M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le Gouvernement est favorable à la motion de renvoi à la commission.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Je rappelle que le Gouvernement est favorable à cette motion.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 257 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 339
Majorité absolue des suffrages exprimés 170
Pour l’adoption 187
Contre 152

Le Sénat a adopté.

En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.

Demande de renvoi à la commission (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à instaurer un nouveau pacte territorial
 

9

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales
Discussion générale (suite)

Développement des langues et cultures régionales

Discussion d'une proposition de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales
Discussion générale (fin)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion de la proposition de loi relative au développement des langues et cultures régionales, présentée par M. Robert Navarro et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 251 rectifié, rapport n° 657).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Robert Navarro, auteur de la proposition de loi.

M. Robert Navarro, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n’aurons sûrement pas le temps d’aller au bout de ce débat. Je préviens donc mes collègues qui n’auront pas l’occasion de s’exprimer aujourd'hui sur ce texte que j’en demanderai de nouveau l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux dès la prochaine rentrée parlementaire.

Je suis ici, devant vous, pour vous proposer de faire entrer pleinement les langues régionales au cœur de la République.

Ce débat, n’en déplaise à certains, est historique. Il est unique depuis 1951.

Vous le savez, je suis du Languedoc-Roussillon. Certains ici sont de Provence, d’Alsace, de Picardie, de Bretagne, d’Auvergne, de Corse, du Pays basque. Oui de France et d’outre-mer, nous sommes les enfants de nos régions !

Ici, à mon pupitre, en observant cette diversité, je regarde l’histoire de France. Je songe aux soldats de l’an II, à ceux de Victor Hugo. Quelle langue parlaient-ils entre eux ? Je songe aux Marseillais entonnant un chant qui est aujourd’hui notre hymne national.

Mes chers collègues, comment aujourd’hui ne pouvons-nous pas songer aux tranchées de 14-18, à tous ces soldats qui se retrouvaient après l’assaut meurtrier du soir autour d’une soupe claire, autour d’un patois ?

Pouvons-nous aujourd’hui dire, en cette enceinte, que nos aînés aimaient si peu la République qu’ils s’exprimaient dans leur langue maternelle ?

Les langues régionales sont le corps de notre nation. Je suis ici devant vous pour les défendre, pour leur donner vie dans notre République une et indivisible mais riche, tellement riche de sa diversité.

Pour que ce texte arrive devant vous, le parcours a été long. Il a fallu du courage à beaucoup de mes collègues et à moi-même pour inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de cette assemblée.

Oui, la France est grande parce qu’elle a su, au-delà des langues, unifier un peuple autour de valeurs communes. Je suis ici devant vous pour vous demander de dépasser les clivages politiques traditionnels, pour vous dire que les langues régionales ne sont pas les adversaires de notre République et de sa langue, le français.

Les langues régionales sont au cœur de notre identité républicaine. C’est dans cette diversité que nous trouvons notre unité. L’Académie française l’a si bien rappelé en proclamant : « Les langues régionales appartiennent à notre patrimoine culturel et social. […] Elles expriment des réalités et des sensibilités qui participent à la richesse de notre nation. »

Ces réalités, ces sensibilités avaient déjà été évoquées par Voltaire : « c’est le peuple ignorant qui a formé les langages », a-t-il écrit. Gardons notre sang-froid.

En donnant sa vraie dimension aux langues régionales, en leur donnant leur vraie place, nous ne mettrons pas à bas l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, signée par François Ier, et qui a imposé le français comme langue du droit et de l’administration en France. Examinons ici, dans cette enceinte, notre histoire avec lucidité.

Depuis 1539 et pendant trois siècles, le français est resté minoritaire. Dans son rapport de juin 1794, l’abbé Grégoire a révélé qu’on ne parlait exclusivement le français uniquement dans environ quinze départements sur quatre-vingt-trois à l’époque. Oui, au temps fort de la Révolution, seuls 3 millions de Français sur 28 millions parlaient la langue nationale.

