M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici au terme des débats sur le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. La commission mixte paritaire s’est réunie et un accord a été trouvé entre les deux chambres.

À cet instant, je voudrais saluer tout particulièrement l’implication de votre rapporteur, François-Noël Buffet. J’associe à ces remerciements le président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, qui a conduit les travaux de la commission avec l’autorité et la clairvoyance qui lui sont coutumières, ainsi que tous ceux d’entre vous qui ont participé aux débats.

Le texte qui est aujourd’hui soumis à votre vote est tourné, avant tout, vers l’efficacité : l’efficacité de notre politique d’éloignement des clandestins, bien sûr, mais aussi l’efficacité de notre politique d’intégration et d’accueil dans la nationalité, ainsi que l’efficacité de notre système d’asile, dont nous souhaitons réduire les délais procéduraux.

C’est un débat particulièrement dense qui s’achève aujourd’hui. Nous avons échangé pendant près de soixante-dix heures en séance publique sur ce projet de loi. Vous avez d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, largement contribué à son évolution et à son enrichissement. Vous avez pu, légitimement, faire valoir la sensibilité propre de la Haute Assemblée.

Sur bon nombre des points discutés en commission mixte paritaire, c’est finalement la rédaction du Sénat qui a été retenue. Je pense notamment aux dispositions sur les zones d’attente temporaires ou encore à la pénalisation des mariages avec tromperie sur l’intention matrimoniale.

Ces débats sont maintenant derrière nous. Après le temps de la délibération vient le temps de l’action. Les défis auxquels nous confronte l’actualité internationale, tout autant que la nécessité de transposer les directives communautaires, imposent que ce texte entre maintenant en vigueur.

La commission mixte paritaire est parvenue à un bon point d’équilibre. J’illustrerai cette appréciation en mentionnant les deux sujets qui ont suscité les débats les plus intenses.

Quelques mots, d’abord, concernant la réforme du contentieux de l’éloignement.

Cette réforme est nécessaire pour parvenir à une meilleure administration de la justice. Je veux à nouveau saluer la qualité des débats, d’abord au sein de la commission des lois, puis dans cet hémicycle, qui vous ont amenés à valider, en deuxième lecture, le principe de la réforme.

Restait une nuance sur les modalités de cette réforme : le débat sur un report de l’intervention du juge des libertés et de la détention à quatre jours ou à cinq jours a finalement été tranché en commission mixte paritaire. La solution retenue est proportionnée à l’objectif que nous nous sommes fixé.

Le second sujet est celui du titre de séjour « étrangers malades ».

Le projet de loi ne remet évidemment pas en cause ce titre de séjour ; au contraire, il vise à appliquer purement et simplement, à la lettre, la loi du 11 mai 1998 – j’insiste sur cette date : 1998 – relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, qui en fixe le principe.

Simplement, nous avons voulu éviter les effets d’une jurisprudence très récente du Conseil d’État qui impose la prise en compte, parmi les critères, du coût des traitements dans le pays d’origine. L’application concrète de cette jurisprudence pourrait donner lieu à des prises en charge indues par notre système de sécurité sociale.

Sur ce sujet, la commission mixte paritaire a adopté une rédaction équilibrée : celle-là même que vous avez vous-mêmes adoptée en deuxième lecture, sur l’initiative de votre rapporteur.

D’abord, elle clarifie le cadre juridique : le titre « étranger malade » peut être attribué en cas « d’absence » du traitement dans le pays d’origine.

Ensuite, elle introduit une souplesse en prévoyant que le préfet puisse prendre en compte des « circonstances humanitaires exceptionnelles » pour attribuer à l’étranger le titre même si les critères ne sont pas remplis, après avis d’un expert de la santé publique. Cette rédaction est donc à la fois claire, responsable et humaine.

D’ailleurs, ce dispositif ne remet pas en cause les directives données par le ministère de la santé depuis plusieurs années.

Dans une circulaire de la direction générale de la santé de 2005, confirmée en 2010, il est indiqué que « dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de dire que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour les porteurs d’une infection par le VIH ». Cette circulaire reste d’actualité. Les personnes atteintes de lourdes pathologies infectieuses, notamment le SIDA, auront ainsi toujours accès au titre « étranger malade » et continueront donc d’être accueillies et protégées par notre pays.

