M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Les régions ne coûtent rien, aujourd'hui !

M. Jean-Jacques Mirassou. Cela permettra éventuellement au Gouvernement, dans un deuxième temps, d’instruire un nouveau procès en gabegie à l’encontre des élus locaux, qui commencent à y être habitués.

L’argument de la réduction des coûts qu’apporterait la création du conseiller territorial tombe donc de lui-même.

La plus frappante des incohérences de ce texte réside dans le nombre des conseillers territoriaux élus dans le cadre régional, d’une part, et dans le cadre départemental, d’autre part, le tout rapporté au poids démographique de chacune de ces circonscriptions.

Ainsi en va-t-il de la région Midi-Pyrénées : la Haute-Garonne, département central, désignera quatre-vingt-dix conseillers territoriaux, soit, comme le note Martin Malvy, autant que la composition actuelle du conseil régional, alors que, à l’autre bout de la chaîne, le département le moins peuplé, je veux parler de l’Ariège, au mépris de toutes les considérations géographiques attachées à un département de montage, ne sera représenté que par quinze conseillers territoriaux. Où sont la cohérence et surtout le respect des territoires dans tout cela ?

Circonstance aggravante, le tableau des conseillers territoriaux a été conçu avant même que ne soit évoquée la configuration des nouveaux cantons. Vous en conviendrez, monsieur le ministre, ce n’est pas le moindre des paradoxes !

La définition des nouveaux cantons sera pour le Gouvernement une nouvelle partie de plaisir, et c’est un euphémisme ! On ne m’empêchera pas de penser que les ordinateurs du ministère de l’intérieur doivent déjà chauffer, car ils sont sans doute terriblement sollicités. Il y a, j’en suis convaincu, un déficit d’information sur les nouveaux cantons selon que l’on siège d’un côté ou de l’autre de l’hémicycle.

Faut-il redire également que l’élection du conseiller territorial, du fait du mode de scrutin, sera défavorable à la représentation féminine ?

Ces arguments ont largement été évoqués par les sénateurs socialistes avant le vote de la loi du 16 décembre 2010. Si j’ai tenu à les rappeler, c’est parce qu’ils sont toujours d’actualité aujourd’hui.

En effet, les récentes élections cantonales, remportées par la gauche, ont montré combien la population était fortement attachée à la fois à ses départements, à ses cantons et à ses conseillers généraux.

En outre, les élus locaux sont désormais mieux informés des tenants et aboutissants de cette loi et, depuis quelques jours, des approximations qu’elle contient ainsi que des risques qu’elle présente pour notre paysage institutionnel. Alors que cette loi avait pour objet de simplifier ce paysage, elle crée de nouvelles strates compliquées, tout en réduisant à néant, et ce n’est pas la moindre des choses, la notion de proximité à laquelle nous sommes tous ici particulièrement attachés.

Cette réforme rebat également les cartes en ce qui concerne les blocs de compétences. Elle retire aux conseils généraux et aux conseils régionaux les responsabilités, qui, pour certaines, venaient de leur être confiées au prix de coûteuses adaptations.

De surcroît, la réforme planifie à l’horizon de 2015 la disparition de la clause de compétence générale, ce qui constitue, de notre point de vue, une atteinte supplémentaire au principe de libre administration des collectivités territoriales.

Et ce n’est malheureusement pas fini ! Le feuilleton continue sur le plan institutionnel. Dans tous les départements de France et de Navarre, on se « frotte » à la fameuse refonte de l’intercommunalité, pilotée au pas de charge par les préfets.

M. Philippe Richert, ministre. Pas partout !

M. Jean-Jacques Mirassou. Je n’ai pas dit « partout », monsieur le ministre.

Cette refonte provoque un nouveau tollé, lequel est certainement justifié dans les départements où elle se produit. Si elle est contestée, c’est parce qu’elle bat en brèche la responsabilité naturelle des élus locaux et parce qu’elle doit être réalisée à marche forcée. Les projections qui intéressent les uns et les autres, notamment d’un point de vue fiscal, ne peuvent même pas être étudiées a minima.

Une réforme des collectivités territoriales et de l’intercommunalité doit se faire sur la base du volontariat et non à marche forcée, en remplissant des cadres colorés issus de l’imagination des préfectures ou de la place Beauvau, dans le but inavoué, cela a été dit tout à l’heure, de nier la réalité cantonale et départementale ainsi que, au passage, les syndicats intercommunaux.

