M. Charles Revet. C’est un élément essentiel !

M. Thierry Mariani, ministre. Depuis quelques mois, les travailleurs portuaires font preuve de responsabilité, ce dont je les remercie. J’espère qu’ils poursuivront dans cette voie. C’est aussi grâce à un climat social apaisé que la France arrivera à retrouver la confiance des armateurs étrangers, qui, ces dernières années, ont eu quelque peu tendance à se détourner de notre pays.

L’heure est donc aujourd’hui à la restauration de la confiance des investisseurs, qui attendent beaucoup de cette réforme. Ils ont en mémoire des ports français récemment entravés par une insuffisante fiabilité sociale, une image qui doit désormais appartenir au passé.

Madame Pasquet, vous avez évoqué l’échec de la réforme portuaire. Je vous trouve bien pessimiste, alors que, je le répète, celle-ci a été achevée voilà seulement quatre mois.

Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement s’engage dès à présent à accompagner et à encourager les gestionnaires des grands ports maritimes, dans le cadre d’une stratégie offensive destinée non seulement à optimiser la chaîne de transport et les coûts de passage, mais aussi à revaloriser l’image de nos ports, par une promotion commerciale efficace et une coordination plus poussée.

J’en viens maintenant à la réforme outre-mer.

La grande réforme institutionnelle, qui nous attend désormais et qui a été annoncée par le Premier ministre lors du comité interministériel de la mer qui a eu lieu au mois de juin 2010, est celle des ports d’outre-mer, qui ne seront pas oubliés. Elle s’inspire largement des dispositions prévues par la loi portant réforme portuaire de 2008 et vise à répondre aux exigences de performance et de réactivité qu’impose l’évolution du commerce maritime international en modernisant le dispositif de gouvernance de nos ports.

Je tiens à souligner que la place des collectivités territoriales y sera nettement accrue afin que le développement des ports d’outre-mer accompagne et favorise l’évolution des territoires sur lesquels ils sont implantés. À cet effet, les trois ports d’intérêt national actuellement concédés aux chambres de commerce et d’industrie – Fort-de-France, Dégrad-des-Cannes et Port-Réunion – ainsi que le port autonome de la Guadeloupe devraient être transformés en grands ports maritimes, établissements publics nationaux.

Vous le constatez, sous cette législature, notre système portuaire aura été profondément repensé et modernisé, de manière à pouvoir répondre, sur l’ensemble du territoire, aux défis du commerce maritime mondialisé, qui, je le rappelle, constitue l’un des moteurs les plus importants de notre économie.

La réforme portuaire est une composante fondatrice de notre nouvelle politique maritime, voulue par le Président de la République après l’adoption du Grenelle de la mer.

Certes, la France est naturellement, par sa géographie, le deuxième espace maritime au monde, et, par son histoire, une grande nation maritime.

Comme la plupart d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai la profonde conviction que notre pays ne pourra devenir de nouveau une véritable puissance maritime qu’à l’aide de grands ports modernes et attractifs pour desservir ces vastes étendues et irriguer notre économie. Cette réforme n’est pas une fin en soi, je le répète ; elle n’est qu’un commencement.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Thierry Mariani, ministre. L’ambition qui l’anime ne pourra être réussie que si cette réforme est collective, autrement dit si sont associés à sa mise en œuvre les ports, les collectivités territoriales, les manutentionnaires, l’ensemble des partenaires sociaux. Un climat social apaisé dans les ports garantit à ces derniers plus d’activité, des créations d’emplois plus nombreuses ; les premiers bénéficiaires en seront les travailleurs portuaires.

MM. Charles Revet et Alain Gournac. Tout à fait !

M. Thierry Mariani, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà de nos divergences, nous partageons la même ambition. Nous sommes convaincus de la vocation maritime de la France. La réforme portuaire, j’y insiste, constitue une première étape. Je veillerai personnellement, aux côtés de Nathalie Kosciusko-Morizet, à la suite de son application. Monsieur Revet, les projets relatifs à l’aménagement de l’hinterland doivent en être l’une des priorités. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’économie.

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Je souhaite remercier la conférence des présidents d’avoir permis la tenue de ce débat, au cours duquel a pu être expliquée la tâche réalisée par le groupe de travail dont vous avez été le rapporteur, mon cher collègue Charles Revet. Je remercie également Odette Herviaux, Robert Navarro et Gérard Le Cam, qui ont travaillé efficacement à vos côtés.

