M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, une démocratie qui ne coûte rien est une démocratie à vendre, une démocratie livrée aux enchères et aux intérêts privés, une démocratie dans laquelle la cause publique n’est plus défendue.

Les dérives du passé ont eu des conséquences lourdes sur la relation de confiance que les citoyens entretiennent avec leurs responsables politiques. La prise de conscience a eu lieu il y a plus de vingt ans. Elle a conduit à la rédaction des premières lois visant à rendre transparents les financements politiques et à limiter les conflits d’intérêts.

Le financement illicite de la vie politique par des personnes morales et le trafic d’influence pouvaient, enfin, être sanctionnés.

Ces principes généraux étant rappelés, le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui concerne le financement des campagnes des candidats à l’élection présidentielle.

Le thème est complexe, cela a été rappelé par M. le rapporteur. Il est en particulier bien difficile de distinguer, quand l’un des candidats se trouve être le Président lui-même, ce qui relève de sa fonction et ce qui ressortit à son seul statut de candidat.

Il est même étonnant, alors que la loi impose à tout candidat de prendre en compte l’ensemble de ses dépenses liées à la campagne dans l’année précédant l’élection, que, à cent jours de l’élection présidentielle, le Gouvernement nous invite à examiner un projet de loi organique destiné à modifier les modalités des comptes de campagne pour la campagne en cours !

Ce projet de loi organique souffre donc d’un péché de rétroactivité. Le Conseil constitutionnel pourrait toutefois le censurer, car il change les règles du jeu de façon irréversible pour les candidats qui sont entrés en campagne les premiers...

Mais revenons au fond. Ce texte est d’abord démagogique.

Présenté comme devant permettre une baisse des contributions publiques, il n’induira en réalité qu’une diminution très faible de celles-ci, laquelle, de surcroît, ne pourra être mesurée, le cas échéant, qu’a posteriori.

À un moment où l’actualité judiciaire souligne que, en 1995 et 2007, des contributions « extralégales » auraient été perçues par des candidats à l’élection présidentielle, quelle est la cohérence de supprimer 5 % de financement public pour chaque candidat si certains d’entre eux n’ont pas de scrupules à aller chercher ce qui leur manque en dehors du cadre fixé par la loi ?

Hypocrite, ce système est aussi cynique : en matière d’élection présidentielle, le vainqueur a toujours raison, quelles que soient les libertés que celui-ci prend avec la loi. Tout dépassement, toute dérogation à la loi n’affecte jamais la validité de son élection !

Cet état de fait ne saurait durer, car il constitue une insulte à la démocratie. Cette préoccupation inspire plusieurs des amendements qui nous sont aujourd’hui soumis et qui, sous réserve de leur adoption, justifient que l’on soutienne ce texte, malgré les réserves initiales qu’il nous a inspiré.

En 2012, on ne peut plus, on ne doit plus se permettre d’offrir l’impunité à un président élu en dehors de toute contrainte et de toute obligation quant au respect des lois. Cette préoccupation doit également nous inspirer pour les élections législatives.

Le sujet est d’autant plus sensible que, pour la première fois, seront élus en 2012 onze députés des Français de l’étranger.

Ces élections vont se dérouler dans des conditions particulières, où la part des déplacements dans le coût total d’une campagne sera très significative, ce qui n’est pas le cas dans les circonscriptions métropolitaines.

Par exemple, une circonscription reliera Mourmansk, Téhéran, Wellington et Tokyo. Cette réalité induira, bien sûr, des coûts de déplacement astronomiques. Pour l’UMP, c’est le ministre des transports qui s’impose sur cette circonscription : nécessité oblige...

Dès lors, comment assurer une parfaite égalité entre tous les candidats quand certains sont des ministres en fonctions et d’autres de simples citoyens Français résidant à l’étranger ?

Avec mes collègues Hélène Conway Mouret, Claudine Lepage et Richard Yung, nous avons interrogé la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la CNCCFP. En effet, trois membres du Gouvernement ont été investis comme candidats de l’UMP à l’étranger : Thierry Mariani, Frédéric Lefebvre et Marie-Anne Montchamp. Comment ne pas craindre de voir ces derniers utiliser, lors de leurs déplacements à l’étranger, les moyens de la République pour favoriser leur élection comme député par les Français établis hors de France ?

