M. Alain Chatillon. C’est vrai !

M. Gérard Dériot. Aujourd'hui, d’après tous les renseignements que nous avons pu prendre, d’une part, il n’y a aucun autre produit qui remplisse complètement cette fonction et, d’autre part, nous n’avons pas l’assurance de l’innocuité totale des produits de substitution.

M. Alain Chatillon. Exactement !

M. Gérard Dériot. Il est prévu qu’une présentation détaillée des substances et alternatives au BPA recensées par l’ANSES soit développée dans un rapport d’expertise collective dont la publication devrait être réalisée d’ici à la fin de l’année. Nous considérons que la décision de retirer le BPA de tous les contenants alimentaires doit obligatoirement s’appuyer sur un tel rapport.

Pouvons-nous dire avec certitude que les alternatives au BPA identifiées ne présentent pas de risques dans les applications alimentaires ? Ces substances ont-elles fait l’objet d’évaluations des risques approfondies ? La réponse, je le regrette, est « non » pour l’instant.

Tout en se fixant l’objectif de l’interdiction générale du BPA, et après avoir réglé le cas des biberons, qui étaient la véritable source de méfaits ultérieurs, il faut se donner un peu de temps… mais aussi mettre les industriels devant leurs responsabilités afin qu’ils accélèrent leurs recherches.

Je souligne cependant que, au-delà des industriels, c’est toute la recherche chimique en général qui est concernée. Or, à ce jour, aucun substitut remplissant tous les critères n’a pu être identifié.

Le BPA évite, lui, que les aliments n’entrent en contact direct avec l’aluminium d’une canette. Si ces aliments étaient contaminés et, je l’ai dit, attaquaient les muqueuses stomacales, le risque pour la santé serait bien plus grand.

Je fais donc mienne la position de M. le Premier ministre, qui a déclaré lors de la conférence environnementale, le 15 septembre dernier, soutenir cette proposition de loi – qu’il avait signée, comme vous-même, madame la ministre –, « sous réserve que les produits de substitution aient fait la preuve de leur innocuité ». Il ne faudrait pas, pour reprendre l’expression que j’avais utilisée en 2010, que le remède soit pire que le mal !

En conclusion, madame la ministre, si le principe de précaution peut s’appliquer légitimement étant donné l’enjeu de santé publique, il doit impérativement être accompagné de mesures adéquates. En effet, la précipitation pourrait, au final, se révéler de mauvais conseil.

Avec plusieurs de mes collègues, je proposerai donc un report de l’interdiction totale du BPA dans les conditionnements à vocation alimentaire, d’une part, pour que soient effectués les tests nécessaires sur les substituts et pour que leur innocuité totale soit avérée, d’autre part, pour permettre à l’industrie agroalimentaire de s’adapter dans de bonnes conditions, car, là aussi, la vie et la survie de bon nombre de personnes sont en jeu.

Après Mme Schillinger, qui propose un report d’un an, je défendrai ainsi un amendement visant à prolonger d’une année supplémentaire le délai et de le porter à trois ans, car cela nous semble être le minimum pour identifier un produit de substitution et avoir le temps de faire le maximum de tests d’innocuité. Ainsi, nous aurons, les uns et les autres, la certitude d’avoir pleinement rempli notre rôle et d’avoir alerté l’ensemble de la société pour que ce problème soit réglé à son tour. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 22 juin 2011, M. Gérard Bapt a déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires, proposition de loi rapportée aujourd'hui par notre collègue Patricia Schillinger.

Le BPA sert à la fabrication des polycarbonates, plastiques solides et transparents utilisés. On les trouve dans les récipients pour micro-ondes, les bonbonnes d’eau ou le matériel médical. C’est souvent par l’intermédiaire des résines époxy qui tapissent l’intérieur des boîtes de conserve et canettes que se fait le transfert du bisphénol.

Le 5 février 2010, l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, avait rendu un avis sur le BPA, avis dans lequel elle mettait en évidence « des effets sanitaires avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme – fertilité féminine, problèmes cardio-vasculaires et diabète – même », et c’est important, « à de faibles niveaux d’exposition », tout en indiquant qu’elle allait procéder à des recherches approfondies pour cerner d’éventuels dangers sur la santé.

