M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Aymeri de Montesquiou. Rendre cette assurance obligatoire en ferait baisser le coût en mutualisant les risques et constituerait donc une forme de péréquation. On peut espérer que le dispositif retenu par la LMAP permettra de tendre vers une amélioration de la situation.

Quels sont, à ce jour, les taux de pénétration dans les différentes filières ? Où en est-on du rapport que le Gouvernement devait remettre avant la fin du mois de janvier sur les conditions et modalités de mise en œuvre d’une réassurance publique ?

Faute de cette réassurance, il n’y aura pas de lancement d’une assurance fourrages ni de développement fort de l’assurance multirisque climatique actuelle pour les grandes cultures et la viticulture.

La sécheresse qui s’installe dans nos zones céréalières et herbagères ne fera qu’aggraver la situation et livrer à la spéculation le marché des denrées alimentaires.

Vous défendez les producteurs, qui sont souvent de petits producteurs. Vous avez été entendu par la Commission européenne et avez obtenu la modification du redoutable autant qu’obscur droit européen de la concurrence afin de permettre aux producteurs de se regrouper en organisations de producteurs. Ce sera le moyen d’agir dans un environnement agricole international concurrentiel et faussé, car spéculatif, et donc dévastateur pour les exploitations familiales.

Une proposition de règlement de la Commission européenne visant à rééquilibrer les relations entre producteurs et acheteurs est actuellement en discussion au Parlement européen et au Conseil. Elle reprend plusieurs recommandations du groupe d’experts de haut niveau constitué en octobre 2009 pour réfléchir à l’avenir du secteur laitier et préparer la suppression des quotas.

Cette proposition tend à autoriser la conclusion de contrats en laissant les États membres libres de décider de leur caractère obligatoire. Elle vise aussi à permettre aux producteurs de se regrouper sur une base plus large, par exception au droit de la concurrence. On y reconnaît votre engagement, monsieur le ministre.

Vous êtes reconnu comme un défenseur de la compétitivité de notre agriculture. En conséquence, vous devrez convaincre nos partenaires, et souvent concurrents, au prochain sommet du G20, d’agir en amont sur l’instabilité des prix agricoles.

Les agriculteurs sont inquiets, car ils ne sont pas en mesure d’amortir les coups de boutoir du marché qui soumettent leurs revenus à trop d’aléas. Ils veulent que les pouvoirs publics français et européens trouvent un équilibre entre péréquation, mutualisation, solidarité, d’une part, et liberté d’entreprendre, d’autre part. Le contrat apparaît comme la meilleure réponse à leurs aspirations. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour sa généralisation.

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mesure phare de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la contractualisation méritait un débat parlementaire au moment où sa mise en œuvre devient effective. Aussi je tiens à remercier notre collègue Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne, d’avoir pris cette initiative.

La contractualisation nous a été présentée comme une réponse aux conséquences de l’ouverture des marchés. Nous pensons que c’est une mauvaise réponse. En effet, la contractualisation mise en place par la loi de modernisation agricole ne parviendra ni à juguler les dérives du système capitaliste et les crises qu’il entraîne ni à sécuriser les relations commerciales, car elle s’inscrit dans un système malade sans en changer les règles du jeu !

C’est pourquoi le principe d’une contractualisation obligatoire ne sera pas à même de remplacer les mesures de régulation nécessaires pour le secteur agricole, mesures qui relèvent de la responsabilité des États. C’est ce que nous nous efforcerons de montrer dans un premier temps.

Ensuite, le mode contractuel est l’expression même d’un rapport de forces. Il confirme la volonté du Gouvernement de s’engager dans une gestion purement privée des relations commerciales agricoles. Cependant, le contrat n’est pas suffisant pour équilibrer les relations entre les différents acteurs.

En conséquence, même si la politique agricole était orientée, comme nous le souhaitons, vers une juste rémunération du travail, une régulation des stocks, un bannissement de la spéculation, une régulation des prix, la relation contractuelle pourrait encore se traduire par un déséquilibre dans les relations commerciales entre producteurs et acheteurs.

