M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, rapporteure. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis à la demande du groupe de l’Union centriste et républicaine pour examiner en deuxième lecture la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État. Ce texte, déposé par Mme Françoise Férat et M. Jacques Legendre, s’inscrivait dans la suite des travaux de la commission de la culture.

La commission avait vivement réagi lorsque, voilà exactement deux ans, le Gouvernement avait souhaité relancer les transferts de monuments historiques de l’État aux collectivités territoriales, sans aucune concertation ni le moindre bilan de la première vague opérée en application de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

En effet, un article insidieusement rattaché au projet de loi de finances pour 2010 réactivait la procédure en élargissant son champ d’application et en n’offrant aucune garantie de protection. L’article concerné avait été censuré par le Conseil constitutionnel au motif qu’il constituait un cavalier budgétaire, mais le Gouvernement affichait son souhait de transformer l’essai.

Dans un rapport d’information, notre commission avait alors souligné les dangers d’une telle relance et la menace pesant sur notre patrimoine national. Persuadée des risques de dérive que comportait une telle politique patrimoniale, l’opposition de l’époque, devenue aujourd’hui la majorité sénatoriale, s’était prononcée contre la présente proposition de loi en première lecture. Notre position n’a pas changé depuis lors. Elle a même été confortée par les récents événements, dont les collectivités sont ressorties échaudées, inquiètes à l’idée de tout nouveau transfert, quelle que soit sa nature.

Le problème est bien ici, en effet, la charge croissante qui pèse sur les collectivités, grandes victimes d’une politique insidieuse du Gouvernement consistant à se décharger sur elles de ses missions sans leur donner les moyens de fonctionner.

Rappelez-vous, mes chers collègues, alors même que le fameux article de relance des transferts était présenté en conseil des ministres, le Premier ministre lui-même expliquait, le 18 septembre 2009, que les collectivités étaient coupables de recruter là où l’État supprimait des postes. C’est trop facile !

On nous propose des transferts de charges, d’investissement comme de fonctionnement, et on nous reproche ensuite de les mettre en œuvre et d’adapter nos budgets en conséquence ! Nous souhaitons marquer ici notre refus d’accepter de telles méthodes, en rejetant les dispositions qui nous sont aujourd’hui proposées, dans la rédaction actuelle de ce texte, pour le patrimoine monumental de l’État.

Depuis la fin de l’année 2009, l’attitude du Gouvernement ne nous pas rassurés, bien au contraire. Lors de la présentation du plan d’austérité, le 24 août dernier, le Premier ministre a enjoint les collectivités de réaliser les mêmes efforts que l’État, alors qu’elles n’ont jamais été aussi économes et inquiètes. Nous n’avons cessé de le dire à l’occasion du débat sur la réforme des collectivités locales, mais nous n’avons pas été écoutés.

La suppression de la clause générale de compétence pour le conseil régional et le conseil général, la limitation et l’encadrement des financements croisés, certes reportés à court terme, mais bien inscrits dans la loi, empêcheront à l’avenir la mise en œuvre de politiques communes et concertées, ainsi que le soutien financier des projets des petites et moyennes communes. Si le sport, la culture et le tourisme ne sont finalement pas concernés, nombre de projets, en matière d’aménagement du territoire, d’eau et d’assainissement, de transport, d’enseignement et de recherche ne pourront plus voir le jour.

Pourtant, dans le même temps, l’État continuera à solliciter les collectivités afin de financer des projets relevant de ses compétences. Et nous connaissons trop bien le mécanisme irréversible qui est mis en œuvre : d’abord le volontariat, puis l’expérimentation, puis l’obligation.

Aujourd’hui, nous devons faire face à une nouvelle secousse, puisque le piège des emprunts toxiques se referme sur certaines collectivités et accroît leurs incertitudes. L’intoxication des finances locales françaises nous force aujourd’hui encore à tirer la sonnette d’alarme.