L’objectif d’une troisième étape de la décentralisation était pourtant énoncé dans le rapport de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, délégation pluraliste menée par nos collègues Yves Krattinger, Claude Belot et Jacqueline Gourault. On sait le sort qui lui a été réservé. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il y a tout lieu de s’interroger sur le devenir de ses travaux.

D’un côté, on assiste à des discussions sympathiques, lucides et éclairées, mais, de l’autre, on est rattrapé par la réalité et on fait face à la détermination sans faille du Gouvernement, qui n’a aucun doute sur l’action qu’il mène.

Je crains que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation ne serve en fait un peu d’alibi à notre institution. Nous avons en effet l’impression de débattre de cette réforme dans un cénacle hors sol et déconnecté de la réalité des départements, lesquels font montre d’une hostilité elle aussi sans faille à cette réforme.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, pourquoi vous obstinez-vous à imposer une réforme aussi contestée aujourd'hui qu’hier et qui le sera encore demain ? En votant contre le tableau de répartition des conseillers territoriaux dans les départements et dans les régions, le Sénat disqualifierait de fait le nouvel élu, nocif, et, par la même occasion, cette réforme dangereuse et inutile.

Je vous le répète, mes chers collègues, il est encore temps de faire preuve de lucidité et de s’opposer à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a dû considérer que, en sus d’infliger une session extraordinaire au Parlement afin d’absorber un trop-plein législatif résultant en grande partie d’urgences médiatiques, lesquelles pouvaient pourtant attendre, il convenait de lui infliger un nouvel examen du texte sur les conseillers territoriaux. Cent fois sur le métier, remettez votre ouvrage ! Il vous reste donc quatre-vingt-dix-sept tentatives pour aboutir à un bon texte, monsieur le ministre. Il est vrai qu’il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre !

Lors de la discussion de la réforme des collectivités territoriales, je déclarais le 19 janvier 2010 à cette tribune : « […] le bégaiement législatif a de beaux jours devant lui ! » Était-ce prémonitoire ?

Alors que je défendais la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, je déclarais le 29 juin 2010 : « Dois-je rappeler que, lors des débats de la première lecture, sauf pour l’amendement présenté par M. About, le Gouvernement a écarté toute discussion sur le mode de scrutin ou sur le nombre de conseillers territoriaux ? Ces questions devaient être l’objet du projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale. Le Sénat ne devait donc pas aborder ces sujets, sur lesquels il fut impossible d’obtenir du Gouvernement la moindre précision : le tableau n’existait pas ; il a néanmoins fait une apparition miraculeuse à l’Assemblée nationale... […] le mode d’élection du conseiller territorial et la répartition des compétences constituent deux éléments fondamentaux de la réforme […] ».

Je déplorais donc déjà que le Sénat n’ait pas été admis à en débattre en première lecture du fait des gesticulations législatives que vous opérâtes.

Devant l’Assemblée nationale, le discours fut différent. Celle-ci eut le privilège de voir surgir des amendements du Gouvernement relatifs au mode de scrutin et au tableau des conseillers territoriaux.

Dès le 29 juin 2010, nous condamnions le fait que le Sénat soit privé d’une double lecture sur deux points essentiels de la réforme. À l’époque, je considérais à cette tribune qu’une telle méthode aboutissait à dénaturer le processus législatif et à vider de son contenu l’article 39 de la Constitution, sans aucun égard pour les prérogatives du Sénat.

Vous étiez déjà, monsieur le ministre, sur un terrain législatif glissant. Vous y étiez tellement bien que vous avez voulu persévérer : vous vous y êtes étalé !

Pourtant, nous vous avions encore averti lors du débat devant le Sénat, le 7 juin 2011 – c’était il y a moins d’un mois –, en déclarant à nouveau : « Le Conseil constitutionnel – car il sera saisi – devra préciser son interprétation. Il est clair, en tout état de cause, que la procédure utilisée jusqu’à ce jour pour faire passer en force ce texte ne correspond pas, pour nous, à une application orthodoxe des règles constitutionnelles et a eu pour objectif de contourner » – de façon préméditée – « la priorité que la Constitution avait instituée au profit du Sénat concernant l’organisation des collectivités territoriales. »

Avec vous, monsieur le ministre, nous pouvons reprendre la célèbre formule du président Edgar Faure : « Avoir toujours raison, c’est un grand tort ».

