compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

M. Hubert Falco,

M. Gérard Le Cam.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Déclaration des groupes d’opposition ou minoritaires

Mme la présidente. En application de l’article 5 bis du règlement, M. le président du Sénat a reçu les déclarations des présidents de groupe qui souhaitent être reconnus comme groupe d’opposition ou groupe minoritaire au sens de l’article 51-1 de la Constitution.

M. Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP, a fait connaître que son groupe se déclare comme groupe d’opposition.

M. François Zocchetto, président du groupe de l’UCR, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe CRC, M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE, et M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste, ont, quant à eux, fait savoir que leurs groupes se déclarent comme groupes minoritaires.

Chacun de ces groupes pourra donc, au cours de la session, bénéficier des droits attribués aux groupes d’opposition et minoritaires par la Constitution et notre règlement, notamment dans le cadre des journées mensuelles réservées.

3

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme et pour l’examen du projet de loi relatif à la mise en œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement, déposés sur le bureau de notre assemblée, ce jour.

4

Candidatures à une commission d’enquête

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.

Je rappelle que cette commission d’enquête a été créée sur l’initiative du groupe du Rassemblement démocratique et social européen, en application de l’article 6 bis du règlement du Sénat, qui prévoit, pour chaque groupe, un « droit de tirage » pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information par année parlementaire.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, du règlement, la liste des candidats présentés par les groupes a été affichée.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

5

Candidatures à la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la désignation des membres de la commission spéciale chargée du contrôle des comptes et de l’évaluation interne.

Conformément à l’article 8 du règlement, la liste des candidats remise par les bureaux des groupes a été affichée.

Cette liste sera ratifiée s’il n’y a pas d’opposition dans le délai d’une heure.

6

Débat sur les conditions de la réussite à l’école

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les conditions de la réussite à l’école, organisé à la demande de la commission de la culture.

La parole est à Mme la présidente de la commission de la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Madame la présidente, monsieur le ministre de l’éducation nationale, mes chers collègues, j’ai demandé à la conférence des présidents l’organisation de ce débat sur les conditions de la réussite éducative, car, dès le mois d’octobre dernier, la commission de la culture a souhaité mettre l’accent sur cette question fondamentale pour l’avenir de la société. Le bureau de la commission a ainsi décidé de constituer deux missions d’information, l’une sur l’organisation de la carte scolaire et l’autre sur le métier d’enseignant, dont les rapporteurs, Mmes Françoise Cartron et Brigitte Gonthier-Maurin, vont vous présenter les conclusions dans quelques instants.

Le Président de la République a fait de la politique en faveur de la jeunesse l’une des priorités de son action ; le grand débat lancé le 20 août dernier sur le thème « Refondons l’école de la République », auquel participe la commission dans toute sa diversité, donne un signal fort de la volonté du Gouvernement d’engager un profond changement de notre système éducatif.

Nous serons saisis d’ici à quelques semaines d’un projet de loi d’orientation et de programmation sur l’école. Je souhaite que les rapports qui vont vous être présentés, ainsi que les débats, contribuent utilement à la préparation de ce texte. Mais, comme vous l’avez déclaré, monsieur le ministre, les lois ne suffisent pas, il faut agir sur les habitudes.

Construire un projet éducatif, c’est d’abord s’appuyer sur une approche globale, laquelle ne se limite pas à des mesures techniques d’aménagement de l’école. Reprendre les valeurs qui ont éclairé l’action décisive de Jules Ferry est nécessaire. Les décliner en ayant pleinement conscience des mutations sociétales et économiques à l’œuvre est indispensable.

Est-ce un hasard si les pays les plus performants, tels que le Canada ou la Finlande, où notre commission a effectué deux missions, ont fait le choix d’une école de la coopération et de l’épanouissement ? Est-ce un hasard s’il n’y a pas de violence dans les classes à pédagogie Freinet ?

Il nous faut remettre en cause l’exacerbation de la course aux notes, aux classements, aux meilleurs établissements, qui mine la société française et nous a valu le titre peu enviable d’école « la plus injuste » dans le classement PISA, programme for international student assessment ou, en français, programme international pour le suivi des acquis des élèves.