Lors des débats sur la loi de modernisation agricole, les sénateurs de l’opposition et de la majorité ont tous constaté, ainsi que vous-même, monsieur le ministre, l’ampleur de la gravité de la crise du secteur agricole qui a touché l’ensemble des agriculteurs et l’ensemble des secteurs.

Rappelons quelques chiffres mentionnés dans le rapport du Sénat sur la LMAP : après une baisse de 23 % en 2008, le revenu net par actif non salarié des exploitations professionnelles a chuté, toutes productions confondues, de 32 % en 2009. Les producteurs de céréales, oléagineux et protéagineux ont enregistré une baisse du revenu atteignant près de 50 %. Pour les producteurs de fruits et légumes, la baisse est de 53 % en arboriculture fruitière et de 34 % en horticulture.

Si le revenu agricole a augmenté en 2010, il reste inférieur de 15 % à la moyenne des revenus français. L’alimentation représente 15 % du budget des ménages, mais seulement 4 % des bénéfices reviennent aux producteurs. Vous avez expliqué cette hausse du revenu agricole, monsieur le ministre, par des facteurs conjoncturels, comme l’embargo russe sur les céréales, qui a fait remonter le cours du blé, et par l’action du Gouvernement, notamment auprès de la Commission européenne, pour « l’obliger à intervenir sur les marchés ».

Cette analyse montre à quel point le secteur agricole livré au libéralisme est fragilisé. Il est soumis sans garde-fous à la volatilité des marchés, qui s’explique, comme le notait l’étude d’impact sur la LMAP, par diverses causes : les aléas climatiques et sanitaires, le décalage entre l’évolution de la demande et la réponse de l’offre, le caractère périssable d’un grand nombre de produits, la non-mobilité des actifs matériels ou encore le lien de la production agricole avec le sol.

La sécheresse qui sévit dans le pays depuis plusieurs semaines va encore créer de nouvelles difficultés pour un nombre important d’exploitants, les plus touchés étant pour le moment les éleveurs, car la sécheresse a déjà des conséquences dramatiques sur les fourrages.

Depuis le début du mois, les premières coupes de foin montrent des rendements en baisse de 30 % à 40 % selon les zones. Et, au-delà de ses conséquences physiques, la sécheresse ne manquera pas d’entraîner des appétits spéculatifs sur les matières premières agricoles.

Monsieur le ministre, vous avez proposé la mise à disposition des jachères. Cet après-midi, vous avez suggéré que le Fonds de garantie des calamités agricoles, qui est doté d’une centaine de millions d’euros, soit réuni fin juin ; c’est un bon début. Cette situation de crise montre à quel point il est vital que l’État soutienne ses agriculteurs. Cela s’impose d’autant plus que la LMAP a prévu de supprimer le Fonds national de garantie contre les calamités agricoles, fondé sur la solidarité, au profit du Fonds national de gestion de risques en agriculture, qui privilégie l’assurance individuelle.

Dans ce cas précis, quels bénéfices les producteurs peuvent-ils tirer de la contractualisation pour faire face à la crise ? Ils doivent, dans tous les cas, assumer la forte augmentation des prix des intrants et les pertes financières liées aux phénomènes climatiques. Ils supportent seuls les risques d’une filière qui s’enrichit dans ses derniers maillons. C’est pourquoi nous n’étions pas d’accord avec vous quand vous avez déclaré en octobre dernier, monsieur le ministre, que « disposer de contrats signés constitue la meilleure garantie de revenu si le marché se retourne ».

M. Gérard Le Cam. Dans ce contexte économique de plus en plus tendu, avec la multiplication des crises sanitaires, énergétiques ou d’origine climatique, il est nécessaire, à l’échelon européen, de promouvoir une politique agricole commune qui n’abandonne pas le principe d’une régulation horizontale, par exemple au niveau de la production et de l’offre ; une politique plus juste qui favorise la diversité des productions et les petites exploitations en gérant les volumes, en limitant les importations abusives, en favorisant les exportations dans un cadre équilibré.

