M. François Fillon, Premier ministre. Ceux qui entreprennent la démarche de demander la nationalité disent souvent que l’une de leurs motivations est de participer à notre vie politique.

En d’autres termes, eux-mêmes perçoivent et respectent le lien intime qui existe entre citoyenneté et droit de vote. C’est donc qu’ils sont sensibles aux principes régissant l’existence de notre communauté nationale. Pourquoi devrions-nous renoncer à cette donnée, que les étrangers sont les premiers à ressentir comme importante ?

Mais il y a plus grave.

Dissocier le droit de vote de la nationalité française, c’est prendre le risque de communautariser le débat public.

M. Jacky Le Menn. C’est vous qui le dites !

M. François Fillon, Premier ministre. Nous perdrions beaucoup si nous voyions fleurir des listes de candidats se réclamant de leur nationalité étrangère pour briguer des voix.

M. Roland Courteau. C’est le contraire qui se produira !

M. François Fillon, Premier ministre. Il n’est sans doute pas de pire ferment du communautarisme que l’onction du suffrage universel donnée à des candidatures qui seraient tentées de miser sur leur caractère ethnique. Je reconnais qu’il n’y a là rien d’automatique, mais je ne suis pas prêt à courir un tel risque. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

On me rétorque que ces personnes payent des impôts et des cotisations sociales en France et qu’il est donc normal qu’elles puissent décider de l’utilisation qui en sera faite.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elles contribuent plus qu’elles ne reçoivent !

M. François Fillon, Premier ministre. Telle n’est pas ma conception de la citoyenneté.

Pour tout dire, cette vision censitaire et finalement utilitariste de la participation démocratique me paraît choquante.

Pour faire fonctionner nos services publics, dont tout le monde bénéficie, y compris les ressortissants étrangers, il est naturel que tous ceux qui en ont les moyens payent des impôts.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et que faites-vous de nos citoyens du lac Léman qui ne payent plus d’impôt en France ?

M. François Fillon, Premier ministre. Participer aux destinées d’une collectivité publique ou désigner ceux qui en seront chargés, cela n’a rien à voir !

Une commune n’est pas une entreprise dont on serait actionnaire en acquittant ses impôts. En clair, le droit de vote ne s’achète pas ; il se gagne par la volonté du cœur et de l’esprit. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP et de l’UCR.)

M. François Fillon, Premier ministre. L’argument qui met en valeur la contribution économique des étrangers pour légitimer leur droit de vote se heurte en outre à une profonde contradiction.

M. Louis Nègre. Bien sûr !

M. François Fillon, Premier ministre. En effet, pourquoi le réserver aux communes ? Les impôts locaux bénéficient aussi aux départements et aux régions. Alors pourquoi n’avez-vous pas proposé d’ouvrir le droit de vote aux élections cantonales et régionales ?

Plusieurs sénateurs des groupes CRC et socialiste-EELV. Cela viendra !

M. François Fillon, Premier ministre. Allons plus loin dans l’absurde. Les étrangers payent à l’État la TVA et, souvent, l’impôt sur le revenu. Faut-il leur donner le droit de vote aux élections législatives pour qu’ils puissent décider de l’usage qui en sera fait ? (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

De proche en proche, avec un tel raisonnement, c’est la citoyenneté française qui disparaîtrait.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle a déjà disparu !

M. François Fillon, Premier ministre. Certains en appellent aux exemples étrangers pour justifier leur proposition.

Que nous montrent de telles comparaisons ? Qu’il n’y a pas de modèle unique et que chaque État se détermine en fonction de son histoire,…

M. Roland Courteau. La France est lanterne rouge !

M. François Fillon, Premier ministre. … mais surtout de sa propre conception de la citoyenneté, celle qu’il croit la mieux à même de garantir la cohésion nationale !

Les Allemands, les Autrichiens ou les Italiens ont fait le même choix que nous.

Les Britanniques n’ont ouvert ce droit qu’aux ressortissants du Commonwealth, en raison de leur histoire commune.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parce que, nous, nous n’avons pas d’histoire commune avec les autres pays ? C’est incroyable ! Honteux !