Il nous faut promouvoir la coopération plutôt que la compétition, la confiance et la sécurité des élèves et des enseignants plutôt que la sélection par l’exclusion.

L’ampleur des enjeux et la complexité des problèmes liés à l’éducation ne sauraient se satisfaire d’une approche comptable. Il me paraît essentiel de restaurer la confiance dans l’école et de redonner aux élèves le goût d’étudier.

La réussite de ce projet suppose de s’appuyer sur la famille – les parents étant les premiers éducateurs –, sur le tissu associatif et culturel, les médias et, désormais, les instruments que sont les nouvelles technologies.

L’éducation et la formation sont les leviers indispensables, non seulement pour que chacune et chacun donnent sa pleine mesure, mais aussi pour que les collectifs humains puissent construire un futur plus solidaire et démocratique. Ce sont les éléments essentiels du lien social. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron, rapporteur.

Mme Françoise Cartron, rapporteur de la mission d’information sur la carte scolaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, notre société est traversée par une profonde crise de l’accès à l’emploi, tout particulièrement pour les jeunes, crise génératrice d’angoisse pour nos concitoyens, notamment pour les parents, très inquiets pour l’avenir de leurs enfants.

Dans ce contexte, l’école se retrouve investie d’une lourde responsabilité. Pour de nombreux parents, légitimement soucieux d’offrir à leurs enfants les meilleures chances de réussite, l’école se doit d’être, elle-même, la meilleure. Ainsi est-elle soumise à des classements, des évaluations, qui, publiés de façon brute, visent à différencier les « bons » et les « moins bons » établissements. Cela renforce l’idée que, dans le service public de l’éducation, tous les établissements ne se valent pas et qu’on n’y réussit pas de la même manière.

La notion d’une école à deux vitesses a conduit les parents à s’interroger sur l’égalité des chances réelle pour l’accès au savoir et la réussite de leurs enfants. Certains d’entre eux ont alors développé des stratégies de choix d’établissement et donc d’évitement de ceux qui sont connotés défavorablement.

Au motif que seuls les plus informés utilisaient ces pratiques de contournement, le précédent gouvernement a annoncé, voilà quatre ans, la suppression de la carte scolaire et, donc, le libre choix pour tous.

La mission que j’ai conduite a souhaité évaluer les conséquences de cette réforme : comment s’exerce cette prétendue liberté ? Quelles conséquences a-t-elle eues pour les établissements ? Quels en sont les résultats pour les enfants ? La réussite scolaire en a-t-elle été améliorée ?

Plusieurs rapports d’évaluation de l’assouplissement de la carte scolaire ont conclu que, sur le plan national, les grands équilibres du système scolaire n’avaient pas été bouleversés, ni à l’entrée au collège ni à l’entrée au lycée. Ce constat s’explique par les contraintes qui ont fortement limité les possibilités de satisfaire les demandes des parents, à savoir le strict respect des capacités d’accueil des établissements, sans possibilité d’extension, et, en ce qui concerne les établissements ruraux, la difficulté liée aux distances.

Reste que ce bilan national masque des disparités très importantes. Les zones très urbanisées sont manifestement plus touchées par les dérogations. À cet égard, la région parisienne mériterait d’être distinguée des grandes métropoles régionales telles que Lyon, Bordeaux ou Nancy.

L’éducation prioritaire nécessite également une analyse spécifique, de même que la comparaison entre établissements publics et privés.

Au terme de six mois de travaux et de déplacements, nous avons conclu que la dynamique d’aggravation des inégalités, sous l’effet de l’assouplissement, était à la fois évidente et inquiétante. En effet, en affaiblissant la mixité sociale dans les établissements, l’assouplissement de la sectorisation a servi de révélateur de toutes les inégalités qui traversent le système scolaire. Au-delà de ses conséquences visibles sur les flux d’élèves et la composition sociologique des établissements, il a transformé les représentations de l’école qu’entretenaient les parents.

