M. Jean-Pierre Chevènement. Il serait injuste, monsieur le ministre, de prétendre que vous n’avez pas cherché à préserver l’enveloppe de crédits de la défense, en principe garantie par la loi de programmation militaire.

Le budget que vous nous présentez se situe, cependant, sensiblement en dessous de ces enveloppes : abattements budgétaires, surcoûts des OPEX, opération Harmattan, qui se chiffre à 1,308 milliard d’euros, financement de la taxation interministérielle à la suite de la condamnation de Thales, surcoûts de la transition liée à la transformation des armées, épuisement des reports de crédits, retard des recettes exceptionnelles.

Je suis d’abord conduit à vous poser la question de savoir si la clause de sauvegarde prévue par la loi de programmation militaire pour les OPEX va être activée et à quelle hauteur. À défaut, il serait temps de mettre un terme à la dérive expéditionnaire, mais c’est un vaste sujet.

Je m’inquiète, ensuite, des réductions de crédits qui affectent le maintien en condition opérationnelle des hommes, dont je tiens à saluer la valeur. Mais celle-ci ne saurait compenser le défaut d’entraînement. Comme l’a déclaré l’Amiral Guillaud dans une expression toute en litotes : « La nouvelle trajectoire financière […] en retrait par rapport à celle prévue par la loi de programmation militaire […] nous a conduits à accentuer la préparation opérationnelle différenciée, en nous efforçant d’éviter l’écueil d’une armée à deux vitesses. »

C’est la cohérence de l’outil qui est en jeu. Ainsi, le nombre de journées de préparation et d’activité opérationnelles dans l’armée de terre passe de 120 jours en 2010 à probablement 105 jours en 2013, selon les déclarations du chef d’état-major de l’armée de terre, s’éloignant ainsi de la cible des 120 jours.

S’agissant de l’équipement des forces, il y aurait beaucoup à dire. Il faut noter l’entrée en service de matériels majeurs. Je rappelle cependant que l’entretien programmé des matériels est une priorité et qu’il est préoccupant de voir retarder la rénovation à mi-vie du Mirage 2000-D, la livraison des A-400 M et l’étalement de la livraison des avions multiravitailleurs MRTT. Pour l’armée de terre, je vous donne acte de la commande du lance-roquettes unitaire, c’est un bon point.

S’agissant de la direction générale de l’armement, la DGA, je tiens à saluer la manière dont elle s’acquitte de sa mission de préparation de l’avenir.

Essayons de voir, justement, ce que nous réserve l’avenir.

Les États-Unis se désinvestiront de plus en plus de l’Europe. Ils s’engagent en Asie et dans le Pacifique. J’observe l’extension rapide des incertitudes et même des « trous noirs » en Asie de l’Ouest et en Afrique : Afghanistan, Pakistan, Iran, Syrie, Yémen. Les révolutions démocratiques dans les pays arabes démontrent la puissance des courants islamistes dans les sociétés. Ce qui se passe en Égypte, en Tunisie, au Maroc et au Sahel nous concerne directement.

L’évolution du contexte géostratégique doit nous conduire à redéfinir nos priorités en matière d’équipements. Plus que jamais, la fonction connaissance et anticipation est décisive. Il faut donc donner une claire priorité aux moyens de renseignement. À cet égard, l’éloignement dans le temps du lancement du satellite CERES, dont plusieurs rapporteurs se sont inquiétés, est fâcheux. Peut-être s’agit-il d’une question d’appellation ? (Sourires.)

S’agissant de la dissuasion, il serait irresponsable de ne pas continuer un effort dont la valeur tient à son inscription dans la durée. Enfin, il faut le dire, il est temps de mettre un terme aux réductions de format des armées. L’effort de défense de la France est très sensiblement inférieur à l’objectif de 2 % du PIB pris, en 2007, par Nicolas Sarkozy, alors candidat à l’élection présidentielle.