Sur l’effet de la substance proprement dite sur le nourrisson, le rapport relève que l’impact œstrogénique qu’on lui attribue se produirait sans effet-seuil. En clair, plus la santé de l’utilisateur du BPA est fragile, plus les conséquences risquent d’être graves.

L’AFSSA avait été affirmative à ce sujet, tandis qu’elle était moins catégorique en ce qui concerne les risques diffus chez l’adulte.

Elle émettait par ailleurs diverses recommandations, comme celle, évoquée par Gérard Dériot, de ne pas porter à ébullition les biberons.

C’est pourquoi en mars 2010 notre collègue Yvon Collin nous a fait voter l’interdiction de la fabrication et de la commercialisation des biberons contenants du BPA en France, texte qui a ensuite été adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale le 23 juin et qui est devenu la loi du 30 juin 2010.

La loi du 30 juin 2010 fut confirmée un an plus tard lorsque le Parlement européen proscrivit définitivement la mise sur le marché et l’importation en Europe de biberons contenant cette substance. Voilà qui montre bien que l’Union européenne suit très souvent nos recommandations et qu’elle est très sensibilisée à ces questions.

Faut-il aller au-delà, ainsi que le suggère notre collègue député Gérard Bapt par sa proposition de loi ? Nous le croyons. En effet, et le rapport de Mme Schillinger le confirme, cette mesure d’interdiction spécifique aux biberons ne couvre pas toutes les applications, notamment les petits pots pour bébé, les assiettes, les bols, les gobelets, les babycooks, les stérilisateurs, les boîtes de lait. Or ces produits contiennent également du bisphénol A : les laisser sur le marché serait une incohérence fâcheuse.

De même, nous savons que certains aliments, conditionnés dans des emballages contenant du bisphénol A sont ingurgités indifféremment par les adultes et les enfants.

En conséquence, si la proposition de loi de notre collègue Yvon Collin était nécessaire, elle se révèle aujourd'hui tout à fait insuffisante.

Comme l’a indiqué la Cour de justice des Communautés européennes dans un arrêt rendu le 7 juillet 2009, sur certains sujets, comme la santé humaine ou l’environnement, l’on ne peut se contenter d’attendre des preuves du risque encouru pour agir. C’est une évidence. L’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures préventives et proportionnées visant à prévenir un danger sanitaire.

Aussi, nous ne réglerons pas le problème des risques de santé du bisphénol A pour les publics à risque si nous ne prenons pas de mesures de protection pour l’ensemble de l’alimentation. Le Danemark, la Belgique et la Suède l’ont déjà fait ; le Canada, l’Australie et plusieurs États américains vont dans le même sens.

Le groupe socialiste du Sénat souhaite que la France rejoigne ces nations. Il approuve le contenu de cette proposition de loi, madame la ministre.

Toutefois, en raison du trop long cheminement législatif – plus de quinze mois d’attente entre son inscription à l’Assemblée nationale, le 22 juin 2011, et son examen aujourd’hui au Sénat –, il nous a fallu actualiser ce texte. À cette fin, la semaine dernière en commission, quatre amendements ont été adoptés quasiment à l’unanimité ; leurs dispositions figurent désormais dans le texte que nous examinons aujourd'hui, ainsi que c’est la règle.

Le premier amendement porte sur la date de suspension de fabrication de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, qui est portée du 1er janvier 2014 au 1er janvier 2015. Ce faisant, il s’agit de donner un temps raisonnable aux industriels, surtout aux PME, pour se retourner.

En effet, si les grosses multinationales ont réalisé depuis longtemps des démarches de remplacement pour anticiper les risques sanitaires du bisphénol A, tel n’est pas le cas des PME. Aussi, nous devons prendre en considération les contraintes auxquelles se heurtent actuellement les PME spécialisées dans l’emballage d’aliments singuliers, qui doivent trouver des substituts efficaces et testables afin de répondre aux normes de sécurité sanitaire.

