compte rendu intégral

Présidence de M. Charles Guené

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Hubert Falco.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Ratification des nominations à une commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au harcèlement sexuel.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance d’hier, mercredi 24 juillet, prennent effet.

3

Article 1er (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2012
Article 1er (début)

Loi de finances rectificative pour 2012

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2012 (projet n° 687, rapport nos 689, avis nos 690 et 691).

Nous poursuivons la discussion des articles de la première partie.

PREMIÈRE PARTIE (suite)

CONDITIONS GÉNÉRALES DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER

TITRE Ier (suite)

DISPOSITIONS RELATIVES AUX RESSOURCES

I. – IMPÔTS ET RESSOURCES AUTORISÉS (suite)

M. le président. Dans la discussion des articles de la première partie, nous poursuivons l’examen, au sein du titre Ier, de l’article 1er.

J’en rappelle les termes :

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de finances rectificative pour 2012
Article 1er (interruption de la discussion)

Article 1er (suite)

I. – L’article 2 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 est ainsi modifié :

A. – Le I, le IV, le 2° du D du V, le VIII et les B, D et E du IX sont abrogés ;

B. – Le A du IX est ainsi rédigé :

« A. – Le A du VII s’applique à compter du 1er janvier 2013. »

II. – Le code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l’article 2 de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012, est ainsi modifié :

A. – Au 3° de l’article L. 241-2, le taux : « 5,38 % » est remplacé par le taux : « 5,75 % » ;

B. – Le II de l’article L. 245-16 est ainsi modifié :

1° Au quatrième alinéa, le taux : « 1,2 % » est remplacé par le taux : « 2,9 % » ;

2° Au dernier alinéa, le taux : « 2 % » est remplacé par le taux : « 0,3 % » ;



C. – L’article L. 241-6 est ainsi modifié :



1° Le 1° est ainsi rédigé :



« 1° Des cotisations proportionnelles à l’ensemble des rémunérations ou gains perçus par les salariés des professions non agricoles ; des cotisations forfaitaires peuvent être fixées par arrêté ministériel pour certaines catégories de travailleurs salariés ou assimilés ; ces cotisations proportionnelles et forfaitaires sont intégralement à la charge de l’employeur ; »



2° Au 3°, après le mot : « personnes », sont insérés les mots : « salariées et » et les mots : « du régime agricole » sont remplacés par les mots : « des régimes agricoles » ;



3° Le 9° est abrogé ;



D. – L’article L. 241-6-1 est abrogé ;



E. – L’article L. 241-13 est ainsi modifié :



1° Au I, après le mot : « sociales », sont insérés les mots : « et des allocations familiales » ;



2° Au quatrième alinéa du III, les mots : « la somme des taux des cotisations patronales dues au titre des assurances sociales » sont remplacés par le coefficient : « 0,281 » ;



3° Au dernier alinéa du même III, les mots : « par décret dans la limite de la valeur maximale définie ci-dessus » sont remplacés par les mots : « à 0,26 » ;



F. – Au premier alinéa de l’article L. 131-7, la date : « 1er octobre 2012 » est remplacée par la date : « 1er janvier 2011 » ;



(nouveau). – Le second alinéa de l’article L. 755-2 est supprimé.



III. – Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :



A. – L’article L. 741-3 est ainsi rédigé :



« Art. L. 741-3. – Les cotisations prévues à l’article L. 741-2 sont calculées, selon des modalités fixées par décret, en pourcentage des rémunérations soumises à cotisations d’assurances sociales des salariés agricoles. » ;



B. – À l’article L. 741-4, après le mot : « articles », est insérée la référence : « L. 241-13, ».



IV. – Le code général des impôts est ainsi modifié :



A. – À la fin de l’article 278, le taux : « 21,20 % » est remplacé par le taux : « 19,60 % » ;



B. – Le 1 du I de l’article 297 est ainsi modifié :



1° Au début du premier alinéa du 5°, le taux : « 8,7 % » est remplacé par le taux : « 8 % » ;