Si le rapport final a été adopté à l’unanimité, c’est en raison de l’enjeu économique en cause, à savoir l’optimisation du fonctionnement et le développement de tous les ports français. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la réforme portuaire.

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Débat sur la couverture numérique du territoire

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la couverture numérique du territoire.

La parole est à M. Hervé Maurey, au nom de la commission de l’économie.

M. Hervé Maurey, au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier la commission de l’économie d’avoir organisé ce débat, qui s’inscrit dans le prolongement du rapport que j’avais présenté au mois de juillet : Aménagement numérique des territoires : passer des paroles aux actes. Le fait que ce rapport ait été adopté à l’unanimité, tout comme notre débat d’aujourd’hui, témoigne de l’importance que nous accordons à ce sujet et de notre inquiétude face à la situation de notre pays en matière numérique.

La commission est convaincue que les technologies de l’information et de la communication représentent un atout indispensable pour nos territoires. Nous savons fort bien que si un territoire, même enclavé, possède une couverture numérique satisfaisante, il pourra attirer des entreprises, de nouveaux habitants, alors que, dans le cas, contraire il connaîtra un inévitable déclin. Nous savons aussi ce qu’apportent à nos territoires les technologies de l’information et de la communication en matière de services publics, d’enseignement, de « e-santé » ou de qualité de vie. Cependant, je ne développerai pas ces différents points par manque de temps.

La commission de l’économie est également sensible à l’apport des technologies de l’information et de la communication en termes économiques et de compétitivité internationale. À cet égard, je rappelle l’étude récente réalisée par le cabinet McKinsey, en mars 2011, qui fait état de la création de 700 000 emplois dans ce secteur depuis 2000 et qui prévoit 450 000 créations nettes d’emplois directes ou indirectes à l’horizon de 2015. Ce n’est donc pas un hasard si la Corée du Sud vise aujourd’hui l’ultra haut débit avec des connexions non pas à 100 mégas, comme nous l’envisageons, mais à 1 giga à l’horizon de 2012.

Cela étant, la commission est inquiète. Nous avons le sentiment que, comme trop souvent dans notre pays, on se voile la face, on se berce d’illusions et on veut croire à une réalité qui n’existe pas.

En matière de haut débit, on nous indique que 98,3 % des foyers bénéficient d’un accès à l’ADSL. Ce pourcentage est exact et peut paraître tout à fait satisfaisant, même si 450 000 foyers ne sont pas éligibles à l’ADSL, mais il faut bien savoir que ce chiffre ne recouvre que les foyers bénéficiant d’une connexion à partir de 512 kilobits par seconde. Or, M. le ministre l’a reconnu lui-même en commission, aujourd’hui, en dessous de 2 mégabits par seconde, le service n’est pas satisfaisant. Si l’on prend comme référence 2 mégabits par seconde, le taux de connexion est non plus de 98,3 % des foyers, mais de 77 % !

Quant à l’offre triple play, à laquelle aspirent bon nombre de nos concitoyens, plus de la moitié des Français ne peuvent y accéder.

J’en viens à la téléphonie mobile.

Comme l’indique le rapport de notre collègue Bruno Sido, le taux de couverture de la population par au moins un opérateur en technologie 2G est de 99 %. Reste que 100 000 personnes en sont exclues, étant entendu que la moitié d’entre elles sont regroupées sur treize départements.

Si l’on arrive à ce pourcentage, qui lui aussi peut paraître satisfaisant, c’est parce que l’instrument de mesure n’est pas adapté à la réalité. Établi il y a une quinzaine d’années lorsque la téléphonie mobile était balbutiante, celui-ci ne prend en compte que la possibilité de capter les communications à l’extérieur des bâtiments, dans des zones habitées et en position immobile, ce qui est pour le moins paradoxal !

Lorsque l’on évoque les zones blanches, c’est encore plus extraordinaire, puisqu’il suffit qu’un seul point de la commune soit couvert pour que, dans les statistiques, l’intégralité de la commune soit considérée comme desservie !

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Hervé Maurey. Nous avons déjà eu ce débat ici. À cette occasion, vous aviez vous-même reconnu, monsieur le ministre, que l’instrument de mesure n’était pas satisfaisant. C’est pourquoi la Haute Assemblée a adopté à deux reprises un amendement visant à considérer qu’une commune n’est pas intégralement couverte dès lors qu’un seul point de son territoire est desservi.

