M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. La révision constitutionnelle ne coûte rien !

Mme Nicole Bricq. … et impuissantes à restaurer le pouvoir d’achat – je pense à la prime aux salariés – ainsi que la justice fiscale.

La justice fiscale, d’ailleurs, vous l’oubliez, puisque le projet de loi de finances rectificative que nous examinerons prochainement, s’il supprime le bouclier fiscal, qui coûte 700 millions d'euros, crée une dépense de 1,8 milliard d'euros avec l’allégement de l’ISF, sans que – j’ai bien suivi les débats à l’Assemblée nationale, monsieur le ministre – le Gouvernement clarifie l’équilibre entre les dépenses et les recettes du dispositif sur la nouvelle imposition du patrimoine.

En clair, ce que je veux démontrer, c’est que vous nous proposez une loi d’airain, mais vous continuez à creuser le trou des finances publiques.

M Marini estime que le projet de loi constitutionnelle est un « texte de procédure qui n’aborde pas les questions de fond ». Il a raison ! Il est vrai qu’il n’a toujours pas trouvé la réponse à une question essentielle, qui est de taille : si les prévisions macroéconomiques ne sont pas au rendez-vous, quelles mesures seront-elles prises ? Augmentera-t-on les prélèvements ou compressera-t-on les recettes, ou les deux ? Le sujet est tabou – nous l’avons compris – jusqu’au printemps de 2012.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Il faudra voter un budget pour 2012 !

Mme Nicole Bricq. Faut-il rappeler que les termes du pacte de stabilité en débat entre la Commission de Bruxelles et le Parlement européen prévoient une économie pour la France de 20 milliards d'euros par an ?

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Tout à fait !

Mme Nicole Bricq. Du côté recettes ou des moindres dépenses, le débat sur les niches fiscales est renvoyé au projet de loi de finances pour 2012. C’est pourtant une préconisation de la Commission, qui observe que la France dispose de marges de manœuvre de ce côté-là.

On a pu constater l’émotion suscitée par la possibilité de supprimer l’ISF. Tous les lobbies sont venus dire que l’on pouvait supprimer cet impôt, mais qu’il ne fallait surtout pas toucher aux exonérations qui y étaient liées, autrement dit aux niches fiscales.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Eh oui, l’extraordinaire est très français !

Mme Nicole Bricq. Si j’ai rappelé le contexte, c’est parce qu’il fait douter de la sincérité du projet de loi constitutionnelle. S’il s’était agi de faire converger notre législation vers la loi fondamentale allemande de 2009, on aurait pris le temps de réfléchir aux moyens d’action sur le déficit structurel, on aurait établi un calendrier – comme l’ont fait nos collègues allemands – et on aurait clarifié les modalités d’application et de contrôle.

La mission Camdessus a jugé qu’il n’était pas possible de définir ce qu’était un « solde structurel » ; elle a préféré à cette notion celle de « trajectoire d’ordre structurel », qui a pour conséquence de se concentrer sur les deux facteurs maîtrisables par l’État, donc imputables à des mesures discrétionnaires prises par lui. Nous adoptons donc, à l’inverse de notre principal partenaire, un critère purement national et de court terme. En fait de convergence, nous commençons par la divergence.

La référence à une « trajectoire structurelle » suppose la définition d’un « équilibre structurel » et, le cas échéant, d’un « solde structurel ». S’il s’agit d’éviter les dérogations au fil de l’eau, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, il conviendrait de définir à quoi l’on déroge ! Pour l’instant, nous ne le savons pas.

Nous avons donc un « tunnel », c’est-à-dire un minimum de recettes – un plancher – et un maximum de dépenses – un plafond – qui devraient rectifier les écarts. Mais la définition des circonstances exceptionnelles est renvoyée à la loi organique, tout comme les modalités de compensation des écarts. On a beau nous dire qu’il y aura un compte de contrôle pour la correction des écarts, mais lui aussi est renvoyé à la future loi organique. Décidément, mes chers collègues, vous tirez beaucoup de chèques sur l’avenir…

On aurait pu penser que l’urgence requise pour l’examen du projet de loi constitutionnelle justifierait une action immédiate. Mais non, on verra tout cela après 2012 !