À cet égard, on a d’ailleurs déjà constaté que le ministre chargé des transports a, depuis plusieurs mois, multiplié les déplacements officiels dans des pays faisant partie de la 11circonscription. Entre le 3 juin 2011 et aujourd’hui, en l’espace de trente et une semaines, Thierry Mariani est parti, prétendument dans l’exercice de ses fonctions gouvernementales, vingt-six fois à l’étranger, dont vingt-quatre fois dans un pays de la circonscription dans laquelle il est candidat ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre-Yves Collombat. C’est bon à prendre !

M. Jean-Yves Leconte. Or son prédécesseur à ce poste, Dominique Bussereau, n’a voyagé pendant une année entière que onze fois hors de France, dont trois fois dans ladite circonscription : la rupture d’égalité entre les candidats est déjà patente.

À cet égard, la CNCCFP nous a simplement répondu qu’elle réintégrera si nécessaire, le cas échéant, c’est-à-dire après la campagne, « les dépenses omises ». Elle « relèvera éventuellement des concours de personnes morales prohibées ». En substance, elle nous a expliqué qu’elle n’avait pas à juger le caractère justifié ou non des déplacements des ministres. (Mme la ministre opine.)

C’est pourtant une tout autre lecture qui est faite lorsqu’un élu local se présente à une élection législative et qu’il utilise sa charge pour mettre en avant son action. En effet, celui-ci est à la merci de sanctions très lourdes s’il utilise son mandat à des fins électorales.

M. Alain Anziani. C’est vrai !

M. Jean-Yves Leconte. La CNCCFP avait d’ailleurs apporté la même réponse lors de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, pour ce qui concerne les déplacements du chef de l’État. Elle considère qu’elle « n’a pas de compétence pour juger l’utilisation des fonds publics mis à sa disposition » et que, de toute façon, « les frais de transport du Président de la République et de ses collaborateurs, ainsi que le coût des mesures de sécurité et de protection liées à ses déplacements ne peuvent être inclus dans les comptes de campagne ».

Mais alors, qui a compétence pour juger ? Le Conseil constitutionnel ? Celui-ci doit se prononcer dans les dix jours suivant l’élection, alors que la CNCCFP a, en ce qui la concerne, un mois pour le faire !

Dans la pratique, un abus manifeste dans l’utilisation de l’argent public des contribuables ne peut donc être sanctionné, ce qu’a rappelé René Dosière à l’Assemblée nationale. Depuis octobre 2011, le rythme des déplacements du chef de l’État a considérablement augmenté, ainsi que l’a relevé notre collègue Alain Anziani.

Un président en campagne, des ministres en campagne, un Gouvernement en campagne, et ce sur fonds publics, et pour des montants largement supérieurs aux économies envisagées par ce projet de loi organique :…

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. … cela démontre l’hypocrisie du Gouvernement. Rendez-vous compte, mes chers collègues, on nous propose, dans ce projet de loi organique, une économie de trois millions d’euros ! Voilà qui est plutôt surréaliste !

Le secrétaire d’État chargé des Français de l’étranger, Édouard Courtial, prend très à cœur ses nouvelles fonctions. Pourtant, il avait auparavant qualifié dans une proposition de loi d’exilé fiscal tout Français vivant hors de l’Union européenne dès lors que celui-ci ne payait pas ses impôts en France, même si c’était en vertu d’une convention fiscale qu’il avait ratifiée en tant que parlementaire.

M. Jean-Yves Leconte. Et voilà qu’aujourd'hui, il survole le monde à la vitesse d’un supersonique accompagné d’un aréopage de hauts fonctionnaires, en ciblant les territoires stratégiques pour ses collègues ministres candidats et ses amis politiques ! Il suffit de consulter son agenda officiel sur le site Internet du Quai d’Orsay pour prendre la mesure de cette opération politique au coût astronomique.

Dans le même temps, il manque dans plusieurs postes consulaires les personnels et les finances nécessaires pour préparer correctement les élections, tout en assurant aussi le quotidien des consulats.