Vous nous présentez un projet de loi strictement identique à celui que le Sénat avait examiné le 7 juin dernier et vous utilisez selon votre habitude la procédure accélérée, alors qu’il n’y a réellement aucune urgence, ce texte ne devant recevoir éventuellement application qu’en 2014.

L’urgence se justifie d’autant moins que la réforme des collectivités territoriales doit comprendre, outre la loi du 16 décembre 2010, le projet de loi n° 61 relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale ainsi que le projet de loi organique n° 62 relatif à l’élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale. Ces textes, qui, je le rappelle, monsieur le ministre, ont été déposés au Sénat le 21 octobre 2009, époque où vous étiez sénateur. Force est donc de constater que c’est non pas l’urgence qui les caractérise, mais la stagnation, d’autant que vous avez allègrement désossé le projet de loi n° 61 au gré de vos besoins législatifs.

Il est d’ailleurs manifeste que l’introduction à l’Assemblée nationale du tableau de répartition par le Gouvernement par la voie d’un amendement, que la commission des lois n’avait pu examiner, n’était initialement pas prévue. Il y a donc un problème de cohérence entre le volet de la réforme territoriale promulgué et les textes qui restent à examiner. Le projet de loi de ce jour ne vise en fait qu’à colmater la loi du 16 décembre 2010.

Le Gouvernement avait justifié cette procédure accélérée lors de la discussion du précédent projet de loi par la nécessité de procéder au plus vite au redécoupage cantonal. Or les critères de définition des nouveaux cantons restent flous. Seules sont connues l’obligation de respecter le découpage des circonscriptions législatives et celle de ne pas dépasser de 20 % la moyenne de population des cantons d’un même département. On réfléchit beaucoup à ce redécoupage en ce moment, mais sans nous…

Même si le Conseil constitutionnel a validé les principes de la répartition des conseillers territoriaux au sein des régions, cette répartition entraîne une distorsion de représentation des électeurs à l’échelon national. Comme nous l’avons déjà dit, des départements de population semblable auront un nombre sensiblement différent de conseillers territoriaux, ce qui pose incontestablement la question de l’égalité du suffrage.

Il est certes difficile de parvenir à une représentation strictement équitable sur l’ensemble du territoire national, compte tenu notamment des écarts de population au sein d’une même région, mais, en l’espèce, les écarts apparaissent très disproportionnés au regard de la finalité initiale du texte.

En tout cas, le 23 juin dernier – c’est très satisfaisant –, le Conseil constitutionnel a posé clairement le principe que, lorsqu’un projet de loi concerne une caractéristique fondamentale de l’organisation des collectivités territoriales, le Sénat devait en être saisi en premier, comme nous le soutenions avec opiniâtreté depuis le début de ce projet. Il eut été bon que vous ne balayassiez pas notre argumentation sans l’examiner.

Au-delà de cette importante question de procédure, c’est avec la même opiniâtreté que nous voterons majoritairement contre ce texte, dont l’accouchement difficile est le gage d’un avenir encore plus difficile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création du conseiller territorial est l’une des grandes innovations de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, que le Conseil constitutionnel a d’ailleurs validée sur le fond. Cette création constitue l’originalité de cette grande réforme, que la majorité, derrière le Président de la République, a voulue et soutenue. En confirmant l’échelon départemental, cette réforme permet de valoriser le rôle des élus de proximité que sont les conseillers généraux.

Lors de la deuxième grande loi de décentralisation de 2004, j’avais déjà fait part de mon souhait de parvenir à un réel rapprochement dans le fonctionnement des conseils généraux et des conseils régionaux. J’ai dû attendre sept ans…

Nous assistons quotidiennement à des superpositions qui n’ont aucun sens, qui complexifient le rôle réel de chacun et qui rendent inaudibles les élus. Que l’on ne me dise pas que le citoyen sait réellement faire la distinction entre le conseiller général et le conseiller régional !

Dans la loi de 2004, je suis arrivé à « sauver » la possibilité pour les conseils généraux d’être aussi des acteurs locaux de l’économie. Vous étiez alors nombreux, chers collègues, à vous y opposer, principalement les représentants des régions. Je peux vous confirmer aujourd'hui que la proximité et la connaissance du terrain ont très probablement permis de mieux traverser la crise.

Je suis également parvenu à introduire dans la loi la conférence des exécutifs. Elle est souvent volontairement mal organisée, mais elle permet un contact minimum entre les élus.