Pourtant, la République fut proclamée. Pourtant, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen fut rédigée. Si je suis ici devant vous, c’est aussi pour rappeler que nous avons une obligation : celle d’être les passeurs d’un savoir, d’un patrimoine. Je veux croire qu’aujourd’hui nous pouvons dépasser le clivage droite-gauche sur ce sujet majeur et dessiner une nouvelle majorité pour ne pas sacrifier ce patrimoine menacé de disparition.

Ce débat, n’en déplaise à certains, est nécessaire et utile à notre pays.

En France, les langues régionales n’ont toujours pas de véritable statut juridique. À court terme, les langues régionales parlées dans notre République sont menacées : si nous n’agissons pas, nous serons responsables de cette perte de patrimoine, de notre richesse, de notre diversité. La diversité, ce n’est pas seulement les espèces végétales ou animales, c’est aussi le patrimoine immatériel.

Les responsables politiques que nous sommes ont le devoir d’être les passeurs de ces savoirs, de ce patrimoine. Ceux qui sont sincèrement convaincus de l’impérieuse nécessité de transmettre cette richesse doivent avoir le courage de prendre les décisions qui s’imposent.

Mon objectif est de donner un droit d’accès et d’usage des langues vivantes autres que le français, non pas aux seuls Bretons ou aux Occitans, mais à l’ensemble des habitants d’un espace géographique imprégné par cette langue.

J’entends, ici, parler d’un risque d’inconstitutionnalité. À ma connaissance, nul ne soulève ce risque quand il s’agit d’imposer l’initiation à une langue étrangère dans les programmes de l’enseignement primaire obligatoire !

On m’objectera que les langues régionales ne sont pas les langues étrangères. Mais des langues comme l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou l’italien sont-elles encore étrangères quand elles sont surtout européennes ? Le danger pour le français ne vient pas tant des langues régionales que de l’Europe, où on ne parle actuellement que l’anglais, et où il est très difficile d’obtenir la transcription en français de tous les débats.

La menace de saisine du Conseil constitutionnel ne doit pas nous effrayer : de fait, l’enseignement du corse est aujourd’hui garanti et nul n’a censuré cette mesure. L’équité exige que toutes les langues bénéficient du même engagement de la République.

Maintenant que nous débattons de cette proposition de loi, nous devons nous efforcer de réunir une majorité d’idées autour de la nécessité de préserver concrètement notre patrimoine commun. En effet, nous sommes convaincus qu’il existe une majorité politique responsable, dans tous les groupes, prête à défendre cet objectif et consciente du fait que les langues régionales sont toujours menacées en France.

Les élus que nous sommes doivent également tenir compte de la hiérarchie des normes, des obligations et des devoirs : en effet, la France défend avec raison la diversité linguistique ailleurs dans le monde, et elle a raison. Au niveau international, elle s’engage à préserver ce patrimoine qui existe sur son territoire. Nous devons à présent respecter ces engagements internationaux.

Notre République s’honorerait de se mettre en conformité avec les recommandations internationales qu’elle a signées, telles la convention de l’UNESCO du 18 mars 2007 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles ou encore la convention du 20 avril 2006 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Il est temps que notre pays reconnaisse enfin les langues régionales comme patrimoine national et il est temps pour la République de contribuer à en assurer la valorisation et la transmission, notamment grâce à l’octroi d’un statut protégé.

À ce titre, l’État, l’ensemble des ministères et des structures concernés par cette mission ont un rôle majeur à jouer et des responsabilités précises à assumer.

Mes chers collègues, la France n’est plus menacée de scission depuis longtemps ! La décentralisation est une réussite et la vivacité de notre territoire est le fruit des mesures adoptées, depuis les lois Defferre, par les diverses majorités politiques qui se sont succédé. La reconnaissance des langues et cultures régionales est, à nos yeux, un prolongement logique de cette décentralisation.

Par essence, les sénateurs, de gauche comme de droite, ne peuvent qu’être favorables à une république des territoires.

Dans bien des cas – pas dans tous certes, et d’autres mécanismes sont d’ailleurs prévus par la loi – la région constitue le meilleur échelon à même de soutenir les langues et cultures régionales. Son rôle doit être renforcé, en coordination avec les autres échelons, dans une logique partenariale avec l’État, afin de faciliter et d’accélérer le déploiement de dispositifs efficaces de soutien aux langues régionales.