Demain, se tiendra au Maroc une grande réunion de l’UMP. Y participeront Nadine Morano – mais n’est-elle pas ministre en exercice ? – et le secrétaire d’État Édouard Courtial. L’UMP avait aussi initialement annoncé la présence officielle de hauts fonctionnaires en exercice. Devinez, mes chers collègues, quel est le thème de cette réunion ?... « Une nouvelle gouvernance pour les Français de l’étranger. » Voilà qui promet !

Permettez-moi de prendre un autre exemple.

Le 9 février prochain, aura lieu à Miami, dans la circonscription que le candidat Frédéric Lefebvre, également secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation, convoite, celle des Français d’Amérique du Nord, en sa présence et en celle de François Baroin – n’est-il pas lui aussi un ministre en exercice ? –, le premier rassemblement mondial des conseillers du commerce extérieur.

Mme Maryvonne Blondin. Quelle coïncidence !

M. Jean-Yves Leconte. Là encore, je vous invite à aller consulter le site Internet dédié à l’organisation de cette manifestation pour prendre la mesure de l’ampleur de la dépense engagée. Mais c’est certainement pour fêter le dernier record du déficit de notre commerce extérieur, qui s’élève à 75 milliards d’euros ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Mirassou. Le monde est petit !

M. Jean-Yves Leconte. On comprend bien qu’il soit difficile à l’étranger d’appréhender et de contrôler les dérives probables. Certes, la CNCCFP ne peut pas s’exporter dans le monde entier, mais il n’est pas convenable de profiter de cette situation avec autant de morgue.

Une telle attitude doit être dénoncée et sanctionnée,…

Mme Maryvonne Blondin et M. Jacques Chiron. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. … car elle constitue une insulte à l’intelligence, ainsi qu’un mépris pour les Français de l’étranger et pour leur représentation parlementaire.

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. Pourtant, la législation précise bien que l’utilisation éventuelle par un ministre de moyens de la République, à l’occasion d’un déplacement à l’étranger, en vue de favoriser son élection, sans refacturation des frais engendrés, est prohibée, dans la mesure où une telle utilisation constituerait une participation au financement d’une campagne par une personne morale. Dès lors, pourquoi le font-ils ?

Mes chers collègues, la période impose l’exemplarité et la sobriété. Une pleine conscience des impératifs de transparence et des conflits d’intérêts est donc nécessaire.

Le conflit d’intérêts n’était-il pas évident lorsque M. Woerth était en même temps ministre du budget et trésorier du parti au pouvoir ? Mais ni lui ni ses amis ne l’ont jamais reconnu.

Et que dire de l’actuel ministre de l’intérieur, candidat à Boulogne, utilisant la mairie comme bureau de poste ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne faut tout de même pas exagérer ! Vous devenez caricatural !

M. Jean-Yves Leconte. Quel écart étonnant avec la loi pour un ministre chargé de la lutte contre la délinquance !

Candidat aux élections législatives pour les Français du Proche-Orient, de l’Afrique du Sud et de l’Est et de l’océan Indien, l’ancien juge Alain Marsaud se prévaut d’une mission du Gouvernement français pour justifier de ses déplacements à Madagascar. En l’occurrence, il travaillerait au rétablissement des liaisons aériennes de la compagne nationale Air Madagascar entre Madagascar et l’Europe,…

M. Michel Delebarre. Ce n’est pas inutile ! (Sourires.)

M. Jean-Yves Leconte. … et ce afin de mieux concurrencer notre compagnie aérienne nationale, Air France, en offrant un service moins cher, car délocalisé !

Alain Marsaud présente sans vergogne cette mission comme étant directement liée à sa campagne électorale, mais néanmoins au service de tous ses concitoyens !

Bref, à quelques mois de scrutins fondamentaux, on se demande si certains candidats proches du pouvoir en place n’auraient pas perdu tout sens commun. On observe des situations si curieuses que cela autorise toutes les conjectures et suppositions possibles.

Ainsi, le candidat UMP dans la seconde circonscription d’Amérique latine, Pascal Drouhaud, est aussi le directeur adjoint d’Alstom pour l’Amérique latine, une société qui vise – et c’est très légitime – de nouveaux marchés au Panama. Elle a d’ailleurs récemment été retenue pour y construire une ligne de métro. Eh bien, cet État ne vient-il pas de bénéficier, en décembre dernier, d’une ratification supersonique par le Parlement – grâce à l’Assemblée nationale et contre l’avis du Sénat – d’une convention fiscale lui permettant de sortir de façon opportune de la liste des paradis fiscaux ? (Mme Maryvonne Blondin s’exclame.)

