Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Carle.

M. Jean-Claude Carle. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que nous ayons ce débat quelques semaines avant l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour l’école.

Pour commencer, je souhaite, à mon tour, rappeler quelques éléments qui caractérisent notre système éducatif et, plus particulièrement, l’école primaire.

Nous avons, dans notre pays, un niveau d’investissement dans l’éducation qui est particulièrement important. Pourtant, en termes de résultats, nous sommes aujourd’hui dans la moyenne des pays de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, et l’écart se creuse avec les pays les plus performants.

Ce que nous constatons, c’est que les pays les plus performants en ce domaine consacrent moins de moyens que nous à l’éducation. Ce n’est donc pas juste en injectant plus d’argent dans le système éducatif que nous améliorerons la performance du système.

Quittons les comparaisons internationales pour nous focaliser sur les résultats de l’école française.

Aujourd’hui, la situation de l’école en France est particulièrement inquiétante. Monsieur le ministre, je me suis rendu, sur le site internet que vous avez mis en place « Refondons l’École », dans la partie réservée à l’école primaire. Le premier chiffre qui apparaît à l’ensemble des Français qui se rendent sur ce site est inquiétant : 40 % des élèves ne savent ni bien lire ni compter à la fin de l’école primaire.

On peut ajouter à ce chiffre que la part du nombre d’élèves en grande difficulté ne cesse d’augmenter ces dernières années. Or les États qui se sont fixé pour objectif de réduire le nombre d’élèves en grande difficulté ont fait chuter la proportion de ces derniers à 5 %.

On peut aussi y ajouter que la France est l’un des pays de l’OCDE où l’origine socioéconomique a le plus d’impact sur les résultats scolaires, ce qui fait de la France, cela vient d’être rappelé, l’un des pays les plus inégalitaires de l’OCDE.

Disons-le clairement, c’est inacceptable pour un pays comme le nôtre. C’est un échec collectif dont la classe politique en général porte la responsabilité. Cela ne nous honore pas ! J’ajoute que c’est aussi l’échec des corporatismes de tous bords qui ont leur part de responsabilité.

Monsieur le ministre, je partage avec vous l’idée que nous devrions éviter de revenir sur les querelles passées et nous tourner exclusivement vers l’avenir. C’est là notre devoir. Vous nous dites qu’il faut faire de l’école primaire notre priorité. Je partage avec vous cette idée.

Nous savons que le destin d’un élève se joue très tôt. Les études l’ont montré, 80 % des élèves qui sont en difficulté à la fin de l’école primaire l’étaient déjà lors de leur première année de scolarisation.

Nous ne pouvons admettre que des milliers de jeunes sortent du système éducatif sans maîtriser les compétences fondamentales. Les coûts sociaux afférents, en termes de minima sociaux, d’allocations chômage, de correction de l’illettrisme et d’endiguement de la délinquance sont extrêmement importants et pèsent in fine sur la pérennisation de notre modèle social.

Entrons maintenant dans le cœur de ce débat en déterminant les vecteurs de la réussite de tous les élèves.

Nous savons que le premier déterminant de la réussite d’un élève à l’école résulte du travail de l’enseignant. C’est ce qu’on appelle « l’effet maître », et nous savons, depuis plus de vingt ans, que c’est le facteur dont l’influence est la plus importante sur l’apprentissage et la progression des élèves. Autrement dit, c’est la pratique pédagogique que l’enseignant va mettre en œuvre qui détermine ou non la réussite de l’élève.

Nous savons également qu’un enseignant efficace peut venir contrebalancer le poids de l’origine socioéconomique des élèves. En d’autres termes, l’école républicaine peut et doit permettre la réussite de chacun de ses élèves !

On comprend alors l’importance que vous attachez au renouvellement des pratiques pédagogiques et à la création d’une école supérieure du professorat. Ce sont deux sujets, qui sont en partie liés, dont nous devrons débattre plus longuement par la suite. Je vais seulement en dire quelques mots.

La rénovation des pratiques pédagogiques constitue le cœur de l’amélioration de la performance de notre école. Ce qui est en cause, ce n’est pas la variabilité des pratiques pédagogiques, mais bien la variabilité des acquisitions. En effet, les pratiques pédagogiques ne peuvent être les mêmes dans une classe où cinq enfants sont en difficulté que dans une classe où vingt enfants sont en difficulté. Cependant, on constate aujourd’hui que, dans différentes classes de même niveau composant une même école, les pratiques pédagogiques peuvent être très différentes et générer des résultats très différents en termes de progression des élèves.