Tel qu’il est aujourd’hui proposé à votre approbation, le projet de loi apporte des améliorations concrètes et directement opérationnelles sur l’ensemble des volets de notre politique d’immigration.

En matière de nationalité, il conditionne la naturalisation à la signature d’une charte des droits et devoirs qui formalise l’engagement du nouveau citoyen français à respecter les valeurs de la République.

Dans le domaine de l’entrée et du séjour des étrangers, il facilite la création de zones d’attente temporaires pour traiter les situations où un groupe de migrants entre sur le territoire de manière inopinée, en dehors d’un point de passage frontalier.

En matière d’éloignement des clandestins, le projet de loi allonge de trente-deux à quarante-cinq jours la durée maximale de rétention administrative. Je souligne néanmoins que celle-ci reste malgré tout la plus courte d’Europe.

Nous avons prévu une exception pour les personnes condamnées pour des actes terroristes, lesquelles pourront être placées en rétention pour une durée maximale de six mois, en vue de leur expulsion.

Enfin, le projet de loi introduit plusieurs dispositions qui permettront de réduire la durée d’instruction des demandes d’asile. J’ai parfois entendu des critiques aux termes desquelles nous voulions limiter le droit d’asile. Mais c’est tout le contraire : en luttant efficacement contre les demandes abusives, nous améliorerons le traitement réservé aux personnes qui méritent réellement la protection de notre pays.

Ce matin même, le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés, que je rencontrais, me disait le prix qu’il attachait à une évolution des législations européennes dans ce sens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le texte aujourd’hui soumis à votre vote est un texte complet et équilibré. En assurant la transposition des directives, il permet à la France d’honorer ses engagements européens. Il nous donne les moyens de mener une politique d’immigration efficace et juste, conforme aux attentes de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus d’un an après son dépôt sur le bureau de l’Assemblée nationale, le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité nous revient donc en séance publique dans sa version adoptée par la commission mixte paritaire.

Il va sans dire, monsieur le ministre, que nous restons fermement opposés à l’ensemble des mesures contenues dans ce texte, d’autant que nous pensons que ce qui pose problème, ce n’est pas l’immigration : ce sont vos choix politiques.

Certes, la mesure élargissant la déchéance de la nationalité aux auteurs de crime contre des personnes dépositaires de l’autorité publique – « commandée » par le Président de la République, à Grenoble – n’a finalement pas été retenue. Cela démontre, s’il en était encore besoin, les limites des annonces « coup de poing » et autres déclarations incantatoires.

Certes, la remise en cause de l’acquisition automatique de la nationalité française à dix-huit ans n’a pas non plus été retenue. Toutefois, toutes les autres dispositions qui restreignent les droits des étrangers, que ceux-ci soient déjà entrés sur le territoire français ou ne le soient pas encore, sont bel et bien là : allongement de la durée de rétention, neutralisation du juge des libertés et de la détention au profit du juge administratif, création de zones d’attente « sac à dos » et, donc, remise en cause des droits des réfugiés, bannissement du territoire européen, etc.

Et je n’oublie pas le fameux article 17 ter, qui contient une disposition gravissime que je vous demande, mes chers collègues, de rejeter aujourd’hui afin d’éviter le pire demain.

D’abord, c’est une disposition dangereuse d’un point de vue humain puisque vous allez renvoyer dans leur pays des malades qui ne pourront pas s’y faire soigner, les exposant ainsi à la mort.

Ensuite, c’est une disposition dangereuse du point de vue de la santé publique parce que certaines personnes malades préféreront rester clandestinement en France, mais sans pouvoir se faire soigner.

Enfin, c’est une disposition dangereuse d’un point de vue idéologique, car elle accrédite l’idée selon laquelle les étrangers viennent en France pour profiter et abuser de notre système de santé.

Avons-nous au moins une notion du nombre de personnes concernées par cette disposition et de la somme que cela représente ?

Au delà, monsieur le ministre, je voudrais souligner le fait que votre texte, avant même son adoption définitive par le Parlement, est déjà dépassé, voire obsolète.

À tout le moins, vous en conviendrez, il est inadapté à la situation actuelle et, assurément, à celle de demain, le monde étant en perpétuel mouvement.