M. François Fillon, Premier ministre. Et même dans les pays qui sont souvent mis en avant par les tenants du droit de vote des étrangers, les situations sont extrêmement diverses.

Droit de vote sous réserve de réciprocité : c’est le cas de l’Espagne et du Portugal. Droit de vote sans éligibilité : c’est le cas de la Belgique. Droit de vote assorti de conditions strictes d’accès à la nationalité, en particulier un droit du sol extrêmement restrictif, voire inexistant : c’est le cas des Pays-Bas, de la Suède, de l’Irlande ou encore de l’Espagne.

La France se distingue par un droit de la nationalité ouvert, avec une large place accordée au droit du sol et une naturalisation possible à partir de cinq années de résidence régulière. Nous avons toujours veillé à préserver cet équilibre.

Le Gouvernement a seulement entrepris de renforcer les exigences qui dépendent de la motivation et de la volonté des postulants,…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas ce que disait le candidat Sarkozy !

M. François Fillon, Premier ministre. … à savoir l’intégration et la maîtrise de la langue française.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’accession à la nationalité, nous sommes, selon les années, le premier ou le deuxième pays derrière le Royaume-Uni en valeur absolue, loin devant l’Allemagne.

Rapporté à la population étrangère, le nombre d’acquisitions de la nationalité en France est supérieur à ce qu’il est dans la plupart des pays ayant ouvert le droit de vote aux étrangers. Voilà la réalité ! Elle est très loin des caricatures dans lesquelles certains se complaisent. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vous qui caricaturez !

M. François Fillon, Premier ministre. Enfin, on nous nous oppose l’argument selon lequel les élections locales seraient d’une autre nature que les élections nationales. (Oui ! sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Ce n’est pas ma conception de la République et de son organisation. (Très bien ! sur les travées de lUMP.)

Pour moi, les collectivités locales ne sont pas dissociables de l’État et de la nation.

M. François Fillon, Premier ministre. Il n’y a pas, d’un côté, la stricte gestion locale et, de l’autre, la gestion nationale.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour preuve, les électeurs européens...

M. François Fillon, Premier ministre. Les deux forment des entités politiques, avec des enjeux politiques qui sont loin d’être anodins !

Les collectivités territoriales de la République participent aussi à l’expression de la souveraineté nationale.

Une compétence est décentralisée lorsque le Parlement estime qu’il s’agit du meilleur échelon de décision publique. Mais ce n’est pas parce qu’une compétence est décentralisée que les étrangers devraient mécaniquement être admis à participer à son exercice.

Pour moi, les élections municipales sont des élections politiques pleines et entières. Elles sont d’une essence différente des scrutins professionnels, universitaires ou sociaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis venu vous exprimer mon opposition à cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Alain Gournac. Nous aussi !

M. François Fillon, Premier ministre. Je le fais au nom des enjeux qu’elle reflète et qui, d’une certaine manière, la dépassent.

Qu’est-ce qui est en jeu ? C’est notre relation à la France, c’est notre unité, c’est notre égalité devant nos droits et devoirs !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec les agences de notation, ce qui est en jeu, c’est la souveraineté nationale !

M. François Fillon, Premier ministre. Face au relativisme, face à l’individualisme, c’est un combat qui n’est jamais définitivement gagné. (M. Jean-Pierre Raffarin applaudit.)

Ne soyons pas naïfs : il existe dans notre pays des ferments de division.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous les entretenez !

M. François Fillon, Premier ministre. Et comme vous tous ici, je ressens honte et colère lorsque je vois La Marseillaise sifflée. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

M. Didier Boulaud. La Marseillaise ne vous appartient pas !

M. François Fillon, Premier ministre. Je ressens de la tristesse lorsque notre pays est moqué. Et je suis inquiet devant l’expression radicale des appartenances ethniques ou religieuses.

Tous ces comportements sont les signes d’une société qui a besoin de raffermir ses repères historiques, civiques et moraux.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec des boucs émissaires !