La contractualisation seule n’empêche pas la concurrence entre producteurs ou entre bassins de production. Elle n’empêche pas le dumping social et environnemental. Certains économistes considèrent qu’elle aura des conséquences sur le comportement des transformateurs et des collecteurs, qui se demanderont avant d’investir dans telle ou telle région : « Qui sera le plus compétitif, demain, pour produire des céréales de bonne qualité ou du lait à une saison où j’en ai besoin ? » Ils considèrent que cela renforcera les écarts entre ceux qui sont aptes à remplir le cahier des charges et à en tirer une valeur ajoutée et ceux qui ont plus de difficultés et qui voyaient leur revenu garanti par la politique agricole commune.

Ensuite, quelle portée peut avoir la contractualisation quand on sait que, face à sept centrales d’achats et 11 500 entreprises agroalimentaires, il existe 507 000 exploitations agricoles, dont 326 000 exploitations professionnelles ? Sans doute la même que la charte de bonne conduite que Nicolas Sarkozy avait signée avec la grande distribution…

Le président de la section laitière de la fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Ouest remarquait récemment à propos des contrats laitiers : « Tout ce que j’ai lu jusqu’à présent me donne plutôt le sentiment que les entreprises cherchent à imposer leurs conditions aux éleveurs et à se défaire au maximum de leurs obligations envers eux. » En bref, on ne règle rien !

De plus, l’ensemble des syndicats de la profession se montrent très critiques sur le contenu même des contrats et sur les pratiques abusives auxquelles ils pourraient donner lieu.

S’il est fait état d’une référence de prix, celle-ci ne constitue en aucun cas un prix fixe : il ne s’agit que d’une modalité de calcul. De plus, les clauses de sauvegarde se multiplient afin de permettre aux entreprises de déroger à l’application des indices interprofessionnels. S’agissant du lait, ont été relevées plusieurs clauses visant à imposer des volumes à produire avec une obligation de régularité ou permettant aux entreprises de se dégager de leurs obligations de collecte en cas d’intempéries. Ces dispositions ne sont pas acceptables et nous ne pouvons que les dénoncer ici. De quelles armes disposera le producteur pour se défendre contre de telles pratiques ? La concentration de la production a paru constituer une solution séduisante mais, ne nous y trompons pas, elle laissera au contraire des agriculteurs sur le bord de la route.

La question de la cession du contrat en même temps que la cession de l’exploitation qui pourrait être refusée par l’entreprise est une aberration !

Enfin, il est profondément choquant que certaines clauses constituent des entraves à la liberté syndicale, principe à valeur constitutionnelle. Ce fut le cas pour les contrats Lactalis que vous avez pointés du doigt, monsieur le ministre : la clause imposée par l’entreprise stipulait que les contrats seraient annulés si les producteurs cessaient de livrer leur lait ou se mettaient à manifester.

Mme Nathalie Goulet et Mme Maryvonne Blondin. Exactement !

M. Gérard César. Il s’agit là d’un droit de vie ou de mort qu’elle s’accorde sur les exploitations. C’est intolérable dans un État de droit ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gérard César.

M. Gérard César. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, montée des risques climatiques, prise en compte des impératifs environnementaux, volatilité accrue des prix agricoles, réduction des soutiens publics et démantèlement des instruments d’intervention sur les marchés : notre agriculture vit depuis quelques années un véritable bouleversement.

La LMAP, votée voilà près d’un an, avait pour objectif de permettre à la « ferme France » de faire face au nouveau contexte en favorisant la structuration des filières et en permettant à l’agriculteur de mieux gérer ses risques.

Avec le renforcement des interprofessions, lié à l’obligation du regroupement des producteurs, la contractualisation est l’un des moyens proposés pour mieux structurer les filières agricoles et agro-alimentaires.

L’enjeu n’est pas mince. Pour les acteurs de la filière laitière, avec la fin des quotas européens en 2015, produire ne suffira plus : il faudra savoir vendre et s’assurer des débouchés.

Anticiper la réforme de la PAC était nécessaire, et le groupe de travail sénatorial présidé par Jean-Paul Emorine et coprésidé notamment par Jean Bizet est à la manœuvre pour vous aider, monsieur le ministre, dans cette affaire délicate.

Bien entendu, la France se bat pour une PAC forte après 2014, qui donnerait plus de place à la régulation. Mais nous ne reviendrons pas au système semi-administré d’hier. Une majorité d’États membres reste fondamentalement attachée à l’orientation de la PAC vers le marché.