L’avènement du conseiller territorial va rendre naturelle cette complémentarité incontournable.

La création du conseiller territorial avait fait l’objet de critiques, qui posaient notamment la question de sa constitutionnalité ou encore celle de la difficulté potentielle à mener de front deux mandats fondus en un. Or, dans ses décisions successives, le Conseil constitutionnel a rejeté tous les griefs qui prétendaient remettre en cause l’existence même du conseiller territorial.

Pour ce qui est de la surcharge de travail, je ne pense pas que ceux qui avancent ce point en soient totalement convaincus. Je constate que, bien souvent, ils sont eux-mêmes à la fois parlementaire, membre de l’exécutif d’une collectivité importante et souvent président d’une communauté de communes ou titulaire d’une fonction plus prenante mais non comptabilisée.

En réalité, cette réforme est conforme au principe de libre administration des collectivités territoriales, puisqu’elle ne porte atteinte ni à l’existence de la région, ni à celle du département, ni à la distinction entre ces collectivités, contrairement à l’argument qui va probablement être utilisé à plusieurs reprises par Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Comptez sur moi !

M. Éric Doligé. M. Sueur va probablement mobiliser cet argument pour avancer l’idée de l’effacement de l’une des deux collectivités.

M. Jean-Claude Peyronnet. C’est une évidence !

M. Éric Doligé. Tout cela est bien entendu totalement faux.

Cette réforme est également conforme au principe de liberté de vote. Ce principe ne saurait avoir pour effet d’interdire au législateur de confier à un élu le soin d’exercer son mandat dans deux assemblées territoriales distinctes.

Ni la création des conseillers territoriaux ni ses modalités d’élection ne posent donc de problème d’un point de vue juridique et constitutionnel.

Cependant, pour la deuxième fois, le tableau des effectifs des conseillers territoriaux, auquel renvoyait l’article 6 de la loi de réforme des collectivités territoriales, n’a pas été validé par le Conseil constitutionnel, mais pour une raison bien différente de la première. Le Gouvernement en a pris acte. C’est pourquoi nous en rediscutons aujourd’hui.

Le projet de loi que vous nous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, a donc pour objet de redéfinir les effectifs de conseillers territoriaux par département et par région, comme nous en avions déjà débattu lors du dernier examen du tableau de répartition.

Cette répartition avait été déterminée par plusieurs principes directeurs sur lesquels je ne reviendrai pas, mais dont nous nous félicitons qu’ils n’aient pas été remis en cause par le Conseil constitutionnel.

Monsieur le ministre, vous avez eu l’intelligence de faire en sorte que les rapprochements démographiques fonctionnent dans le cadre non seulement départemental, mais aussi régional, de telle sorte que l’élu le plus familier de nos compatriotes après le maire – le conseiller général – puisse être à la fois le gestionnaire respecté du département, parce que représentant une assise démographique comparable, et l’élu qui représente les territoires au sein de l’ensemble régional, pour les domaines de compétence y afférant.

Dans les six régions dont font partie les départements où la répartition des sièges a suscité les critiques du Conseil constitutionnel, les effectifs des départements ont été adaptés afin que le rapport à la population du nombre des conseillers territoriaux ne s’écarte pas de plus ou moins 20 % de la moyenne régionale, ce qui correspond à la marge admise par le Conseil constitutionnel.

Je ne reviendrai par sur les chiffres énumérés et expliqués précédemment. Je tiens cependant à cet instant à saluer le travail approfondi du président Jean-Jacques Hyest ainsi que du rapporteur de la commission des lois Jean-Patrick Courtois.

Le tableau annexé au projet de loi compte un effectif total de 3 493 conseillers territoriaux. Ce chiffre correspond aux orientations fixées par le Président de la République.

Les fondements de cette réforme globale sont issus de notre expérience de terrain, de l’histoire de notre pays, de l’histoire de notre République, des étapes franchies successivement. Vous avez retenu, monsieur le ministre, une idée que nous soutenons. Le conseiller territorial est en effet le trait d’union entre l’échelon local, qui gère au quotidien la vie de nos compatriotes dans le cadre du département, et l’assemblée régionale. Il sera l’interlocuteur puissant et donc respecté des décideurs nationaux, qui, depuis Paris, s’appuyaient sur la compétition entre les territoires et les guerres picrocholines pour prendre des décisions qui n’étaient en rien celles des territoires que nous représentons.

