourg a pour elle le droit et l’histoire, ainsi que le rôle essentiel de complémentarité dont j’ai parlé.

Je crois cependant, monsieur le ministre, que le moment est venu d’être plus offensif face à ces provocations, pour défendre la présence du Parlement européen sur notre territoire.

En 2008 à Copenhague, M. le Premier ministre François Fillon avait vivement et clairement défendu le statut de Strasbourg en tant que capitale parlementaire de l’Union européenne. Répondant à un journaliste qui l’interrogeait sur les dépenses supplémentaires et la trace carbone résultant de ses voyages entre Bruxelles et Strasbourg, il avait déclaré ceci : « si on ne veut pas déplacer autant de personnes, c’est très simple : il suffit de faire siéger le Parlement européen à Strasbourg de manière définitive ! »

M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Il avait raison !

M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. À ce moment-là, il avait, je crois, indiqué clairement la voie : si l’on s’interroge sur le coût de ces déplacements, il faut aller jusqu’au bout de l’esprit des traités en faisant se réunir à Strasbourg l’administration, les commissions et les groupes politiques du Parlement européen ; on pourra alors faire l’économie de ces déplacements.

Il faut donc pousser à l’engagement de discussions devant aboutir à l’implantation de tous les services du Parlement européen à Strasbourg.

Depuis 1980, dans le cadre du contrat triennal « Strasbourg, capitale européenne », la ville et la communauté urbaine de Strasbourg se sont engagées, aux côtés de l’État, de la région Alsace et du département du Bas-Rhin, à améliorer l’attractivité internationale de la métropole alsacienne, dans un esprit de large partenariat et de concertation.

Au titre du contrat triennal 2009-2011, une étude stratégique sur le renforcement du rôle européen de Strasbourg avait été lancée. Elle a aujourd’hui rendu ses conclusions.

J’attire d’ailleurs régulièrement l’attention des ministres successifs en charge des affaires étrangères et européennes sur l’enjeu – enjeu national, je le répète – que représente le statut européen de Strasbourg, ainsi que sur la nécessité d’une réaction concertée des autorités nationales et locales.

Aujourd’hui, plus que jamais, Strasbourg doit pouvoir compter sur la volonté et la détermination du Gouvernement français, pour poursuivre l’amélioration de l’accessibilité de Strasbourg, ainsi que des conditions d’accueil des parlementaires, des fonctionnaires et des assistants.

C’est la raison pour laquelle, en tant que maire de Strasbourg et sur la base de la motion adoptée à l’unanimité par le conseil municipal le 21 mars dernier, j’ai demandé au Gouvernement de prendre une initiative forte visant à engager toutes les démarches nécessaires pour que Strasbourg devienne l’unique lieu de réunion et de travail du Parlement européen, et que, en conséquence, tous les services de celui-ci y soient implantés.

Il conviendra dans cette perspective, et dans le cadre de la négociation du prochain contrat triennal, portant sur la période 2012-2014, entre l’État et les collectivités locales alsaciennes, de prendre la mesure des efforts qui restent à accomplir en vue non seulement de renforcer l’accessibilité de Strasbourg, mais, plus globalement, de conforter la vocation européenne et internationale de cette ville.

La ville de Strasbourg, pour sa part, a déjà pris les mesures nécessaires pour permettre l’accueil des activités du Parlement européen. C’est ainsi que nous allons réaliser, à proximité immédiate du Parlement, un quartier d’affaires international établi sur 12 hectares, dont une réserve foncière de 35 000 mètres carrés destinée aux institutions européennes.

Il s’agit de répondre à la double ambition, d’une part, de fournir au Parlement européen les moyens de l’implantation complète à Strasbourg de tous les services concourant à sa fonction de siège et, d’autre part, d’accueillir au même endroit des implantations internationales relevant des fonctions tertiaires supérieures, autour d’un parc des expositions modernisé et d’un palais des congrès rénové qui dotera le centre-ville de Strasbourg d’une structure apte à accueillir des rencontres internationales de haut niveau, comme, en avril 2009, le sommet de l’OTAN.