En ma qualité de rapporteur de la LMAP, j’ai donc soutenu la mise en place de la contractualisation, en lui apportant quelques adaptations.

En premier lieu, nous avons tenu, avec votre accord, monsieur le ministre, à ce que la contractualisation soit d’abord l’affaire des interprofessions. Ainsi, la loi prévoit que le cadre contractuel fixé par accord interprofessionnel remplacera celui qui est fixé par l’État. Ce dernier définit donc simplement un régime par défaut. Il appartient aux acteurs du monde agricole de se mettre d’accord pour déroger à ce cadre.

En second lieu, par souci d’équité, j’ai veillé à ce que les coopératives soient soumises à la même obligation de contractualisation avec leurs adhérents que les autres opérateurs. Ce qui me paraît aller de soi, c’est que le coopérateur apporte l’intégralité de sa production à sa coopérative.

La loi a fixé en juillet 2010 le cadre de la contractualisation. Il restait à donner à cette contractualisation une consistance.

Aucun accord interprofessionnel n’étant intervenu, ce sont deux décrets qui ont défini par défaut le régime contractuel.

Dans le secteur du lait, les acheteurs ont l’obligation de proposer un contrat aux producteurs depuis le 1er avril. Dans celui des fruits et légumes, les contrats sont obligatoires depuis le 1er mars.

Si la contractualisation est et demeure, je le répète, un excellent principe, sa mise en œuvre suscite plusieurs interrogations.

Tout d’abord, la relation reste déséquilibrée entre les producteurs et les industriels qui leur achètent leur production. Les regroupements en organisations de producteurs puissantes n’ont pas encore eu lieu, ce qui ne met pas les producteurs en position de force dans la négociation, mais cet état de fait est de leur responsabilité.

En ce qui concerne le secteur du lait, je n’ai pas l’impression que les industriels aient proposé des contrats d’intégration, ce qui était la crainte initiale des producteurs. Cependant, ce déséquilibre a une traduction concrète : les clauses des contrats sont rédigées de manière plus favorable à l’acheteur qu’au producteur de lait. Certains contrats prévoient que le prix sera fixé non pas en fonction d’indices de tendance mais « de manière à conserver la compétitivité » du secteur d’activité, ce qui ouvre la voie à une renégociation permanente.

En conséquence, peu de contrats ont été signés à ce jour. Une grande méfiance prévaut et nous attendons avec impatience le rapport du médiateur des contrats, qui doit contribuer à rapprocher les points de vue.

Quelles mesures pourraient être envisagées pour que la contractualisation soit plus équilibrée dans le secteur du lait, entre producteurs et industriels ? C’est à cette question qu’il faut s’atteler pour réussir la contractualisation dans cette filière.

Ensuite, dans le secteur des fruits et légumes, la conclusion de contrats pour trois ans paraît difficilement compatible avec l’activité de vente sur les marchés de carreau. Sur ces marchés, on trouve le plus souvent de petits producteurs et des produits dont la disponibilité dépend fortement des conditions météorologiques, et la marchandise n’étant pas stockable, elle doit être vendue. Bref, la logique économique de ces marchés est plutôt celle d’achats d’opportunité.

Or l’amende due par les acheteurs qui n’ont pas proposé de contrat ou qui ont proposé des contrats non conformes au décret est très dissuasive, si bien que des petits acheteurs, notamment des supermarchés de taille moyenne, préfèrent s’insérer dans des gros circuits d’approvisionnement plutôt que de gérer leurs relations avec une multitude de producteurs locaux.

Il serait donc souhaitable de simplifier la contractualisation pour ce type d’activité et de ne pas pénaliser les petits producteurs, qui risquent de se retrouver avec leur marchandise invendue, faute de cadre juridique adapté.

En conclusion, monsieur le ministre, comme je m’interroge sur les perspectives pour la contractualisation, je vous poserai trois questions.

Premièrement, peut-on étendre le principe de la contractualisation au secteur de la viande bovine ?

Deuxièmement, la contractualisation peut-elle être étendue tout au long de chaque filière, faute de quoi le milieu de filière sera pénalisé ? Pour ma part, j’estime que les distributeurs doivent, eux aussi, pouvoir être responsabilisés.