On aurait pu penser que la règle fixée justifierait l’accompagnement de modalités précises. Mais non, on verra après 2012 !

Nous sommes d’autant plus circonspects que la loi organique n’est même pas une garantie. Lors du débat sur les retraites, on a vu comment elle a été foulée aux pieds par le Gouvernement et la majorité quand il s’est agi de la mise à contribution de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES ; on a allongé sa durée de vie sans apporter le gage de recettes afférentes.

Quant au monopole des lois de finances en matière fiscale, vous vous êtes tous exprimés, mes chers collègues de la majorité, contre le texte du Gouvernement. On a bien compris que la majorité allait aboutir à un compromis, dont on voit bien comment il se dessine : vous allez finalement faire un « monopole light »,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !

Mme Nicole Bricq. … mais vous allez quand même le faire.

M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mais vous y êtes favorable dans votre for intérieur !

Mme Nicole Bricq. À l’occasion de l’examen de ce texte, j’ai relu le compte rendu des débats qui s’étaient déroulés au Sénat lors de la réforme constitutionnelle de 2008. C’est assez cocasse…

M. Arthuis avait déposé un amendement visant à supprimer l’article 40 de la Constitution. Je ne reprendrai pas son argumentation, mais il énumérait tous les dispositifs dont un gouvernement dispose pour contraindre la majorité parlementaire à voter les textes qu’il propose.

M. Gérard César. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. M. Mercier, à l’époque sénateur, n’était pas le dernier à défendre la suppression de l’article 40 et à reprendre cette énumération.

Monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, je vous préviens : ne nous faites pas le coup de l’irresponsabilité. J’ai évoqué la LOLF au début de mon intervention, mais rappelez-vous que nous avons également su prendre nos responsabilités récemment. En effet, nous n’avons fait barrage ni au plan de sauvetage des banques, en octobre 2008, tout en demandant des contreparties que vous avez refusées, ni à la solidarité de la France envers les pays en difficulté de la zone euro, tout en vous alertant sur l’impasse à laquelle menaient les plans d’austérité draconiens qui leur étaient imposés.

Nous ne vous laisserons pas davantage mettre en doute nos capacités de gestion. Les majorités de gauche, auxquelles les électeurs ont accordé leur confiance,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ils ont eu tort !

Mme Nicole Bricq. … les exercent dans cinquante-huit départements, vingt-trois régions et des milliers de communes et d’intercommunalités. D’ailleurs, on nous reproche parfois notre engouement pour la bonne gestion.

Vous le savez, ces collectivités sont toutes mises à rude épreuve par la perte de l’autonomie fiscale et financière que vous avez organisée à leur encontre. Pourtant, elles ont déjà leur règle d’or, puisqu’elles ne peuvent contracter des dettes que pour des investissements, et la Constitution consacre la république décentralisée. Mon collègue Bernard Frimat a dit tout à l’heure ce qu’il fallait penser de vos velléités constitutionnelles…

C’est le débat électoral entre la gauche et la droite qui doit confronter les stratégies de redressement de nos comptes, entre ajustements par les recettes et les dépenses, et non ce projet de loi de pure opportunité, fût-il de portée constitutionnelle. C’est aux Français d’être juges de la trajectoire que nous voulons pour la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement. (M. Jacques Mézard applaudit.)

M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Cette vingt-cinquième révision de la Constitution, la troisième de la législature, va exactement à l’inverse du but proclamé par celle de 2008, à savoir « revaloriser les droits du Parlement ».

M. Jean Desessard. Exactement !

M. Jean-Pierre Chevènement. Depuis toujours, celui-ci vote le budget et autorise l’impôt. C’est pour cela qu’il a été fait.