Chaque jour nous en apporte d’ailleurs une nouvelle illustration. Ainsi, les événements qui se sont produits au sud de la Méditerranée, entraînant des mouvements de populations, ont mis en exergue les limites, sur le plan européen comme sur le plan national, de la politique d’immigration et son échec à contenir les flux migratoires.

Alors qu’hier le printemps arabe et, en particulier, la « révolution de jasmin » étaient salués de par le monde, aujourd’hui, la donne a considérablement changé. Vous vous servez ainsi de l’arrivée d’un peu plus de 20 000 Tunisiens sur les côtes italiennes, dont plusieurs centaines se sont dirigées vers la France, pour effrayer les Français sur les dangers d’une invasion imminente.

La campagne de dénigrement dont sont l’objet ces migrants illustre bien cette volonté.

Pour notre part, nous condamnons avec la plus grande fermeté l’instrumentalisation idéologique et politique que vous faites de cette situation à des fins électoralistes.

Les migrants sont en effet très stigmatisés : on les montre arrivant sur des bateaux surchargés, on les montre en train de se faire arrêter ou déloger d’un abri de fortune.

Même le terme « clandestins », employé pour désigner en réalité des migrants, des exilés, des réfugiés, n’est pas anodin et a pour seul et unique but de faire peur.

Ces « migrants », en l’occurrence des Tunisiens que d’aucuns aimeraient bien remettre dans des bateaux de fortune, dussent-ils y perdre la vie, ont quitté leur pays, qui se retrouve aujourd’hui dans une situation économique et sociale désastreuse, où le chômage augmente et le tourisme diminue.

Ces exilés, pour la plupart des hommes, jeunes, viennent en Europe, et notamment en France, avec laquelle ils ont des liens forts, chercher une certaine stabilité qui n’existe pas encore en Tunisie.

Et l’on nous dit que la France et, au delà, l’Europe ne pourraient pas accueillir ces migrants ?

Faut-il préciser que le sud de la Tunisie accueille pour sa part des centaines de milliers de réfugiés – on parle de 300 000 déplacés – de toutes nationalités en provenance de Libye ?

La solidarité qui existe dans les pays émergents du Sud serait donc impossible dans les pays riches du Nord ?

Qu’est-ce que 20 000 personnes au regard des 100 000 étrangers que la France accueille chaque année légalement ou encore par rapport au déficit démographique des pays vieillissants membres de l’Union européenne ?

Les révolutions arabes ont mis en lumière les limites de la politique européenne d’immigration. C’est à se demander où est la cohérence européenne en matière d’immigration ! C’est à se demander où est passé le pacte européen sur l’immigration et l’asile dont Nicolas Sarkozy était si fier en 2008 !

Quid, aussi, des accords de gestion concertée ?

À présent, il est même question de revoir les accords de Schengen, comme si l’on cherchait à mettre en place un espace européen à deux vitesses. Ce n’est pas sans nous rappeler, évidemment, la question de la circulation des Roms au sein de l’Union européenne.

Nous voyons dans tout cela un aveu de faiblesse de l’Union européenne, qui n’arrive pas à faire face à la situation, encore moins au manque de solidarité entre États membres. La France et l’Italie doivent, en l’occurrence, cesser de se renvoyer les Tunisiens comme s’il s’agissait d’une partie de ping-pong.

Vous voulez une Europe « ouverte », mais avec un filtre ! Nous appelons cela une « Europe forteresse à deux vitesses » !

Cette position vous permet, une fois n’est pas coutume, d’attirer vers vous les électeurs du Front national, lequel est très favorable à la sortie de Schengen. Vous jouez vraiment avec le feu, en cette période préélectorale ! Arrêtez d’aller piocher vos idées dans le programme du Front national ! En annonçant récemment l’arrêt de l’immigration légale de travail, vous êtes en état de récidive !

Après les expulsions des Roms au cours de l’été 2010, lesquelles ont défrayé la chronique, le gouvernement de la France, « terre des droits de l’homme », s’illustre à présent en déployant une panoplie de réponses inadaptées, discriminatoires et répressives à l’encontre des Tunisiens : interventions policières, placements en garde à vue et en centre de rétention, blocage des trains en provenance de l’Italie et réadmissions vers ce pays.