Le deuxième amendement permet aux agents publics de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de rechercher et constater les infractions. Pourquoi avoir inscrit cette disposition dans la proposition de loi ? Nous souhaitons tout simplement que la future loi s’applique efficacement à tous. On ne peut pas à la fois interdire aux industriels nationaux d’exporter des emballages contenant du bisphénol A et tolérer sur notre territoire des produits étrangers en comportant. Le dumping sanitaire n’a pas sa place. Il faut être vigilant sur ce sujet.

Le troisième amendement renvoie à un décret les modalités d’application concernant l’avertissement sanitaire de produits présentant du bisphénol A.

Une mention impérative généralisée risquerait d’être floue aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs. Il s’agit également d’éviter un engorgement judiciaire qui laisserait aux tribunaux le soin de définir ce qui relève de l’alimentaire ou non.

Enfin, le quatrième amendement supprimant le rapport d’étape sur les substituts du bisphénol A demandé à l’ANSES pour le 31 octobre 2012 est de bon sens. On ne va pas demander à l’administration de bâcler un document en une quinzaine de jours pour satisfaire une disposition écrite voilà plus d’un an.

Doit-on aujourd’hui modifier le texte de la commission ? Certains d’entre vous, à travers leurs amendements, aspirent à élargir la liste des produits contenant du bisphénol A. La question peut paraître légitime.

En tant que rapporteur de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, j’ai constaté que le bisphénol A se trouvait dans de nombreuses applications médicales, en raison de ses propriétés mécaniques et physiques : les systèmes de valve pour hydrocéphalie, les instruments de chirurgie, les appareils d’oxygénation du sang, les cathéters, les appareils à dialyse, les seringues en polycarbonate, les défibrillateurs implantables et les stimulateurs cardiaques implantables. Le rapport le précise d’ailleurs : « Il n’est pas acceptable qu’un dispositif médical implantable soit plus dangereux qu’un jouet quand il est question de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. »

Néanmoins, puisque ces produits sont de certification communautaire, il nous paraît préférable de traiter ce sujet à part, lorsque nous aurons à examiner les propositions de règlement communautaire relatif aux dispositifs médicaux rendues publiques le 26 septembre dernier.

En effet, une attention particulière a été accordée à l’interdiction de ces substances, et ce dans les mêmes termes que la dixième préconisation du rapport sénatorial sur les dispositifs médicaux. La Commission européenne et le Parlement européen ont pris conscience de la nécessité d’assurer une sécurité optimale aux utilisateurs, professionnels ou profanes. Malheureusement, au niveau de l’Europe, tout est long et rien ne se fait en moins de deux, trois ou quatre ans. Le dispositif est prévu pour 2019. C’est pourquoi, madame la ministre, il faudra les inciter à agir, car ils se prononcent très rapidement sur les dispositifs utilisés en néonatalogie et en pédiatrie ; nous en avons l’exemple avec les biberons. Ainsi, ils seront cohérents.

Attendons au Sénat ces propositions de règlement communautaire à portée globale, au lieu de légiférer au coup par coup. C’est la position que notre groupe a adoptée.

Il reste beaucoup à faire. Nous en avons la volonté. Le texte que nous examinons aujourd’hui ne réglera malheureusement pas tous les problèmes engendrés par le bisphénol A, mais il constitue une étape nécessaire pour leur résolution. Il nous faut tenir bon sur les questions de délai et de date. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Marie-Thérèse Bruguière applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons tous : le bisphénol A, composé chimique présent dans les contenants alimentaires, notamment dans la fabrication des films plastiques recouvrant l’intérieur de ces derniers, est toxique.

Le 30 juin 2010 a été adoptée la loi suspendant la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux de biberons produits à base de bisphénol A. Cette décision, mesurée au regard des données scientifiques connues à cette date, fut néanmoins importante, puisqu’elle amena la Commission européenne à modifier sa réglementation.

Tout a été dit avant moi sur la toxicité avérée du bisphénol A sur la reproduction, le métabolisme, le cerveau, le comportement chez l’homme et sur le risque plus particulier pour les femmes enceintes et allaitantes, les nourrissons et les jeunes enfants.