Le maintien nécessaire de notre effort de défense se télescope avec la crise qui secoue la monnaie unique, qu’on décrit de manière réductrice comme une crise de la dette alors que c’est d’abord une crise politique, une crise de conception. Mal pensée, la monnaie unique, loin d’unir les nations, les divise. Or, en Europe, la position de la France s’est détériorée. Le président du groupe CDU-CSU a déclaré récemment au Bundestag : « L’Europe s’est mise à parler allemand ! »

Un ministre de la défense, soucieux de l’avenir de son budget, ne peut pas ignorer ce que préparent, par ailleurs, Mme Merkel et M. Sarkozy. Chacun sait que celui-ci est engagé dans une négociation où l’Allemagne entend imposer aux autres États de la zone euro un strict contrôle de leur budget par les institutions européennes qu’elle influence fortement. On entend parler de noyau dur, avec une monnaie encore plus surévaluée. M. Sarkozy a proposé une « règle d’or », en fait d’airain, pour supprimer, les déficits. Des dispositions coercitives seraient mises en œuvre par la Commission européenne. M. Barroso vient de déposer des projets de règlement d’où il résulte que, désormais, les pays de l’Union monétaire devront soumettre leurs projets annuels de budget à la Commission et à l’Eurogroupe avant le 15 octobre de l’année précédant l’exécution du budget. Si un projet de budget ne respecte pas les exigences du pacte de stabilité et de croissance, qui interdit un déficit supérieur à 3 % du PIB, ce qui est aujourd’hui le cas de la France, la Commission aura le droit de donner son avis et de demander des changements.

Je passe sur les autres propositions, notamment sur l’institution de conseils budgétaires indépendants. C’est le début de ce qu’Hubert Védrine a appelé l’Europe post-démocratique. Des dirigeants politiques élus sont écartés au profit de véritables gouverneurs technocrates européens, non élus mais formatés dans le moule de dogmes obsolètes !

Revenons à la mission « Défense ». Tout cela est très inquiétant, monsieur le ministre, pour l’avenir de la programmation militaire. Comment le budget militaire ne serait-il pas impacté non seulement par la récession qui s’annonce et par les resserrements budgétaires que la pression des marchés financiers ne manquera pas de susciter, mais aussi par la contestation de l’arme nucléaire par l’Allemagne et par plusieurs autres pays européens, ralliés au pacifisme en même temps qu’à l’OTAN et à la garantie ultime des armes nucléaires américaines ? Mais vous savez très bien tout cela !

L’Allemagne, à laquelle les traités refusent l’accès aux armes nucléaires, voit dans la dissuasion française au mieux un anachronisme.

Les affaires de défense sont des choses trop sérieuses pour être laissées aux institutions européennes dont la logique, malgré les apparences, n’est pas technocratique, mais politique : c’est une logique d’empire et d’un empire où la France serait réduite à un rôle d’accompagnement. Je vous renvoie à un article, que je ne vous cite pas, car mon temps de parole s’épuise, de M. Westervelle paru dans Le Figaro du 20 novembre dernier.

Quel serait, dans cette perspective, l’avenir de notre dissuasion ? On ne l’imagine que trop bien.

La coopération franco-britannique, utile, ne dispensera jamais d’un effort propre très important, sanctuarisant les crédits de la dissuasion au sein d’un budget de la défense, lui-même protégé par une nouvelle loi de programmation.

Si l’Europe de la défense devait avoir un sens, il faudrait qu’il soit entendu que les dépenses militaires, en tout cas celles de la dissuasion, seront soustraites du calcul du déficit selon les règles du pacte de stabilité. De lourdes menaces se dessinent à l’horizon.

Je ne voterai pas contre les crédits de la mission « Défense », mais mon abstention, monsieur le ministre, traduira l’inquiétude que j’éprouve pour l’avenir de notre outil militaire dans le contexte des négociations européennes que M. Sarkozy a engagées avec Mme Merkel. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, ce budget réaliste et sincère dans un contexte économique difficile, est marqué par une vision cohérente et pérenne de notre politique de défense nationale, mais également par son rayonnement européen et international.

Les bons résultats obtenus cette année, nous les devons aux compétences militaires, mais également à la qualité des équipements utilisés, qu’il s’agisse des aéronefs, des navires, des sous-marins nucléaires d’attaque, des missiles, de l’optronique embarquée, des techniques d’imagerie ou encore des chaînes de transmission de données à haut-débit. Un seul bémol toutefois : l’échec du drone européen.

La priorité accordée aux crédits d’équipement a donc été maintenue, tout en préparant l’avenir et en améliorant la condition du personnel, grâce au volet défense de la révision générale des politiques publiques, considéré comme exemplaire.