2° Au début du premier alinéa du 6°, le taux : « 14,1 % » est remplacé par le taux : « 13 % » ;



C. – Le I bis de l’article 298 quater est ainsi modifié :



1° Au 1°, le taux : « 4,73 % » est remplacé par le taux : « 4,63 % » ;



2° Au 2°, le taux : « 3,78 % » est remplacé par le taux : « 3,68 % » ;



D. – Le tableau du deuxième alinéa de l’article 575 A est ainsi rédigé : 

«

Groupe de produits

Taux normal

Cigarettes

64,25 %

Cigares

27,57 %

Tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes

58,57 %

Autres tabacs à fumer

52,42 %

Tabacs à priser

45,57 %

Tabacs à mâcher

32,17 %

»





V. – Le dernier alinéa du I de l’article L. 1615-6 du code général des collectivités territoriales est supprimé.

VI. – Le 3° du II de l’article 53 de la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 de finances pour 2008 est ainsi rédigé :



« 3° La taxe sur la valeur ajoutée brute collectée par les producteurs de boissons alcoolisées ; ».



VII. – A. – Le C du IV s’applique à compter du 1er janvier 2012.



B. – Le A du II s’applique à compter du 1er janvier 2013 aux sommes déclarées par les assujettis au titre des périodes ouvertes à partir de cette date.



C. – Pour l’année 2012, le 3° de l’article L. 241-2 du code de la sécurité sociale s’applique dans sa rédaction en vigueur au 1er janvier 2012.



D. – Le B du II s’applique :



1° Aux revenus du patrimoine mentionnés à l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale perçus à compter du 1er janvier 2012 ;



2° Aux produits de placements mentionnés au I de l’article L. 136-7 du même code payés ou réalisés, selon le cas, à compter du 1er janvier 2013 et à ceux mentionnés au II du même article pour la part de ces produits acquise et, le cas échéant, constatée à compter du 1er janvier 2013.



E. – Pour les produits de placements mentionnés au I de l’article L. 136-7 du code de la sécurité sociale payés ou réalisés, selon le cas, du 1er juillet 2012 au 31 décembre 2012 et pour ceux mentionnés au II du même article pour la part de ces produits acquise et, le cas échéant, constatée du 1er juillet 2012 au 31 décembre 2012, le produit des prélèvements mentionnés au I de l’article L. 245-16 du même code est ainsi réparti :



1° Une part correspondant à un taux de 0,3 % au fonds mentionné à l’article L. 135-1 du même code, dont une part correspondant à un taux de 0,2 % à la section mentionnée à l’article L. 135-3-1 dudit code ;



2° Une part correspondant à un taux de 1,3 % à la Caisse d’amortissement de la dette sociale ;



3° Une part correspondant à un taux de 2,2 % à la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés ;



4° Une part correspondant à un taux de 0,6 % à la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés ;



5° Une part correspondant à un taux de 1 % à la Caisse nationale des allocations familiales.

M. le président. Tous les intervenants sur l'article s’étant exprimés, nous abordons l’examen des amendements.

L'amendement n° 100, présenté par M. J.C. Gaudin et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Notre collègue Jean-Claude Gaudin étant absent, je vais essayer de défendre l’amendement qu’il a déposé.

Il s’agit d’un amendement « de suppression de suppression », puisqu’il vise à supprimer l’article 1er supprimant la TVA sociale, laquelle, comme cela est rappelé dans l’objet, devait rapporter 13,2 milliards d’euros au budget de l’État et, surtout, donner un coup de fouet à la compétitivité des entreprises.

On a beaucoup parlé hier du problème de la TVA sociale, ou TVA anti-délocalisation. Pour ma part, contrairement à certains de nos collègues qui ont regretté un certain flottement dans la désignation de cette TVA, je soutiens les deux termes, qui sont complémentaires, malgré des significations distinctes.