Le développement économique induit par ces investissements, pour la ville et son agglomération, permettra aussi de lisser tout au long de l’année l’activité hôtelière, et, par voie de conséquence – je l’espère, du moins – les prix pratiqués.

En outre, l’École européenne ouverte en 2008, école dont les premiers bacheliers sortiront en 2014, dote Strasbourg d’une capacité d’accueil des fonctionnaires européens et de leurs familles. Une cité scolaire européenne verra prochainement le jour, à proximité des institutions européennes, sur un terrain mis à disposition par l’État.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, Strasbourg et la France offrent au siège du Parlement européen un environnement national et local stable. Loin de se laisser affaiblir par les attaques contre le siège du Parlement européen, Strasbourg entend au contraire en tirer parti pour pousser à l’engagement de discussions devant aboutir à l’implantation de tous les services du Parlement européen à Strasbourg.

Au fond, cette énième attaque contre Strasbourg doit pouvoir être retournée contre ses auteurs, de façon à mettre un terme à cette guerre qui dure depuis trop longtemps et à nous permettre d’aller au bout des logiques contenues dans les traités fondateurs de l’Union européenne.

C’est la raison pour laquelle je demande à l’ensemble des groupes parlementaires du Sénat de soutenir cette proposition de résolution, afin de nous permettre d’être plus forts dans cette bataille qui continue, mais dont j’espère pouvoir voir prochainement l’issue. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en avril 2009, à l’occasion du sommet de l’OTAN qui se tenait à Strasbourg, le président des Etats-Unis, Barack Obama, fit se lever l’assemblée en prononçant ces quelques mots, simples mais à la portée universelle : « Pendant plusieurs siècles, Strasbourg a été attaquée, occupée et disputée par les nations en guerre de ce continent ; aujourd’hui, dans cette ville, la présence du Parlement européen et du Conseil de l’Europe demeurent les symboles de l’Europe unie, en paix et libre. » Mes chers collègues, on ne peut mieux dire !

Ces propos cachent pourtant une polémique récurrente, de nature à menacer le destin profondément européen de la ville de Strasbourg. En effet, une « guerre des sièges » oppose depuis plusieurs années les partisans d’un maintien du Parlement européen à Strasbourg aux adeptes d’un siège unique situé à Bruxelles.

Le 9 mars dernier, à l’occasion de l’adoption du calendrier des périodes de session du Parlement européen pour les années 2012 et 2013, les députés européens ont adopté un amendement prévoyant que, sur les douze sessions plénières qui doivent se tenir chaque année à Strasbourg, deux auront lieu durant la même semaine du mois d’octobre.

Cet amendement a été approuvé par 58 % des votants, au cours d’un vote à bulletin secret. Déposé sur l’initiative d’un parlementaire européen britannique, il a été cosigné par 215 autres députés, et finalement voté par plus de 350 d’entre eux.

L’objectif de ce texte est de réduire au maximum les déplacements des élus, fonctionnaires et journalistes accrédités entre Bruxelles et Strasbourg.

Dans un rapport publié en février 2011, un autre eurodéputé britannique avait déjà relancé la polémique sur le double siège du Parlement européen à Bruxelles et Strasbourg, en pointant du doigt les inconvénients supposés du maintien d’un Parlement bicéphale.

Je conviens, mes chers collègues, que la transhumance parlementaire entre les villes capitales de l’Union puisse apparaître comme coûteuse, et pour le moins étrange, à l’opinion ; mais transférer définitivement l’intégralité de la vie parlementaire européenne à Bruxelles serait particulièrement mal perçu par les citoyens européens, la ville belge ayant la réputation tenace d’être synonyme de technocratie européenne.

Les pères fondateurs de l’Europe – les Schuman, Adenauer, de Gasperi ou Jean Monnet – auraient répondu négativement à l’affirmation selon laquelle Strasbourg serait un investissement trop onéreux pour l’Union.