Cela pose plusieurs questions qu’il faut aborder à l’heure de la refondation de l’école que vous appelez de vos vœux.

Premièrement : la question de la diffusion des bonnes pratiques pédagogiques et les solutions qui peuvent y être apportées.

Mme Christiane Demontès. Quelle amnésie !

M. Jean-Claude Carle. Deuxièmement : l’évaluation des enseignants, question que vous ne pourrez éluder, monsieur le ministre.

« On n’enseigne pas seulement ce que l’on sait, on enseigne ce que l’on est », disait Jean Jaurès. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) La crédibilité du système éducatif repose sur la crédibilité et le respect qu’inspirent les enseignants ! Le respect du corps enseignant passe par son évaluation.

Monsieur le ministre, vous vous êtes fixé comme objectif d’être, d’abord et toujours, le ministre des élèves, objectif auquel je souscris. Or, dans l’intérêt des élèves, dans l’enseignement primaire en particulier, ce que nous recherchons, ce sont de très bons pédagogues. J’ajoute que les meilleurs pédagogues, que l’on ne peut connaître qu’après avoir évalué les professeurs, doivent être orientés vers les élèves qui en ont le plus besoin dans les zones les moins favorisées. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) C’est là un objectif d’équité sociale, mais c’est aussi ce qui permettra d’améliorer significativement la performance de notre système éducatif.

J’en viens à la réforme de la formation initiale et à la création d’une école du professorat.

La formation des professeurs ne peut pas être la même selon que l’on enseigne à des enfants de douze ans ou à des enfants de six ans et, évidemment, la formation doit être professionnalisante. Les enseignants doivent être formés aux pratiques pédagogiques les plus efficaces. (Mêmes mouvements.)

Cependant, comme cela a été dit par Mme Gonthier-Maurin, vous ne pourrez vous satisfaire de la seule réforme de la formation initiale et éluder la question de la formation continue sans laquelle l’action sur notre système éducatif sera insuffisante.

L’accompagnement des professeurs via la formation continue est vital. C’est, là encore, un sujet dont nous devrons débattre dans les prochaines semaines.

Vous l’aurez compris, monsieur le ministre, les sénateurs du groupe UMP ont conscience de la dramatique déliquescence de notre système éducatif et de la difficulté de la tâche qui vous incombe. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Chacun est responsable, mes chers collègues !

Mme Christiane Demontès. Certains plus que d’autres !

M. Jean-Pierre Plancade. Revenez à Jean Jaurès !

M. Jean-Claude Carle. Monsieur le ministre, la haute ambition que vous avez pour notre système éducatif, ainsi que les objectifs que vous avez fixés, à savoir refonder l’école primaire et être d’abord et toujours le ministre des élèves, sont des thèmes qui nous réunissent.

Arrêtons-nous sur ce dernier point, sans esprit de polémique, car tel n’est pas mon propos, vous l’aurez compris.

Nombre de vos prédécesseurs ont voulu être les ministres des élèves. Or force est de constater qu’ils ont cédé sous le poids des corporatismes. Je crains que, à votre tour, vous ne soyez en train de céder sous le poids de ces corporatismes ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Nous sommes conscients que l’amélioration de la performance de notre système éducatif oblige à la réunion de l’ensemble des acteurs. Il faut qu’il y ait, autour de l’avenir de nos enfants, union de la communauté éducative : parents, enseignants, élus locaux, chefs d’établissement, dont le rôle est, à mon sens, primordial.

M. Jacques-Bernard Magner. Chose qui n’avait pas été faite auparavant !

M. Jean-Claude Carle. L’enjeu dépasse les clivages partisans. Améliorer la réussite de l’école, c’est préparer la croissance de demain, c’est pérenniser notre modèle social et c’est garantir la cohésion de la nation.

Je conclurai en disant qu’un système scolaire peut progresser rapidement. L’amélioration de la performance des systèmes scolaires en Corée du Sud, au Portugal et en Pologne montre que ces pays sont des exemples qui doivent nous inspirer. Je précise que ceux-ci partaient, avant de progresser significativement, d’un niveau initial des élèves à peu près comparable au nôtre.

Ce sont donc au moins deux objectifs qui s’imposent à vous, monsieur le ministre.