M. Jean-Pierre Chevènement. Le présent projet de loi constitutionnelle vise à soumettre la loi de finances et la loi de financement de la sécurité sociale à une loi-cadre d’équilibre, nouvel instrument juridique supérieur, dans la hiérarchie des normes, aux lois financières et aux lois ordinaires. Le Conseil constitutionnel sera systématiquement saisi de la conformité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale à la loi-cadre.

Première observation : c’est transformer le Conseil constitutionnel en gardien de la bonne gestion des finances publiques. Vision surréaliste ! Comment le Conseil constitutionnel pourrait-il apprécier, à l’horizon de trois ans, la fiabilité des prévisions économiques et budgétaires nécessairement fragiles ? Les neuf sages, qui n’ont pas la science économique infuse, à supposer qu’elle existe – tout le monde n’est pas Michel Charasse (Sourires.) –, pourraient déclarer les lois financières inconstitutionnelles pour des motifs de non-conformité aux lois-cadres d’équilibre. On croit rêver !

J’indique au passage que le projet de loi constitutionnelle, qui prétend figer pour au moins trois ans les équilibres budgétaires, est profondément attentatoire aux droits de l’opposition et à l’idée même d’alternance. Nous avons des élections en 2012. Si la gauche devait l’emporter, prétendez-vous lui interdire d’appliquer le programme qu’elle aura défini ? Je ne parle pas du programme du parti socialiste, mais de celui, sûrement différent, qu’aura défendu le candidat qu’elle soutiendra devant les électeurs.

Le projet de loi constitutionnelle est une atteinte non seulement à la démocratie, mais aussi au bon sens.

Monsieur le ministre, si vous aviez présenté ce projet de loi constitutionnelle en 2007, auriez-vous pu faire voter, en 2008, un projet de loi pour venir au secours des banques ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Jean-Pierre Chevènement. Auriez-vous pu faire adopter un plan de relance pour lutter contre la récession en 2009 ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !

M. Jean-Pierre Chevènement. Auriez-vous lancé, en 2010, un grand emprunt pour donner une impulsion – insuffisante d’ailleurs – aux secteurs d’avenir ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais oui ! On l’a fait par le biais des projets de loi de finances !

M. Jean-Pierre Chevènement. On nous demande de voter ce projet de loi constitutionnelle, comme on demandait aux croyants de croire : credo quia absurdum. On vous demande de voter, mes chers collègues, parce que c’est absurde !

Deuxième observation : le projet de loi constitutionnelle vise à créer un monopole pour les lois financières, assorti de procédures d’irrecevabilité pour tout amendement à une loi ordinaire ou à toute proposition de loi ayant une incidence fiscale. Mais je croyais que vous étiez des libéraux et donc que vous étiez contre les monopoles…

Ce monopole est une atteinte si grave au droit d’initiative parlementaire,…

M. Jean Desessard. Mais oui !

M. Guy Fischer. Absolument !

M. Jean-Pierre Chevènement. … aux prérogatives des commissions et à la loi elle-même que la commission des lois propose de lui substituer « une compétence exclusive de ces lois pour déterminer l’entrée en vigueur des mesures relatives aux prélèvements obligatoires ».

Je ne discerne pas clairement en quoi ce dispositif, sûrement ingénieux, monsieur le rapporteur, rendrait aux parlementaires et aux commissions leur droit d’initiative dans le cadre de la discussion d’une loi ordinaire,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais oui !

M. Jean-Pierre Chevènement. … dès lors que le Gouvernement pourrait y revenir ultérieurement, lors de l’examen d’un projet de loi de finances,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il peut le faire de toute façon !

M. Jean-Pierre Chevènement. … au cours d’une séance de rattrapage, si je puis dire.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela arrive déjà !

M. Jean-Pierre Chevènement. Le projet de loi constitutionnelle attente aux prérogatives du Parlement et, accessoirement, à celles du Gouvernement : celui-ci ne pourra plus agir par la voie des ordonnances prévues à l’article 38 de la Constitution, dès lors que celles-ci pourraient entrer dans un champ infiniment vaste des lois-cadres d’équilibre, qui fixent des règles, des principes, des orientations, des normes, des plafonds de dépenses et des planchers de recettes, etc. Bonne chance à celui – Parlement, Gouvernement, Conseil constitutionnel – qui pourra se retrouver dans le galimatias de cette usine à gaz !

