Mme Nicole Bricq. Exactement !

M. Thierry Repentin. Or certains cédants organisent des ventes déguisées pour réduire les risques de préemption : le bien ou le terrain est affiché comme cédé gratuitement et n’est donc pas soumis à déclaration d’intention d’aliéner. C’est manifestement un détournement de la loi.

Les sénateurs socialistes proposent donc dans un amendement de soumettre à déclaration d’intention d’aliéner, et donc potentiellement à DPU, toutes les aliénations à titre gratuit. Seules les cessions entre deux membres d’une même famille seraient dispensées de cette disposition.

C’est un sujet fondamental, notamment pour certaines copropriétés dégradées qui ne trouvent plus d’acheteur. Des marchands de sommeil achètent ainsi, sous la table, des biens qui n’ont plus beaucoup de valeur, sans que nous puissions faire jouer le DPU. Un certain nombre de terrains s’échangent de la même manière, notamment dans la région d'Île-de-France. (M. Daniel Raoul applaudit.)

Mme Nicole Bricq. C’est vrai !

M. Thierry Repentin. Mon troisième et dernier point concerne, naturellement, la question du juste prix.

Le prix acquitté lors de la préemption doit permettre de ne pas spolier le propriétaire tout en rendant possible la réalisation du projet d’intérêt général.

Cela va sans dire, même s’il est toujours utile de le rappeler, la collectivité qui préempte paie le bien qu’elle achète. Droit de préemption et droit de propriété ne s’opposent pas l’un à l’autre.

Il nous faut ici sortir des représentations anciennes : non, les prix fixés par les Domaines ne sont plus fondés sur des références de marché obsolètes ; non, ils ne sont pas défavorables au vendeur.

Bien au contraire, les modes de calcul désormais le plus souvent retenus par France Domaine sont assis sur des constructibilités maximales et sont donc très avantageux pour le cédant.

En outre, en cas de préemption pour la réalisation d’un programme de logements, la typologie des logements – par exemple la présence ou non de logements sociaux – n’est, dans certains départements, pas prise en compte dans la valorisation foncière. Pourtant, inclure 25 % ou 30 % de logements sociaux dans chaque opération nouvelle, comme le prescrivent un nombre croissant de PLU, a un impact sur le coût maximum qu’il est possible de consacrer au foncier.

Mes chers collègues, la valeur absolue d’un terrain ou d’un logement n’existe pas. Il n’y a que des valeurs relatives, selon la localisation mais aussi selon la destination future. Nous appelons donc de nos vœux un changement de culture dans la formation du prix foncier. À défaut, au rythme actuel de l’inflation foncière et immobilière, plus aucun projet de logement abordable ne pourra voir le jour.

Il nous faut impérativement passer du « prix potentiel » au « prix absorbable ». J’entends par là que la valeur des terrains ou des biens devrait désormais se définir « à rebours » en fonction du prix de sortie acceptable pour le futur usager, que celui-ci vive dans le parc social ou dans le parc privé, que l’acquisition serve à un programme de logements, un équipement public, une zone d’activité économique ou une infrastructure.

Nous proposerons tout à l’heure un amendement en ce sens.

Outre l’instauration de ce prix à rebours, cet amendement a également pour objet la suppression du double rôle de juge et partie tenu par France Domaine s’agissant des biens de l’État.

Ainsi, l’établissement ne pourrait plus estimer les biens détenus directement ou indirectement par sa tutelle. La mission d’estimation serait alors confiée à deux notaires de la région où est situé le bien.

Je me permets, mes chers collègues, de glisser ici une remarque au sujet de l’article 2, trop rigide dans sa rédaction actuelle.

Une telle fermeture des possibilités de rétractation est une véritable épée de Damoclès pour la collectivité territoriale et risque même de dissuader celle-ci de faire usage du DPU, ce qui est l’inverse du but recherché, en tout cas par mon groupe, au nom duquel je m’exprime, et sans doute par l’auteur de la présente proposition de loi.

Je crains, en outre, que cette disposition ne conduise le juge de l’expropriation à une certaine générosité au profit du cédant dans la zone grise comprise entre le prix des Domaines et ce prix majoré de 9,99 %, prix que la collectivité devrait acquitter sans pouvoir renoncer à l’achat. Si ma crainte se confirmait, le phénomène serait fortement pénalisant tant pour les finances locales que pour l’équilibre de l’opération envisagée.