Le premier objectif de la réforme que vous allez nous présenter doit permettre à notre pays, notamment grâce à l’accompagnement des professeurs que vous allez mettre en place, que 95 % des élèves sachent bien lire et bien compter à la sortie de l’école primaire, et ce, avant la fin du mandat de M. François Hollande. « Apprenez-leur à lire, à écrire et à compter. Ce n’est pas seulement utile : c’est la base de tout », écrivait Charles Péguy en 1902. La priorité est ici !

Votre deuxième objectif, c’est, je l’espère, de gagner, dans trois ans, plus de dix points aux prochains résultats de l’enquête internationale PISA. Vous serez comptable de ces résultats et, pour ma part, je vous jugerai là-dessus ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Monsieur le ministre, je souhaite votre réussite, car votre échec serait celui de la France, celui de l’avenir de nos enfants ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école de la République doit être une chance pour chacun des élèves, quel que soit leur environnement social, d’acquérir des savoirs : savoir penser, savoir-faire et savoir-vivre.

L’école obligatoire ne signifie pas l’égalité des élèves. D’une famille à l’autre, d’une origine sociale à une autre, d’un établissement à l’autre, les élèves ne sont pas égaux en matière de réussite scolaire. En revanche, monsieur le ministre, l’éducation nationale, notamment dans le primaire, doit pouvoir assurer une égalité des « chances » de réussite. C’est le socle du pacte républicain et la mission essentielle de votre ministère.

La réussite à l’école, et je voudrais insister fortement sur ce point, ne se mesure ni au regard du pourcentage d’une classe d’âge qui redouble, ni à la moyenne des évaluations de sixième, ni au regard du pourcentage d’obtention du brevet, du bac, etc.

Ce n’est pas cela la réussite. Pas plus que la réussite professionnelle ne se mesure au niveau du salaire. Non, elle s’apprécie individuellement, élève par élève, au regard non seulement de ses progrès dans l’apprentissage des connaissances, mais surtout de son développement personnel et social.

Ce sont 150 000 jeunes qui sortent prématurément du système scolaire. Si certains d’entre eux s’engagent dans un cycle de formation professionnelle, avec en poche des connaissances fondamentales solides en français et en maths, du savoir-vivre et une capacité de réflexion suffisante pour agir avec intelligence dans leur apprentissage, tant mieux ! En revanche, s’ils le font parce que le système qu’on leur proposait n’était pas adéquat et ne leur permettait pas de progresser, c’est inquiétant.

Encore faut-il que l’éducation nationale puisse donner un cadre propice à cette réussite. Or ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui.

Il ne faut pas oublier l’importance de la qualité de l’orientation proposée aux jeunes. Elle est primordiale. Elle doit être parfaitement adaptée à chaque jeune, pour que l’échec scolaire ne soit pas une fatalité. Les étapes cruciales que sont la troisième et la seconde dans le cursus scolaire d’un élève sont capitales.

Toutes les formations doivent être privilégiées. Dès lors qu’un jeune est correctement orienté, la formation choisie est logiquement la bonne, que ce soit dans l’une des filières générales ou professionnelles, en apprentissage ou en alternance.

Pour que cela fonctionne, il est impératif que tous les acteurs participant à la réussite de l’enfant soient concernés : les parents, les enseignants, les conseillers d’orientation et, bien évidemment, le jeune.

Les conditions du succès sont assez évidentes et ont un dénominateur commun : il est nécessaire que la loi propose des piliers sur lesquels les établissements pourront, en fonction des contingences qui leur sont propres, bâtir leur projet pédagogique au regard des besoins et des conditions de réussite des élèves de leur établissement.

Les piliers de la réussite scolaire que l’État doit aujourd’hui revoir sont les suivants.

Il faut tout d’abord un rythme d’apprentissage « à l’école » adapté à l’élève. Il semble à cet égard qu’un apprentissage récréatif « hors école » pourrait être bénéfique. Le temps de l’expérimentation est terminé et, à en croire celle qui a eu lieu à Angers, le taux de satisfaction appelle à une généralisation d’une augmentation du temps à l’école, mais dont une partie serait consacrée aux activités récréatives.

Il s’agit ensuite de passer d’une logique d’égalitarisme de l’enseignement – collège unique, égalitarisme territorial,… – à une logique « équitable », en fonction des besoins.

Il faut enfin mettre l’accent sur un climat apaisé au sein de l’école, condition sine qua non de la réussite scolaire.