Le budget de la défense représente des masses financières importantes, qui sont investies dans le tissu industriel national. C’est un point essentiel par les temps qui courent. Les 20 milliards d’euros injectés chaque année dans notre économie font travailler quelque 5 000 entreprises à haute valeur ajoutée, qui emploient directement 250 000 personnes dans le secteur de la défense et indirectement près de 1 million de personnes.

La crise financière que nous vivons actuellement est un nouveau révélateur des interdépendances et des fragilités de chacun. Aucun pays dans le monde, aujourd’hui, n’est à l’abri des conséquences économiques de cette crise. Nul, désormais, ne peut penser que le monde de demain sera identique à celui d’hier.

Depuis un demi-siècle, les Européens sont conscients de la nécessité d’une coopération entre les États.

Nous avons su construire un système où nous avons privilégié le partenariat, l’interdépendance assumée, le respect de l’autre et la coopération entre les États, un système politique où l’état de droit prime sur le rapport de force, ce qui n’est déjà pas si mal.

La construction européenne et l’Alliance atlantique ont été, au cours du dernier demi-siècle, les deux piliers d’une ambition pour les Européens : établir un cadre de sécurité collective susceptible d’assurer la prospérité et la stabilité du continent.

Il y a dix ans ou presque, l’Europe de la défense était un concept purement intellectuel, et même un objet de méfiance pour ceux qui y voyaient une source de nuisance ou d’affaiblissement de l’Alliance atlantique ou encore d’atteinte à la souveraineté nationale.

Aujourd’hui, nous l’avons vu, la place de la France sur la scène internationale, particulièrement au sein de l’OTAN, est essentielle, j’en suis pour ma part convaincu. L’Europe de la défense, même si elle est encore balbutiante – soyons réalistes ! – se précise à bien des égards.

Dans un premier temps, nous avons donné à notre armée les moyens nécessaires pour que la France puisse prendre toutes ses responsabilités sur la scène internationale, comme on a pu le voir en Côte d’Ivoire, en Afghanistan ou, plus récemment, en Libye. Je tiens moi aussi à rendre hommage à tous nos soldats qui sont tombés sur ces théâtres d’opération, particulièrement en Afghanistan.

S’agissant de la Libye, dans l’espace aérien et naval libyen, les aviateurs de l’armée de l’air, les marins de l’aéronavale et les équipages de l’aviation légère de l’armée de terre ont mené ensemble une formidable opération, en coopération avec l’OTAN et sous mandat de l’ONU, avec le souci permanent de limiter au strict minimum les dommages collatéraux au sol. Cette opération a été menée à bien, nous en connaissons les résultats, sans perte humaine ni matérielle pour nos forces. Il faut tout de même le rappeler.

J’ai d’ailleurs eu le plaisir d’assister, le 10 novembre dernier, en votre compagnie, monsieur le ministre, et avec plusieurs députés et sénateurs, notamment le président Jean-Louis Carrère, sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, au retour d’expérience des forces françaises engagées en Libye. Ce fut une occasion d’admirer l’excellence de leur performance, ainsi que la qualité des présentations, au travers desquelles, sans langue de bois, les soldats ont mis en évidence un certain nombre de manques ou d’attentes. Ce fut véritablement un moment très fort, révélateur du caractère démocratique de notre armée, qui, après avoir fait son devoir, s’exprime sans détour.

Cette intervention en Libye marque la naissance d’une identité européenne de défense au sein de l’OTAN, dont la France se veut le promoteur depuis soixante ans. C’est le signe que nous avons fait, au niveau du commandement intégré en tout cas – c’est là aussi ma conviction –, le bon choix.

Cette intervention illustre aussi toute la pertinence du renforcement de la coopération franco-britannique, opérée avec la conclusion, le 2 novembre 2010, des deux traités bilatéraux que nous connaissons.

Douze ans après le sommet de Saint-Malo, qui avait permis le lancement de cette dynamique, la France et le Royaume-Uni ont confirmé leur volonté de rester des acteurs majeurs en matière de défense.

À quelques jours du prochain sommet franco-britannique, prévu le 2 décembre prochain, peut-être pourrez-vous nous dire, monsieur le ministre, si l’on peut s’attendre à de nouvelles avancées.

II est important que les coopérations menées avec nos partenaires britanniques restent ouvertes à d’autres pays qui partagent les mêmes objectifs.