Voilà, mes chers collègues, où nous en sommes à quelques mois de scrutins fondamentaux pour notre avenir.

M. André Reichardt. Vous vous prenez pour Saint-Just !

M. Jean-Yves Leconte. Profitons de l’examen de ce projet de loi organique pour réaffirmer des principes et des exigences et pour adopter, aux côtés du rapporteur, M. Gorce, et de M. Collombat, de nouvelles règles pour faire en sorte qu’il y ait plus de moralité et moins de cynisme lors de la prochaine élection présidentielle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures vingt, est reprise à onze heures vingt-cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Demande de renvoi à la commission

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi organique relatif au remboursement des dépenses de campagne de l'élection présidentielle
Article unique (début)

M. le président. Je suis saisi, par M. Masson, d'une motion n° 14.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale, relatif au remboursement des dépenses de campagne de l’élection présidentielle (n° 236, 2011-2012).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n’est admise.

La parole est à M. Jean Louis Masson, auteur de la motion.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si j’ai annoncé que j’accordais mon parrainage pour l’élection présidentielle à Nicolas Dupont-Aignan, ce n’est pas par convergence idéologique. C’est tout simplement parce que le système des parrainages me paraît scandaleux du point de vue démocratique et que je souhaite aider les petits candidats qui sont victimes de l’hégémonie des deux partis dominants.

Le vrai problème est que les parrainages sont instrumentalisés par ces deux grands partis afin d’empêcher des candidatures concurrentes ou, tout au moins, de leur imposer un handicap disproportionné.

Depuis que les parrainages sont rendus publics, on assiste à des dérives totalement inacceptables. Par des chantages aux subventions, des menaces à l’intérieur des partis politiques et parfois même des violences physiques émanant de contradicteurs forcenés, on essaye de contraindre les maires soit à ne signer pour personne, soit à signer pour l’un ou l’autre des deux partis dominants.

En revanche, lorsque la signature s’oriente vers des courants politiques représentatifs faisant de l’ombre aux deux partis dominants, tous les coups sont permis.

Ainsi, le quotidien Le Figaro du 30 décembre 2011 rapporte que Mme Aubry, avec l’aval de M. Hollande, a fixé ce qu’elle appelle « la feuille de route ». Mais cette feuille de route est lourde de menaces puisqu’elle indique qu’il faut obligatoirement – j’y insiste – « qu’aucun parrainage d’élu socialiste et républicain ne manque à notre candidat ».

À l’UMP, ce n’est pas beaucoup mieux : des pressions tout aussi regrettables sont parfois exercées au niveau local sur tel ou tel maire.

Lors des élections présidentielles de 2002 et de 2007, le Conseil constitutionnel a déploré de multiples cas de pressions pour dissuader les maires de parrainer tel ou tel candidat. Des représailles a posteriori ont aussi eu lieu à l’encontre de maires ayant accordé leur parrainage : chasseurs à l’encontre des parrains d’un candidat écologiste, chantage aux subventions départementales selon l’orientation politique des parrainages, exactions diverses contre les parrains des candidats d’extrême droite ou d’extrême gauche...

Ces pratiques ont, hélas ! tendance à se reproduire. C’est inacceptable, car il s’agit d’une atteinte intolérable à la liberté des élus.

Ainsi, dans le canton dont je suis le conseiller général, deux maires avaient, par le passé, signé en faveur du Front national. L’un a subi des menaces physiques et sa maison a fait l’objet de dégradations : cela l’a tellement ébranlé qu’il a eu un accident cardiaque. Quant à l’autre, le maire d’Ennery, M. Jean-Marie Bauer, il a annoncé solennellement dans la presse locale, en l’espèce Le Républicain Lorrain du 3 janvier 2012 qui lui consacre un article : « Je ne parraine plus personne ! »

Il justifie ensuite cette position, qu’il a dû prendre à regret.