Sur la question des rythmes d’apprentissage, je ne répéterai pas ce que de très nombreux rapports successifs s’obstinent à préconiser. Au sein des pays de l’OCDE, les élèves français travaillent plus, même « trop » d’heures par semaine, pour un moindre niveau de connaissances. Notre pays, comparé à nos voisins européens, est l’un de ceux qui dépensent le plus pour l’éducation des enfants, avec en retour un résultat qui n’est pas à la hauteur des moyens consacrés.

Désormais, il faut passer à l’action : instaurer au plus vite la semaine de quatre jours et demi, et deux semaines supplémentaires de cours par an. Je vous laisse juge du moment pour le faire, monsieur le ministre.

En revanche, et c’est là un élément crucial de la réussite scolaire, il faut que l’enfant, en dehors de l’école, puisse évoluer dans un contexte propre à développer ses facultés sportives, intellectuelles, sa sensibilité artistique ou musicale. Bref, l’apprentissage du savoir-vivre et du savoir-faire doit être considéré globalement. Cela pourrait se passer soit dans des ateliers récréatifs, au sein des établissements, soit dans des centres de loisirs ou autres structures.

Il est indispensable qu’une offre accessible à tous existe, pour chacun. Sans cela, il se produira une rupture très nette d’égalité face à la réussite scolaire entre les enfants délaissés après l’école et ceux qui peuvent s’épanouir par des activités au sein de leur famille. Il y a donc beaucoup à attendre de la réforme des rythmes scolaires, et surtout des activités périscolaires.

La réussite est aussi fonction de l’adéquation entre le projet pédagogique d’un établissement ou d’une classe et le niveau des élèves. Certains établissements se situent dans des villes ou des quartiers dans lesquels les familles connaissent de grandes difficultés sociales. Il est nécessaire de rendre plus lisibles les différents réseaux de l’éducation prioritaire, qu’il s’agisse du programme Écoles, collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite, aussi appelé Éclair, des réseaux « ambition réussite », des réseaux de réussite scolaire,…

Les stages passerelles et les stages de remise à niveau au lycée constituent d’ores et déjà des mesures cohérentes pour proposer aux élèves un complément d’apprentissage. Il faut s’en inspirer, mais aller certainement plus loin encore, pour une offre plus individualisée.

Enfin, un cadre d’apprentissage plus serein, voilà une condition de la réussite des élèves. On constate d’ailleurs, a contrario, que de nombreux jeunes en grande difficulté scolaire évoluent dans un cadre familial qui n’est pas apaisé.

La violence verbale est très répandue dans nos établissements, même dans les petites classes. De même, les actes racistes ou antisémites sont courants, et les agressions de professeurs par des élèves ou des parents d’élèves atteignent un niveau et une gravité inquiétants. L’actualité, hélas ! ne fait que confirmer ce constat.

Il faut être intransigeant sur la question de la discipline, condition indispensable à l’apprentissage et à la réussite. Cela n’est pas une question de postes supplémentaires, mais seulement d’autorité.

Il me semble qu’il ne relève pas du législateur de répondre à cette question. J’appelle votre attention, monsieur le ministre, sur l’urgence et la nécessité d’agir, par exemple par voie de circulaire, dans le domaine de la discipline à l’école.

Avant de conclure ma contribution au débat, je voudrais souligner une nouvelle fois que ce ne sont pas seulement les chiffres de la déscolarisation qui m’inquiètent, mais ses causes. Elles sont propres à chaque territoire, chaque établissement, chaque classe. C’est pourquoi il me semble illusoire de penser que l’on peut décréter, de manière générale et impersonnelle, une recette miracle de la réussite scolaire.

Mme Françoise Férat. Si elle existait, je pense que nous l’aurions déjà appliquée ! Au contraire, il faut assumer le choix d’engager des politiques différenciées entre les territoires et les établissements. Il faut décentraliser la question scolaire, en somme.

Faisons confiance à nos recteurs, aux directeurs d’établissement et aux professeurs. Donnons-leur l’autonomie et les moyens nécessaires pour apporter les réponses adéquates à l’amélioration des conditions de l’apprentissage scolaire.