En ce qui concerne le très haut débit mobile, le Parlement estime que l’aménagement du territoire doit être l’objectif prioritaire dans l’attribution des fréquences. Vous l’avez vous-même confirmé, monsieur le ministre, mais vous avez ajouté qu’il fallait être très attentif à la valorisation de ces fréquences. Pour notre part, nous serons très attentifs à l’équilibre que vous instaurerez entre ces différentes priorités. Elles doivent en effet être hiérarchisées, car on ne peut pas tout faire en même temps.

Le point qui nous inquiète le plus concerne le très haut débit fixe. Son déploiement reste encore très embryonnaire dans notre pays, puisque seuls 1 135 000 foyers sont raccordables et 555 000 sont effectivement abonnés à la fibre. À ce rythme-là, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la FNCCR, estime – j’espère que c’est de l’humour – qu’il faudra cent ans pour couvrir notre territoire.

La France, contrairement à ce que vous nous avez dit en commission, monsieur le ministre, n’est pas en tête des pays comparables au nôtre, puisque, selon un classement établi par le FTTH Council, nous sommes au vingt-deuxième rang sur vingt-six dans le panel analysé par cette institution internationale.

M. Hervé Maurey. Le Président de la République a fixé en 2010 des objectifs ambitieux, ce dont nous nous réjouissons. Il a souhaité que 70 % de la population bénéficie du très haut débit en 2020 et 100 % en 2025. Malheureusement, il y a fort à parier que ces objectifs ne seront pas tenus.

M. Roland Courteau. C’est certain !

M. Hervé Maurey. En effet, le modèle de déploiement qui a été choisi ne nous paraît pas pertinent. Je le rappelle, plusieurs solutions pouvaient être envisagées.

Nous aurions pu recourir à un opérateur mutualisé, mais cette idée n’a pas été retenue voilà un peu plus de deux ans, car l’opérateur historique n’y était pas favorable. Nous aurions pu nous inspirer de l’Australie, où c’est un opérateur unique qui a été créé pour déployer la fibre sur le territoire, ou de la Finlande, où le déploiement est assuré par un partenariat public-privé. Nous aurions également pu envisager, comme nous l’avons fait avec le réseau autoroutier, des concessions à l’échelon régional. Ce choix aurait eu l’avantage de confier le déploiement de la fibre à des entreprises de travaux publics, qui sont habituées à des retours sur investissement à plus long terme et à des taux plus faibles que les opérateurs de télécommunications.

Le modèle qui a été choisi vise à favoriser l’initiative privée. Or les opérateurs privés – on ne peut pas les en blâmer – privilégieront la rentabilité. Il existe donc un risque évident d’écrémage.

Dans le cadre du programme national « très haut débit », le PNTHD, 750 millions d’euros ont été affectés au concours de l’État aux collectivités pour le déploiement de la fibre en zone rurale. Cette enveloppe a été portée à 900 millions d’euros au mois d’avril dernier. C’est mieux, certes, mais on est encore loin des besoins en la matière. Le rapport que j’ai remis voilà un an au Premier ministre montre que le Fonds d’aménagement numérique des territoires, le FANT, devrait être alimenté à hauteur de 600 millions d’euros par an sur quinze ans pour pouvoir atteindre les objectifs fixés par le Président de la République.

Mais chose beaucoup plus grave, à la suite des annonces faites lors de la conférence de presse du 27 avril dernier, vous avez fait un pas supplémentaire dans la mauvaise direction.

Au préalable, on considérait qu’une collectivité ne percevrait pas de subvention pour les projets en zones denses, mais qu’elle pourrait en percevoir pour les projets en zones non denses. Désormais, vous considérez qu’il faut punir les collectivités qui ont l’audace d’investir dans des zones denses en supprimant la subvention, même si, dans le même temps, elles interviennent en zones non denses. Cette décision interdit ipso facto toute péréquation à l’échelle d’une collectivité entre les zones rentables et les zones non rentables. (Eh oui ! et applaudissements sur les travées de l’UCR, du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – M. Gournac applaudit également.)

Cela signifie que les collectivités ne pourront intervenir que dans les zones non rentables. De plus, ce qui est extrêmement grave, il suffit qu’un opérateur annonce un déploiement dans un secteur sans la moindre assurance sur la réalité de son engagement, le calendrier, les montants investis, pour que les projets des collectivités soient totalement gelés. C’est intolérable !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. On a des noms ?