Un certain fatalisme social s’est répandu dans les familles. Dès lors, pour les parents, la qualité d’un collège dépend non pas tant de la qualité de ses enseignants que de celle du public qui le fréquente. Ce pessimisme social nourrit les comportements d’évitement de la carte scolaire, soit par des dérogations, soit par le recours à l’enseignement privé.

Les palmarès et les classements publiés dans la presse entretiennent les effets de réputation et de rumeur, qui, à leur tour, nourrissent les angoisses des parents et rendent inaudible le discours de l’institution scolaire. Des cercles vicieux ainsi se créent ; ils aboutissent à accentuer progressivement la hiérarchisation des établissements et à intensifier la concurrence entre les collèges ou entre les lycées afin de capter les flux d’élèves. Ces stratégies d’attractivité passent souvent par une prolifération contre-productive d’options et de parcours spécifiques, sans amélioration de la qualité de l’enseignement dispensé. De plus, dans les quartiers dits « sensibles », les jeunes, « captifs » de leur établissement de secteur, de plus en plus ghettoïsés, nourrissent un pessimisme lié à un sentiment de stigmatisation et de déclassement, allant jusqu’à la révolte, source parfois de violences incontrôlées.

L’échec de l’assouplissement de la carte scolaire nous paraît donc suffisamment clair et démontré. Cependant, le retour pur et simple à la situation antérieure ne serait pas à la hauteur de l’enjeu : réussir la démocratisation de l’école républicaine en assurant une mixité sociale authentique au sein des établissements.

La question de la participation de l’enseignement privé, en suspens depuis l’origine, ne serait pas non plus abordée.

Les stratégies de dérogation développées sur la base d’options et de parcours spécifiques resteraient à la disposition des familles les mieux informées.

La hiérarchisation des établissements et leur polarisation en « bons » et en « mauvais », déjà bien ancrées dans l’esprit des parents, persisteraient.

Perdurerait aussi la perte de confiance dans la capacité de l’éducation nationale à lutter contre les inégalités.

Voilà pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous proposons plusieurs pistes de réforme : faire de la mixité sociale, facteur de réussite et de cohésion, un objectif primordial de la politique d’éducation ; refuser la fermeture des établissements ghettoïsés, dont les projets doivent, au contraire, être dynamisés en protégeant les ressources nécessaires à ce développement ; réguler l’offre d’options et de parcours spécifiques ; imaginer une modulation des dotations versées aux établissements en fonction de leur composition sociale ; élargir les secteurs et revoir les procédures d’affectation des élèves.

Le refus du fatalisme doit nous conduire à rejeter le principe des fermetures d’établissement sous prétexte de leur ghettoïsation, sauf situation locale exceptionnelle. Il est sûr que, dans certains territoires, la mixité sociale ne reviendra que difficilement au sein des établissements scolaires. Mais le remède proposé, la fermeture, serait pire que le mal.

Dans certains quartiers sensibles, le collège, même très ségrégué, est un lieu de vie essentiel, un lieu porteur de savoirs et de cultures. Sa fermeture constituerait un véritable abandon, aux conséquences sociales redoutables. Elle rejaillirait sur toute la population alentour, définitivement stigmatisée et privée d’un service public fondamental. Elle éloignerait encore davantage de l’école des familles qui n’en sont pas familières.

Plutôt que de les fermer, il convient de réaffirmer une ambition d’excellence pour les établissements scolaires, en maintenant le niveau de dotations des établissements très « évités », pour justement ne pas faire subir une double peine : perte des meilleures élèves, perte des moyens. En outre, la stabilité de l’équipe éducative doit être garantie, en réduisant progressivement l’affectation de stagiaires sans accompagnement ou de néotitulaires dans les établissements réputés difficiles.

L’une des illusions majeures qu’il faut dissiper, c’est de croire que les options ou les classes spécifiques, comme les CHAM, les classes à horaires aménagés en musique, ou les sections internationales, favorisent la réussite et peuvent aider les établissements évités. En réalité, ces options sont non pas choisies en fonction de l’appétence de l’enfant, mais utilisées comme un motif de dérogation particulièrement facile.