Troisièmement, pour amortir les variations des prix de l’alimentation animale, une contractualisation interfilières est-elle envisagée ? Monsieur le ministre, vous avez été à la manœuvre pour obtenir un accord le 3 mai dernier, mais il s’agit davantage d’un engagement moral que d’un dispositif contraignant pour les parties.

Telles sont les remarques que je souhaitais formuler sur la contractualisation, mesure phare de la LMA. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage.

M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie ma collègue Nathalie Goulet de nous donner l’occasion de débattre de la contractualisation dans le secteur agricole.

Mon intervention sera complémentaire de la sienne puisque je n’évoquerai que la filière des fruits et légumes, pour laquelle l’application de l’obligation de contractualisation n’est pas facile.

Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de rappeler mon soutien au principe de la contractualisation, qui doit aboutir à une meilleure transparence des transactions et à une amélioration de la régulation des marchés.

Pour les fruits et légumes, nous constatons deux secteurs bien distincts : grande distribution et marché traditionnel.

Les ventes à la grande distribution représentent 90 % de la production de fruits et légumes frais. La contractualisation ne semble pas poser de problèmes à la production. Par ailleurs, en ce qui concerne les grandes surfaces, elles souhaitaient, me semble-t-il, ce type d’organisation. C’est sûrement très utile pour adapter l’offre à la demande, sécuriser et réguler ainsi l’approvisionnement de la grande distribution.

Est-ce à dire qu’il n’y aura plus de problèmes de régulation de marchés ? Pour avoir lu avec intérêt les contrats de plusieurs centrales, je pense, monsieur le ministre, qu’il reste encore beaucoup à faire à cet égard pour satisfaire les producteurs et limiter les crises.

Nous souhaitons vivement que, pour perfectionner ces contrats, vous puissiez vous appuyer sur une interprofession bien structurée et forte et que les secteurs professionnels et interprofessionnels prennent bien en compte les problèmes de tous les acteurs.

À côté de la grande distribution existent les ventes au marché traditionnel.

Les ventes sur les carreaux, dans les marchés d’intérêt national ou dans les marchés de gros – 19 marchés d’intérêt national et environ 40 marchés de gros – ainsi que sur les marchés de gré à gré sont souvent liées à une ou plusieurs productions locales. D’une manière générale, il s’agit de l’ensemble des lieux où se rencontrent producteurs et acheteurs. Tous ceux qui produisent les marchandises visées sont concernés, car même ceux qui vendent au détail directement aux consommateurs écoulent presque toujours une partie de leur marchandise sur les marchés de gros.

Aujourd’hui, l’ensemble des 19 marchés d’intérêt national représentent à eux seuls 2 280 opérateurs permanents, 26 000 emplois permanents, 4 150 producteurs réguliers, 62 500 acheteurs. Il convient d’ajouter les marchés de gros et les marchés de producteurs. Ce n’est donc pas négligeable.

Qu’apportent ces marchés ? Quel type de produits y trouve-t-on ?

Ces marchés apportent des produits de saison, extra frais, qui sont cueillis au bon moment, ont du goût, de la saveur et sont très variés. Les restaurateurs recherchent ces produits : leurs achats sont souvent spontanés et relèvent fréquemment du coup de cœur.

La France est reconnue à l’UNESCO pour sa gastronomie. Nous avons besoin, pour notre cuisine renommée, de produits de qualité, de la production variée de nos terroirs.

Alors que la grande distribution supprime tous les ans des références de petites productions, et ce sont autant de fruits ou de légumes qui, à court terme, vont disparaître, il faut laisser faire cette mise en marché spontanée, qui nous permet de maintenir de très anciennes variétés de fruits et de légumes. Ces produits, très goûteux, représentent nos terroirs.

Pour les producteurs qui pratiquent la vente directe de ce type de produits, ce marché ne suffit pas : ils ne peuvent y être présents tous les jours pour écouler toute leur production. Ils ont besoin des grossistes, de leur savoir-faire ainsi que de leur clientèle.