Nous avons décidé de faire confiance à un élu local, le conseiller territorial, pour engager le chantier de la clarification et de la simplification que, collectivement, nous n’avons pas su faire aboutir en près de trente ans.

Le conseiller territorial, tel que nous l’avons souhaité, sera porteur d’une double vision, à la fois territoriale et régionale. Sa connaissance du mode de fonctionnement des départements et de la région, de leurs compétences respectives et des modalités de leurs interventions techniques et financières lui permettra de favoriser la complémentarité des interventions respectives des deux collectivités. Il évitera les actions concurrentes ou redondantes sur un même territoire. Il sera l’interlocuteur unique des différents acteurs territoriaux, ce qui contribuera à plus de réactivité et de cohérence.

Créer le conseiller territorial, c’était faire le pari de l’intelligence des territoires. Nous avons souhaité simplifier nos institutions locales sans créer de structure nouvelle, renforcer la compétitivité des territoires en donnant une nouvelle impulsion aux initiatives locales et faire progresser la solidarité territoriale. Je n’ose croire que l’ensemble de mes collègues dans cet hémicycle ne partagent pas cette triple volonté pour nos territoires et les élus que nous représentons.

Pour toutes ces raisons juridiques et politiques – au sens le plus noble –, il est de notre devoir, aujourd’hui, de nous rassembler autour de ce projet de loi afin que nos ambitions deviennent réalité. C’est pourquoi le groupe de l’UMP votera ce texte avec conviction et beaucoup d’espérance dans l’avenir de nos territoires. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette réforme voulue par le Président de la République est poursuivie par la malchance. La censure du Conseil constitutionnel est le dernier avatar du signe indien dont semble être frappé ce texte. L’aboutissement sera l’abrogation, lorsque nous serons au pouvoir l’année prochaine !

M. Jean-Claude Peyronnet. Son destin paraît donc tracé. Les événements actuels ne font qu’augurer de sa destination finale.

Je n’étonnerai donc personne en disant que je ne partage pas l’enthousiasme de commande d’Éric Doligé sur ce texte. Nous avions d’ailleurs déjà exprimé notre ferme opposition, et nous la confirmons – ainsi que l’a dit Jean-Jacques Mirassou – pour plusieurs raisons que je vais exposer.

Nous sommes opposés à cette invention, car elle a été imposée aux Français. Je dis « imposée », parce que cette réforme ne figurait dans aucun programme électoral, pas plus à gauche qu’à droite. Le Président de la République ne l’avait d’ailleurs jamais évoquée avant que la nécessité ne s’impose à lui de récupérer par la loi le terrain perdu dans les urnes. En effet, depuis le début du siècle, la gauche est passée de la présidence de quarante-cinq conseils généraux à soixante environ et d’une douzaine de régions à vingt et une.

M. Philippe Richert, ministre. Vingt-trois !

M. Jean-Claude Peyronnet. Je ne parle que des régions métropolitaines, monsieur le ministre. Mais je sais que vous connaissez ces chiffres, vous qui présidez la région Alsace.

Le texte a donc pour seule visée de récupérer quelques présidences de conseils généraux et régionaux. Pour atteindre cet objectif, le Président de la République, appuyé par la majorité, n’hésite pas à bouleverser le paysage administratif français en cherchant à supprimer, à terme, un échelon de collectivité territoriale. C’est la seule solution ! Cette réforme porte donc les germes de « l’évaporation du département », pour reprendre une formule de M. Balladur.

Je sais, monsieur le ministre, que vous n’êtes pas hostile à cette évolution. Or c’est une mauvaise chose, car on se prive ainsi d’un échelon qui fonctionne – vous le savez également, vous qui avez été président de conseil général –, d’un échelon de proximité démocratique par excellence.

Nous sommes résolument contre cette invention, car elle établit la confusion entre des niveaux de collectivités territoriales qui exercent des compétences tout à fait différentes.

De ce point de vue, le prétendu « millefeuille institutionnel » qui nous a été opposé lors des débats n’existe pas vraiment, pas plus en tout cas que dans les autres pays européens. Il s’agissait, là encore, d’un mauvais procès fait à la construction administrative française !

Nous sommes contre cette invention, car, au lieu de permettre de réaliser de prétendues économies en réduisant le nombre d’élus, elle officialise le cumul des mandats locaux et elle oblige les conseillers territoriaux à des déplacements multiples, ce qui entraînera des dépenses inconsidérées.