S’agissant encore de la question des prix, je veux exprimer à nouveau l’engagement de mon groupe dans la lutte contre la spéculation foncière, l’inflation foncière et immobilière et, enfin, l’enrichissement sans cause qui en découle.

En moyenne, les prix fonciers et immobiliers dans notre pays ont augmenté de 140 % entre 2000 et 2010.

M. Thierry Repentin. Nous cheminons rapidement et sûrement vers le point de rupture.

M. Charles Revet. Pour cause !

M. Thierry Repentin. Des catégories de plus en plus nombreuses sont exclues de l’accession à la propriété : les jeunes ménages sans patrimoine familial, en particulier les plus modestes, mais aussi les classes moyennes des grandes agglomérations.

Des opérations de logement, en particulier de logement social et de logement intermédiaire, commencent à être bloquées tant le tour de table financier est difficile à réunir pour faire face, notamment, aux charges foncières.

L’urgence est simple, et elle est devant nous : revenir à des prix compatibles avec les ressources des ménages qui ont besoin d’être logés, mais établir aussi des prix compatibles avec les grands projets d’aménagement urbain, d’infrastructure de transports, d’équipements publics dont nos territoires ont besoin pour améliorer les conditions de vie de leurs habitants.

Puisque la proposition de loi qui nous est soumise ne permettra vraisemblablement pas d’atteindre ces objectifs, nous devrons revenir sur ces questions dans l’avenir, mais, pour l’heure, nous nous déterminerons lors du vote qui interviendra à l’issue de nos travaux au regard de l’ouverture dont il sera ou non fait preuve à l’égard de nos amendements visant à renforcer et à sécuriser le cadre d’action des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Ce n’est pas beau, le chantage... (Sourires.)

M. Daniel Raoul. Tout est dit !

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le droit de préemption est un instrument indispensable de la politique d’aménagement des territoires de nos collectivités territoriales. Il est à la fois indispensable et légitime, car ce sont les collectivités qui investissent pour l’intérêt général et leurs investissements engendrent couramment des plus-values foncières significatives pour les particuliers.

Le contrôle du foncier et les réserves foncières constituent l’une des clés de l’aménagement urbain d’aujourd'hui et de demain.

La notion d’intérêt général constitue le fondement du droit de préemption, dont l’exercice doit être à la fois facilité et sécurisé, d’autant que sa mise en œuvre est en principe particulièrement simple si on la compare aux procédures de déclaration d’utilité publique et d’expropriation.

En outre, le droit de préemption respecte, naturellement, le droit propriété, tout en permettant d’atténuer certains abus de ce droit au nom de l’intérêt général.

L’utilité du droit de préemption est reconnue par nos concitoyens et son principe peu contesté.

Le texte qui nous est soumis constitue aux yeux de mon groupe un progrès et, de ce fait, nous le voterons unanimement.

En revanche, nous considérons qu’il eût été pertinent d’avoir un texte global sur l’ensemble des problématiques des droits de préemption et, par exemple, de tenir compte des avancées souvent indispensables contenues dans la proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste et que vient de rappeler Thierry Repentin.

Ainsi, la question de l’utilisation du droit de préemption par les intercommunalités n’est pas, en l’état, correctement résolue.

Alors que la loi de réforme des collectivités territoriales impose à toutes les communes de rejoindre une intercommunalité et que la rationalisation de la carte intercommunale est à l’ordre du jour, la procédure actuelle ne tient pas suffisamment compte du fait intercommunal.

De même, le système de la délégation du droit de préemption de la commune à l’EPCI au coup par coup ne correspond plus aux besoins actuels.

Par ailleurs, le transfert pur et simple du droit de préemption de la commune vers l’EPCI calé sur la compétence en matière de PLU qui est envisagé n’est pas la panacée. Il conviendra d’évoluer vers un système permettant tant à la commune qu’à l’EPCI de disposer du droit de préemption lorsque tel est leur choix. La mise en place de deux délais successifs est parfaitement réalisable, le seul risque étant celui d’un conflit entre la commune et l’intercommunalité, conflit dont, en tout état de cause, l’exercice du droit de préemption ne serait qu’un révélateur.