Dans un premier temps, elle fut dénommée TVA sociale car elle devait succéder à une charge de l’ordre de 5 milliards d’euros pesant sur les entreprises et destinée à financer la branche famille de la sécurité sociale. On se demande d’ailleurs pour quelle raison historique ce financement reposait sur les entreprises.

Cette TVA sociale devait également son nom à la distinction opérée entre les biens de consommation courante acquis par les ménages les moins aisés, sur lesquels pesait un faible taux de TVA, et les biens concernés par un taux normal, sur lequel devait porter l’augmentation.

Quant à la dénomination « TVA anti-délocalisation », elle se justifie par le fait que l’augmentation en question permettait de protéger les entreprises françaises en taxant des produits pour la plupart importés de pays où le coût de la main-d’œuvre est faible.

Pour nous, la suppression de cette TVA est un mauvais coup porté à l’économie française. Une telle décision est d’ailleurs d’autant plus surprenante que tant la Cour des comptes que certains anciens parlementaires socialistes devenus ministres, ainsi que certaines associations proches du pouvoir comme Terra Nova, avaient soutenu, en filigrane, l’instauration de la TVA sociale. La situation est d’autant plus inquiétante que le Gouvernement n’a présenté, à ce jour, aucune solution de substitution.

Hier, on a beaucoup parlé de la CSG, dont l’augmentation, comme certains l’ont rappelé, n’a pas encore été décidée. Néanmoins, je le rappelle, le Président de la République a affirmé récemment que, entre la TVA sociale et la CSG, il avait porté son choix sur la CSG. J’ai également entendu Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de l'autonomie, dire que la CSG serait destinée à financer la réforme de la dépendance. On peut se demander comment cette contribution, qu’il appartiendra de définir dans les mois qui viennent, pourrait à la fois bénéficier aux entreprises en venant réduire leurs charges patronales pour améliorer leur compétitivité et, en même temps, financer la dépendance, qui, chacun le sait, nécessite des sommes considérables.

Je le rappelle rapidement, la CSG est un impôt rétrograde et injuste puisqu’il frappe tous les revenus d’une manière uniforme, sans opérer de sélection. L’augmenter, comme ce sera sans doute le cas dans les mois qui viennent, consistera à reprendre d’une main ce qui a été donné de l’autre, en particulier aux salariés les plus modestes, qui ont bénéficié récemment d’une faible augmentation du SMIC. Finalement, ceux-là n’apercevront pas de grand changement au bas de leur feuille de paye !

J’ajoute également que la suppression programmée de la TVA sociale est un mauvais signal donné à nos partenaires européens. Je ne reviendrai pas sur les tribulations de l’Europe, dont les médias nationaux se sont encore fait l’écho ce matin, mais je rappellerai que nos partenaires attendaient des gestes forts en faveur du désendettement et de l’amélioration de la compétitivité française. Or cette suppression pure et simple ne va pas dans ce sens.

Certains ont souligné hier que les pays qui avaient appliqué la TVA sociale n’avaient pas bénéficié de l’effet qu’ils en attendaient, insistant en particulier sur l’inflation qu’elle avait engendrée en Allemagne. Si ce pays a connu, il est vrai, une légère inflation, celle-ci n’a été que de quelques points pendant très peu de temps. La situation est rapidement revenue à la normale.

J’ajoute que les projections établies à l’époque par le précédent gouvernement indiquaient, compte tenu du gain de compétitivité qui aurait été réalisé par les entreprises, que l’impact sur les prix serait de l’ordre de 0,4 % à 0,5 %, chiffres bien différents de ceux qui ont été annoncés.