« Je me souviens encore de ce jour d’avril 2002, lorsque toute la presse a publié mon nom au milieu de la liste des 500 maires ayant parrainé Jean-Marie Le Pen. Deux ou trois jours avant la clôture des parrainages, tous les médias parlaient de ses difficultés à obtenir les 500 signatures. J’ai été contacté par un représentant du Front national qui m’a détaillé la situation. Si j’ai répondu favorablement, c’est parce que j’estimais que, dans un pays démocratique, il aurait été anormal qu’un parti avec autant d’électeurs ne pût être représenté à l’élection présidentielle.

« On peut être pour ou contre Le Pen, mais il a quand même le droit d’être candidat. C’est la démocratie. Personne à Ennery ne sait pour qui je vote. Je voulais simplement permettre à un candidat de présenter ses idées aux Français, comme d’ailleurs je l’avais fait pour Dominique Voynet en 1995 !

« Mais, lorsque mon parrainage a été rendu public, certaines personnes sont venues m’insulter. Pendant plusieurs semaines, j’ai vécu un véritable cauchemar. À cause de cela, si, aujourd’hui, l’un des candidats me sollicitait le dernier jour pour obtenir un ultime parrainage, je refuserais. Mais ce serait un crève-cœur, car ce système des parrainages rendus publics est complètement antidémocratique ! Il faut absolument instaurer l’anonymat. »

Ainsi s’exprimait ce maire, dans la presse, voilà quelques semaines. À sillonner mon département, je peux vous dire que, dans leur immense majorité, les maires sont très mécontents du système actuel, qu’ils trouvent profondément antidémocratique.

Cet exemple prouve qu’il faut être d’une totale mauvaise foi pour prétendre que la publicité des parrainages n’est pas incompatible avec l’expression libre et démocratique du suffrage universel.

À juste titre, des milliers de maires et autres parrains potentiels déplorent le détournement de la procédure des parrainages. En effet, les partis politiques dominants et les médias font croire à l’opinion que le parrainage est un soutien politique. Or le but théorique des parrainages est uniquement d’éviter les candidatures marginales ou farfelues. On ne peut pas accepter que ce système serve de prétexte à l’élimination des courants de pensée représentatifs pour les empêcher d’avoir un candidat.

Pis, l’expérience de 2002 a prouvé que le système des parrainages non seulement n’empêchait pas les candidatures marginales, mais risquait d’exclure des courants de pensée parmi les plus importants.

Ainsi, en 2002, malgré le filtre des parrainages, sur les seize candidats qui se sont présentés, neuf ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés.

M. Gluckstein est arrivé bon dernier, avec seulement 0,47 % des suffrages, soit 132 686 voix sur 28 498 471. Bien que sa représentativité ait été quasi nulle, il avait pourtant très rapidement obtenu les parrainages requis ; il en avait même beaucoup plus que nécessaire.

Au contraire, M. Le Pen, lui, est arrivé deuxième au premier tour, avec 4 804 713 voix, soit 16,86 % des suffrages exprimés, trente-six fois plus que M. Gluckstein. Malgré cette représentativité incontestable, il avait rencontré d’énormes difficultés pour rassembler les parrainages requis. À trente parrainages près, il avait même failli ne pas pouvoir être candidat.

Par conséquent, j’estime qu’il faut, d’une part, rétablir le principe du secret des parrainages afin d’éviter toute pression ou représaille sur des parrains potentiels et, d’autre part, prévoir à titre alternatif que tout parti peut présenter un candidat s’il a obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés lors des précédentes élections législatives.

Par ailleurs, des sanctions pénales sont prévues à l’encontre des personnes qui exercent des pressions sur les électeurs en vue de dénaturer l’expression du suffrage universel. La moindre des choses serait qu’elles s’appliquassent aussi à l’encontre de ceux qui, par des pressions ou des représailles, essayent d’empêcher le parrainage de tel ou tel candidat. Là encore, c’est la sincérité du suffrage universel qui est en jeu.

Si je propose une motion de renvoi à la commission, c’est parce que le projet de loi organique qui nous est soumis nous donne l’occasion de sortir du statu quo. En effet, il modifie l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962, mais de façon très marginale. La diminution de 5 % du taux de remboursement des candidats ne justifiait pas un changement à la dernière minute, juste avant les élections !