Nombre de travaux et rapports ont été réalisés ces dernières années à l’occasion de diverses missions, dans le cadre législatif ou institutionnel. Je pense au dernier rapport de l’OCDE de septembre 2012, aux travaux du Haut Conseil de l’éducation. L’un des derniers exemples en est la concertation « Refondons l’école de la République » que vous avez initiée, monsieur le ministre, et à laquelle je participe. Mais il y en a tant : sur la régulation de la carte scolaire – rapport auquel j’ai collaboré également –, le métier d’enseignant, l’échec à l’école, la violence à l’école, le sport à l’école et même la parentalité !

Comprenez-moi bien, je ne souhaite en aucun cas remettre en cause la nécessité de ces travaux, mais je pense que le temps de la réflexion doit laisser place aujourd’hui à celui de l’action. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école a fait l’objet de multiples études, mais celles-ci n’ont que rarement inspiré les réformes nécessaires pour remettre sur pied cette école républicaine devenue, à notre grand regret, un idéal bien lointain.

Nos collègues Françoise Cartron et Brigitte Gonthier-Maurin ont remis cette année deux rapports d’information. Leurs travaux, auxquels j’ai participé, ont porté respectivement sur la carte scolaire et le métier d’enseignant. Comme l’ont très bien résumé Mmes les rapporteurs, ils démontrent la volonté du Sénat de tout mettre en œuvre pour obtenir un meilleur niveau d’éducation dans notre pays.

Refonder l’école de la République sera un travail de longue haleine, et je vous remercie, monsieur le ministre, de prendre ce sujet à bras-le-corps. Il y a toujours des raisons, bonnes ou mauvaises, de ne pas le faire…

La politique éducative menée durant le précédent quinquennat a été profondément destructrice, même si M. Carle a déjà tout oublié.

M. Jean-Claude Carle. Sans doute parce que je n’ai pas de culture ! (Sourires.)

Mme Françoise Laborde. Aujourd’hui, il nous faut remettre la réussite au cœur du système éducatif : formation et affectation des enseignants, contenu pédagogique, rythmes et carte scolaires, notation, décrochage, violences,…

Un principe doit nous guider, celui d’égalité.

Les élèves ne disposent pas tous des mêmes chances pour réussir. Ce triste constat est malheureusement devenu une réalité palpable. Les enquêtes PISA de l’OCDE le prouvent. Dans notre pays, un élève sur cinq âgé de quinze ans connaît de très grandes difficultés scolaires. Comment espérer que nos enfants deviennent des citoyens disposant d’un esprit critique suffisamment développé si on ne leur apprend pas à lire, écrire et compter correctement ?

L’étude de l’OCDE intitulée « Regards sur l’éducation », publiée en septembre dernier, confirme que le taux de scolarisation des jeunes âgés de quinze à dix-neuf ans a reculé entre 1995 et 2010, passant de 89 % à 84 %. Parmi ces jeunes déscolarisés, 71 % sont inactifs, contre 57 % en moyenne dans les autres pays de l’OCDE, ce qui témoigne de leurs difficultés d’insertion professionnelle.

La lutte contre le décrochage scolaire doit absolument constituer une priorité, dans une société en mutation qui requiert de plus en plus de qualifications pour échapper à la précarité.

Ce sont surtout les élèves issus de milieux défavorisés qui font les frais de l’échec scolaire. Selon la même organisation internationale, ces derniers ont deux fois et demi plus de risques d’avoir de moins bons résultats que les élèves des familles aisées.

À ce stade de mon intervention, permettez-moi de rappeler qu’il existe une corrélation entre qualité et équité de l’enseignement, et performance du système éducatif.

Mettre en place des aides inadaptées aux élèves en difficulté ou recruter des enseignants très bien formés sur le plan des contenus, mais trop peu en pédagogie, ne fait qu’enrichir les entreprises d’aide aux devoirs. Ces dysfonctionnements contribuent au succès des établissements privés, à la concurrence exacerbée entre les uns et les autres, et à la mise en place insidieuse d’une école à deux vitesses. La reproduction des inégalités sociales qui en découle est insupportable et constitue une régression inquiétante. L’échec n’est plus seulement scolaire, il est aussi politique.

À l’occasion de ce débat, je voudrais vous demander de nous faire part, monsieur le ministre, du bilan de l’aide personnalisée mise en place depuis 2008 par l’un de vos prédécesseurs, et qui a servi de principale justification à la suppression progressive des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED. À la suite de cette mesure, les enfants se sont retrouvés avec des journées plus longues, sans changement de pédagogie et, semble-t-il, sans amélioration de leurs résultats.