J’ajoute encore que les pays scandinaves, et en particulier le Danemark, appliquent cette TVA dite sociale depuis très longtemps. Le Danemark est en effet, avec la Suède, l’un des pays d’Europe où le taux de TVA est le plus élevé, puisqu’il atteint 25 %. En contrepartie de cette augmentation, toutes les charges sociales des entreprises pesant sur les salaires ont été supprimées, ce qui est loin d’être négligeable. Or, chacun peut constater que, dans le concert européen, les pays scandinaves font partie du bloc du Nord, qui n’est pas le plus mal placé sur le plan financier.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Noël Cardoux. On a manqué une formidable occasion en ne mettant pas à plat l’ensemble des taux et des bases de la TVA, lorsque, voilà quelques années, il y avait un taux à 33 %. Pourquoi n’a-t-on pas orienté la réflexion vers une distinction entre un taux réduit pour les biens de première nécessité, un taux intermédiaire, puis un taux majoré – peut-être de 25 % – sur les biens que les ménages n’ont pas l’impérieuse nécessité de consommer. Cela aurait été à la fois un signal fort adressé aux entreprises et une mesure de justice sociale, la taxe étant parfaitement répartie entre les consommateurs français.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances La commission des finances est défavorable à cet amendement, conformément à la position adoptée par la majorité du Sénat depuis déjà plusieurs mois.

Il a été dit hier que ce projet de loi de finances rectificative était en quelque sorte une « revanche idéologique »…

M. Albéric de Montgolfier et Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Non « une revanche fiscale » !

M. Jean-Pierre Caffet. Au nom de l’idéologie !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il est clair qu’il existe plusieurs options, qui ont d’ailleurs été largement évoquées hier, pour sortir de l’ornière dans laquelle se trouve notre pays.

Je tiens à attirer l’attention de notre collègue Jean-Noël Cardoux sur le fait que, dans le projet de loi de finances rectificative présentée par la droite, le déficit atteignait 84 milliards d’euros, alors que le texte qui vous est aujourd’hui soumis, mes chers collègues, a vocation à ramener ce déficit à 81 milliards d’euros. Nous parvenons ainsi, par d’autres moyens, à améliorer le solde de nos finances publiques. Dès lors, l’idée selon laquelle, à défaut de la ressource dégagée par la TVA sociale, notre situation se dégraderait et que nous donnerions à l’Europe une image déplorable n’est pas valable.

Je suis donc défavorable à cette mesure d’abord parce que son impact sur l’emploi sera quasiment nul. Par ailleurs, elle aura un effet inflationniste, comme nous avons pu le constater dans un certain nombre de pays. Enfin, il ne s’agit pas, comme M. le ministre l’a démontré hier avec beaucoup de talent, d’améliorer à la marge la compétitivité-prix, qui ne pose pas de problème particulier, mais la compétitivité hors coût.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. En donnant l’avis du Gouvernement sur l’amendement défendu par M. Cardoux, je me permettrai de répondre également aux orateurs qui ont pris la parole sur l’article 1er. J’estime en effet que plusieurs débats ont été ouverts à cette occasion.

Le premier est purement politique. Il est vrai, monsieur le sénateur, qu’un membre du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, alors qu’il était encore dans l’opposition, s’était déclaré favorable à l’idée qu’une diminution des charges pesant sur les entreprises en faveur de la protection sociale pourrait être compensée par une augmentation de la TVA. Il s’agit naturellement de Manuel Valls, auquel vous avez fait référence sans le citer.

Je prononce son nom sans craindre de le gêner en quoi que ce soit, comme je ne vous embarrasserai pas, Monsieur le sénateur, en rappelant que d’autres avaient condamné cette façon de procéder. Le premier était un certain Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie et des finances, lequel indiquait d’ailleurs, pour mettre en garde vigoureusement les parlementaires qui auraient été tentés par cette solution, que celle-ci lui apparaissait comme « un mauvais coup porté à la croissance ». ; je reprends à dessein son expression.

D’autres responsables se montrèrent hostiles à la TVA sociale. Ce furent, en 2007, dans un rapport conjoint, Éric Besson, dont je peux concevoir que l’appartenance précise à tel ou tel groupe peut prêter à débat, et Christine Lagarde, dont le positionnement politique ne peut, en revanche, être mis en doute. Cette dernière a eu des écrits très sévères à l’égard d’une politique qui consisterait à augmenter la TVA pour compenser une baisse des cotisations sociales.