Je pense en particulier à nos amis allemands, qui disposent d’une industrie de défense importante et reconnue, d’une armée qui, elle-même, est en pleine restructuration et avec laquelle nous entretenons une relation forte et parfois compliquée pour différentes raisons, y compris politiques.

Avec l’Allemagne et la Pologne, qui a fait de ce sujet l’une des priorités de sa présidence de l’Union européenne, la France a formulé, dans le cadre du triangle de Weimar, des propositions concrètes sur l’Europe de la défense.

Je pense notamment au renforcement des capacités européennes de planification et de conduite des opérations, à l’augmentation des moyens de l’Agence européenne de défense – que j’ai d'ailleurs eu l’occasion de visiter avec plusieurs de mes collègues sénateurs il y a quelques jours –, au développement des groupements tactiques ou encore au lancement de nouvelles opérations.

Je sais que, sur ces questions, il y a souvent une grande distance entre les affirmations et la réalité pratique. Mais je ne crois pas faire preuve de naïveté en disant que ces propositions offrent de réelles perspectives et qu’elles constitueront des chantiers intéressants.

Peut-être pourrez-vous nous dire, monsieur le ministre, si l’on peut, sur ces questions de sécurité et de défense commune espérer des avancées, même dans le contexte géopolitique actuel.

Permettez-moi de vous interroger sur un sujet qui me tient à cœur pour m’y être beaucoup impliqué naguère : quid de la brigade franco-allemande ? On connaît sa force symbolique et réelle mais également les problèmes de doctrine d’emplois qui ont parfois pour conséquence qu’elle ne se voit pas confier toutes les missions qu’elle pourrait accomplir.

D’autres exemples plus spécifiques de cette coopération européenne sont à valoriser, comme cela a été dit tout à l’heure.

Je pense notamment au programme MUSIS, nouvelle génération de satellites d’information, qui sera un pilier de la future architecture ISR spatiale.

Je pense également à la continuation de la valorisation de l’Erasmus militaire, qui permet déjà de mettre progressivement en place ce qui sera – rêvons un instant ! – une culture militaire commune.

Je souhaite conclure mon propos par deux points qui me tiennent particulièrement à cœur.

Premièrement, j’ai constaté, je l’ai d’ailleurs dit à votre collègue secrétaire d’État Marc Laffineur, une réelle volonté d’améliorer la potentialité des réserves militaires. C’est un sujet sur lequel je m’étais beaucoup impliqué en 2009. J’avais, à l’époque, évoqué trois chantiers qui sont toujours d’actualité : la réorganisation et la clarification de la gouvernance de la réserve ; le renforcement du dialogue et de la concertation entre les réservistes et leurs employeurs ; enfin, l’amélioration du vecteur essentiel du lien armée-nation qu’est la réserve citoyenne.

N’ayant pas le temps de développer ce dernier point qui me paraît important, je ferai néanmoins une remarque, désormais habituelle de ma part : si la réserve opérationnelle disparaît, nos armées, du jour au lendemain, ne pourront plus fonctionner ; il ne faut jamais l’oublier. Nos collègues Jöelle Garriaud-Maylam et Michel Boutant ont effectué un travail très approfondi sur ce sujet, notamment sur le lien avec les autres réserves en cas de crise majeure.

Deuxièmement, je voudrais brièvement évoquer la cyberdéfense, sujet sur lequel la commission des affaires étrangères a bien voulu me confier un rapport. Ce sujet passionnant est toujours d’actualité, notamment depuis les attaques informatiques massives qui ont frappé l’Estonie en 2007. Notre ancien collègue M. Romani a d'ailleurs présenté entretemps, au nom de la commission des affaires étrangères, un rapport qui fait date sur ce sujet.

Nous savons aujourd’hui que la vulnérabilité des réseaux informatiques n’est pas seulement un problème technique mais une question de sécurité nationale. On imagine les conséquences pour notre pays d’une attaque informatique massive visant, par exemple, la distribution d’énergie, les transports, les hôpitaux, le système bancaire et qui conduirait à la paralysie de notre pays.

Avec la création de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information et l’adoption d’une stratégie, la France a renforcé ses outils en matière de cyberdéfense. Est-ce suffisant pour autant ?

Notre défense doit s’adapter aux risques nouveaux, aux nouvelles technologies opérationnelles comme au développement et à la protection de son cyberespace, et je déplore la diminution de 20 millions d’euros des crédits de recherche en amont.