Cette double saisine est d’autant plus nécessaire que, ces dernières années, le droit de préemption se voit assigner des finalités qui dépassent le strict aménagement foncier du territoire : la police administrative au service de la prévention des risques, les fonds de commerce et les baux commerciaux, sans oublier la préemption pour autrui.

Aujourd’hui, l’architecture d’ensemble des droits de préemption est perturbée.

En premier lieu, les différents droits de préemption sont mal hiérarchisés et leur articulation est imparfaite.

En deuxième lieu, les risques de superposition des droits de préemptions sont accrus, notamment ceux qui sont liés au chevauchement entre DPU et droit de préemption des espaces naturels sensibles.

En troisième lieu, les compétences sont dispersées entre les différents niveaux de collectivités publiques et il n’existe pas d’instance ou de documents d’arbitrage entre logiques concurrentes. En effet, le schéma de cohérence territoriale ne joue pas ce rôle de manière satisfaisante.

Nous estimons par ailleurs qu’il convient de conforter par la loi l’évolution jurisprudentielle amorcée par le Conseil d’État dans les arrêts des 7 mars 2008 et 20 novembre 2009. En effet, la justification par la collectivité locale de la réalité d’un projet d’action ou d’aménagement si la nature du projet apparaît dans la décision sans caractéristique précise et sans le document de référence est un progrès important, car l’insuffisance de motivation devenait un obstacle procédural remettant en cause le droit de préemption. La loi doit donc fixer dans le marbre cette évolution jurisprudentielle.

En réalité, le cadre normatif ne permet pas d’appréhender pleinement la réalité des besoins de nos collectivités territoriales. Je pense en particulier à la préemption en considération de l’acquéreur dans le but de faire barrage à certaines opérations contraires à la politique foncière et d’aménagement du territoire de la collectivité. Cela n’a rien de choquant dans la mesure où le droit de préemption est totalement différent de l’expropriation, puisqu’il y a mise en vente volontaire du bien par le particulier et que la saisine éventuelle du juge de l’expropriation pour arbitrer le prix est nécessaire pour éviter – situation qui existe encore – les ventes à prix artificiel dont le seul objectif est de piéger la collectivité.

De la même manière, nous estimons que l’utilisation assez courante du droit de préemption pour stabiliser le marché foncier est parfaitement légitime et doit être développée.

L’amélioration de l’information des collectivités est une heureuse avancée.

Vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, dans les zones détendues, chères à votre cœur (M. le secrétaire d'État sourit), nos collectivités, pour préserver leurs finances, ont grand besoin d’un instrument adapté, car la rénovation et la restructuration passent par la prospective. L’indispensable constitution de réserves foncières, que ce soit dans le bâti ou dans le non-bâti, impose en effet une vision sur plusieurs années.

L’ensemble de ces observations démontre à l’évidence que la proposition de loi qui nous est présentée ne saurait constituer qu’une étape, monsieur le rapporteur, et qu’un texte refondateur du droit de préemption, sous l’ensemble de ses facettes, est plus que jamais nécessaire pour permettre à nos collectivités locales et établissements publics fonciers de faire face aux besoins d’un urbanisme moderne et d’une véritable cohérence territoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’Union centriste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes invités à examiner, qui vise à réformer le droit de préemption urbain, nous est présentée plus de trois années après le rapport du Conseil d’État du 6 décembre 2007 dont l’objet était d’« identifier les mesures qui pourraient être prises pour aboutir à une procédure équilibrée permettant aux collectivités locales de faire face à leurs besoins et leurs obligations et assurant une réelle garantie des droits des propriétaires ».

La commande était claire, et nous pouvions être en accord avec l’objectif, avec une interrogation cependant : comment serait interprétée l’expression « procédure équilibrée » ? En effet, suivant que l’on considère l’intérêt général ou le droit de propriété comme l’intérêt premier, la balance ne penche pas du même côté.

Nous allons donc examiner ensemble l’équilibre préconisé par la présente proposition de loi.

Rappelons que nous avons déjà abordé le sujet lors du débat sur la proposition de loi relative à la simplification et l’amélioration de la qualité du droit, devenue la « loi Warsmann », débat au cours duquel nous avons unanimement et légitimement estimé utile de se donner plus de temps pour la réflexion sur une question aussi importante pour nos collectivités, qui représentent l’intérêt général dans cette question du droit des sols.