Cette réponse sécuritaire à une situation humaine est inacceptable.

Ce que vous ne dites pas trop fort, c’est qu’auparavant la Tunisie de M. Ben Ali comme la Libye de M. Kadhafi jouaient les gardes-frontières pour le compte de l’Europe et retenaient les candidats à l’émigration. Aujourd’hui, c’est fini ! La nouvelle démocratie tunisienne refuse de jouer les gendarmes aux portes de l’Europe, ce qui explique les récentes migrations. Quant à la Libye, point de passage où transitent près de deux millions de personnes chaque année en direction de l’Italie, si elle a longtemps sécurisé ses frontières en contrepartie d’aides financières, la rébellion soutenue par l’Europe a quelque peu modifié les modalités de cette coopération.

Cette situation montre une fois encore les limites des accords de gestion signés avec les pays d’émigration, accords qui traduisent en fait une sorte de chantage : aide au développement et possibilités de migration légale en échange de contrôles des flux migratoires depuis les pays de départ et de transit et de réadmissions facilitées pour les personnes expulsées.

Quel est le coût réel de tels accords ? Pour quelle efficacité ?

Plus globalement, c’est l’ensemble de la politique d’immigration menée en Europe et déclinée dans les États membres qui coûte très cher : en vies humaines, d’abord, avec les nombreuses personnes qui meurent durant les traversées en mer ; sur le plan financier, ensuite, compte tenu des coûts engendrés par les centres de rétention et les zones d’attente, les renvois à la frontière, les arrestations, les gardes à vue, alors qu’il n’y a pas de laissez-passer consulaires.... Cet argent pourrait être utilisé pour mettre en place une autre politique d’immigration, qui coûterait moins cher et aurait certainement plus de sens.

Il faut savoir que, loin des idées reçues, et largement relayées dans l’opinion publique, les immigrés rapportent beaucoup plus à l’économie qu’ils ne coûtent. Ils auraient même joué un rôle d’amortisseurs sociaux pendant la crise.

Comme je l’avais indiqué lors de notre dernier débat sur ce sujet, une étude de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, portant sur les coûts de l’immigration pour l’économie nationale, confirme par exemple que 12,4 milliards d’euros sont entrés en 2009 dans les caisses de l’État grâce à l’immigration. Cette étude confirme aussi que, loin de « voler les emplois des Français », les immigrés occupent pour une grande majorité des emplois dont les Français ne veulent pas.

Malgré cela, vous persistez à présenter l’immigration comme un problème, jamais comme une richesse, un apport, une chance.

Il est pourtant possible d’engager une autre politique de l’immigration, une autre politique d’aide au développement économique et social, une autre politique de solidarité et de protection des personnes. C’est possible, et ce serait sûrement moins coûteux que votre politique répressive en la matière qui, de surcroît, ne sert à rien !

Tant qu’il y aura des écarts considérables de richesse entre le Nord et le Sud, la fermeture des frontières restera un non-sens. Mais l’on sait aussi aujourd’hui que l’élévation du niveau de vie dans les pays du Sud, loin d’arrêter les migrations, a tendance à les favoriser.

Les migrations, on le voit, sont inéluctables. On ne peut pas – c’est un fait ! – empêcher les gens de se déplacer, qu’ils y soient contraints ou non.

À la lumière de ces observations, nous rejetons en bloc votre « politique d’expulsion et de rejet d’autrui », qui devrait d’ailleurs être le véritable intitulé de votre projet de loi, contre lequel nous voterons.

Nous demandons le retrait de ce texte ainsi que la remise à plat de la politique de l’immigration sur le plan national et à l’échelon européen.

Je ne peux conclure mon intervention sans évoquer la décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 avril dernier qui, s’appuyant sur la directive Retour, dont nous examinons précisément la transposition, rend désormais illégale l’incarcération des sans-papiers au seul motif de leur séjour irrégulier.

À cet égard, il est utile de préciser que la cour d’appel de Nîmes vient, dans une récente décision, de se conformer à l’arrêt de la Cour de justice en annulant la garde à vue d’un ressortissant tchétchène. Les cours d’appel de Rennes et de Toulouse ont également pris des décisions allant dans ce sens.