M. Hervé Maurey. Comme d’habitude, on invoque les règles de la concurrence, notamment le droit européen. Or, comme nous sommes assez dubitatifs sur ce point, la commission a saisi au début de mois de septembre l’Autorité de la concurrence, et nous attendons son analyse sur ce sujet.

Je voudrais également vous faire part de nos doutes quant à l’engagement de l’opérateur historique de couvrir 60 % des foyers d’ici à 2020 et d’investir 2 milliards d’euros. Je vous avais déjà interpellé sur ce point sans obtenir de réponse. Je ne vois pas comment on peut couvrir 60 % de la population avec 2 milliards d’euros. L’ensemble des analyses et des expertises concluent qu’il faudra environ 7 milliards d’euros !

Nous émettons également des doutes quant au réel intérêt de l’opérateur historique à déployer la fibre dès lors qu’il bénéficie de la rente sur le cuivre, c’est-à-dire d’un investissement amorti qui lui procure des revenus importants. La commission et moi-même ne sommes pas les seuls à émettre ces doutes, puisque ce constat a conduit la semaine dernière la commissaire Neelie Kroes, en charge de la stratégie numérique, à s’interroger sur ce point et à lancer une consultation publique dont l’idée serait de rendre le cuivre moins rentable pour inciter les opérateurs à investir dans la fibre. Vous le voyez, cette préoccupation est maintenant reprise à l’échelon européen.

La commission de l’économie constate que l’État s’est totalement désengagé sur ce sujet, laissant la clé de la maison aux opérateurs privés, qui font ce qu’ils veulent, quand ils veulent, où ils veulent ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR, du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Les collectivités locales vont là où les opérateurs n’ont pas envie d’aller,…

Mme Mireille Schurch. Exactement !

M. Daniel Raoul, président de la commission de l’économie. Je suis débordé sur ma gauche !

M. Hervé Maurey. … qui plus est sans aucune garantie d’obtenir des financements, puisque – j’y reviendrai ultérieurement – le Fonds d’aménagement numérique des territoires, que nous avons créé ici même il y a bientôt deux ans, n’est toujours pas alimenté.

Face à cette situation, la commission préconise un véritable sursaut au travers de trente-trois mesures. Je ne les détaillerai pas toutes ici, rassurez-vous, monsieur le ministre, j’insisterai néanmoins sur certaines d’entre elles.

Premier point, nous souhaitons que l’État retrouve un rôle actif sur ce sujet éminemment « politique » – au sens noble du terme – qui concerne l’aménagement du territoire. Ce n’est pas parce que la loi de 2004 a confié des compétences aux collectivités locales que l’État doit se contenter d’être un spectateur. Il doit être un acteur engagé sur ce sujet très important aussi bien à l’échelon national qu’à l’échelon local, où cette question ne fait pas partie des principales préoccupations de nos préfets.

Deuxième point important, il faut élargir le champ de compétences des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, les SDTAN. Dans la loi, ils sont facultatifs et uniquement pour le très haut débit. Nous demandons qu’ils soient obligatoires, opposables et qu’ils couvrent l’ensemble de la problématique numérique, car le haut débit, le très haut débit et la téléphonie mobile forment un tout.

Troisième point, sur la base de ces schémas, nous voulons une véritable contractualisation entre les opérateurs et les collectivités locales. Il faut que les engagements des opérateurs soient non plus, comme on dit en Normandie, des « paroles verbales », mais de véritables engagements contractuels et que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, ait le pouvoir de sanctionner les opérateurs qui ne tiendraient pas leurs engagements.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Hervé Maurey. Quatrième point, nous souhaitons que soit réaffirmé le droit des collectivités territoriales à intervenir sur la totalité de leur territoire et qu’on leur reconnaisse le statut d’opérateur de réseau.

Enfin, cinquième point, il faut changer fondamentalement la relation entre l’État et les opérateurs.

Aujourd’hui, les opérateurs sont considérés comme une source de revenus, à la fois parce que l’État est actionnaire de France Télécom et parce que, lorsqu’il a besoin d’une petite recette budgétaire supplémentaire, on crée une taxe sur les opérateurs. En revanche, on ne leur fixe aucune obligation. Selon moi, il faut faire l’inverse, à savoir arrêter de considérer les opérateurs comme des vaches à lait et leur fixer de véritables obligations de service public, afin que nos territoires aient enfin une couverture satisfaisante.

J’en viens à la téléphonie mobile.