Tout est question de mémoire. Il n’est pas permis d’oublier quand, comment et dans quelles conditions s’est construite l’Europe. Faut-il rappeler que, après les traumatismes provoqués par la Seconde Guerre mondiale, l’unité européenne méritait un lieu à la hauteur de ses enjeux ? Strasbourg fut la localisation idéale.

Qu’il me soit permis de citer un ancien ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, Ernest Bevin, qui, au moment du choix de Strasbourg comme capitale européenne en 1949, s’exprimait ainsi : « cette grande cité avait été témoin de la stupidité du genre humain, qui avait essayé de régler les affaires par la guerre, la cruauté et la destruction. L’Europe a gagné le droit de résoudre ses problèmes par des méthodes plus humaines et plus sensées. Nous avons pensé que Strasbourg était vraiment le lieu qui convenait pour développer ce grand effort dans une atmosphère de bonne volonté. »

Il serait bon de rappeler ces propos à quelques députés européens britanniques, qui privilégient le pragmatisme par rapport au symbole… Ce n’est jamais une bonne solution, surtout lorsqu’il s’agit de politique et de construction européenne.

Je crois également utile de rappeler que Strasbourg, en changeant quatre fois de nationalité en soixante-quinze ans, entre 1870 et 1945, est devenue la ville symbole de la réconciliation franco-allemande et, plus globalement, de l’unité européenne.

Le choix de la capitale alsacienne comme carrefour de l’Europe apparaît comme une évidence. J’associe tout particulièrement à mes propos le sénateur du Haut-Rhin Jean-Marie Bockel, mon collègue au sein du groupe RDSE qui n’a pas pu, comme il l’aurait souhaité, siéger ce matin parmi nous.

Le 25 juillet 1952, à l’occasion de l’entrée en vigueur du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, ou CECA, les ministres des affaires étrangères des États membres ont décidé que l’assemblée tiendrait sa première réunion à Strasbourg. La ville de Strasbourg a ensuite été désignée comme le siège du Parlement européen le 7 janvier 1958, au moment de l’entrée en vigueur des traités de Rome instituant respectivement la Communauté économique européenne, ou CEE, et la Communauté européenne de l’énergie atomique, ou CEEA.

Le 22 septembre 1977, au président du Parlement qui l’avait interrogé sur les problèmes de fonctionnement qui se poseraient au Parlement après l’élection de ses membres au suffrage universel et l’accroissement concomitant de leur nombre, le président du Conseil a répondu que les gouvernements des États membres confirmaient qu’il n’y avait pas lieu de modifier, ni en droit ni en fait, les dispositions en vigueur touchant aux lieux de travail de l’Assemblée.

Enfin, le 12 décembre 1992, le conseil européen d’Édimbourg a tranché de façon définitive la question des sièges des principales institutions communautaires. S’agissant du Parlement européen, la formulation ne laisse aucune place au doute : « le Parlement européen a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. » En dehors des sessions mensuelles, le Parlement européen peut organiser des sessions additionnelles consacrées à des sujets spécifiques, lesquelles ont lieu à Bruxelles.

Aujourd’hui, le protocole n° 6 sur la fixation des sièges des institutions, annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, confirme cette décision. De même, le règlement du Parlement européen mentionne, dans son article 135, que « le Parlement tient ses séances plénières et ses réunions de commission conformément aux conditions prévues par les traités. »

Quant à la Cour de justice, elle a confirmé, dans un arrêt du 1er octobre 1997, que le siège du Parlement était fixé conformément à l’article 289 du traité CE ; le contenu de cette décision a ensuite été intégré au traité d’Amsterdam, sous la forme d’un protocole annexé aux traités communautaires.