Troisième observation : suprême hypocrisie, le projet de loi constitutionnelle prétend introduire dans notre Constitution un article 88-8 censé associer le Parlement aux engagements européens. Mais, vous le savez bien, c’est tout le contraire qui est vrai ! Nous sommes au cœur d’un processus de dessaisissement du Parlement.

Le projet de loi constitutionnelle prétend également soumettre au Parlement, quinze jours avant sa transmission à la Commission européenne, au mois d’avril de chaque année, le projet de programme de stabilité. En réalité, celui-ci définit des normes concertées entre les cabinets ministériels français et les institutions européennes. Le Parlement, qui vote le budget vers le 20 décembre, se retrouvera ainsi entièrement ficelé, dessaisi, dès le mois d’avril, de sa compétence budgétaire. Pour organiser ce « semestre européen », cinq propositions de règlements européens et une proposition de directive sont en cours d’élaboration.

Le volet préventif du pacte de stabilité et de croissance comporterait un principe de limitation de la croissance annuelle des dépenses par rapport à la croissance du PIB et l’obligation de constituer un dépôt portant intérêt, en cas d’écart important par rapport à la trajectoire. Il faut le savoir, et je vous y rends sensibles, mes chers collègues, ce que l’on veut nous faire voter ici n’a de sens qu’eu égard à cette mécanique européenne.

Le volet correctif repose sur des mécanismes de sanction qui, en cas de déficit excessif, interviendraient non plus de manière automatique, mais sur décision du Conseil selon, toutefois, des règles de majorité inversée véritablement extravagantes ! La sanction s’appliquerait s’il n’y a pas trois cinquièmes des États pour s’y opposer.

Une proposition de directive prévoit « la mise en place d’une planification budgétaire pluriannuelle s’appliquant à l’ensemble des administrations publiques » et « des règles budgétaires chiffrées faisant l’objet d’un contrôle effectif ». Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire plus sur ces novations institutionnelles, qui entraîneront certainement la révision du traité de Lisbonne ?

Le projet de loi constitutionnelle reprend dans ses articles 7, 8 et 9 la plupart des termes de la proposition de directive.

On a là un exemple instructif de la manière dont s’articuleront les décisions budgétaires nationales et les orientations de la programmation européenne. On n’attend même pas que les institutions de Bruxelles aient statué pour se conformer par avance aux dispositions qu’elles sont déjà réputées avoir prises !

M. Guy Fischer. C’est plié d’avance !

M. Jean-Pierre Chevènement. Nous sommes en plein fédéralisme budgétaire,…

M. Guy Fischer. Voilà !

M. Jean-Pierre Chevènement. … selon la novlangue inventée par M. Trichet, qui nous parle déjà de « ministère des finances européen ».

Le Parlement sera mis devant le fait accompli. Le « semestre européen » instaurera, dès le mois d’avril, un véritable « cycle de surveillance » et les institutions communautaires adresseront, dès le mois de juillet, leurs observations aux États membres. Monsieur le rapporteur, vous parlez d’un « chaînage vertueux », alors qu’il vaudrait mieux parler d’un « enchaînement » ! (M. le rapporteur s’exclame.)

Tout cela se fait dans l’indifférence totale de l’opinion publique, qui n’est pas informée. C’est un coup d’État permanent dont nous serons l’objet au travers de ces lois-cadres d’équilibre.

Hier – vous en souvenez-vous, mes chers collègues ? –, le traité de Maastricht nous privait de notre souveraineté monétaire. Nous en subissons les conséquences. Aujourd'hui, c’est de la souveraineté budgétaire que l’on veut nous dessaisir !

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Jean-Pierre Chevènement. L’enchaînement est parfaitement logique !

Dès le départ, la monnaie unique a été conçue comme une monnaie politique, comme le levier d’un fédéralisme européen complètement irréaliste.