La nouvelle majorité sénatoriale refuse que les territoires soient des boucs émissaires. Les collectivités, en première ligne pour répondre à la crise économique et sociale, ont besoin de ressources pérennes et prévisibles pour assurer leurs missions, développer le service public local et leur territoire. Elles s’indignent que l’on qualifie de « gabegie » leur gestion, assumée malgré tous les obstacles qui se dressent devant elles.

Alors qu’une décentralisation à marche forcée nous a été imposée dans de nombreux domaines, nous voulons éviter le piège d’une relance de la dévolution du patrimoine au prétexte que celle-ci serait fondée sur le volontariat. C’est en effet un marché dangereux qui est proposé : sans garantie financière pour accompagner des projets de transferts de monuments historiques, dans un contexte de révision générale des politiques publiques pesant sur les emplois, le risque est réel de coûts exorbitants, pour les uns, et d’une tentation de revente, pour les autres.

Monsieur le ministre, vous parliez de confiance. Manifestement, celle-ci n’était pas au rendez-vous. C’est dans cet état d’esprit que la commission de la culture a abordé l’examen en deuxième lecture de la proposition de loi dont il est question aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle elle n’a pas souhaité adopter le texte, refusant de cautionner une nouvelle étape dans la dégradation programmée de la situation des collectivités.

Toutefois, ce n’est bien évidemment pas là l’unique raison de son choix. En effet, la philosophie même de cette relance des transferts de monuments historiques nous semble dangereuse, dans la mesure où elle s’accompagne de dispositions que nous jugeons inacceptables.

Nous avons tous mesuré la déception de Mme Férat, qui a conduit cette dernière à renoncer à son rôle de rapporteur, m’amenant à inaugurer ma fonction de présidente de commission par une tâche qui ne m’était pas dévolue.

Cette mission m’a conduite à revisiter l’histoire de ce texte et à examiner la nature des consensus et dissensus qu’il a suscités. Oui, tous les membres de la commission sont attachés au patrimoine. Oui, l’opposition d’hier a apprécié le travail de la mission d’information, conclue par le rapport n° 599. Néanmoins, le consensus n’était pas au rendez-vous sur les modalités de cette réforme.

Dans le compte rendu du débat portant sur le rapport de juin 2010, on peut lire les interventions suivantes.

Bernadette Bourzai disait : « J’ai fait observer qu’il y avait un doute au cas où une collectivité qui se serait vue transférer un bien et qui ne serait pas en mesure de le valoriser souhaiterait le revendre. Nous pourrions être d’accord sur le fait qu’il faut que, dans ce cas-là, l’État soit en mesure de reprendre le patrimoine et de le préserver, puisque l’inaliénabilité du patrimoine doit être garantie ».

Maryvonne Blondin disait, quant à elle : « Ce qui a été évoqué sur l’éventuelle revente d’un bien par une collectivité mérite beaucoup d’attention. Il me paraît essentiel que cela puisse être rediscuté et surveillé. C’est un point important. En effet, il peut y avoir la vente à la découpe. Cela est dramatique. […] Nous serons toujours vigilants car il demeurera ce problème crucial du financement pour les collectivités territoriales et cette éventuelle tentation de revendre le bien ».

Enfin, voilà ce que disait Jack Ralite, que vous avez cité : « Lors des différents déplacements, en général, on était toujours d’accord. […] Le débat sur la réforme des collectivités territoriales bouleverse les idées par rapport à ce débat. Il faut l’évoquer, car on n’est pas dans une stratosphère ! ». Et notre collègue d’invoquer, ensuite, le nécessaire « principe de précaution ».

Lors du vote sur le rapport d’information, Ivan Renar, après avoir rappelé les insuffisances budgétaires et souligné le rôle de la RGPP, avait déclaré : « Nous ne donnons pas quitus à l’État ».

Françoise Laborde, quant à elle, avait déclaré : « Je n’ai pas de réserve sur le rapport, mais bien sûr il ne faut pas donner quitus à l’État ».

De son côté, Maryvonne Blondin ajoutait : « Nous ne donnons pas quitus à l’État en adoptant ce rapport, car dans le cadre de la réforme des collectivités territoriales, avec les problèmes de financement, la clarification des compétences, nous sommes dans une situation autre que l’accord que nous donnons à Mme Françoise Férat pour son rapport ».