La cyberdéfense et la cyberstratégie sont les nouveaux sujets fondamentaux d’une politique de défense moderne et renouvelée. Nous devons être à la pointe dans ce domaine, car les découvertes peuvent se traduire dans les domaines privé ou industriel et inversement.

Nous devons valoriser ces passerelles entre les sphères militaires publiques et privées afin que l’information soit mise à jour rapidement, ce qui est une donnée essentielle, et surtout qu’elle soit protégée.

Pourrait-on, par exemple, envisager l’obligation d’une déclaration en cas d’attaque informatique, afin que l’État soit au moins informé d’un tel risque ?

Nous pourrions également établir des ponts entre les différents centres de recherche européens, et discuter la mise en place de protocoles internationaux.

Si ce domaine reste encore largement terra incognita, comme le disait récemment le professeur François Géré devant l’Institut des hautes études de défense nationale, l’IHEDN, il faut rapidement trouver des repères en matière de doctrine stratégique.

C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de porter une attention particulière à la prise en compte des crédits alloués à la cyberstratégie, sachant que, dans ce domaine, comparaison n’est pas raison. Je connais les chiffres mais nous savons souvent en France faire mieux avec moins et, surtout, nous ne mettons pas dans les montants les mêmes éléments que certains de nos voisins ou autres pays de référence avec lesquels nous nous comparons. Néanmoins, cette question est importante.

Pour toutes ces raisons, le groupe UCR, en dépit de la situation budgétaire et dans l’attente de la prise en compte d’un certain nombre de propositions qui seront faites aujourd’hui, votera les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je limiterai mon propos à deux réflexions parmi celles que m’inspire ce budget.

La première tient naturellement au choix que vous avez fait en juillet dernier, en comité ministériel d’investissement, en faveur du drone Heron TP de Dassault, pour faire suite au système intérimaire actuellement en fonction. Vous connaissez mon sentiment sur votre décision, je l’ai exprimé en commission à maintes reprises, et il est aujourd'hui très partagé. Lorsque je tente de comprendre les principes qui ont guidé cette décision, j’en viens à penser qu’il s’agit d’un cas exemplaire de conflit entre les responsabilités industrielles de l’État et ses responsabilités de défense.

Pour exercer votre choix, vous avez dû arbitrer entre l’expression des forces armées d’un besoin opérationnel et des préoccupations économiques et industrielles. Comme je l’ai dit tout à l'heure, ce n’est pas un débat « intérieur » médiocre.

Vous avez choisi, de votre aveu même, la solution qui était financièrement la plus coûteuse …

M. Gérard Longuet, ministre de la défense. Non, ce n’était pas la plus chère !

M. Daniel Reiner. … et militairement la moins performante, et ce en connaissance des causes et des effets, à dessein, si j’ai bien compris, de permettre à un industriel national d’acquérir des compétences qu’il n’a pas, afin de forger plus tard le système d’armes dont notre pays aura besoin. Ce choix aurait eu toute sa justification il y a quinze ans. Mais, aujourd’hui, y a-t-il un marché en Europe pour ce type de drones ? Est-il sérieux de créer une filière industrielle pour sept exemplaires ?

La dotation aux armées des équipements dont elles ont besoin et qui est de votre responsabilité relève, selon le Livre blanc, de trois cercles d’appréciation : celui de la souveraineté nationale et, par là, de l’exclusivité industrielle nationale – c’est le prix de l’indépendance ; celui de la coopération avec d’autres pays ; enfin, celui de l’achat « sur étagère ».

Où se situent les drones MALE dans cette géométrie ? Certainement pas dans le premier cercle. La preuve, c’est que le Gouvernement a fait le choix de signer avec la Grande-Bretagne un accord qui comporte explicitement un partenariat dans ce domaine entre BAE et Dassault pour les années futures, et nous l’approuvons.

Cette décision n’était pas facile et je vous avais d’ailleurs indiqué à l’époque que, quelle qu’elle soit, elle prêterait à critique. Devant ce dilemme, je pense que vous avez fait prévaloir l’aspect industriel sur l’aspect opérationnel. Bref, vous vous êtes plus comporté en ministre de l’industrie – que vous avez été – qu’en ministre de la défense – que vous êtes.