Ajoutons le fait que, en cumulant une double fonction, ces conseillers deviendront des professionnels. Ils ne pourront donc plus exercer de métier. Or personne n’évoque le statut de l’élu. Quid des pensions, de la couverture sociale ou du retour à l’emploi ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela viendra ! Il y a d’ailleurs une proposition de loi à ce sujet.

M. Jean-Claude Peyronnet. Pour l’instant, nous en sommes loin, et il y a urgence à agir !

Si nous ne pouvons pas remettre en cause cette réforme en 2012 – ce que je ne crois pas –, il faudra trouver des solutions nouvelles pour faire face à cette situation.

Nous sommes contre cette création d’un être politique hybride, car son mode d’élection mettra à mal la parité homme-femme qui est parfaitement établie au sein des conseillers régionaux.

Nous sommes contre cette invention, car elle s’inscrit dans un contexte plus général, celui de la réforme des ressources des collectivités. En effet, la réforme de la taxe professionnelle dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 a remplacé les produits fiscaux par des dotations de l’État, ce qui a rétabli une tutelle qui avait disparu depuis 1982.

Telles sont quelques-unes des raisons pour lesquelles nous nous opposons à cette réforme. Je confirme donc, à la suite de Jean-Jacques Mirassou, que le groupe socialiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Philippe Richert, ministre. Ma réponse sera brève, car nous avons déjà discuté à plusieurs reprises de ces questions sur le fond.

Les sénateurs de gauche se réjouissent de la censure du Conseil constitutionnel et prennent appui sur cette décision pour dire que le texte n’est pas bon. Je veux juste leur rappeler que, lors de notre dernier débat, j’ai entendu des critiques véhémentes à l’égard du Conseil constitutionnel, notamment de la part des sénateurs socialistes. Ceux-ci sont même allés jusqu’à remettre en cause son indépendance et à en faire une institution quasiment politique.

Ces propos ont été repris la semaine dernière par Claudy Lebreton et Claude Bartolone, qui sont allés jusqu’à qualifier le Conseil constitutionnel de juridiction « politique » lors du rejet des questions prioritaires de constitutionnalité posées par certains départements de gauche.

M. Éric Doligé. C’est scandaleux !

M. Philippe Richert, ministre. En ce qui me concerne, j’avais indiqué ici que, le Conseil constitutionnel étant l’institution suprême, le Gouvernement respectait ses décisions, que celles-ci aillent dans un sens ou dans un autre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer un projet de loi sur lequel nous n’avions pas la même interprétation. La Constitution dispose en effet que « les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ». Or le tableau fixant le nombre de conseillers territoriaux de chaque département et de chaque région ne nous apparaissait pas comme étant un texte concernant principalement l’organisation des collectivités territoriales. Notre analyse n’a pas été reprise par le Conseil constitutionnel. Nous acceptons sa décision.

Sur le fond – je remercie d’ailleurs Éric Doligé de l’avoir rappelé –, le Conseil constitutionnel a rejeté l’ensemble des griefs d’inconstitutionnalité qui avaient motivé sa saisine, notamment le fait que le cumul des fonctions de conseiller général et de conseiller régional par le conseiller territorial puisse mettre en cause l’indépendance de ce dernier.

Pour vous, si le Conseil constitutionnel donne raison au Gouvernement et à la majorité parlementaire, c’est qu’il n’a pas fait son travail ! Pour notre part, nous respectons toujours le Conseil constitutionnel, qu’il nous donne raison ou tort. En l’occurrence, il a simplement indiqué comment devait s’interpréter une disposition précise ; nous respectons évidemment sa décision.

Monsieur Mirassou, je voudrais revenir sur certaines des appréciations que vous avez portées.

Prenant comme exemple la région Midi-Pyrénées, vous avez affirmé que l’importance relative de l’Ariège par rapport à la Haute-Garonne et, d’une manière plus générale, par rapport au conseil régional dans son ensemble, serait insignifiante. Permettez-moi de vous rappeler amicalement quelques éléments.

Aujourd'hui, l’Ariège dispose de cinq conseillers régionaux sur les quatre-vingt-onze de la région Midi-Pyrénées, soit 5,5 %. Une fois la réforme adoptée, ce département aura quinze conseillers territoriaux, soit 5,9 % de l’effectif régional. La proportion passera ainsi de 5,5 % à 5,9 % ! On ne pourra donc pas dire que son poids relatif aura diminué.