En réalité, le ver était dans le fruit dès l’origine. On a toujours voulu faire l’Europe en ignorant la réalité des nations. C’est le vice initial de Maastricht : on a transféré le pouvoir monétaire à une banque centrale indépendante, une sorte de « BuBa bis » n’ayant d’autre mission que de lutter contre l’inflation, et ce dans une zone économique et monétaire loin d’être homogène. L’Europe compte en effet de grands pays industriels comme l’Allemagne, mais elle est aussi composée de pays moins industrialisés ou sans industrie.

Aujourd’hui, la réalité se venge. Les marchés financiers creusent des écarts de taux insoutenables entre les différents pays. Le Fonds européen de stabilité financière n’est pas suffisamment doté pour faire face aux demandes d’aide des pays en difficulté et l’Allemagne n’entend pas aider le Péloponnèse à la hauteur de ce qu’elle aurait fait pour le Brandebourg, tant il est vrai – cela se comprend d’ailleurs – que la solidarité européenne n’a pas la même force que la solidarité nationale. C’est le b.a.-ba non pas de la science politique, dirais-je, mais du bon sens !

En fait, les marchés financiers dictent leur loi. M. Sarkozy explique la nécessité de la RGPP et des différentes « réformes » qui tendent toutes à l’abaissement du coût du travail par le souci de conserver le « triple A » que les agences de notation accordent à la France. Mais comment mieux dire que Standard and Poor’s exerce désormais la souveraineté populaire ? Or, vous le savez bien, les peuples européens s’opposent à cette perspective d’austérité à perpétuité. Ils refusent d’être mis en coupe réglée par le capitalisme financier. Ils ne veulent pas d’une Europe qui s’identifie à la régression et au déclin. Il faut donc leur en offrir une autre, qui signifie, à l’inverse, croissance et progrès social !

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis de la commission des finances. Faites la quête !

M. Jean-Pierre Chevènement. L’euro, monnaie à la fois branlante et surévaluée, asphyxie notre économie et accélère notre désindustrialisation. Mais l’euro existe. Mieux vaudrait donc le réformer, en changeant ses règles du jeu.

Je ne développerai pas longuement ici la manière de procéder. Sachez seulement qu’il suffirait d’étendre les missions de la Banque centrale européenne, parce que c’est là que tout se passe, de lancer un grand emprunt et de prendre une grande initiative européenne de croissance s’appuyant sur un plan de relance salariale décliné par pays.

Ou bien tous les pays de la zone euro seront capables d’inverser ensemble leur politique dans le sens du progrès, et des élections générales auront lieu en 2012 et en 2013 dans les grands pays de la zone euro ; ou bien, ils en seront incapables et la zone euro ne survivra pas à une cure d’austérité généralisée.

Il faudrait sans doute faire évoluer le système de l’euro vers des formules praticables, en revenant, par exemple, à l’idée, pas si stupide, d’une monnaie commune, qui avait été proposée jadis par les Britanniques et soutenue, en France, par MM. Balladur et Bérégovoy et, accessoirement, par moi-même ! (Sourires.) Encore faudrait-il préparer cette mutation ordonnée. Mais vous n’en êtes pas là !

« Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué », vous demandais-je au début de mon intervention ? Il vaudrait mieux renvoyer les chambres parlementaires dans le néant, puisque l’on va les priver du droit d’élaborer le budget, …

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Du droit d’emprunter !

M. Jean-Pierre Chevènement. … du droit d’amender, du droit d’initiative ! Que restera-t-il du Parlement ?

Il vaudrait mieux, disais-je, renvoyer les chambres dans le néant, comme le 10 juillet 1940 à Vichy, tant il est vrai, comme le disait Pierre Mendès-France, le 18 janvier 1957, que « l’abdication de la démocratie peut prendre deux formes, elle recourt soit à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique ».

M. Jean Desessard. C’est d’actualité !

M. Jean-Pierre Chevènement. Vision prémonitoire de l’un des derniers grands républicains !

On a envie de dire : « Mendès-France, de Gaulle, réveillez-vous ! Ils sont devenus fous ! » (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard César.