Puis, en janvier 2011, nous découvrons le rapport n° 236 relatif au texte que nous examinons. Les propositions qu’il contient sont alarmantes.

À la page 15, dans la liste des missions du Haut conseil du patrimoine, figure ainsi « l’opportunité de déclassement du domaine public, en vue d’une revente ». Et nous la retrouvons à l’article 10 relatif aux conditions de revente du présent texte.

À la page 23 du même rapport, nous lisons que les collectivités « assureront la conservation et la mise en valeur de l’immeuble, leur capacité financière à assumer le transfert ainsi que le projet culturel associé ». Or l’article 8 de la présente proposition de loi, relatif aux transferts de personnels, reprend les dispositions relatives aux compensations classiques des transferts de compétences.

Yves Dauge, tant de fois cité hier, déclare dans ce rapport qu’« il est bon que ce texte intervienne », mais il ajoute aussitôt « que les initiatives du Gouvernement ont de quoi inquiéter », faisant notamment référence à la vente à la Russie du bâtiment du ministère de la coopération.

Jack Ralite ajoute, quant à lui : « On peut regretter que les monuments nationaux ne demeurent pas […] inaliénables. […] La proposition de loi qui nous est soumise n’est hélas pas tout à fait dans la même ligne [que le rapport, adopté à l’unanimité]. […] Passons la patate chaude aux collectivités, même si l’on sait bien qu’elles ne pourront pas tenir et devront vendre. […] Sous couvert de mieux encadrer les choses, vous ne posez en réalité que quelques bornes à l’aliénation du patrimoine, sans vous y opposer. Sans compter que le flou de certaines des dispositions que vous préconisez peut donner lieu à des interprétations contraires à l’intérêt général ».

Même Jean-Pierre Plancade reconnaît que « l’argent manque ».

On est donc loin du climat idyllique que vous avez décrit, et que seule la volonté d’une nouvelle majorité aurait modifié…

Je me suis d’ailleurs replongée dans les débats auxquels avait donné lieu la première lecture du texte que nous examinons. Les propositions constructives avaient alors été repoussées sans ménagement. Je pense notamment à l’amendement de Jack Ralite relatif à l’inaliénabilité, ou à celui de Françoise Cartron, Yves Dauge et Claudine Lepage, qui visait à écarter d’office le transfert des cathédrales, cloîtres, palais épiscopaux et abbayes.

Je pourrais également citer l’amendement d’Ivan Renar, dont l’objet était de garantir un contrôle sur toute mesure de déclassement, afin qu’il ne soit pas possible de revendre les monuments historiques à quiconque s’en porterait acquéreur. Yves Dauge remarquait alors : « Il s’agit effectivement pour nous d’un point essentiel, qui est au cœur de notre profond désaccord avec la philosophie qui est ici à l’œuvre ».

« Avis défavorable », a-t-on, à chaque fois, entendu. Tel était le chapelet égrené par le Gouvernement et la commission à l’encontre de chacun de ces trois amendements. Nos propositions constructives n’avaient donc vraiment pas été bien accueillies…

Dans son état actuel, la proposition de loi entérine le principe de vente à titre onéreux des monuments historiques. Cela est particulièrement regrettable, au moment où les citoyens se mobilisent contre le « bradage » du patrimoine national qu’entraîne la politique immobilière mise en œuvre par l’agence France Domaine. Il suffit de songer à l’exemple de l’hôtel de la Marine, déjà mentionné, et sur lequel je ne reviendrai pas.

C’est la raison pour laquelle la commission s’est prononcée en faveur des amendements de réécriture des articles 1er, 4, 5, 6, 7, 9 et 10.

Je pense notamment à l’amendement n° 36 de Mme Cartron et de ses collègues, qui tend à insérer, parmi les dispositions communes aux immeubles classés et inscrits figurant dans le code du patrimoine, un article créant un Haut conseil du patrimoine, dont la mission consiste à veiller à l’usage fait de tous les monuments historiques – je dis bien « tous » ! –, qu’ils appartiennent à l’État, aux collectivités territoriales ou à d’autres personnes publiques.