C’est pourquoi nous préconisons une révision profonde de l’offre et de la carte d’options. Cette seule mesure étouffera nombre de stratégies de dérogation et affaiblira la ségrégation scolaire, aussi bien externe, entre établissements, qu’interne, au sein d’un même établissement, par classes de niveau. Les moyens dégagés par la remise à plat des options pourraient alors être redéployés vers des objectifs plus utiles, par exemple, l’amélioration du taux d’encadrement dans l’éducation prioritaire ou le financement d’actions innovantes dans les établissements.

Par ailleurs, les moyens accordés aux établissements ne prennent pas suffisamment en compte les différences existant entre les publics scolarisés. Il conviendrait donc d’envisager une modulation des dotations des collectivités territoriales et de l’État en fonction de la composition sociale des établissements, ce qui permettrait, en particulier, de soutenir des collèges ruraux paupérisés, qui n’accèdent pas, par définition, aux dispositifs prévus dans le cadre de la politique de la ville.

Mme Françoise Cartron, rapporteur. Une redéfinition de la carte scolaire ne pourra se faire qu’en concertation avec les conseils généraux, en élargissant le périmètre des secteurs qui pourraient être communs à plusieurs collèges. Ce serait notamment un moyen de minimiser l’importance de la ségrégation urbaine, puisque des secteurs élargis ont toutes les chances d’être plus mixtes socialement que les secteurs actuels.

La réflexion pourrait s’appuyer sur la procédure d’affectation en lycée en vigueur depuis 2008 à Paris, qui a conduit à une amélioration très significative de la mixité sociale dans les établissements concernés.

Telles sont, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les préconisations que les membres de la mission d’information sur la carte scolaire souhaitaient porter à votre attention.

Redonner confiance aux enfants de toutes origines et de toute condition sociale, redonner confiance aux parents, redonner confiance aux enseignants dans cette école de la République porteuse d’égalité d’intégration et donc de réussite pour tous, voilà ce qui a structuré notre mission d’information et nous a conduits aux préconisations que je viens de vous présenter.

Pour terminer, je citerai cette phrase d’Anatole France : « C’est en croyant aux roses qu’on les fait éclore. » (Murmures admiratifs sur de nombreuses travées. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Françoise Férat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur de la mission d’information sur le métier d’enseignant. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureuse de pouvoir vous présenter aujourd’hui les principales conclusions de la mission d’information sur le métier d’enseignant. Ces six mois d’auditions et de réflexions sur la condition enseignante contemporaine se voulaient une préparation à la refondation de l’école. Par les constats, les diagnostics et les propositions que nous avons formulés, nous voulions contribuer le plus en amont possible à alimenter le débat public, sans exclusive ni biais partisan.

Les réactions du monde enseignant, qui me sont revenues nombreuses après la publication du rapport, m’inclinent à penser que nous n’avons pas fait fausse route. Bien au contraire, nous avons mis le doigt sur des difficultés fondamentales, que la prochaine loi d’orientation devra impérativement résoudre.

Personne ne peut désormais contester la réalité de la souffrance ordinaire des enseignants. Ceux-ci sont soumis en permanence à des injonctions contradictoires, qui les empêchent de mener à bien leurs missions. Le sentiment de ne pas pouvoir « faire du bon travail », la pression des injonctions extérieures, plus ou moins légitimes, la crainte de ne pas réussir à incarner leur représentation idéale de ce que doit être un « bon enseignant », tout cela pèse sur eux.

Parallèlement, les tensions au travail s’exacerbent au sein du monde scolaire, notamment avec les chefs d’établissement. De même, et l’actualité nous en donne malheureusement des témoignages dramatiques, les relations avec les parents d’élèves, eux-mêmes inquiets pour la réussite de leurs enfants, deviennent de plus en plus difficiles.