Il est regrettable que le Gouvernement ait eu recours à la procédure accélérée sur ce texte, tout en faisant semblant d’ignorer le vrai problème, celui des parrainages, que pose l’article 3 susvisé qui les organise. La moindre des choses aurait été de réformer le système des parrainages en même temps que le taux de remboursement des candidats.

Malheureusement, les deux partis dominants s’entendent pour continuer à profiter d’un système profondément injuste et contreproductif.

En conclusion, si le Gouvernement a raison de déclarer qu’il est urgent de réformer l’article 3 susvisé, il n’y a aucune urgence à bricoler à la marge le remboursement des frais de campagne. La seule urgence légitime réside dans la modification du système scélérat des parrainages.

Je terminerai en rappelant les deux principes auxquels je suis attaché.

D’une part, la publication de la liste des parrainages des candidats aux élections présidentielles porte atteinte au secret d’une partie du processus électoral et, par contrecoup, à la liberté du vote. Il ne sert à rien que le vote soit secret pour empêcher les pressions sur les électeurs si, dans le même temps, la publicité des parrainages permet des pressions pour écarter certaines candidatures.

D’autre part, il est totalement incohérent d’avoir des sanctions pénales dissuasives à l’encontre des menaces ou pressions qui pourraient être exercées sur les électeurs si, dans le même temps, rien n’est prévu à l’encontre de ceux qui exercent des représailles ou font du chantage pour empêcher d’éventuels candidats représentatifs d’obtenir leur parrainage.

Ce projet de loi présente toutefois un intérêt : il démontre que l’on peut, dans l’enceinte parlementaire, évoquer cette question.

Jusqu’à présent, tous les partis politiques dominants, que ce soit le parti socialiste ou l’UMP, ont fait semblant d’ignorer l’existence d’un problème. À la veille des élections, on fait un peu la sourde oreille. Au lendemain des élections, on dit qu’il faut effectivement réformer.

Ainsi, après les élections de 2007, certains dirigeants de l’actuelle majorité gouvernementale ont en effet déclaré qu’il fallait changer le système des parrainages, car il ne convenait pas, mais on s’est empressé de ne rien faire !

C’est bien pis du côté du parti socialiste, car on s’est réjoui quasi ouvertement du fait que le système des parrainages permettait des manipulations, et donc l’élimination de tel ou tel par des pressions sur les uns ou sur les autres. Les propos de Mme Aubry, avec la caution de M. Hollande, lourds de menaces à l’encontre des maires de sensibilité socialiste qui parraineraient quelqu’un d’autre que le candidat officiel, sont très inquiétants pour la démocratie. Nous ne sommes plus à l’époque de Brejnev ni dans la situation de Moubarak !

Comment se déroulaient les élections présidentielles en Égypte ? Pour devenir candidat, il fallait être présenté par un certain nombre de personnes. Mais les présentations étant publiques, les candidats qui voulaient se présenter contre M. Moubarak ne trouvaient jamais personne pour les cautionner !

Si un parrain potentiel signe pour un petit candidat qui recueillera 0,5 % des suffrages, on s’en réjouit au parti socialiste, car ce n’est ni gênant ni grave. En revanche, si quelqu’un signe pour un candidat susceptible d’être représentatif et d’être présent sur l’échiquier politique, on entre dans la phase de représailles !

M. Jean-Jacques Mirassou. Il faut arrêter ! Une fois, ça va !

M. Jean Louis Masson. J’assume !

M. Jean-Jacques Mirassou. Ce sont des idioties !

M. Jean Louis Masson. Je ne profère aucune idiotie. Au demeurant, le parti socialiste n’est peut-être pas le seul parti concerné par ces pratiques.

Je défends cette motion au nom de la démocratie et des milliers de maires qui ne supportent plus cette pression. Celle-ci s’exerce par le biais de chantages aux subventions et s’est amplifiée avec les intercommunalités. Il suffit de voir ce qui se passe dans une intercommunalité ayant à sa tête un président socialiste, si jamais l’un des maires d’une commune membre veut signer pour quelqu’un qui n’est pas de son côté ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

C’est pourtant vrai !

En commission des lois, ce matin, on a traité ce problème des parrainages par-dessus la jambe, car, bien évidemment,...

M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Vous n’étiez pas là !