Il est intéressant aussi d’expliquer le contexte général dans lequel s’exerce ce droit de préemption pour mieux mesurer les enjeux de la présente proposition de loi.

Les ressources des collectivités sont, progressivement mais inexorablement, réduites compte tenu des politiques menées par le Gouvernement depuis plusieurs années.

Dans le même temps, dans de nombreuses régions, et notamment dans la région parisienne, la spéculation foncière et immobilière sévit.

C’est pourquoi je m’inscris en faux contre l’idée selon laquelle nos collectivités feraient n’importe quoi dans l’exercice du droit de préemption, quand bien même cette idée n’est pas exactement exprimée ainsi. Lorsqu’elles ont recours à cette procédure, c’est pour permettre la réalisation de projets utiles à la population, à l’économie et au bon fonctionnement de nos villes.

On n’exerce pas le droit de préemption à la légère. Il représente d’ailleurs un coût important et une source de contentieux potentiels avec les propriétaires concernés.

Le risque à l’avenir est donc plutôt de ne plus pouvoir utiliser ce droit. C'est la raison pour laquelle ce débat est le bienvenu.

La proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui contient des dispositions que nous estimons utiles et qui ont été renforcées lors du passage devant la commission.

Nous sommes ainsi d’accord avec l’article 1er, qui tend à enrichir le contenu des déclarations d’intention d’aliéner et de renforcer la publicité faite à ce document. Cet article a été modifié en commission, puisqu’il y est maintenant prévu que les informations liées aux installations classées seront communiquées. La commission a également proposé que le titulaire du droit de préemption puisse visiter le bien qu’il envisage d’acquérir.

De plus, l’insertion d’un article additionnel après l’article 1er étendant la préemption partielle aux opérations de constructions nous semble une bonne mesure.

Nous sommes d’accord avec le contenu de l’article 3, qui fixe le transfert de propriété au moment de la signature de l’acte authentique, ainsi que la diminution du délai de paiement, conformément à la préconisation du Conseil d’État.

Bien entendu, nous souscrivons à la volonté de clarifier la procédure en cas de renonciation de la collectivité, prévue à l’article 4.

Nous estimons par ailleurs utile de préciser, comme le préconisait le Conseil d’État, que le bien préempté peut être affecté à une autre destination, sous réserve que celle-ci respecte les conditions autorisant la préemption. C’est le sens de l’article 5. Cependant, nous vous proposerons de sécuriser cette pratique, comme cela a été suggéré par le rapport du Conseil d’État, en subordonnant le changement de destination du bien préempté à une information de l’instance délibérante.

J’ajoute à ces motifs de satisfaction que l’auteur de la proposition de loi n’a pas repris certaines mesures évoquées au cours des derniers mois, notamment celles qui figurent dans la proposition de loi déposée par M. Jean-Luc Warsmann, refusant le recours au juge de l’expropriation pour le droit de préemption urbain.

M. Daniel Raoul. Cela viendra !

Mme Évelyne Didier. L’auteur de ce texte n’a pas repris non plus l’idée, formulée par la proposition de loi déposée par le groupe socialiste, selon laquelle les établissements publics de coopération intercommunale et les régions sont les principales collectivités détentrices du droit de préemption, indépendamment de toute référence aux compétences en matière de réalisation des documents d’urbanisme, et ce, alors même que le lien de causalité entre l’un et l’autre est évident.

M. Daniel Raoul. Il y a du progrès !

Mme Évelyne Didier. De notre point de vue, cette compétence doit rester communale et donner lieu, si nécessaire, à négociation entre collectivités.

La proposition de suppression des zones d’aménagement différé ne nous convainquait pas davantage, sauf à renoncer à toute intervention de l’État dans les territoires, ce que nous désapprouvons. Vous m’en voyez désolée, mes chers collègues !

Vous le voyez, jusque-là, nous sommes en accord avec la proposition de loi, mais je vais maintenant vous dire les points avec lesquels nous ne sommes pas d’accord.

Mme Évelyne Didier. Ainsi, nous regrettons que l’amendement préconisant que l’estimation du prix des domaines tienne compte de l’affectation du bien et pas simplement des conditions du marché n’ait pas retenu votre attention.