Or, aujourd’hui, les producteurs et les grossistes ne peuvent pas appliquer la contractualisation telle qu’elle est proposée.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué par courrier à mon collègue député Jean Dionis du Séjour que l’application du décret concernant la contractualisation peut à tout moment être suspendue si un accord interprofessionnel est conclu et que vous envisagiez d’assouplir les règles de mise en œuvre de la contractualisation des ventes au carreau. Pouvez-vous nous indiquer ce que vous comptez faire ?

Je tiens à redire que la contractualisation sur ce type de marché traditionnel, qui rassemble à un moment précis producteurs, acheteurs et marchandises, est, par sa nature même, très difficile à réformer. Il s’agit d’acheter de gré à gré, en toute liberté, souvent de petites quantités provenant de petits producteurs habitués à défendre le prix des denrées déposées sur le carreau. Après cette rencontre physique, chacun se sépare, sans autre engagement que celui de livrer la marchandise.

Ces productions sont difficilement programmables compte tenu des aléas climatiques et sanitaires, mais aussi des contraintes d’exploitation, de main-d’œuvre, etc. Seule cette commercialisation de gré à gré constitue un marché libre qui pourra donner quelques indications de tendances de prix, le reste étant pour une grande part contractualisé.

Quelle solution peut apporter le Gouvernement ?

Monsieur le ministre, en de nombreuses occasions, vous nous avez démontré votre attachement à notre agriculture. Une fois de plus, nous faisons appel à vous pour que soit prise en considération la situation particulière de nos marchés traditionnels.

Sur ces marchés, les opérations de vente et de transmission de la marchandise à l’acheteur étant simultanées, les acteurs vous proposent de prendre en compte, à titre de contrat, le bon de livraison ou, éventuellement, la facture. Le bon de livraison rédigé sur le marché est en fait le seul contrat précis qui peut être réalisé, le seul qui donnera aux pouvoirs publics tous les éléments souhaités.

Faut-il absolument garder ces marchés professionnels ?

Monsieur le ministre, l’importance de ces marchés est bien supérieure aux 7 % à 10 % de produits qu’ils traitent. Ils sont précieux pour nos territoires, en termes de proximité, d’économie, d’emploi. Ils sont indispensables pour la conservation de nos productions régionales. Ils nous permettent d’identifier et d’animer nos territoires.

Je ne veux pas tomber dans le catastrophisme, mais je crains que, si le marché traditionnel ne conserve pas sa liberté, nous n’ouvrions toutes grandes les portes de l’importation !

En effet, les grossistes, qui détiennent 20 % du marché des fruits et légumes, ne vont pas rester les bras croisés et se laisser mourir sur place. Ils préparent déjà leur reconversion à l’importation : c’est plus facile et plus simple ! Chez nous, dans le Sud-Ouest, leurs yeux sont déjà tournés vers Perpignan, qui est la base d’échanges avec l’Espagne.

Monsieur le ministre, à quel avenir pouvons-nous nous attendre pour ce secteur ? Nous ne pouvons nous résoudre à voir disparaître ces marchés, car ils constituent une authentique richesse pour notre pays, sans même parler de tous ceux qu’ils font vivre. Nous comptons sur votre compétence et votre détermination pour clarifier et simplifier cette procédure, afin de rendre plus acceptable par tous ce mode de commercialisation. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Maryvonne Blondin.

Mme Maryvonne Blondin. Souffrez, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’une Finistérienne remplace une Morbihannaise. En effet, Odette Herviaux, qui s’était beaucoup impliquée dans la discussion de la LMAP, n’avait pas prévu le report du présent débat.

Les producteurs laitiers ont reçu les propositions de contrat au cours des mois de mars et d’avril 2011. Il s’agissait, je vous le rappelle, de la mesure emblématique de la LMAP ; certains la qualifiaient même de « potion magique » pour remédier aux crises structurelles et conjoncturelles qui frappaient durement les agriculteurs. La filière laitière était alors le symbole de ce monde agricole en crise.

Mais que cette potion est dure à avaler pour les producteurs !

Même si certains contrats prennent en considération les préconisations du guide interprofessionnel des bonnes pratiques contractuelles, diffusé par l’interprofession du lait le 1er mars dernier, il ressort des premières analyses menées par les professionnels et les organisations syndicales que l’emprise des industriels a tendance à se renforcer. Ce terrible constat plonge les producteurs dans un désarroi bien compréhensible, alors que la loi était censée rééquilibrer les rapports de force économiques à leur profit.