J’estime, mes chers collègues, que, aux côtés de l’Europe économique et financière installée à Bruxelles et Luxembourg, Strasbourg est le symbole de l’Europe de l’humanisme et de la démocratie, de l’Europe de la paix, des droits de l’homme et des citoyens, en un mot, de cette Europe politique qu’il nous faut construire chaque jour un peu plus.

Strasbourg est également le siège de plusieurs institutions incarnant les valeurs démocratiques qui nous sont si chères : le Conseil de l’Europe, dont la mission est de promouvoir la démocratie et de protéger les droits de l’homme et l’État de droit, la Cour européenne des droits de l’homme, le Médiateur européen et – c’est l’objet de notre débat – le Parlement européen. Aussi ne faut-il jamais oublier que Strasbourg symbolise l’inscription des générations futures dans l’identité européenne.

Prendre pour cible le siège de Strasbourg, c’est menacer tout l’équilibre institutionnel de l’Union européenne, qui n’a jamais fait le choix de la concentration des centres de décision dans un même lieu.

Depuis les prémices de la construction européenne, un consensus s’est toujours dégagé en faveur d’une conception polycentrique de l’Europe afin de respecter la diversité, la pleine participation de tous les États membres au bon fonctionnement des institutions et le souci de proximité avec les citoyens européens.

Par conséquent, les querelles incessantes sur le siège du Parlement européen à Strasbourg et les attaques croissantes visant à vider de leur contenu les sessions plénières se déroulant dans cette ville sont à regretter, et même à condamner, ce à quoi nous invite très clairement la proposition de résolution de notre collègue Roland Ries, lequel – faut-il le rappeler ? – est au demeurant maire de Strasbourg.

C’est pourquoi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe RDSE, tous profondément européens et tous profondément militants pour une Europe unie, forte et souveraine, voteront le texte de cette résolution et, plus encore, espèrent que celle-ci sera entendue, au-delà des frontières, par l’ensemble des vingt-sept pays membres de l’Union. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jadis portée aux nues, l’Union européenne paraît de plus en plus contestée par des citoyennes et des citoyens qui subissent, depuis trop longtemps déjà, des décisions aux conséquences bien souvent dramatiques.

Alors que l’Union européenne doit faire face à des crises successives, dans le déclenchement desquelles elle ne peut s’exonérer de toute responsabilité, que ce soient la crise financière qui touche l’Irlande, la crise économique, qui a nécessité la mise en place d’un plan de sauvetage pour la Grèce, ou encore la crise de légitimité démocratique, qui se concrétise par un regain des nationalismes dont l’exemple le plus récent est celui de la Finlande, cette Europe semble aujourd’hui plus encline à trancher des questions comme celle du siège du Parlement européen qu’à tenter d’apporter des réponses politiques fortes à ces situations.

Pour ma part, dans un contexte où la dignité des travailleuses et des travailleurs est sans cesse sacrifiée sur l’autel de la concurrence libre et non faussée, je considère le débat sur le siège du Parlement européen comme surréaliste.

Cette situation m’interpelle d’autant plus que, à l’heure où les députés européens voient leurs compétences étendues – le traité de Lisbonne leur a conféré plus de pouvoirs –, ces derniers décident, par eux-mêmes, et alors que les traités fondateurs de l’Union européenne fixent à douze le nombre de leurs sessions plénières, de réduire celui-ci en votant un amendement supprimant l’une des sessions plénières du mois d’octobre à Strasbourg.

Et, non contents de revoir à la baisse le nombre de leurs sessions plénières, certains eurodéputés souhaitent désormais déplacer le siège du Parlement de Strasbourg à Bruxelles.

Ils nient à l’évidence l’enjeu symbolique de Strasbourg comme siège du Parlement européen.

Ainsi, on a pu lire que « 91 % des membres du Parlement européen, députés et assistants, dont 28 % de Français, préféreraient Bruxelles à Strasbourg » comme siège du Parlement européen.

Les parlementaires européens auraient-ils décidé de privilégier leurs commodités personnelles à la dimension symbolique de Strasbourg ?