Plus récemment, François Baroin, en tant que ministre de l’économie, s’était opposé, avant que le précédent président de la République ne fasse ce choix, à ce que cette politique soit celle du gouvernement auquel il appartenait.

Vous le voyez, sur le plan politique, les positions sont diverses. C’est d’ailleurs tout l’intérêt du débat que nous pouvons avoir. Finalement, et c’est rassurant, celui-ci est loin d’être manichéen. Il n’en est que plus intéressant.

Le second débat est d’ordre technique. Vous avez indiqué que la hausse de TVA procurerait un surplus de recettes pour l’État d’environ 13,2 milliards d’euros. Permettez-moi de vous dire que cette mesure aurait produit une recette non pas de 13 milliards d’euros, mais d’un peu moins de 11 milliards d’euros. En outre, il ne s’agissait pas d’une recette supplémentaire puisque l’État l’abandonnait immédiatement au profit de la protection sociale. En cohérence avec la loi Veil, il lui fallait en effet compenser une perte de recettes qu’il avait lui-même décidée au détriment de la protection sociale. Cette hausse de la TVA n’aurait donc pas procuré le moindre euro de recettes supplémentaires à l'État.

Le troisième débat est de portée plus économique. On peut délibérer à l'infini des conséquences qu'aurait eues cette hausse de la TVA et même affirmer, comme je l'ai entendu dans la bouche de nombreux intervenants, que ce sont alors les importations qui auraient financé la protection sociale.

M. Albéric de Montgolfier. Majoritairement !

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. J'ai l’habitude, dans ce genre de discussion, de citer quelqu'un que vous avez tous bien connu les uns et les autres et qui fut, me semble-t-il, plus proche de l'opposition que de la majorité actuelle ; je veux parler d'Alain Madelin. Celui-ci déclare ainsi que prétendre que ce sont les produits importés qui supporteraient cette taxe, c'est comme affirmer que ce sont les vaches qui acquitteraient une taxe sur le lait !

M. Albéric de Montgolfier. Le lait, il est soumis à une TVA à 5,5 % ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. En vérité, qu’on le veuille ou non, ce sont les consommateurs qui acquitteraient cette taxe en achetant leurs produits et non les produits importés.

Je vois bien l'intérêt d’une hausse de la TVA, quelle que soit son ampleur. Il s'agirait en fait d'une mini-dévaluation compétitive. Nous pouvons au moins convenir de ce point, à condition de nous accorder sur les conditions nécessaires à la réussite de cette mini-dévaluation pour notre compétitivité. Car l'on sait bien que, pour être efficace et améliorer la compétitivité des entreprises, toute dévaluation doit être accompagnée de mesures complémentaires. À défaut, elle est vouée à l’échec, et, en France, nous avons acquis une solide expérience en la matière au cours des quarante ou quarante-cinq dernières années.

Parmi ces mesures complémentaires, il faut citer le gel des salaires et des pensions ; en effet, à défaut de geler les salaires et les pensions lorsqu’il est procédé à une mini-dévaluation compétitive, celle-ci reste dénuée d’effet. Or je me permets de rappeler que la majorité de l'époque n'avait pas prévu de geler les salaires et les pensions, pour des raisons que, sur un plan politique, l’on peut comprendre parfaitement. En l’absence de ce gel, et dès lors que les produits importés auraient immanquablement augmenté au moins à due concurrence de la hausse de la TVA, il est à craindre que, soit les consommateurs auraient subi une incontestable perte de pouvoir d'achat correspondant au moins au volume des produits importés acquis par eux, soit, en l’absence de toute perte de pouvoir d'achat faute d’un gel des salaires et des pensions, l’effet compétitivité pour les entreprises se serait dissipé sinon dans les semaines, du moins dans les mois suivants.