Nous regrettons également que la majorité ait refusé d’élargir le champ d’action du droit de préemption urbain à la lutte contre la spéculation immobilière et foncière. Cette mesure, qui vise à défendre l’intérêt général, ne saurait être présentée comme trop coercitive. En la refusant, on prive finalement les collectivités du seul levier efficace pour agir contre un mouvement que tout le monde déplore.

C’est la raison pour laquelle nous reprendrons au cours du débat ces deux amendements qui nous semblaient pertinents.

M. Daniel Raoul. C’est déjà mieux !

Mme Évelyne Didier. Mais les dispositions qui nous divisent vraiment figurent aux articles 2 et  7 de cette proposition de loi.

Nous pensons qu’une collectivité doit pouvoir renoncer en cours de procédure à son droit de préemption : non pas que nous encouragions la légèreté dans ce domaine, mais nous savons tous que la réalisation de projets urbains peut prendre du temps entre le moment où l’idée est lancée et le moment de la conclusion de l’acte. Les procédures sont longues, les surprises possibles et les recours fréquents. Les projets aboutis sont souvent différents de l’intention initiale, d’autant qu’entre-temps, il peut arriver que les électeurs décident de mettre aux commandes une nouvelle majorité, laquelle peut vouloir reconsidérer le projet.

L’article 7, qui prévoit la possibilité d’indemnisation de l’ancien propriétaire, y compris si celui-ci a renoncé à la rétrocession, n’est pas de bonne facture. Cette mesure accréditerait, au fond, l’idée que, dans cette affaire, le propriétaire est une victime. Le propriétaire a des droits ; ils doivent être respectés et le prix d’achat ne doit pas être minoré. Pour autant, laisser à penser que l’intérêt général n’a plus aucune légitimité, c’est renoncer, petit à petit, à ce qui fonde une communauté, je veux parler de l’intérêt collectif et de la solidarité. Prenons garde à ne pas user, par petites touches successives, ce qui fait le ciment de notre société ! Ou alors cessons de nous plaindre que l’individualisme se développe avec autant de force !

Aujourd’hui, à travers ce débat, ce qui est en cause, c’est bien la maîtrise foncière pour nos collectivités, une maîtrise foncière sans laquelle aucun projet d’aménagement n’est possible, d’autant que ce n’est qu’un droit ultime. Nombre de collectivités procèdent, et cela a été dit, aux acquisitions à l’amiable. Il n’y a donc pas lieu d’atténuer ce droit.

Un tissu urbain est un tissu vivant, qui a besoin de se modifier, de s’adapter pour répondre aux besoins d’aujourd’hui. Les collectivités doivent avoir les moyens de leur politique. Cette conviction, nous la porterons tout au long du débat. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais, d’emblée, saluer le travail tout à fait remarquable de notre rapporteur, également auteur de la proposition de loi. Ce thème du droit de préemption nous concerne de très près, nous qui, pour la plupart d’entre nous, sommes des élus locaux.

Il est vrai que ce domaine avait déjà été exploré par le président Warsmann dans sa proposition de loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures. Pour autant, tout le monde a bien compris que l’enjeu va bien au-delà d’une « simple simplification », si je peux m’exprimer ainsi, tant il est nécessaire d’apporter quantité d’ajustements.

Le droit de préemption s’est créé en portant atteinte au principe de l’absolutisme du droit de propriété. À ce propos, mon interprétation du droit révolutionnaire diffère légèrement de celle de Thierry Repentin. Je pense, en effet, que les révolutionnaires avaient, bien au contraire, fait du droit de propriété, notamment en matière immobilière, un droit quasiment absolu, souverain et inaliénable, qui ne pouvait guère être limité que par la loi, et pour des motifs d’intérêt général.

Normalement, toute notion d’abus du droit de propriété ne pouvait exister. C’est la jurisprudence, initialement forgée sur les troubles de voisinage, qui a commencé à battre en brèche ce principe de l’absolutisme du droit de propriété en lui portant une première atteinte. Petit à petit, au fil du temps, des conquêtes et progrès qui ont eu lieu dans l’intérêt social, les collectivités ont pu, elles, se fonder sur les décisions de justice pour réaliser un certain nombre de projets dans l’intérêt général.