M. François Fillon, Premier ministre. Dire cela, ce n’est pas assouvir je ne sais quelles obsessions passéistes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de lUMP.)

La France n’a jamais cessé d’être en mouvement, et toute son histoire est tendue vers l’objectif d’un rassemblement qui n’est jamais allé de soi ! (Mme Christiane Demontès s’exclame.)

Depuis dix siècles, la volonté d’unir nos différences et de nous forger un destin collectif s’est imposée sur nos particularismes et nos vieux penchants pour la division.

M. François Fillon, Premier ministre. Transcendant nos provinces, nos origines, nos religions, nous sommes depuis le début une nation fondée sur la volonté d’être précisément... une nation !

Et, plus que cela, nous sommes devenus une nation de citoyens, ce qui, au demeurant, nous impose plus de devoirs que de droits, plus de civisme que d’égoïsme, plus d’adhésion que d’indifférence. (Très bien ! sur les travées de lUMP.)

Depuis le fond des âges, la France a accueilli et assimilé des générations d’étrangers qui ont apporté leur concours au développement de notre pays.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a eu des exceptions !

M. François Fillon, Premier ministre. Il est naturel de vouloir que nos valeurs soient les leurs, et il est généreux de leur offrir la possibilité d’entrer pleinement dans notre famille nationale.

Nous sommes une nation d’intégration. Nous ne sommes pas une nation mosaïque !

L’intégration signifie que l’étranger qui veut fondre son destin personnel dans notre destin collectif adopte la France, et que, dès lors, la France l’adopte comme l’un des siens. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) Mais, pour qu’il y ait intégration, encore faut-il que l’étranger qui rejoint notre communauté nationale sache et sente que celle-ci est animée par une foi commune !

Et cela, c’est un message pour nous, peuple français, qui avons trop souvent l’art de nous dévaloriser, de nous déprécier, alors que nous avons tellement d’atouts, et, si souvent, tant de noblesse dans nos élans. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vous qui nous dépréciez !

M. François Fillon, Premier ministre. En République, l’amour et le service de la France ne relèvent pas d’une doctrine d’État.

Chacun est responsable de ce qu’il reçoit et de ce qu’il donne à la nation. Chacun est porteur d’un héritage historique et culturel qu’il se doit de respecter et de prolonger avec fidélité et courage.

Cette exigence est valable pour les Français, qui sont les premiers concernés par le sort de la nation, mais elle l’est aussi pour les étrangers qui nous rejoignent. Pour eux, comme pour nous, être français ou choisir de devenir français, c’est d’abord adhérer à un pacte !

Avec une telle proposition de loi constitutionnelle, la gauche s’engage dans une voie dangereuse avec légèreté. Elle prend le risque de vider la nationalité et la citoyenneté française de leur substance, et ce au moment précis où notre pays est face aux épreuves de la mondialisation et doit se rassembler autour de ses valeurs et de ses objectifs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, les Français ont besoin de repères clairs et stables.

Or, fractionner le droit de vote, c’est prendre le risque de morceler notre pacte national.

M. François Fillon, Premier ministre. C’est prendre le risque d’affaiblir l’intégration.

C’est prendre le risque de sectionner l’un des chaînons de l’unité républicaine.

Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons tous ensemble veiller à protéger l’un des principes de la République française : pas de vote sans citoyenneté, et pas de citoyenneté sans adhésion à la nation ! (Mmes et MM. les sénateurs de lUMP, suivis de plusieurs sénateurs de l’UCR, se lèvent et applaudissent très longuement. – Vives protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le Premier ministre, je tiens à intervenir, parce que vous avez mis en cause la méthode en vertu de laquelle nous sommes aujourd'hui saisis de ce texte.

M. Éric Doligé. Il y a de quoi !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je m’étonne que le chef du Gouvernement puisse remettre en cause le fait que le Sénat ait inscrit à l’ordre du jour un texte adopté par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – Exclamations ironiques sur les travées de lUMP.)

Mme Catherine Troendle. Il y a dix ans !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le Premier ministre, vous savez très bien qu’il s’agit du fonctionnement normal de nos institutions.