Ces décisions vont bien évidemment à l’encontre de votre politique d’immigration, qui se fonde essentiellement sur des objectifs chiffrés en matière d’expulsions du territoire et, donc, sur l’enfermement des étrangers. Elles sont, à nos yeux, un premier pas vers la dépénalisation du séjour irrégulier ainsi que de l’aide au séjour irrégulier, que nous demandons depuis longtemps.

Monsieur le ministre, envisagez-vous de tirer les conséquences sur le plan national de cette décision européenne, qui s’impose, me semble-t-il, à tous les États membres ?

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici parvenus à l’étape finale de l’examen de ce texte qui nous a occupés par intermittence pendant cinq longs mois.

Cela ne vous surprendra pas, le texte de la commission mixte paritaire ne nous satisfait nullement puisqu’il confirme les reculs du droit des étrangers que nous avions condamnés et constitue une atteinte aux valeurs que nous défendons.

Ce recul se manifeste de trois manières : une considérable régression du droit ; une négation des valeurs humanistes de notre République ; enfin, une réelle détérioration de la situation et de l’image des étrangers.

Pour se convaincre qu’il y a bien régression du droit, il suffit de relire les articles 30 et 37, qui allongent le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention. Le Sénat avait proposé un compromis tendant à porter à quatre jours, au lieu des quarante-huit heures actuelles, le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention qui statue sur la légalité d’un placement en rétention. Nous estimions que quatre jours constituaient déjà une durée bien trop longue pour être conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Avec cinq jours, à l’évidence, c’est encore bien pire !

Depuis la décision du 9 janvier 1980, le Conseil constitutionnel a, avec constance, considéré que « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ».

Allonger la durée d’intervention du juge ne saurait constituer un respect de cette exigence. Pis, si l’allongement lui-même constitue déjà une entorse sérieuse, lorsque l’on observe la manière dont se déroulent ces procédures, on constate que ce recul peut être encore plus net. Dans la majorité des cas, la décision préfectorale de placement en rétention intervient après une période de garde à vue. Ce n’est donc pas pour une durée de cinq jours que les étrangers sont privés de recours devant un juge de siège, mais bien pendant six ou sept jours.

Vous le savez, mes chers collègues, le Conseil constitutionnel a déjà statué sur les périodes de sept jours. Quel intérêt voyez-vous à ce que son avis soit à nouveau sollicité sur ce point ? Faut-il en déduire que votre texte relève strictement de la communication politique ?

Le Conseil constitutionnel tient à ce que le délai soit le plus court possible. En la matière, les faits parlent d’eux-mêmes : quarante-huit heures, c’est plus court que cinq jours ; a fortiori, en allongeant la durée maximale de rétention de trente-deux à quarante-cinq jours, vous organisez un nouveau recul du droit des personnes.

Il est peu probable que le Conseil constitutionnel valide deux reculs simultanés portant une telle atteinte à la liberté, droit sacré s’il en est, garanti par notre Constitution.

La jurisprudence montre que le délai de quarante-huit heures a acquis un statut quasi constitutionnel. Ainsi, dans une décision du 20 janvier 1981, le Conseil constitutionnel avait estimé qu’au-delà de quarante-huit heures, « l’intervention d’un magistrat du siège pour autoriser la prolongation de la garde à vue est nécessaire, conformément aux dispositions de l’article 66 de la Constitution ». On ne saurait être plus clair ! Si la rétention n’est pas une garde à vue au sens strict, elle n’en constitue pas moins une privation de liberté. À ce titre, il y a fort à parier que la jurisprudence du Conseil s’appliquera.

Vous avez eu recours à deux arguments pour appuyer cet allongement. Le premier est clairement affirmé à la page 249 du rapport no 2814 de la commission des lois de l’Assemblée nationale : le juge des libertés et de la détention est un empêcheur d’expulser en rond parce qu’il a le malheur de vouloir faire respecter l’état de droit. Voilà qui est parfaitement explicite !

Nous doutons que le Conseil constitutionnel sera sensible à une proposition qui affiche clairement la volonté de contourner l’état de droit au nom de l’efficacité de la politique migratoire.