Dès lors, pour l'honnêteté intellectuelle des débats, il conviendrait que ceux qui défendent cette politique consistant en une baisse des charges sociales compensée par une hausse de la TVA – en réalité procéder à une mini-dévaluation compétitive au moyen d’une augmentation de la TVA – devraient préciser que, pour être complète, cette mesure devrait nécessairement s’accompagner d’un gel des salaires et des pensions. (Rires ironiques sur les travées de l'UMP.)

Même si l’on peut en contester l’efficacité, l'ensemble serait alors cohérent. En l’absence de tout gel, cette politique est condamnée à l’échec.

M. Alain Gournac. Merci professeur !

M. Jérôme Cahuzac, ministre délégué. Il n’aura échappé à personne que la majorité précédente n’a pas osé mettre en œuvre cette mesure. Pour ce qui le concerne, le présent Gouvernement ne souhaite évidemment pas procéder à ce gel. C’est pourquoi il ne peut que s'opposer à cet amendement qui tend en réalité à instaurer une demi-mesure inefficace, au prix d'une formidable perturbation entre les finances de l'État et celles de la sécurité sociale.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.

M. Jean-Yves Leconte. Je souhaiterais répondre à la proposition de restauration de cette TVA dite « sociale » par l’amendement n° 100, déposé par le groupe UMP.

Pour moi, cette proposition est dangereuse pour les recettes de l’État, car la TVA est, de loin, la taxe la plus rentable, puisqu’elle représente plus de la moitié de l’ensemble des recettes fiscales.

Cet impôt, qui s’appuie sur la consommation, constitue donc le premier « centre de profit » de l’État. Il n’est donc pas raisonnable de lier encore plus les recettes budgétaires et les prélèvements obligatoires à notre consommation. Avant même d’être une absurdité sociale et économique, ce serait d’abord un risque supplémentaire pour les finances publiques.

C’est ensuite une absurdité sociale et économique : 10 milliards d’euros de TVA collectés en plus, ce sont 10 milliards d’euros payés en plus à l’État par les consommateurs, en fonction non pas de leurs revenus, mais de leur consommation. Elle touchera donc proportionnellement plus ceux qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts avec leur salaire et qui consommeront moins en payant plus à l’État.

C’est donc une atteinte au pouvoir d’achat qui pèsera sur la croissance. Il serait pourtant juste et utile, dans une période de stagnation, de ne pas pénaliser la consommation des foyers défavorisés.

Il est d’ailleurs étonnant de voir l’UMP, dans la discussion générale, crier à l’atteinte au pouvoir d’achat lorsque l’on propose de mettre l’ensemble des contribuables à égalité en matière de taxation des revenus du travail, heures supplémentaires, perçues ou non, et voir cette même UMP proposer simultanément, sur une autre disposition, l’augmentation de la TVA, qui attaquerait beaucoup plus fortement le pouvoir d’achat de l’ensemble des Français.

Mais cette incohérence, qui a marqué votre politique, c’est aussi la raison de votre échec.

Cette proposition est aussi marquée par l’absence de réalisme et, d’abord, par une méconnaissance des entreprises. (M. Alain Gournac s’exclame.)

L’UMP aujourd’hui, comme le gouvernement Fillon-Sarkozy hier, dit que la baisse des cotisations sociales sera très exactement compensée par une baisse des prix hors taxes. Quelle méconnaissance du fonctionnement des entreprises ! Elles prendront cette baisse de coût comme un effet d’aubaine qui n’impliquera aucune évolution des prix hors taxes. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Les entreprises auront des raisons à cela, car elles doivent, elles aussi, affronter la crise. Cette possibilité d’améliorer leurs marges sera, bien entendu, utilisée au maximum. Les entreprises ont aussi leur agenda : face à la raréfaction du crédit, elles doivent améliorer leurs résultats pour rester présentables devant les assureurs crédit et les agences de notation et elles le feront si vous leur en donnez la possibilité. Ce sera peut-être bien pour elles, mais ce sera dangereux pour le budget de l’État, pour la consommation et la croissance.