Comme vous l’aviez vous-même reconnu, monsieur le ministre, nous devons de toute urgence nous mettre autour de la table et créer un groupe de travail ad hoc, afin de définir des critères satisfaisants et correspondant à la réalité de la couverture de nos territoires en téléphonie mobile.

Concernant le haut débit, il faut mettre en place pour tous un véritable accès sur la base de 2 mégabits par seconde dès 2012, puis de 8 mégabits par seconde à l’horizon de 2015. Il est impossible de parler de très haut débit lorsque des territoires ne disposent même pas aujourd’hui d’un débit de 512 kilobits par seconde. C’est tout simplement intolérable !

À la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, nous avons eu l’occasion, notamment sur l’initiative de notre collègue Michel Teston, de nous interroger sur la nécessité d’inclure le haut débit dans le service universel. C’est une vraie question qui devra sans doute être tranchée à l’échelon européen. En attendant, nos concitoyens doivent impérativement accéder à un véritable haut débit, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, contrairement à ce qui nous est affirmé, notamment par les opérateurs, dans nos départements respectifs.

S’agissant du très haut débit, il ne faut pas, à ce stade, envisager de changer le modèle qui a été choisi. En revanche, il convient de le rendre efficace. C’est le sens des propositions que je rappelais tout à l’heure en évoquant le schéma directeur territorial d’aménagement numérique, dont nous voulons faire un véritable instrument.

Au-delà, il est impératif, dès 2012, d’alimenter le Fonds d’aménagement numérique des territoires, et c’est possible sans créer de prélèvements supplémentaires. En effet, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, nous avions suggéré ici même d’affecter à ce fonds une partie de la recette générée par l’augmentation de la TVA sur l’offre triple play, qui a quand même dégagé 1,1 milliard d’euros supplémentaires. Mais, naturellement, nous n’avons pas été entendus.

Je signale aussi que le président de l’ARCEP a eu l’occasion de rappeler que plus de 4 milliards d’euros étaient encore aujourd’hui consacrés chaque année aux routes. Selon moi, on pourrait réduire ces crédits et accroître ceux qui sont consacrés à cet investissement d’avenir que constitue le déploiement de la fibre !

Le Fonds d’aménagement numérique des territoires devra financer les investissements des collectivités, non pas selon des règles et des ratios stricts, mais en fonction de l’importance des projets et des capacités contributives des collectivités. En effet, ce sont malheureusement souvent dans les départements les plus pauvres que l’on a affaire aux projets les plus onéreux.

Il faut encore, en priorité, assurer le déploiement en zone rurale, où les besoins et l’appétence sont beaucoup plus grands. On observe ainsi, et c’est tout à fait logique, que le taux de raccordement à la fibre dans certains départements ruraux n’a rien à voir avec celui que l’on observe en zone urbaine. Par exemple, dans l’Ain, il est de 60 %, contre seulement 5 % à Paris !

Il faudra également revoir les modalités d’utilisation du milliard d’euros du guichet A du Fonds national pour la société numérique, car proposer des prêts aux opérateurs n’a pas de sens. Mieux vaut réorienter les crédits vers du coinvestissement.

L’ARCEP devra travailler sur la tarification du très haut débit pour les professionnels. Aujourd’hui, il existe en effet des tarifs différents.

Il faut travailler à une harmonisation des référentiels techniques, afin que, d’un département à l’autre, les réseaux soient concordants et homogènes.

Enfin, en 2013, il conviendra naturellement de faire le bilan du modèle choisi pour éviter d’appliquer indéfiniment et sans aucune analyse un modèle qui ne serait pas pertinent. Le cas échéant, il ne faudra alors pas s’interdire de changer de modèle de déploiement, car le sujet est beaucoup trop important pour aller droit dans le mur !

Voilà, monsieur le ministre, ce que je voulais vous indiquer. Nous attendons des réponses à ces propositions ainsi qu’aux questions qui vous avaient été posées en commission de l’économie le 20 juin et que je vous ai rappelées par courrier le 23 juin. J’ai bien reçu un accusé de réception signé de votre directeur de cabinet le 19 juillet, mais aucune réponse ne m’a été apportée à ce jour. Par conséquent, permettez-moi de revenir rapidement sur ces questions qui sont importantes.

Comment le Gouvernement entend-il revoir les critères de mesure de la couverture en téléphonie mobile ? Quelles initiatives entendez-vous prendre pour résorber les zones blanches ? Comment le Gouvernement compte-t-il contrôler le respect des engagements pris par les opérateurs ?