Mme Françoise Laborde. L’évolution de la difficulté scolaire aurait dû être traitée à sa source, à savoir la formation initiale et continue des enseignants ainsi que l’adaptation des méthodes d’enseignement aux élèves, et non l’inverse. La reconstitution des RASED pour venir en aide exclusivement aux élèves rencontrant de sérieuses difficultés d’apprentissage serait une bonne nouvelle.

Évoquer la réussite éducative, c’est aussi soulever la question des inégalités territoriales qui se sont accentuées ces dernières années. La suppression des postes dans l’éducation nationale a affecté durement les écoles rurales. Chaque année, des options, des classes et des établissements ont disparu.

Force est de constater que, dans les territoires ruraux, les inégalités territoriales ont accentué les inégalités sociales. Selon une enquête du Centre d’études et de recherches sur les qualifications, le CEREQ, la part des élèves défavorisés dans les collèges ruraux est de 42 %, contre 34 % en milieux urbain et périurbain. En outre, ces jeunes sont orientés, plus que d’autres, vers la voie professionnelle. Ils sont aussi pénalisés par une offre de formation éloignée géographiquement et souvent moins diversifiée.

Il est impossible de mesurer les dégâts provoqués dans les écoles rurales lors du précédent quinquennat. Supprimer un seul poste dans ces écoles ou modifier les rythmes scolaires revient à bouleverser la vie locale. Par conséquent, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire de quels moyens disposeront les communes et les départements lorsque nous reviendrons à la semaine de quatre jours et demi ?

Certes, nous approuvons ce retour en arrière et la réflexion globale sur la modification des rythmes scolaires, mais toute nouvelle organisation du temps entraînera inéluctablement des aménagements quant à la garde des enfants. Certains maires sont inquiets à ce sujet. Devront-ils se substituer à l’éducation nationale pour organiser les activités périscolaires ?

Monsieur le ministre, le manque de personnel et de moyens risque de restreindre les possibilités de mise en œuvre de ces activités et de laisser les enfants livrés à eux-mêmes après les cours, renforçant les inégalités territoriales entre communes aisées et communes défavorisées. Pourtant, les activités culturelles, sportives et de loisir contribuent à l’éveil de la curiosité, au développement de l’esprit critique des élèves et à la réussite scolaire. Ce n’est plus à démontrer ! Ne serait-il pas important, pour éviter toute inégalité entre les territoires, que ces activités fassent partie intégrante du programme de l’éducation nationale ? Une réflexion est donc indispensable pour mettre en place des outils, en termes de transports scolaires, de locaux, de personnel, de budget, qui facilitent l’accès de tous à ces activités.

Avant de conclure, je tiens à vous féliciter pour l’effort engagé dans le projet de loi de finances pour 2013 – nous aurons l’occasion d’en reparler ! – en faveur de l’éducation nationale. La création de 43 500 postes de professeur en 2013, avec le remplacement des départs à la retraite, est un signal très positif pour les étudiants qui s’orientent vers le métier d’enseignant. Bien des vocations avaient été découragées ces dernières années par une politique systématique de pénurie.

Après une hécatombe de 80 000 postes supprimés en cinq ans, il est aujourd’hui devenu difficile de recruter… Nul doute que l’effort budgétaire engagé par le gouvernement auquel vous appartenez inversera cette logique, même si des interrogations subsistent, telles que la rémunération de nos enseignants, qui sont parmi les moins bien lotis des pays de l’OCDE.

Pour autant, cet effort remarquable en termes de recrutements ne résoudra pas le problème de la nature et de la qualité de la formation initiale, qui laisse actuellement trop peu de place à la pédagogie et à la pratique. Pour relever ce défi, vous apportez, entre autres propositions, une réponse partielle en ouvrant, à titre transitoire, un deuxième concours aux étudiants de master 1, qui pourront bénéficier d’une formation professionnelle d’un an avec un stage à tiers-temps. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a d’ailleurs constitué un groupe de travail sur le prérecrutement dans l’éducation nationale, lequel ne manquera pas de vous faire des propositions.

En attendant la prochaine loi d’orientation et de programmation, les membres du groupe du RDSE espèrent, monsieur le ministre, que vous nous apporterez des précisions pour tendre de nouveau vers un service public de l’éducation soucieux d’égalité des chances et respectueux des valeurs républicaines. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)