Enfin, c’est une illusion pour la compétitivité car, pris de vertige par le déficit du commerce extérieur en 2011 – 70 milliards d’euros –, le gouvernement Fillon constate, au début de 2012, le manque de capacité de nos entreprises à être performantes à l’export. Plutôt que de travailler à une nouvelle fiscalité pour les PME, pour réorienter l’épargne des Français vers les entreprises et non pas vers la pierre ou les produits financiers, pour favoriser l’innovation, le gouvernement d’alors choisit la facilité : baisser les cotisations sociales pour faire bénéficier les exportateurs d’un effet similaire à celui d’une dévaluation.

Pourtant nous avons vécu ces politiques il y a trente ans et nous savons que dévaluer pour exporter, c’est une solution de facilité qui n’a d’effet positif que quelques mois. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Effet positif que l’on paye au centuple ensuite...

Cette proposition fragilisera surtout durablement le financement de notre protection sociale.

Ajoutons enfin qu’en février le gouvernement a cédé à la facilité sans se rendre compte qu’en Allemagne les secteurs qui exportent ont un coût du travail largement supérieur à celui de la France. C’est particulièrement vrai du secteur automobile, dont la santé vient plus de stratégies gagnantes que d’un dumping social consistant à toujours rechercher plus pauvre que soi.

Il convient donc de ne pas céder à l’analyse simple qui nous est servie sur notre manque de compétitivité, manque de compétitivité malheureusement largement renforcé ces dix dernières années par un État qui avait perdu le sens de ses missions essentielles, qui a mal réparti les efforts nécessaires et a confondu le sens des valeurs « travail » et « innovation » avec la rémunération de la rente, sans voir qu’il y avait une contradiction fondamentale entre les premières et la seconde.

Enfin, cette politique a remis en cause notre protection sociale.

Transférer une part importante – 10 milliards d’euros – des recettes de cotisations sociales vers la TVA change fondamentalement la nature de notre protection sociale : on affaiblit les recettes de l’État et on rend les prélèvements obligatoires moins redistributifs.

En réalité, cette politique, qui veut faire payer une part significative de la protection sociale par la consommation, est bien dans la droite ligne du bouclier fiscal : ce sont les plus défavorisés qui, proportionnellement, contribueront le plus demain au financement de la sécurité sociale.

Risquées pour les finances de l’État, affaiblissant notre protection sociale, sans aucun effet sur la capacité de nos entreprises à être plus performantes à l’exportation, les propositions du groupe UMP sont facilement identifiables : elles portent l’ADN des gouvernements d’un quinquennat qui a coûté 800 milliards d’euros à la Nation.

L’UMP vous propose aujourd’hui de récidiver en remettant encore plus en cause les capacités de l’État et notre modèle social.

Voilà pourquoi il faut refuser cet amendement symbole d’une politique menée depuis dix ans et qui a conduit le pays à la porte de la faillite.

Hier, de manière effrontée, sans vergogne, nous avons vu plusieurs orateurs, anciens soutiens des gouvernements Fillon-Sarkozy, nous donner des leçons d’efficacité, souligner la gravité de la situation, crier à l’urgence de la réforme. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Tout cela, nous le savions, les Français aussi. C’est la raison de leurs votes en mai et en juin.

C’est aussi pour cela que nous voulons une autre politique. C’est urgent lorsque 30 % des dépenses de l’État ne sont plus financées que par la dette, c’est-à-dire par les générations futures.

Nous voulons reconstruire un pays dont les politiques publiques sont financées, la protection sociale assurée, faire de la fiscalité un outil de politique économique capable de dynamiser les entreprises, leur capacité d’innovation, de s’extraire des exigences des financements de court terme, favorisant la croissance et la redistribution.

C’est pourquoi il faut repousser cette proposition de restauration de la TVA dite « sociale » présentée par le groupe UMP.