Cette mission de protection des monuments historiques, et notamment de leur utilisation culturelle, conférerait à ce Haut conseil un rôle que nous jugeons compatible avec les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité. Cette réécriture exclut la procédure de déclassement du domaine public et de vente des monuments historiques, laquelle porte sérieusement atteinte auxdits principes, qui nous paraissent essentiels pour la sauvegarde de notre patrimoine.

Permettez-moi de citer l’excellent rapport de Jacques Rigaud sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leurs collections : « Le développement durable nous questionne sur la responsabilité qui est la nôtre en ce qui concerne l’héritage de connaissances, de valeurs et de beauté que nous transmettrons à nos descendants, et dont le moins que l’on puisse dire est qu’il doit être au moins égal à celui que nous avons nous-mêmes reçu ».

Nous adhérons à cette approche et il nous semble que, pour garantir un tel développement durable de notre richesse patrimoniale, il nous faut refuser de vendre ce patrimoine. Les monuments historiques, qu’ils appartiennent à l’État ou aux collectivités territoriales, doivent rester leur propriété et bénéficier des plus hautes mesures de protection. Pour cette raison, nous vous proposerons de voter en faveur de la réécriture des articles précités, qui, dans leur état actuel, ouvrent des brèches dangereuses dans la politique patrimoniale protectrice dont nous réaffirmons la nécessité.

Toutefois, consciente des aléas des discussions en séance et de l’incertitude propre à tout vote, la commission de la culture a étudié tous les amendements déposés, et a retenu des solutions alternatives permettant d’introduire des garanties dans le texte tel qu’il a été modifié par l’Assemblée nationale.

Je tiens à souligner la position de la commission à l’égard des autres articles.

Tout d’abord, nous avons souhaité préserver l’article 1er A, qui introduit la notion de patrimoine mondial dans le code du patrimoine, et avons donc émis un avis défavorable sur l’amendement qui s’y rapporte. En effet, cette réforme, votée sur l’initiative de notre collègue Ambroise Dupont, nous paraît importante au regard des enjeux patrimoniaux. Le moins que l’on puisse dire est que l’État n’a été à la hauteur ni de ces enjeux ni des engagements qu’il a pris en application de la convention de 1972 pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel.

L’article 2 bis n’est pas concerné par les amendements de suppression, car il constitue une garantie supplémentaire contre le dépeçage du patrimoine. De fait, il prévoit deux mesures nouvelles : le classement d’ensembles ou de collections d’objet mobiliers, et la servitude de maintien in situ.

La commission s’est prononcée en faveur d’amendements qui complètent utilement le texte. À titre d’exemple, je citerai l’amendement n° 52 de notre collègue Françoise Cartron, qui tend à réaffirmer l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des monuments historiques appartenant à l’État ou aux collectivités territoriales. L’inscription dans le code du patrimoine de cette disposition, qui en rappelle d’autres présentes dans le code général de la propriété des personnes publiques, sera un outil efficace pour protéger notre patrimoine.

Vous l’aurez compris, la commission de la culture souhaite afficher sa détermination en faveur d’une véritable politique patrimoniale nationale, à la fois protectrice, respectueuse et responsable à l’égard des générations futures. Elle veut aussi réaffirmer son opposition à toute loi qui risquerait d’affaiblir encore davantage les collectivités territoriales, déjà mises à mal dans le contexte actuel de crise économique et d’inquiétude grandissante des territoires. Notre patrimoine ne doit pas servir de caution à une stratégie gouvernementale consistant à se défausser sur les collectivités.

Pour conclure, je citerai Gandhi : « Il faut être fier d’avoir hérité de tout ce que le passé avait de meilleur et de plus noble. Il ne faut pas souiller son patrimoine en multipliant les erreurs passées ». C’est une leçon que nous devons, aujourd’hui, garder à l’esprit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, avant d’aborder le contenu même de cette proposition de loi, je voudrais brièvement rappeler le contexte de son élaboration et de son examen.