M. Gérard César. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce qui nous rassemble aujourd’hui, avec l’examen du projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, c’est bien notre volonté de nous doter d’instruments susceptibles de juguler la dérive de nos finances publiques.

À mon avis, tout parlementaire français, européen convaincu et citoyen responsable, c’est-à-dire respectueux de la stratégie Europe 2020 et soucieux de ne pas laisser en héritage à la génération suivante une situation financière intenable, ne peut que nous rejoindre pour adopter ce texte, aujourd'hui, au Sénat et, demain, en congrès.

C’est pourquoi j’approuve sans réserve la création des lois-cadres d’équilibre, qui s’inscrit parfaitement dans le contexte du « Pacte pour l’euro ».

M. Jean Desessard. Cela, on le sait !

M. Gérard César. Elles sont un instrument essentiel – certes très contraignant ! – pour mettre fin à la dérive de nos finances publiques.

À ce titre, j’approuve la précision judicieuse apportée par la commission des lois, sur l’initiative de son rapporteur Jean-Jacques Hyest, dans un amendement à l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, pour renforcer l’efficacité du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel. En revanche, au regard de l’objectif affiché de lutte contre la dérive des finances publiques, que je soutiens, comme chacun d’entre nous, sans réserve, je suis beaucoup plus réservé sur l’instauration d’un monopole sur toute mesure fiscale au bénéfice des seules lois financières.

Comme l’a souligné Jean-Paul Emorine, tant dans l’avis adopté par la commission de l’économie que dans son intervention liminaire, l’impact budgétaire des mesures prises dans des lois de finances est inférieur à 16 % de l’ensemble des mesures nouvelles relatives aux recettes de l’État adoptées ces dix dernières années. Il n’est donc pas admissible d’assimiler les commissions parlementaires, à l’exception de celle des finances, à des commissions « dépensières ».

M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Elles ne sont pas incriminées !

M. Gérard César. N’oublions pas que, contrairement au Gouvernement, les parlementaires sont déjà fortement contraints par l’article 40 de la Constitution, qui leur interdit de déposer des amendements tendant à entraîner une diminution des ressources publiques ou la création ou l’aggravation d’une charge publique.

Bien plus, et en tant que rapporteur d’une loi récente importante, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, je relève que nous avons alors adopté plusieurs dispositifs instituant des recettes fiscales, afin de permettre la mise en œuvre de politiques publiques de soutien au monde agricole.

Afin de ne pas allonger mon propos, je ne prendrai ici que deux exemples très précis.

Premièrement, j’évoquerai la mise en place, par amendement du Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi au Sénat, d’une taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales.

Cette taxe est acquittée par les enseignes commerciales d’une certaine taille qui n’ont pas souscrit avec l’État un accord annuel de modération sur les marges de distribution des fruits et légumes frais. Il s’agit bien sûr d’une mesure encourageant la mise en œuvre d’une politique publique au bénéfice des consommateurs et qui ne coûte rien au budget de l’État, bien au contraire !

Deuxièmement, l’article 55 instaure une taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles. Cette taxe, perçue au profit de l’État, vient abonder un fonds pour l’installation des jeunes agriculteurs inscrit au budget de l’Agence de services et de paiement, qui finance des mesures visant à faciliter l’accès au foncier et à développer des projets innovants. Il s’agit d’un aspect essentiel pour l’avenir de l’agriculture, et la commission de l’économie était à même d’en arrêter tant le principe que les modalités de mise en œuvre.

Vous voyez bien, mes chers collègues, qu’il ne serait pas cohérent qu’une loi ordinaire ne puisse plus arrêter des mesures prévoyant les ressources nécessaires à la mise en œuvre d’une politique publique définie dans le cadre même de cette loi. Et cela ne contrevient en rien à notre volonté réaffirmée de lutter contre l’endettement excessif de notre pays, bien au contraire !