Ce droit de préemption constitue aujourd'hui – cela a été dit et je partage complètement ce sentiment – un outil tout à fait indispensable pour la gestion de nos communes : d’abord, il permet de mener à bien un certain nombre de projets d’aménagement qui nécessitent cette maîtrise foncière ; ensuite, c’est un observatoire extrêmement utile de l’évolution du marché foncier sur nos territoires ; enfin – cet aspect est moins souligné –, il est parfois l’occasion d’éviter un certain nombre d’abus ou d’utilisation des sols qui pourraient être particulièrement néfastes à la gestion de nos communes.

C’est dire qu’aujourd'hui il est, à mon avis, essentiel à la fois de simplifier ce droit et de l’améliorer pour remédier aux difficultés qui sont progressivement apparues.

Je suis de ceux qui approuvent totalement les avancées proposées par la commission de l’économie à travers ce texte. Outre une simplification qui était nécessaire et utile, il permet des progrès notables par rapport au droit existant. Ces dispositions, qui sont dans l’intérêt des propriétaires vendeurs et probablement celui des acheteurs, profitent également aux communes.

Au titre des améliorations qui concernent les propriétaires, je citerai notamment tout ce qui permet de raccourcir les délais. Ces mesures sont aussi prévues dans l’intérêt des acquéreurs : en effet, lorsqu’une commune exerce un droit de préemption, elle suscite en général une réaction, qui émane le plus souvent de l’acquéreur et non du propriétaire. Ce dernier regrette, certes, de ne pas toucher son argent aussi vite qu’il l’avait imaginé, mais la vraie gêne suscitée par l’exercice du droit de préemption est souvent ressentie par l’acquéreur, dont les projets de logement auxquels il attachait une extrême importance sont contrariés.

Si la diminution des délais constitue sans doute une contrainte pour les communes, elle apporte, à mon sens, une amélioration évidente pour les acquéreurs.

Pour les communes, ce texte est également porteur de progrès. Tout ce qui permet d’enrichir le formulaire sur le DPU me paraît très positif. Quant aux autres mesures pratiques contenues dans la proposition de loi, notamment la visite du bien, elles sont tout à fait heureuses.

Pour ma part, j’ai déposé quelques amendements sur ce texte, dont l’un consiste à soumettre les décisions de préemption à un affichage en mairie et à une publication dans le recueil des actes administratifs municipaux, de manière que le droit de préemption s’exerce dans la plus grande transparence et que les tiers puissent prendre connaissance de la décision.

Mes chers collègues, je vous soumets un autre amendement que j’avais déjà défendu en 2005. Il ouvre la possibilité, pour les communes, d’exercer un droit de préemption à l’égard d’un certain nombre de donations déguisées sur des biens en général de faible valeur, mais d’une importance tout à fait cruciale pour ces municipalités.

Des exemples, nous en connaissons tous. En tant que président d’une association départementale de maires, je pourrais vous citer des dizaines de cas dans lesquels des propriétaires et des acquéreurs s’entendent avec des notaires plus ou moins consentants…

M. Jacques Mézard. Tout à fait !

Mme Nicole Bricq. Il y a des spécialistes !

M. Laurent Béteille. … qu’on va d’ailleurs chercher dans un département éloigné – c’est dire que les choses ne se passent pas d’une manière très catholique ! – pour enregistrer une donation accompagnée, naturellement, de versements en espèces ! Comme il est impossible d’apporter la preuve de cette tromperie, un certain nombre de biens échappent au droit de préemption des communes.

M. Laurent Béteille. Nous nous devons de réagir à cette forme de détournement de la loi.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Laurent Béteille. Je suis tout à fait partisan de mettre un terme à ce système et de permettre au droit de préemption de s’exercer. Ensuite, le juge des expropriations évaluera le bien. Personne ne sera véritablement lésé, mais on aura évité ce détournement tout à fait scandaleux. J’espère être, cette fois, entendu.

Je terminerai en répétant ce que j’ai dit d’emblée pour remercier la commission de l’économie et son rapporteur d’avoir réalisé cet excellent travail, tout à fait opportun. (Applaudissements sur certaines travées de lUMP et du groupe socialiste.)