La question du transfert du patrimoine monumental de l’État émerge aujourd’hui, car la raréfaction des crédits publics et l’obsession de la réduction de la dette de l’État, dans le but de contenter les marchés financiers, se sont faites omniprésentes. Nous le voyons bien actuellement…

Le tout-économique est désormais le moteur de l’action politique. La compétitivité et la rentabilité appliquées à l’action publique deviennent, plus que jamais, les questions centrales. Les termes employés – « pragmatisme », « nécessité », « rationalité » – traduisent, sous couvert d’objectivité, une vision idéologique de la réalité, et font loi. Ils justifient la réduction, soi-disant inéluctable, du périmètre d’action de l’État. La diminution des dépenses de l’État est ainsi érigée en dogme, sans que soit envisagée, parallèlement, la possibilité d’augmenter les recettes.

De plus en plus, la culture s’inscrit dans cette vision. Il ne reste alors qu’un pas à franchir pour la considérer comme un « bien marchand » ordinaire, et donc pour renoncer à l’exception culturelle défendue depuis si longtemps, et à juste titre, par la France.

Rendant ses premières conclusions le 12 décembre 2007, le Conseil de modernisation des politiques publiques ne disait pas autre chose lorsqu’il prévoyait explicitement une nouvelle vague de transferts de monuments historiques. Mais il est vrai que cette institution a pour raison d’être de veiller à l’application de la RGPP…

Les monuments ne sont plus qu’une variable d’ajustement des contraintes budgétaires ; c’est d’ailleurs vrai pour bien d’autres secteurs.

Même si le transfert des monuments ne s’opère que sur la base du volontariat, il entérine, de fait, le recul de l’État dans ce domaine, et met en balance les collectivités qui peuvent assumer cette charge et celles qui ne le peuvent pas ; pour elles, il ne s’agit plus de « vouloir ».

Nous sommes bien loin, dès lors, de la décentralisation culturelle voulue et mise en œuvre par Jean Dasté et Jean Vilar pour le spectacle vivant, qui tendait à rapprocher la culture des femmes et des hommes, et non à transférer des compétences en augmentant les charges des collectivités et, par conséquent, celles des ménages.

La présente proposition de loi vise à permettre à l’État de transférer son patrimoine aux collectivités territoriales.

Il est vrai – vous l’avez d’ailleurs rappelé, monsieur le ministre – que ces transferts seront encadrés. Il n’en reste pas moins que ce texte consacre, tout en semblant la repousser, la possibilité d’aliéner le patrimoine de l’État.

Afin que les transferts de monuments soient encadrés, un Haut conseil du patrimoine sera donc chargé d’établir la liste des monuments transférables et de ceux restant en la possession de l’État. Des règles procédurales ainsi que le respect d’obligations culturelles doivent également permettre d’assurer une certaine régulation. Mais il ne s’agit que de mesures d’aménagement d’une rigueur budgétaire à laquelle nous sommes opposés.

Cette rigueur s’articule autour de deux axes : le transfert financier du patrimoine monumental de l’État vers les collectivités territoriales ; la possibilité de déléguer la gestion de ce patrimoine au secteur privé, auquel il pourrait même être vendu. Dès lors, les dés sont jetés, et le patrimoine devient une marchandise comme les autres.

La question du transfert financier fait tomber les masques.

De fait, le transfert aux collectivités locales de la charge des coûts liés aux monuments constitue pour l’État un moyen artificiel, mais efficace, de réduire ses dépenses.

Cette proposition de loi trouve d’ailleurs son origine dans un article d’une loi de finances, le premier de ce type inséré dans un tel texte !

Nous regrettons que la réactivation du transfert de la propriété des monuments nationaux vers les collectivités territoriales trouve son fondement, non plus dans la volonté de renforcer l’autonomie des collectivités territoriales, mais, au contraire, dans celle d’alléger les finances de l’État, quitte à transférer la responsabilité et le coût de la gestion des monuments à des collectivités qui n’ont plus les moyens nécessaires à l’exercice de leurs compétences, situation qui, hélas ! ne semble pas devoir s’améliorer dans un avenir proche.