Pour conclure, je tiens à souligner que l’amendement de bon sens adopté par la commission de l’économie laisse toute latitude au Gouvernement pour revenir sur des mesures financières ayant pour effet de diminuer des recettes fiscales, même compensées, et portant atteinte au respect des limites fixées par les lois-cadres d’équilibre. Mais il préserve également les droits du Parlement, et je souhaite que cette solution de compromis soit adoptée. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous la situation calamiteuse de nos finances publiques. Elle a d’ailleurs été largement rappelée depuis le début de cette discussion générale, notamment par M. Arthuis ; je n’y reviendrai donc pas.

Cette situation, nous en sommes tous responsables, à droite comme à gauche (M. Jean Desessard s’exclame.),…

Mme Nicole Bricq. C’est trop facile !

M. Hervé Maurey. … puisque le dernier excédent budgétaire de la France remonte à près de quarante ans.

Depuis, aucune majorité, ni de gauche ni de droite, n’a eu le courage de prendre à bras-le-corps cette question. Il était donc grand temps, ainsi que le demandaient les centristes depuis de nombreuses années, de cesser la politique de l’autruche.

Nous nous réjouissons d’être enfin entendus par le Gouvernement. Nous regrettons seulement qu’il ait attendu la fin de la législature pour le faire.

Nous soutenons pleinement le Gouvernement dans sa volonté de s’attaquer enfin aux déficits publics. Nous sommes donc favorables au principe de ce projet de loi constitutionnelle et à son apport principal, à savoir l’instauration de lois-cadres d’équilibre des finances publiques. Ayant vocation à se substituer aux lois de programmation des finances publiques, ces lois-cadres seront beaucoup plus contraignantes, puisqu’elles fixeront un plafond de dépenses et un minimum de recettes qui s’imposeront aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.

Cette nouvelle catégorie de norme juridique, supérieure à la loi ordinaire, ne sera donc ni un gadget ni une disposition purement symbolique. Elle constituera une véritable contrainte. Nous nous en réjouissons, même si, il faut en être conscient, aucune règle juridique ne remplacera une réelle volonté de nos gouvernants en termes de gestion rigoureuse des finances publiques.

La loi organique qui viendra préciser les conditions dans lesquelles il sera possible de modifier ces textes devra les réserver à des cas exceptionnels, tels qu’une grave crise économique. L’efficacité des lois-cadres dépendra en effet du caractère limité dans lequel elles pourront être modifiées.

Si j’approuve donc le principe de ce texte et sa principale disposition, je ne peux malheureusement pas approuver la mesure tendant à instaurer un monopole au profit des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de prélèvements obligatoires. Je ne vois d’ailleurs pas quel parlementaire informé, mis à part un membre de la commission des finances, pourrait accepter cette proposition, qui réduirait considérablement, il faut en être conscient, le rôle des parlementaires et tout particulièrement celui des sénateurs.

Ce rôle, déjà très contraint en matière fiscale par l’article 40 de la Constitution, le serait plus encore avec ce dispositif : nous ne pourrions plus adopter des propositions de loi comprenant des dispositions fiscales ou des amendements fiscaux dans le cadre d’une loi ordinaire ; enfin, la technique du « gage », qui permet de rendre recevables des amendements entraînant des baisses de recettes, serait aussi menacée.

Vous le constatez, mes chers collègues, le monopole est donc en opposition totale avec l’objectif de revalorisation des pouvoirs du Parlement affirmé lors de la réforme constitutionnelle de 2008. Le rapporteur de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, ainsi que le rapporteur pour avis de la commission de l’économie, Jean-Paul Emorine, et le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle, l’ont d’ailleurs très bien expliqué tout à l’heure.

Les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale échappent en grande partie au renforcement de l’initiative parlementaire instituée en 2008. C’est en effet le texte du Gouvernement et non celui de la commission qui est examiné et, de surcroît, la procédure accélérée est systématiquement appliquée.

Lors de la réforme constitutionnelle de 2008, le président Jean Arthuis nous avait proposé par amendement l’abrogation de l’article 40 de la Constitution,...