En tant que chefs de file territoriaux, les régions seraient ainsi en mesure de mieux coordonner l’action des collectivités locales et des services publics dans ce domaine. Mais comme une région n’est pas toujours concernée dans son ensemble par une langue régionale, elle doit pouvoir déléguer cette compétence à un département ou à un établissement public de coopération intercommunale le cas échéant. En outre, si une même langue régionale est commune à plusieurs régions, ces dernières doivent pouvoir se doter, avec l’aide de l’État, d’une instance assurant la mise en œuvre de cette mission.

Pour préserver ce patrimoine encore vivant, nous devons rétablir les mécanismes de transmission naturelle. Tel doit être, in fine, l’objectif de toute politique publique en matière de langues et cultures régionales.

Deux secteurs clefs sont nécessaires à une transmission naturelle de la langue : l’éducation et les médias.

L’éducation nationale, tout comme les médias, est chargée de faire vivre ce patrimoine culturel, de veiller au développement des langues régionales, afin de mieux contribuer à leur transmission. Oublier cette responsabilité ne serait pas un signe de modernité ; au contraire, il s’agirait d’une perte de substance de l’héritage culturel national.

On m’objecte souvent que les enfants devraient déjà apprendre correctement le français, mais cet argument masque une réalité : en effet, les élèves qui, dans les écoles bilingues, étudient une langue régionale, obtiennent des résultats scolaires bien meilleurs que les autres. Enseigner les langues régionales, c’est donc améliorer l’éducation et la culture dans son ensemble.

La Constitution proclame que « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » : nous devons en tirer les conséquences quant à la responsabilité et aux obligations assumées par l’État, premier garant de ce patrimoine, ainsi que par les régions, appelées à jouer un rôle sans cesse croissant dans le paysage politique français.

Dans ce cadre, la République a son rôle à jouer : gardienne des valeurs et des principes fondamentaux, elle doit être attentive aux demandes, aux attentes, à la vie des différentes langues et cultures qui existent sur son territoire, en métropole comme en outre-mer. Il serait suicidaire de le nier.

Mes chers collègues, le temps du débat a commencé ; il est possible que nous n’examinions pas l’ensemble du texte, même si je vous appelle à être brefs et à ne pas faire d’obstruction.

Surtout, par cet examen, nous appelons solennellement nos collègues députés à examiner, eux aussi, les deux propositions en attente : ces textes doivent être inscrits à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il n’est pas légitime de priver des millions de citoyens en attente d’avancées sur ce sujet majeur.

Après le temps du débat doit venir celui de la loi, d’une loi qui rassemble en un texte unique l’ensemble des dispositions ayant trait aux langues et cultures régionales, afin de conférer à ces dernières une visibilité qu’elles n’ont pas actuellement, et surtout de leur dessiner un nouvel avenir.

Mes chers collègues, nous, parlementaires, en votant en faveur de la défense des langues régionales, porterons la voix d’une République généreuse, tolérante et courageuse. En votant en faveur de la défense des langues régionales, nous serons véritablement au cœur de ce qui symbolise la valeur de notre engagement en sein de la vie de notre cité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’on considère le nombre de questions orales et écrites ainsi que la densité des initiatives parlementaires sur le sujet, force est de constater que l’intérêt pour les langues et les cultures régionales est largement partagé au sein de notre assemblée.

La proposition de loi rectifiée de M. Navarro et des membres du groupe socialiste, qui partage beaucoup de ses dispositions avec le texte déposé par M. Alduy et plusieurs membres du groupe UMP, en est un signe supplémentaire.

Intervenant à la suite de l’inscription des langues régionales à l’article 75-1 de la Constitution en tant qu’éléments du patrimoine de la France, ce texte touche à tous les domaines de compétence de la commission de la culture et même au-delà. Sont ainsi concernés l’éducation, les médias et le spectacle vivant, la place des langues régionales dans la vie publique, la vie économique et sociale, l’onomastique et la toponymie.