En réalité, les industriels proposent de nombreuses clauses parfaitement inacceptables, qui dégradent la position des agriculteurs, les ravalant au rang de sous-traitants dociles et silencieux. Cette mise sous tutelle est inacceptable. Elle conduit d’ailleurs de nombreux responsables syndicaux à conseiller très fortement d’attendre avant de signer ces contrats.

L’analyse détaillée des orientations concrètes mises sur la table par les transformateurs ne laisse pas de surprendre. À titre d’exemples, je citerai : l’instauration de clauses de sauvegarde remettant en cause le suivi des indices interprofessionnels pour la fixation du prix ; l’imposition d’un volume à produire aux producteurs après quotas, avec une obligation de régularité des livraisons ; de nouveaux critères de qualité du lait, hors accord interprofessionnel ; le conditionnement de la collecte à des critères d’accès à l’exploitation fixés par l’entreprise ; le dégagement des obligations de collecte des entreprises en cas d’intempéries ; des clauses de subordination à l’entreprise sur la cessibilité ou les évolutions d’exploitations… Mais il y a encore p1us révélateur de l’état d’esprit de certains industriels : des entraves à l’exercice du droit syndical, voire son interdiction unilatérale.

Il apparaît donc clairement que, pour un grand nombre de transformateurs, ces contrats ne sont qu’un prétexte pour concrétiser leur projet d’intégration des producteurs, rendant ces derniers entièrement dépendants du bon vouloir de quelques actionnaires, de surcroît peu préoccupés par la dignité humaine, économique et financière de ceux qui rendent possible leur commerce.

J’ai cru comprendre, monsieur le ministre, que vous aviez vous-même dénoncé les premiers contrats proposés par les laiteries. Alors, pourquoi ne pas nous avoir écoutés ? Dès l’examen de votre projet de loi, nous vous avions alerté sur les dangers d’une détermination librement consentie du prix, sans garantie par la puissance publique d’un prix plancher couvrant au moins les coûts de production, seule à même de rééquilibrer des relations commerciales largement défavorables aux agriculteurs, et plus fondamentalement d’assurer la pérennité de leurs exploitations.

La méthode que vous avez adoptée a même aggravé ces difficultés : la préparation du projet de loi s’est faite en moins de six mois ; le choix de la procédure accélérée par le Gouvernement a réduit à trois semaines le temps d’examen des sénateurs et des députés ; la mise en place de la contractualisation a été décidée par décret, à marche forcée, sans accord formel des syndicats agricoles et des interprofessions concernées, qui demandaient plus de temps.

Pourquoi n’avez-vous pas voulu prendre en considération les positions transpartisanes en faveur d’une contractualisation négociée dans le cadre des interprofessions ? Nous n’avons cessé de rappeler que les principes d’un régime contractuel agricole étaient déjà présents dans les accords interprofessionnels agricoles à long terme. Ces contrats, véritablement collectifs, sont en effet conclus entre les représentants de la profession agricole et ceux des industries agroalimentaires, voire de la distribution. Visant à organiser la commercialisation des produits agricoles, ils peuvent être étendus, de façon obligatoire, à tous les acteurs de la filière, après enquête publique.

D’une façon générale, est-il besoin ici de l’indiquer, un contrat doit être équilibré et reprendre les droits et engagements des deux parties, dans le cadre d’une véritable négociation collective.

Face à ces mauvaises intentions, qui ne sauraient être considérées comme des erreurs ou des cafouillages techniques, la puissance publique doit assumer ses responsabilités, notamment en encourageant et en soutenant le regroupement des producteurs.

Pouvez-vous nous communiquer le contenu et le délai de parution du décret relatif à l’organisation des producteurs ? Votre réponse est cruciale, car les producteurs ne pourront rien négocier seuls face à l’entreprise agro-alimentaire ou le distributeur.

Pouvez-vous également nous garantir que le rapport, prévu pour la fin juin, du médiateur de la contractualisation laitière, dont nous ne mettons pas l’impartialité en doute, servira à corriger les graves dysfonctionnements que nous observons ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)