On est loin de l’action engagée en 2000 par Michel Duffour, alors secrétaire d’État au patrimoine et à la décentralisation culturelle, qui souhaitait un véritable travail partenarial entre l’État et les collectivités, partenariat où l’État apportait son appui financier, politique et scientifique.

Or, nous le savons depuis 2004 et le constatons depuis dans toutes nos collectivités territoriales, la décentralisation ne signifie plus que transferts de compétences et économies sur les transferts de financement correspondants.

La proposition de loi telle qu’elle nous est présentée constitue un danger, car, loin d’interdire l’aliénation des monuments nationaux, elle la consacre en permettant de céder la propriété ou la gestion de ces témoignages de l’histoire au secteur privé.

Ce procédé incarne la tentation, de l’État comme des collectivités, de trouver de nouveaux usages privés, économiques et rentables, à ces monuments qui coûtent si cher en entretien et en valorisation : ces derniers ne pourraient-ils pas rapporter au lieu d’être un coût ?

Ils deviendraient alors de potentiels lieux d’attraction compétitifs pour valoriser l’économie touristique française, synonymes d’autant d’hôtels de luxe, de galeries marchandes et de lieux de restauration, qui, à défaut de garantir le respect de l’intérêt général dans l’exploitation d’un monument inscrit ou classé, auraient au moins l’avantage de ne plus grever les finances publiques.

Au-delà de la vente pure et simple des monuments existe un dispositif tout aussi dangereux : le bail emphytéotique administratif, insuffisamment considéré et encadré par cette proposition de loi, qui permet de concéder à des opérateurs privés la responsabilité financière, la gestion et l’affectation d’un bâtiment administratif, tout en maintenant la propriété de la personne publique. Si l’illusion de la responsabilité publique est maintenue, le souci de préserver l’intérêt général est en réalité bien loin !

Il est pourtant légitime de craindre que l’usage mercantile de ces lieux ne soit préjudiciable au respect du monument et, surtout, ne se fasse au détriment de tout usage culturel peu ou pas rentable.

Cette proposition de loi, telle qu’elle a été remaniée par la majorité présidentielle à l’Assemblée nationale, n’est au fond que l’affirmation de la dissolution, voire de la disparition, à plus ou moins long terme des missions de service public de l’État dans le patrimoine national.

Elle ne saurait en l’état nous satisfaire, car elle ne fait que réguler ce qui reste une grande braderie des monuments nationaux, voués à une utilisation mercantile dont le seul but est de dégager du profit, sans garantie d’une utilisation culturelle.

Pour notre part, nous sommes des élus responsables, attachés, contrairement à ce qui a été dit en commission, au patrimoine national : il n’y a pas, d’un côté, une droite qui le défendrait et, de l’autre, une gauche qui « s’en ficherait » ! Nous avons déposé des amendements pour enrichir la proposition de loi, que nous voterons si elle est ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes tous conscients que notre patrimoine monumental est une richesse inestimable. Est-il encore besoin de rappeler les chiffres qui placent notre pays au premier rang des pays touristiques du monde ou d’énumérer les trésors historiques qui font la fierté de toute une nation ? Je ne le crois pas...

Cependant, il me semble que cette chance ne doit pas nous faire oublier les contraintes matérielles auxquelles nous sommes soumis. Nous devons avoir la lucidité de reconnaître que ce patrimoine historique représente également une charge, très lourde à porter, surtout en temps de crise, et parfois préjudiciable à la bonne conservation des monuments.

Dès lors, il ne faut pas se voiler la face. Il est indispensable de réfléchir et de trouver ensemble des moyens pour faire vivre ce patrimoine et pour lutter contre sa dégradation. L’État, avec les collectivités territoriales, doit trouver les meilleurs moyens d’assumer son rôle dans la protection et la transmission de notre histoire.

Avec la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, une première vague de transferts de propriétés de monuments historiques de l’État vers les collectivités territoriales avait été lancée, mais sans transfert de budget pour les personnels.

Depuis plusieurs années, et notamment depuis la loi de finances pour 2010, la question de la relance de ce processus de dévolution a été remise sur la table.