Sur ce sujet des drones MALE, il faut reconnaître que, depuis un long moment, nous n’avons pas été bons : je pense à la DGA, à l’état-major, aux industriels, voire aux politiques. Mais aujourd’hui, l’urgence était de répondre au besoin opérationnel et de repousser les préoccupations industrielles à moyen terme. C’était tout à fait conciliable et financièrement avantageux, ce qui ne gâte rien en ces temps difficiles.

Lorsqu’on dispose en héritage d’une volonté historique, d’une base industrielle et technologique de défense qui est une des meilleures sinon la meilleure d’Europe, on peut et on doit y être attentif, et nous le sommes en général ; on nous le reproche parfois. Mais attention à ne pas en faire l’alpha et l’oméga d’une politique de défense, car cela peut être contraire à son intérêt !

Faut-il voir une application stricte de subsidiarité dans le choix de suppléer l’absence de commande des avions Rafale à l’export par une commande supplémentaire de l’État, ce qui est le cas cette année encore ? Cela a pour effet de désorganiser profondément la programmation d’ensemble du renouvellement des équipements. Je pense, entre autres, à la rénovation des Mirage 2000 D. Or il faut 10 millions d’euros pour rénover un Mirage 2000 D et dix fois plus pour acheter un Rafale. Cela est en contradiction avec la loi de programmation militaire, qui affichait la nécessité de ces deux avions pour l’armée de l’air. C’est encore un choix industriel, ce n’est pas un choix opérationnel.

Il arrive qu’on puisse atteindre les deux objectifs à la fois. Ce n’est pas simple et, si l’on y parvient, c’est évidemment satisfaisant pour tous. Nous pensons que, parfois, il faut dissocier les deux intérêts, et c’est le cas, à notre sens, pour le drone MALE, comme c’était le cas pour le missile successeur du Milan. Là, nous avons su traiter l’urgence opérationnelle – en achetant d'ailleurs du matériel américain – et préparer l’avenir industriel d’une nouvelle trame de missiles de courte et moyenne portée. Voilà pour la première réflexion.

La seconde tient à l’impression que l’actuel gouvernement serait tenté de réorganiser les entreprises industrielles de défense, avec pour objectif ultime d’aboutir à une organisation autour d’un producteur unique en matière d’équipements militaires.

Nous avons quelques exemples à l’esprit : lorsqu’il a fallu remplacer Alcatel-Lucent au capital de Thales et que l’État a fait opposition à l’entrée d’EADS ; nous avons de nouveau ce sentiment avec ce que l’on appelle pudiquement « la rectification de frontières » entre Thales et Safran, et ce n’est pas si simple, on le voit aujourd’hui.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Reiner. L’un étant dans l’autre et l’autre dans encore un autre, le schéma paraît se préciser. S’agirait-il de faire un BAE à la française ? Est-ce une bonne chose pour l’État que de se retrouver face à une entreprise en situation de monopole ? Je ne suis pas un libéral comme vous, monsieur le ministre, mais j’en doute !

L’histoire récente montre que les États se sont défaits peu ou prou de leurs arsenaux et qu’ils ont posé des règles afin de favoriser la mise en concurrence dans les marchés publics de défense ; je pense, en particulier, à la directive de 2009. S’agit-il de remettre en place des arsenaux confiés cette fois en gestion à des opérateurs privés ? Je ne suis pas sûr que nous y trouvions avantage, que ce soit sur le plan industriel ou sur le plan financier, a fortiori, évidemment, dans les temps qui viennent.

Donner vie et force à une base industrielle technologique de défense européenne aurait naturellement plus de sens, mais chacun s’étant fait à l’idée que c’est impossible, rien n’a été tenté.

Pourtant, ce gouvernement nous avait expliqué – et je reconnais qu’il avait été assez convaincant – qu’il fallait réintégrer le commandement militaire de l’OTAN afin, d’une part, d’y regagner une influence et, d’autre part, de construire plus vite une Europe de la défense et, par là, sa base industrielle.

Du traité de Lancaster House avec les Britanniques à l’accord avec Israël que vous êtes en train de négocier, nous n’arrivons plus à vous suivre. Monsieur le ministre, expliquez-nous votre politique industrielle et de défense ! Où allez-vous ? Nous aimerions comprendre ... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – MM. François Trucy, rapporteur spécial, et Jacques Gautier applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.