La majorité estime par ailleurs que les procédures actuelles sont trop enchevêtrées et que cela nuit à la bonne administration de la justice, qui est un objectif à valeur constitutionnelle.

Or, d’une part, il n’est pas certain que porter atteinte aux droits de l’homme puisse servir de caution au respect d’un objectif à valeur constitutionnelle et, d’autre part, je cherche en quoi le recours au juge des libertés et de la détention dans un délai de quarante-huit heures a rendu la bonne administration de la justice impossible. Vous ne nous l’avez pas démontré, et j’aurais même plutôt tendance à croire, lorsque je considère votre premier argument, que vous avez prouvé le contraire. Le juge des libertés et de la détention applique correctement le droit en vigueur et met un terme à de nombreuses mesures d’expulsion.

Ce n’est donc pas la justice qui fonctionne mal, c’est votre politique migratoire qui est entravée. Il est impensable que la réalisation de 25 000 expulsions par an soit un objectif à valeur constitutionnelle.

Il est d’ailleurs à craindre, comme le soulignent les syndicats de magistrats, que l’allongement du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention ne provoque un surcroît de procédures pour les juges administratifs, qui ne pourront y faire face à effectif constant. Les délais de jugement risquent alors de s’allonger. Je doute que l’on puisse parler de bonne administration de la justice quand les juges ne peuvent juger dans de bonnes conditions.

En conséquence, nous saisirons le Conseil constitutionnel sur ce point très précis pour avoir son avis. Nous ne pouvons, en l’occurrence, que regretter votre entêtement.

Régression des droits, aussi, au travers de l’article 73, qui s’inscrit pourtant en porte-à-faux par rapport à une jurisprudence récente de la Cour de justice de l’Union européenne que vient d’évoquer Mme Assassi. La Cour a été claire : la directive Retour vise à limiter au maximum les mesures coercitives de privation de liberté au titre d’un séjour irrégulier.

Vous affirmez vouloir transposer cette directive, mais vous en contredisez l’esprit au travers de l’article 73 : vous punissez de trois ans d’emprisonnement un étranger qui se soustrait à une OQTF, vous violez l’esprit de la directive Retour tel que l’interprète la Cour. On se serait attendu à une modification de cet article pour respecter sa jurisprudence ; au contraire, vous bravez la Cour : une fois encore, vous sortez de l’état de droit et faites plus de mal à la légalité de l’État qu’autre chose.

Le deuxième recul se manifeste dans la négation des valeurs de la République. Je pense notamment à l’article 17 ter qui consacre une atteinte aux droits des étrangers malades, foulant au pied la juste politique d’accueil de notre République. L’amendement de notre rapporteur, présenté comme un compromis, a été validé en commission mixte paritaire. Pourtant, nous nous sommes d’emblée élevés contre ce projet en présentant des arguments non contestables. Nous considérons non seulement que cela ne résout rien sur le fond, mais aussi que cela constitue une brimade supplémentaire sur la forme.

Vouloir remplacer la constatation de l’accessibilité effective des soins par celle de leur simple absence est une condamnation des étrangers. Les traitements sont toujours présents dans les hôpitaux riches des pays en développement ; cela ne signifie pas qu’ils soient disponibles... C’est une condamnation à mort pour beaucoup de ceux qui devront retourner dans leur pays d’origine : dans le monde, 60 % des individus qui vivent avec le VIH n’ont pas accès à un traitement et 25 % des morts par tuberculose pourraient être évitées. C’est aussi une condamnation à la clandestinité pour ceux qui resteront en France pour se faire soigner.

Il n’y a pas de tourisme médical. En moyenne, les étrangers malades demandant leur titre de séjour le font après six ans de présence sur notre territoire. Le tourisme médical est le fait des individus riches, pas celui des pauvres.

L’article 17 ter est également dangereux en termes de santé publique. Si les étrangers décident de rester en France pour se faire soigner malgré tout, ils basculent dans la précarité et la clandestinité. Ce faisant, ils renoncent à un traitement régulier, ils augmentent aussi les risques de contamination, de contagion, voire, dans certains cas, d’épidémie. Est-ce cela que nous souhaitons ?

À terme, c’est l’ensemble de la société qui risque d’être touché. Les conséquences seront alors autrement plus graves.