Par chance, l’article adopté sur ce sujet dans cette loi avait été censuré par le Conseil constitutionnel au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Son dispositif n’était, de l’avis de tous, pas assez abouti, et faisait peser des risques inquiétants sur le patrimoine de l’État.

Néanmoins, l’adoption, puis la censure de cet article nous ont permis de relancer une réflexion approfondie. Le Sénat, notamment la commission de la culture, a pu travailler pendant plusieurs mois sur cette question fondamentale pour l’avenir de notre patrimoine monumental, et mettre au point un système plus abouti et plus protecteur.

Je tiens d’ailleurs à ce propos à saluer la qualité du travail de Françoise Férat, dont le rapport d’information, je le rappelle, mes chers collègues, avait été adopté à l’unanimité de la commission.

Les principales préconisations de ce rapport visaient à « réactiver le principe de “transférabilité” des monuments historiques appartenant à l’État » et à « identifier les monuments historiques ayant une vocation culturelle », afin d’envisager leur transfert à titre gratuit à une collectivité territoriale volontaire.

Il me semble que ces préconisations étaient traduites dans la proposition de loi soumise à notre examen en janvier dernier. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe RDSE avaient voté en faveur de ce texte, équilibré et amélioré par des amendements provenant de toutes les travées de l’hémicycle.

Nous nous sommes réjouis, par exemple, que le principe de péréquation, indispensable à la survie du Centre des monuments nationaux, soit désormais inscrit dans la loi. C’est, parmi d’autres, un garde-fou indispensable. Le Haut conseil du patrimoine jouera un rôle essentiel en amont des transferts à titre gratuit, ainsi que dans le contrôle de projets d’éventuels déclassements du domaine public.

Nous n’avons néanmoins jamais douté du caractère perfectible du texte que nous avons transmis à l’Assemblée nationale.

Force est cependant de constater que, tel qu’il nous revient aujourd’hui, il a perdu sa légitimité et n’est plus du tout fidèle à l’esprit qui avait guidé nos travaux en première lecture.

Notre objectif est de faciliter, pour les collectivités territoriales qui le souhaitent, la réutilisation des monuments de l’État. Mais le respect de notre héritage historique et culturel doit rester au cœur de toute action, et il est hors de question de « brader » le patrimoine de la nation.

Lorsqu’une volonté de transfert de l’État rejoint un projet porté par une collectivité pour faire vivre son histoire et pour développer son attractivité culturelle, il est tout à fait légitime et sain que celle-ci puisse assumer pleinement son rôle. Cette notion de projet culturel doit cependant rester indissociable du transfert à titre gratuit.

C’est la raison pour laquelle nous nous opposons absolument à la rédaction de l’article 7 adoptée par l’Assemblée nationale.

Nous ne voterons en faveur de l’adoption de cette proposition de loi que si certains amendements, visant à rétablir la version du texte adoptée par le Sénat en janvier dernier, sont adoptés.

Nous sommes en effet fermement attachés à la philosophie du texte voté en première lecture au Sénat.

Il est ainsi inenvisageable que le projet culturel porté par la collectivité territoriale bénéficiaire du transfert de propriété à titre gratuit soit à durée déterminée. Nous pourrions envisager sa réévaluation, pour éviter qu’il ne perde sa pertinence au cours du temps ou qu’il ne devienne contreproductif, mais à aucun moment il ne doit disparaître, sans conséquences sur la propriété du bien.

Les dévolutions aux collectivités territoriales, si elles sont envisagées de manière sereine, transparente et rigoureuse, peuvent constituer une bonne solution pour éviter les situations dramatiques dans lesquelles des monuments fantastiques finissent pas tomber dans l’oubli, quand ce n’est pas en ruines...

La défense et la sauvegarde du patrimoine sont des préoccupations constantes de la commission et, bien sûr, du groupe RDSE. C’est la raison pour laquelle nous déterminerons notre vote en fonction des amendements qui seront adoptés ; si nous considérons qu’il n’est plus assez protecteur, nous ne pourrons pas voter ce texte. (Applaudissements.)