M. Éric Doligé. C’est de la combine !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pour parler très clairement, ceux qui constituent aujourd'hui la majorité de ce Sénat ont pris un engagement moral voilà trente ans.

M. Éric Doligé. C’est du Guérini dans le texte !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pendant trente ans, nous avons dit que le droit de vote des étrangers aux élections locales ne pouvait pas être adopté en raison de la majorité du Sénat.

Maintenant que la majorité du Sénat a changé, il était un devoir pour nous, eu égard à cet engagement moral, d’inscrire ce texte à l’ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Roger Karoutchi. Il fallait faire un référendum !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous le faisons en vertu des principes et des valeurs qui sont les nôtres.

M. Alain Gournac. Pourquoi François Mitterrand ne l’a-t-il pas fait ?

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le Premier ministre, en citant l’histoire de la République, vous avez, semble-t-il, oublié que la Première République avait adopté des textes fondant la citoyenneté non pas sur la nationalité, mais simplement sur le fait qu’il y avait des êtres humains.

Enfin, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été adoptée par des républicains, sans condition ni réciprocité, en vertu de valeurs universelles de fraternité qui sont les nôtres et en vertu desquelles nous déposons aujourd'hui ce texte devant le Sénat. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – Exclamations sur les travées de lUMP.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Mme Esther Benbassa, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. « J’avoue ne pas être outrageusement choqué par la perspective de voir des étrangers, y compris non communautaires, voter pour les scrutins cantonaux et municipaux.

M. Roger Karoutchi. Cantonaux ? C’est nouveau !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. « À compter du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois,…

M. Éric Doligé. Cela n’a rien à voir !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Laissez-moi terminer : je vous lis une déclaration de M. Sarkozy ! (Rires et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Je reprends :

« À compter du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois, où ils vivent sur notre territoire depuis un temps minimum, par exemple de cinq années, je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner une appréciation sur la façon dont est organisé leur cadre de vie quotidien. » Voilà ce que qu’écrivait Nicolas Sarkozy à la page 214 de son livre Libre ! (Nouveaux rires ! et applaudissements sur les mêmes travées.)

M. Jean-Pierre Raffarin. La gauche applaudit Sarkozy ! (Sourires sur les travées de lUMP.)

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Puis, le 30 octobre 2005, il affirmait à propos du droit de vote des étrangers : « Je crois que c’est un facteur d’intégration. »

« Vouloir priver des étrangers qui travaillent, vivent, font vivre, et payent leurs impôts, de toute forme de citoyenneté et de toute participation à notre vie démocratique, n’a d’autre sens qu’une ségrégation » C’est ce qu’écrivait Éric Besson à la page 65 de Pour la Nation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Le même ajoutait : « Étendre le droit de vote aux élections locales aux ressortissants des pays qui furent colonisés par la France, qui sont des pays francophones, qui ont appartenu à notre République, et qui sont aussi ceux qui entretiennent avec elle les liens les plus profonds et anciens, constituerait un signal fort du maintien de cette grande tradition républicaine d’accueil et d’intégration. »

« Je voudrais, mes chers collègues, appeler votre attention sur le fait que nous sommes dans le dernier peloton des pays européens à devoir encore accorder le droit de vote aux résidents étrangers. » Telles sont les déclarations de M. Gilles de Robien en 2000, lorsque l’Assemblée nationale examinait la présente proposition de loi constitutionnelle.

M. Jean-Pierre Caffet. Il y en a encore beaucoup ?

Mme Esther Benbassa, rapporteure. J’en ai encore quelques-unes... (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste scandent « Encore ! »)

« Un authentique décentralisateur ne peut pas être opposé à un débat sur le droit de vote aux élections municipales pour les étrangers résidant depuis plusieurs années dans une commune. Ce pourrait être un signe de la France à leur endroit. » Ce sont les mots de M. Jean-Pierre Raffarin, dans Pour une nouvelle gouvernance. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Raffarin se lève et salue ironiquement.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’avez qu’une parole à droite !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Et je terminerai par la phrase suivante : « Donc, vous voyez, c’est simplement oser l’audace et l’imagination. » C’est ce qu’affirmait Brice Hortefeux le 26 octobre 2006 ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Eu égard aux quelques citations que je viens de vous lire, je devrais être convaincue qu’aucun de nous ne saurait voir d’objection à ce que notre Haute Assemblée se prononce unanimement…

Mme Esther Benbassa, rapporteure. … en faveur du droit de vote et d’éligibilité des étrangers non communautaires aux élections municipales. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Qui donc a dit que nous n’étions pas d’accord ?