Les traitements contre certaines maladies sont un acte collectif de prévention : la société se protège ainsi. Si vous mettez à bas ces protections, vous nous faites courir un risque à tous.

Et vous ne contribuez pas, contrairement à ce que vous pouvez penser, à améliorer le financement de la santé publique, bien au contraire. Lorsqu’on est privé de soins, de manière assez logique, la maladie empire. En conséquence, il faut in fine mobiliser des moyens plus lourds pour la traiter, qu’il s’agisse des traitements eux-mêmes ou des modes d’intervention. À titre d’exemple, il y aura plus souvent recours aux urgences, qui coûtent plus cher que les médecins de ville.

Enfin, le titre de séjour « vie privée et familiale » permet de travailler. Si l’on diminue le nombre de ses titulaires et que les étrangers décident de rester clandestinement en France, ils seront pris en charge par l’aide médicale d’État, qui repose sur la solidarité nationale. En conséquence, cela coûtera, là encore, plus cher à la collectivité. Il s’agit donc d’une erreur en termes de gestion de nos finances publiques. Si l’argument humanitaire ne vous convainc pas, vous auriez pu, pensions-nous, être sensibles à l’argument financier.

La troisième marque de recul tient à la détérioration de la situation des étrangers. Je pense ici en particulier à l’article 21 ter, qui entérine la création de la nouvelle catégorie juridique qu’est le « mariage gris ».

Monsieur le ministre, si nous n’avons pas contesté l’existence possible de quelques cas, nous n’avons eu de cesse de dénoncer l’asymétrie d’une peine qui ne frappera que l’étranger, le conjoint français étant supposé de bonne foi. Nous avons également critiqué son caractère peu pratique, le juge étant souvent en peine de prouver une dissimulation.

Plus encore, nous estimons que cet article constitue une énième manière de présenter sous un jour passablement défavorable la présence d’étrangers dans notre pays.

La France était un pays d’accueil, généreux et ouvert. Vous en faites, et je le regrette, un État-citadelle, replié sur lui-même et sur une identité que vous mythifiez. Notre pays se renie à coup de lois successives, sans que puisse être établi le bilan des précédentes.

Les valeurs humanistes sont niées, dans les lois comme dans les actes. Que dire en effet devant ces Tunisiens que l’on rafle au moment de la distribution des repas ? Est-ce là cette République pour laquelle le peuple français s’est battu en des temps plus sombres ? Est-ce là ce que les Résistants ont voulu défendre au prix de leur existence ?

Certes, la France n’a pas vocation à accueillir toutes les souffrances de la planète, mais elle doit en prendre sa juste part. Je reste, moi, admirative devant la générosité des Tunisiens, qui, malgré tous leurs problèmes, savent accueillir, nourrir et réconforter les Libyens qui fuient un pays en guerre, alors que nous, Européens, dans un continent si riche, nous nous déshumanisons, nous nous desséchons…

Les socialistes sont porteurs d’une alternative : nous aurons une politique migratoire non contestable sur le plan des droits de l’homme, pragmatique et humaniste. Nous saurons également faire face aux crises, aux situations de conflit et aux problèmes qui pourront se poser, en nous adaptant à chaque contexte. Nous savons, nous, faire la différence entre le structurel, qui relève de la politique de cadrage, et le conjoncturel, qui relève de l’adaptation pragmatique et humaine.

Nous avons, par le passé, pu faire face à des afflux plus massifs et nous ne nous en portons pas plus mal. Comment pouvons-nous tourner le dos à ceux qui ont peur et qui souffrent ?

Le Président de la République a prononcé cette phrase au soir du 8 mai 2007: « Je veux lancer un appel à tous ceux qui dans le monde croient aux valeurs de tolérance, de liberté, de démocratie et d’humanisme, à tous ceux qui sont persécutés par les tyrannies et par les dictatures, à tous les enfants et à toutes les femmes martyrisés dans le monde pour leur dire que la France sera à leurs côtés, qu’ils peuvent compter sur elle. »

Aujourd’hui, votre majorité veut bien que la France soit à leurs côtés, mais de loin, de très loin, de très très loin…

Nous ne voterons pas ce sixième texte idéologique et contreproductif, et nous ne manquerons pas de saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il fasse respecter nos textes fondamentaux.