Mes chers collègues, le temps des « guerres linguistiques » est révolu et la révision constitutionnelle de juillet 2008 l’a bien marqué. La commission de la culture estime qu’il est impératif de conserver le statut prééminent du français, notre langue nationale commune, la langue de la vie publique et de la République, l’un des piliers de l’unification de notre pays.

Cependant, il convient de rejeter la tentation de l’anathème et de reconnaître le trésor culturel que constituent les langues régionales, chacune à sa manière. Celles-ci ne sont pas une menace pour le français, qui doit plutôt lutter au plan international pour conserver sa place dans le monde.

En outre, le terme générique de « langues régionales » masque une très grande variété de situations. Rares sont les points communs entre le basque, le breton, les langues d’oc, l’alsacien, le catalan, le corse, le picard, le flamand occidental, les créoles, le tahitien, les langues canaques et amérindiennes. Ces langues diffèrent par le nombre de leurs locuteurs et le degré réel de maîtrise linguistique de ceux-ci, mais aussi par leur mode de transmission, naturel ou scolaire, par l’extension de leurs aires d’usage, par leur vitalité et par les politiques menées localement en vue de les soutenir.

Certaines langues sont ainsi confinées à des territoires restreints comme le pays basque ou l’arrondissement de Dunkerque, tandis que les langues d’oc, ou les variétés d’occitan comme on voudra, couvrent la moitié sud du pays. Il ne faut pas non plus négliger le cas des langues transfrontalières reconnues dans des pays voisins à l’instar du catalan en Espagne et en Sardaigne. De plus, si l’allemand est reconnu comme forme écrite de l’alsacien, les locuteurs du flamand occidental n’adoptent pas le standard néerlandais. Certaines de ces langues connaissent une littérature pluriséculaire, d’autres ne sont pas encore véritablement dotées d’un standard écrit.

De même, l’intervention des collectivités diffère d’un territoire à l’autre, en fonction des priorités librement déterminées de leur politique. Certaines régions, comme l’Alsace ou la Bretagne, mènent une politique vigoureuse en faveur de leur langue propre, d’autres non. Des organismes très structurés existent parfois comme l’office public de la langue basque, dont chacun salue l’efficacité et le succès.

Faut-il pour autant imposer ce modèle partout ? Au regard de cette hétérogénéité fondamentale, il paraît inopportun de confier au législateur la tâche de tracer un cadre commun uniforme, qui sera par nature mal ajusté aux spécificités de telle ou telle langue, de tel ou tel territoire. Plutôt que de figer des situations très évolutives et mouvantes par des normes nationales, mieux vaut laisser les initiatives locales se développer. D’ailleurs, j’ai pu constater la vitalité des associations de promotion des langues régionales et des délégations régionales constituées à cet effet en Aquitaine et en Midi-Pyrénées.

Le cadre légal et réglementaire actuel ne freine pas les nombreux projets qui fleurissent spontanément un peu partout. Toutefois, une circulaire pourrait être utile pour lever certaines ambiguïtés d’interprétation : le ministère de la culture y travaille.

La responsabilité des collectivités territoriales dans la préservation des langues régionales est éminente ; c’est bien là le sens de l’inscription des langues régionales au sein du titre de la Constitution consacré aux collectivités territoriales. Il revient à ces dernières de déterminer les modalités d’action qu’elles jugent pertinentes pour répondre à la demande sociale locale.

En effet, il ne faudrait pas tout attendre de l’État alors que sont en jeu des intérêts essentiellement locaux. Pour autant, l’État ne doit pas se priver d’intervenir pour sauvegarder les langues régionales. Il s’acquitte d’ailleurs de sa responsabilité de manière très satisfaisante. Ainsi, l’éducation nationale et l’audiovisuel public se sont engagés fortement et à la hauteur de la demande constatée, sans qu’il soit justifié de leur imposer de nouvelles obligations.

Dans les écoles, les collèges et les lycées, toutes formes d’enseignement confondues, quelque 193 500 élèves sont concernés par un enseignement de langues régionales, dont 125 000 environ dans le premier degré. Les demandes des parents paraissent globalement satisfaites par l’offre de formation actuelle et par les perspectives d’évolution inscrites dans la programmation du ministère de l’éducation nationale.