Mme Christiane Demontès. Eux ! (Mme Christiane Demontès désigne les sénatrices et sénateurs UMP.)

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Et pourtant, ce sont d’autres discours que l’on entend désormais. L’exclusivisme nationaliste actuellement en vogue m’évoque parfois des temps moins généreux que ceux, en tout cas, de 1793, lorsqu’un révolutionnaire prétendait faire citoyens français tous ceux qui « respirent sur le sol de la République ».

M. Bruno Retailleau. Robespierre !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. On avait alors élu plusieurs députés étrangers à la Convention nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. Roger Karoutchi. Et on les a guillotinés ensuite...

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Car – faut-il le rappeler ? – les concepts de nationalité et de citoyenneté apparaissent comme distincts, au début de la Révolution. Il n’était pas alors nécessaire d’être Français pour pouvoir participer à l’exercice de la citoyenneté que représentait le vote. Et l’article 4 de Constitution de l’an I disposait que pouvait être admis à l’exercice des droits de citoyen français « tout étranger » qui serait « jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité ». De l’humanité, pas de la nation !

Peu à peu s’imposent le caractère exclusivement national de la citoyenneté et l’idée selon laquelle les droits associés à la citoyenneté sont fondés sur l’appartenance de l’individu qui en jouit à une communauté politique nationale incarnée par l’État-nation. Le XIXsiècle est celui de la montée des nationalismes, où la nationalité apparaît comme le critère, sinon le principal, du moins le premier, de la citoyenneté, ainsi que le reflète la Constitution du 4 novembre 1848, dont l’article 25 dispose que sont « électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt et un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques ».

C’est le traité de Maastricht, en 1992, qui permettra à la France de renouer avec son ancienne tradition d’ouverture. Non seulement ce traité autorise les citoyens ressortissants des États membres de l’Union européenne à voter aux élections locales et européennes dans leur pays de résidence, mais il distingue aussi la nationalité de la citoyenneté. Ce « statut fondamental » des ressortissants de l’Union européenne crée ce que l’on peut appeler une citoyenneté européenne, parallèlement à la souveraineté nationale.

La ratification du traité de Maastricht nécessitait une modification de la Constitution, rendue effective par la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a introduit un nouvel article 88-3 dans la Constitution.

Rappelons-le, la Constitution a été modifiée à plusieurs reprises pour que soient réalisées des réformes considérées comme fondamentales et décisives : droit de vote des femmes, abolition de la peine de mort, parité femmes-hommes, etc. C’est la volonté politique qui a permis de telles avancées.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Aujourd’hui, il est temps que nous ayons cette volonté pour ajouter une nouvelle page à l’histoire de notre nation (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV) et rendre par là même indirectement hommage aux étrangers ou fils d’étrangers qui contribuèrent à sa gloire. Nous avons eu et nous aurons besoin de ces étrangers. Ayons l’audace de le dire en posant un acte fort. Ayons l’audace de miser sur cette ouverture, promesse de richesse.

Le texte visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France, adopté par les députés et transmis au Sénat au mois de mai 2000, s’inscrit dans la continuité de l’octroi du droit de vote aux étrangers communautaires.

Une étude de législation comparée, conduite par les services du Sénat sur douze pays européens et la Suisse, montre que seuls deux pays dénient tout droit de vote aux élections locales aux résidents étrangers.

M. Louis Nègre. L’étude porte sur douze pays ! Pas sur les vingt-sept !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. La présente proposition de loi constitutionnelle ne vise pas à modifier l’article 3 de la Constitution ; elle tend à créer un nouvel article au sein du titre XII consacré aux collectivités territoriales.