Les causes de cette crise du métier sont à rechercher en partie du côté de la révision générale des politiques publiques, qui a systématiquement placé les impératifs financiers devant l’ambition pédagogique. Il faut aussi ajouter que la succession rapide des réformes a fait proliférer les missions imparties à l’école et a déplacé le cœur de métier. Enfin, de l’aveu général, la mastérisation est un échec grave, qui a fragilisé dangereusement la formation des enseignants. Nous l’avons encore redit lors de l’examen du projet de loi créant les emplois d’avenir professeur, qui constituent une mesure transitoire avant la nécessaire refonte générale de la formation des enseignants.

Que pouvons-nous faire pour redresser la situation ? Pour soigner le métier d’enseignant, il faut avant tout soigner l’école. C’est notre conviction. L’erreur centrale des réformes récentes est d’avoir brouillé le sens de l’école pour les élèves, les parents et les enseignants.

Je considère que la refondation de l’école nécessite de redonner un cap clair au service public de l’éducation. Un mot suffit pour le définir : l’émancipation. Il faut recentrer clairement l’école sur l’objectif de démocratisation de l’accès au savoir.

Nous avons assisté, sous le précédent gouvernement, à un dévoiement de la logique méritocratique, qui finit par servir de justification à la persistance des inégalités scolaires. On avait ainsi tendance, ces dernières années, à faire de l’échec scolaire la sanction d’une supposée incapacité personnelle de l’élève, presque consubstantielle à sa nature. Nous souhaitons donc qu’on cesse de privilégier systématiquement la fonction de sélection de l’école pour remettre en avant la fonction d’éducation de tous les enfants qui lui incombe.

Laissez-moi, à ce propos, évoquer la figure de Paul Langevin, l’un des plus grands physiciens de notre pays et l’un des fers de lance de la rénovation pédagogique au XXe siècle. Rappelons qu’il présida notamment le Groupe français d’éducation nouvelle. En 1924, il remarquait déjà que « l’enfant prématurément spécialisé a trop de tendances à se renfermer dans le cadre étroit des préoccupations professionnelles où se développe l’esprit de caste ».

Notre politique d’orientation est encore aujourd’hui malheureusement trop souvent synonyme de tri social. En 1930, ce sont par anticipation les réformes Chatel de l’éducation prioritaire que Langevin condamnait en refusant, je le cite, de « puiser en quelque sorte dans la masse un petit nombre de privilégiés pour leur donner ce que jusqu’ici on a appelé la culture, pour en faire des dirigeants qui auront l’orgueil d’exercer une activité supérieure aux autres ».

Face au défi de la démocratisation, le métier d’enseignant doit être redéfini. Les pratiques didactiques et pédagogiques doivent s’appuyer sur la conviction de la capacité de tous les enfants à apprendre. Le fondement du renouveau de l’école et du travail enseignant réside, selon moi, dans le principe du « tous capables ». Il faut développer une autre vision des élèves et de leurs capacités, dénaturalisée, humaniste et ambitieuse, en adéquation avec la recherche en psychologie du développement, en sociologie et en sciences de l’éducation.

La clé de la refondation du métier réside dans la remise à plat de la formation. Nous proposons de retenir cinq grands axes.

Premièrement : garantir un cadrage national fort, pour contenir les disparités des politiques académiques et universitaires et pour améliorer leur coordination.

Deuxièmement : tenir compte de la diversité du métier d’enseignant, en veillant spécifiquement sur deux segments fragiles que sont la maternelle et le lycée professionnel.

Troisièmement : maintenir des structures spécifiques de formation des enseignants au sein des universités, tout en renforçant leur autonomie financière et leurs liens avec la recherche.

Quatrièmement : assurer une professionnalisation progressive au cours du master et rétablir une véritable année de stage avant la titularisation.

Cinquièmement : ouvrir des prérecrutements dès la licence. Un groupe de travail animé par notre collègue Jacques-Bernard Magner s’est d’ailleurs mis en place ce matin même en vue d’affiner nos propositions en ce domaine.