Une dernière question m’a été soufflée par l’actualité. Monsieur le ministre, vous vous rappelez que, en application de la loi de modernisation de l’économie, le Gouvernement avait pris un décret relatif au droit à la connaissance des réseaux par les collectivités territoriales. Ce décret avait été annulé pour vice de forme. Lors de la transposition de la directive, nous avions fait en sorte de sécuriser juridiquement ce décret, afin qu’il puisse être repris à l’identique.

D’après les informations dont nous disposons – mais j’espère que vous allez nous affirmer le contraire ! –, le Gouvernement serait revenu en arrière et ne serait plus disposé à prendre une version semblable à la précédente, l’opérateur historique n’étant pas favorable à un accès trop large des collectivités à la connaissance de leurs réseaux, en tout cas à titre gratuit. Sur ce point, nous attendons donc une réponse de votre part.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos territoires ont aujourd’hui « soif de débit ». Depuis la publication du rapport, un appel à la mobilisation générale pour le très haut débit a été lancé cet été à Aurillac par des réseaux d’initiative publique, qui demandent que soient prises des mesures fortes. À cet égard, j’aimerais appeler votre attention sur un sondage qui a été réalisé par l’Association des maires ruraux et qui m’a moi-même surpris : la problématique numérique serait la première préoccupation des élus ruraux, avant même l’école et les routes ! Cela montre à quel point les territoires ruraux sont en attente d’une couverture numérique satisfaisante.

Vous le savez, monsieur le ministre, nous n’entendons pas en rester là. À l’issue de ce débat, je déposerai avec Philippe Leroy une proposition de loi, car, dans cet hémicycle, nous pensons qu’il est temps de « passer des paroles aux actes » ! (Applaudissements.)

M. Daniel Raoul, président de la commission de l'économie. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question du déploiement du haut débit et du très haut débit est au cœur des préoccupations des acteurs locaux, principalement les départements ruraux ; M. Maurey vient de le rappeler. L’enjeu me semble comparable à celui qui, au XIXe, siècle a justifié la volonté de doter tous les foyers en eau courante et en électricité. L’accès à l’information et à la communication est plus que jamais un facteur structurant comparable à celui de la desserte en infrastructures essentielles.

Cet accès est une condition certes insuffisante, mais indispensable pour que « la société de l’information » contribue au développement d’un territoire. Il s’agit non seulement de raisonner en termes d’attractivité, mais, au-delà, c’est bien l’avenir des territoires qui est en jeu, et les maires ruraux ne s’y trompent pas.

Aujourd’hui, la couverture numérique du territoire fait écho à la « métropolisation » voulue par le Gouvernement lors de sa réforme des collectivités territoriales, réforme largement désavouée par les élus locaux, qui, à juste titre, ont vu dans cette nouvelle organisation un abandon croissant d’une large fraction du territoire national.

Pour l’usager, l’accessibilité se situe à deux niveaux : un accès au réseau, c’est-à-dire l’existence d’une desserte du territoire, et un accès financièrement acceptable. Bien que la question ne soit pas nouvelle, le rapport souligne que la fracture en termes de téléphonie mobile et de haut débit n’a pas été résorbée et qu’une nouvelle fracture se fait jour en termes de très haut débit.

Pourtant, en 2010, à l’issue des Assises des territoires ruraux, le Président de la République annonçait les objectifs de son Gouvernement en matière de couverture très haut débit, à savoir 70 % de la population en 2020 et 100 % en 2025.

Pour y parvenir, le programme national « très haut débit » recommande de favoriser l’initiative privée non seulement dans les zones denses, mais même au-delà. À cet égard, je partage les inquiétudes de M. Maurey, qui a écrit dans son rapport : « En choisissant de donner la priorité à la seule initiative privée et de “faire confiance” aux opérateurs pour assurer le déploiement du réseau national très haut débit, le dispositif entier du PNTHD se retrouve soumis à la plus grande incertitude ». Vous avez détaillé ce point, mon cher collègue, ce dont je vous remercie.

Ce constat est sans appel. Selon moi, en effet, non seulement il n’est pas pertinent, mais il est même dangereux d’appuyer en priorité des initiatives privées. De plus, il est inadmissible de priver les collectivités de subventions lorsqu’elles souhaiteront couvrir des zones rentables en même temps que des zones non rentables, justement pour opérer une péréquation financière,...