Ce choix vise aussi à montrer que les droits ainsi conférés aux étrangers ne remettent pas en cause la souveraineté nationale, qui découle, elle, de l’article 3, relatif au titre Ier : De la Souveraineté. Cette interprétation a d’ailleurs été confirmée par la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992, dite Maastricht 1.

Pour compléter le dispositif prévu par l’article 1er du texte dont nous débattons aujourd’hui, nous avons introduit un article 2 visant à supprimer le mot « seuls » des dispositions prévues par l’article 88-3 de la Constitution.

M. Éric Doligé. Reprenez les citations de Nicolas Sarkozy ; c’est plus agréable et plus clair !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. De nombreux arguments militent en faveur de l’ouverture du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne. Ils peuvent être regroupés en quatre thématiques.

Premièrement, il est nécessaire de reconnaître l’existence d’une citoyenneté plurielle, conséquence de la pérennité de l’établissement de certains étrangers sur le sol français. Cette pérennité est indéniablement source d’implication dans la vie collective à l’échelle locale.

Deuxièmement, l’équité impose de ne pas traiter différemment deux catégories d’étrangers : ceux qui sont issus des États membres de l’Union européenne et ceux qui sont issus des pays tiers. En effet, comment justifier que les premiers puissent voter en France quand ils n’y sont établis que depuis quelques mois, tandis que les seconds restent exclus de toute participation à la vie civique, même lorsqu’ils résident chez nous depuis plusieurs décennies ?

Troisièmement, s’exprime la volonté de renforcer la portée de la démocratie.

Quatrièmement, enfin, il faut garantir la dignité des personnes concernées par ce nouveau droit.

À ces arguments s’ajoute le fait que l’octroi de ce droit répond aux aspirations profondes de ceux qui en seront bénéficiaires. Il est, en outre, approuvé par maints élus locaux, qui ont marqué leur soutien en mettant en place des « votations citoyennes » et en souscrivant à l’Appel de Strasbourg en faveur de l’ouverture du droit de vote aux étrangers pour les élections municipales.

Quant à la proposition de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui présentée, mes chers collègues, elle semble également recueillir le soutien de l’opinion. (Protestations sur les travées de lUMP.)

M. Charles Revet. Cela m’étonnerait !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Selon une enquête BVA réalisée pour le journal Le Parisien et datée du lundi 28 novembre 2011, 61 % des Français – c’est un chiffre record – sont favorables au fait que les étrangers non européens puissent participer aux élections municipales.

M. Roland Courteau. C’est exact !

MM. Philippe Dallier et Louis Nègre. Référendum !

Mme Esther Benbassa, rapporteure. Contrairement aux craintes que M. le ministre de l’intérieur avait exprimées au printemps dernier dans le magazine Le Point, au vu des sondages, les Français paraissent donc bien « mûrs sur le sujet ».

Craindre que les étrangers non communautaires prendraient d’assaut nos mairies au cas où ils accéderaient au droit de vote et d’éligibilité – et certains font mine d’y croire ! – suppose de surévaluer les conséquences effectives de l’arrivée de ces nouveaux électeurs sur les équilibres ordinaires du corps électoral.

Certes, les arguments avancés pour contester l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers non communautaires ne vont pas manquer. On peut d’ailleurs en identifier trois principaux.

Tout d’abord, a été avancé l’argument d’un prétendu « modèle républicain », liant, de manière indissoluble, la citoyenneté à la nationalité. Il ne semble pourtant plus avoir de raison d’être depuis l’insertion de l’article 88-3 dans la Constitution, c’est-à-dire depuis que les ressortissants de l’Union européenne participent aux élections municipales. Il n’est pas légitime de lier citoyenneté et nationalité dans la mesure où ces notions répondent à deux questions très différentes, qui n’ont d’ailleurs pas de véritable lien logique entre elles.

En effet, alors que la nationalité s’attache à la question : « Qui suis-je ? », la citoyenneté semble, quant à elle, constituer une réponse à la question : « Que faire ensemble ? » (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)