Pour atteindre ces résultats, l’Éducation nationale a mobilisé des ressources importantes destinées au recrutement d’enseignants. Ainsi, depuis 2002, plus de 1 300 postes « bivalents » de professeurs des écoles ont été ouverts.

Cependant, avec à peine plus de deux candidats et demi pour un poste proposé, ces concours ne semblent pas particulièrement attractifs. Pour le second degré, les CAPES de langue régionale – basque, breton, catalan, créole et occitan – de langue corse et de tahitien recrutent des personnels enseignants depuis 1990. Au cours des vingt dernières années, 600 postes ont été offerts aux candidats. Au collège et au lycée, les enseignements ont été assurés par 502 professeurs certifiés de langue régionale en 2010. Depuis quatre ans, ces effectifs ont même progressé.

L’État et les collectivités territoriales ont également employé la faculté ouverte par l’article L. 312-10 du code de l’éducation, que la présente proposition de loi tend à supprimer, afin de signer des conventions pour la promotion de l’enseignement des langues régionales. C’est notamment le cas dans les académies de Bordeaux, de la Martinique de Montpellier, de Rennes, de Strasbourg et de Toulouse.

L’effort de l’État pour affirmer la présence des langues régionales dans les médias n’est pas moins important. La loi du 30 septembre 1986 donne mission aux composantes de l’audiovisuel public d’assurer la promotion de la langue française et des langues régionales d’une part, de mettre en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France d’autre part.

La mission de production et de diffusion d’émissions en langues régionales a été réaffirmée à l’occasion de la loi du 5 mars 2009 réformant l’audiovisuel public.

Les contrats d’objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France transcrivent fidèlement cette exigence. Une part non négligeable des temps d’antenne est aujourd’hui réservée à l’expression en langues régionales et à la découverte des cultures régionales.

En 2010, France 3 a ainsi diffusé en métropole environ 300 heures d’émissions en alsacien, en basque, en breton, en catalan, en corse, en occitan et en provençal. De plus, la chaîne Via Stella, spécifique à la Corse, a diffusé environ 900 heures supplémentaires de programmes. Les Télés Pays outre-mer font également beaucoup pour les créoles. En outre, pour France Télévisions comme pour Radio France, les journaux d’information et les émissions de la diffusion classique sont reprises dans l’offre en différé et à la demande. J’estime d’ailleurs qu’internet constitue, plus que les antennes classiques, un excellent instrument de diffusion des langues.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. C’est vrai !

Mme Colette Mélot, rapporteur. Enfin, il convient de rappeler que les dispositifs d’aide financière dont bénéficient les médias écrits et audiovisuels en français sont également ouverts aux médias qui utilisent les langues régionales. La presse en langue régionale peut bénéficier des aides à la presse, en particulier celles du fonds d’aide au développement des services de presse en ligne.

L’engagement de l’État se traduit donc par des investissements très importants, qui sont parfois méconnus mais qui couvrent d’ores et déjà les besoins identifiés, sans qu’il soit nécessaire d’adapter le cadre légal et réglementaire en vigueur.

Par conséquent, la nécessité d’une intervention du législateur n’est pas avérée. Outre cette réserve de principe, la commission de la culture estime que le texte de la proposition de loi n’offre pas une base juridique satisfaisante.

Tout d’abord, la quasi-intégralité des titres Ier, II, III et IV, lesquels entraînent des coûts supplémentaires dans les domaines éducatif, médiatique et culturel pour l’État, les collectivités territoriales et l’audiovisuel public, pourrait être déclarée irrecevable.

En effet, l’article 40 de la Constitution interdit toute aggravation d’une charge publique d’initiative parlementaire. Les articles 57 et 58 de la proposition de loi proposent un gage sur les accises et les dotations budgétaires. Mais ces gages sont sans objet, puisque l’article 40 ne permet que la compensation des pertes de recettes et exclut toute compensation d’une aggravation de charge publique.

Toutefois, la commission de la culture a considéré que le débat sur les langues régionales devait se poursuivre en séance publique du fait de son importance et de son intérêt intrinsèque. C’est pourquoi elle a choisi de ne pas recourir à la procédure de l’article 40.