Les problématiques de formation ne s’arrêtent pas à la seule formation initiale et à l’entrée dans le métier. Il est illusoire de penser que cette mise en route, bien qu’indispensable, n’a pas besoin d’être actualisée et complétée au cours d’une carrière de plusieurs dizaines d’années. Je plaide donc pour la mise en œuvre d’une politique ambitieuse de formation continue au sein de l’éducation nationale. C’est un élément clé pour mettre en place une gestion des ressources humaines moderne et attentive aux personnes, notamment pour faciliter les fins de carrière des enseignants et les aider à surmonter l’usure. La formation continue est également essentielle pour permettre aux enseignants de prolonger leur activité dans de bonnes conditions.

Sur le plan quantitatif, il faut que le volant d’enseignants bénéficiant régulièrement d’une formation au cours de leur carrière augmente. Cela nécessite un accroissement des moyens de remplacement pour libérer les enseignants. Mais il convient aussi de transformer qualitativement les modules de formation continue, lesquels ne doivent pas se contenter de présenter les réformes en cours ou de décrypter les dispositifs nouveaux imposés par le ministère.

La solitude des enseignants a été fréquemment abordée au cours de nos travaux. Elle se traduit par un isolement individuel face à la classe, aux parents et à la hiérarchie. Elle se caractérise aussi par un émiettement du milieu enseignant où les dynamiques collectives sont bridées. C’est pourquoi il paraît important d’aménager des temps et des lieux où les enseignants pourront se rencontrer afin de réfléchir entre eux sur leur métier, hors des injonctions et des prescriptions de l’institution.

Menée sous la houlette de l’équipe de clinique de l’activité du Conservatoire national des arts et métiers, l’expérience de collectifs d’enseignants offre des perspectives intéressantes. Ces groupes de pairs se réunissent pour échanger sur leur travail sans aucun regard hiérarchique en surplomb. Ils ont, en particulier, le mérite de dépsychologiser les difficultés rencontrées par les participants dans leurs classes. En effet, les problèmes individuels sont réinterprétés comme des problèmes généraux, liés non à la personne de l’enseignant lui-même, mais à l’organisation du travail. Les enseignants comprennent alors qu’ils n’ont pas à tout résoudre seuls. Cette démarche va notamment à rebours de la tendance à diffuser des guides de bonnes pratiques formatés et stéréotypés, alors que la standardisation des pratiques enseignantes n’améliore pas leur efficacité pédagogique.

L’émergence de collectifs enseignants en prise sur leur métier exige de repenser le mode de fonctionnement de l’institution pour rendre plus démocratique la vie de l’éducation nationale. Il faut aujourd’hui moins d’injonction verticale et moins de prescription, mais plus de soutien et plus de respect pour le travail des enseignants.

Toute transformation du statut devrait s’accompagner d’une revalorisation de la condition enseignante, tant symbolique que matérielle. Ce statut devra contribuer à rendre visible le travail invisible des enseignants. Autrement dit, le service des enseignants devrait inclure les travaux exercés qui ne sont pas officiellement reconnus dans les textes, mais qui participent du rôle éducatif global joué par les enseignants. En revanche, la fixation d’une norme hebdomadaire d’heures de cours devant les élèves est un élément structurant qu’il paraît important de préserver. Une modulation du service hebdomadaire en fonction de la difficulté du travail pourrait être envisagée, en prévoyant, par exemple, moins d’heures de cours hebdomadaires devant les élèves pour les professeurs exerçant dans l’éducation prioritaire.

Mais la rénovation du statut des enseignants ne peut être entreprise sans transformation de la politique de gestion des ressources humaines du ministère. Elle nécessite l’élaboration, en parallèle, d’un plan d’action ambitieux pour améliorer les conditions de travail, renforcer la médecine de prévention et protéger la santé des personnels. L’accompagnement spécifique des enseignants en fin de carrière devrait également être renforcé.

Monsieur le ministre, face aux défis d’élévation des connaissances et de relance du mouvement d’émancipation, nous devons faire preuve d’exigence et d’ambition pour le métier d’enseignant, métier qui constitue l’une des clés essentielles pour, enfin, rendre effective la démocratisation scolaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)