De même, la commission de la culture n’a pas souhaité déposer de motion d’exception d’irrecevabilité pour ne pas couper court au débat. Pourtant, certaines dispositions de la proposition de loi pourraient conduire à la reconnaissance d’un droit collectif opposable à l’État par des groupes minoritaires définis sur une base linguistique. Cela est contraire au principe d’unicité du peuple français et d’indivisibilité de la République.

Je vise notamment l’ensemble constitué par le statut protégé pouvant être octroyé par les collectivités aux langues régionales d’après l’article 3 du texte.

Sont également concernées les obligations générales d’offre de formation en langue régionale, y compris à destination de tous les enseignants du primaire et du secondaire, au titre II.

L’attribution automatique de fréquences de radio à l’article 24 et les autorisations nécessaires aux télévisions régionales à l’article 30 sont également visées.

C’est aussi le cas de l’obligation d’instaurer une signalétique bilingue dans les services publics à l’article 40.

Enfin, la présomption d’absence de discrimination dans l’organisation de toute activité éducative, sociale ou professionnelle en langue régionale, à l’article 49, paraît également aller à l’encontre du principe d’unicité.

La libre utilisation des langues régionales demeure protégée au titre du principe général de la liberté d’expression et de communication, garanti par l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Mais elle doit être conciliée avec la primauté accordée au français par l’article 2 de la Constitution. Certaines dispositions de la proposition de loi paraissent revenir sur cet équilibre, ce que la commission de la culture ne souhaite pas.

En donnant compétence au conseil régional pour coordonner l’action des services de l’État et des autres collectivités locales en matière de politique linguistique, ce qui implique une intervention très extensive dans des champs de compétences qui ne sont pas les siens, le domaine éducatif notamment, l’article 4 pourrait méconnaître l’organisation générale des pouvoirs publics et le principe de libre administration des collectivités territoriales, garantis par l’article 72 de la Constitution.

Outre ces doutes sur la constitutionnalité du texte, il convient également de remarquer que le droit existant est riche de possibilités inexploitées par les collectivités.

Plusieurs dispositions des titres IV, V et VI énumèrent des facultés qui sont satisfaites par le droit existant.

En mettant en avant des cas particuliers, le texte risque surtout d’affaiblir la portée générale des possibilités déjà offertes par le droit existant. C’est le cas aux articles 44 et 45, qui renvoient aux services de la petite enfance ou pour les personnes âgées. Ces énumérations peuvent nourrir des interprétations restrictives limitant les facultés d’emploi des langues régionales aux seuls cas mentionnés expressément dans la loi. Nous pouvons déjà prévoir la multiplication des recours. Loin de clarifier les possibilités offertes aujourd’hui, le texte pourrait créer paradoxalement les conditions d’un affaiblissement des langues régionales.

Par ailleurs, certaines dispositions du texte sont d’ordre purement réglementaire. Ainsi, l’article 18 vise à inscrire dans la loi le recrutement des enseignants de langue régionale. L’organisation des concours des différents corps d’enseignants, ainsi que le détail de leurs formations initiale et continue relèvent de décrets du ministre de l’éducation nationale ou du ministre de l’enseignement supérieur. Il ne serait pas légitime de réserver un sort particulier aux seuls enseignants de langues régionales au sein de l’éducation nationale.

Enfin, je me dois d’insister sur le coût potentiellement très élevé des mesures inscrites dans le texte. L’éducation nationale, le ministère de la culture, France télévisions, l’Association des régions de France, l’ARF, lors de leurs auditions, se sont montrés préoccupés par l’impact financier du texte, tant pour l’État que pour les collectivités territoriales.

Dans un contexte budgétaire très difficile, les efforts demandés dans le texte paraissent excessifs. Ils visent essentiellement à faire émerger une demande de langues régionales au sein de la population plutôt qu’à répondre à des besoins clairement identifiés, qui sont en réalité largement satisfaits.

Malgré mon attachement sincère à la préservation de la richesse culturelle que portent les langues régionales, je ne peux dès lors qu’émettre, au nom de la commission de la culture, un avis défavorable sur l’adoption de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)