Je n’y reviendrai pas, mais je souhaite insister sur trois points.

Le premier porte sur l’information destinée aux publics fragiles. Le texte prévoit un avertissement sanitaire, dans la période intermédiaire, pour les femmes enceintes, les femmes allaitantes et les enfants en bas âge, sur tout conditionnement comportant du bisphénol A et destiné à recevoir des produits alimentaires.

Cet étiquetage prendra-t-il la forme d’une mention écrite ou d’un pictogramme ? Ce sujet a été longuement débattu en commission.

À mon sens, la mention écrite présente deux inconvénients : d’une part, celui d’exclure les consommateurs qui ne savent pas lire ou qui lisent mal ; d’autre part, celui de ne diffuser aucun message d’alerte et de danger. Un pictogramme me semble donc plus adapté.

Dans le rapport du Gouvernement au Parlement du 8 mars 2011, il est indiqué que l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’INPES, a été chargé de proposer un pictogramme adapté à l’information des femmes enceintes sur l’usage de produits du quotidien contenant des substances reprotoxiques, puis de tester ce dernier en termes d’acceptabilité et de compréhension.

L’étude a porté sur trois pictogrammes représentant chacun la même silhouette de femme enceinte : un rond rouge barré conforme au pictogramme apposé sur les boissons alcoolisées, un triangle jaune conforme à la signalétique en milieu de travail pour un avertissement ou une précaution, un losange rouge.

Les résultats de ce test montrent que la population de 18 ans à 45 ans est largement réceptive à cette mesure d’étiquetage, qu’elle juge efficace. C’est le pictogramme triangulaire jaune qui paraît le meilleur compromis pour la compréhension par le consommateur de la notion d’avertissement, de précaution.

Madame la ministre, quelle est votre position sur ce point ? Suivrez-vous les recommandations de l’INPES ?

Dans tous les cas, je souhaite que l’avertissement soit lisible et compréhensible par tous et que la loi ne soit pas bafouée par un pictogramme si ridiculement petit qu’il devient totalement invisible, comme c’est le cas sur les bouteilles de vin et d’alcool.

Mme Muguette Dini. Le deuxième point sur lequel je souhaite insister est celui de la date d’entrée en vigueur de la mesure générale de suspension.

La question principale est celle de l’innocuité démontrée des substances ou technologies alternatives au bisphénol A. Parallèlement à ses investigations sur le bisphénol A, l’ANSES a soumis à consultation le résultat de ses travaux et lancé un appel à contribution, de septembre à novembre 2011, afin de recueillir, d’une part, des commentaires sur le contenu de ces travaux, d’autre part, toute donnée scientifique sur les procédés de substitution disponibles.

À la fin de cette année, l’ANSES publiera une présentation des différentes alternatives au bisphénol A, mais il ne s’agira pas d’une étude sur l’innocuité de tous ces différents substituts.

Le professeur Bernard Jegou, directeur de recherche sur la reproduction humaine à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, déclare que l’interdiction programmée du bisphénol A dans les contenants alimentaires « doit être aussitôt encadrée par des recherches sur les produits de substitution, sinon ce sera une supercherie ».

Madame la ministre, qu’en est-il des recherches scientifiques sur ce sujet ? La date de 1er janvier 2016 ne serait-elle pas une échéance plus réaliste ? Que ferez-vous le 1er janvier 2015 si les industriels n’ont pas de produits de substitution fiables, testés et validés ?

Enfin, le troisième point qui me semble important est celui de la révision de la réglementation à l’échelon européen, afin d’éviter des distorsions de concurrence.

Dans la continuité de ses travaux menés sur le bisphénol A, l’ANSES a déposé auprès de l’Agence européenne des produits chimiques, l’ECHA, et au nom des autorités françaises, une proposition de révision à l’échelon européen du classement de cette substance.

Dans le dossier français soumis par l’ANSES, il est proposé de classer le bisphénol A comme toxique, et non plus simplement comme toxique « suspecté », pour la reproduction. Cette proposition de révision est désormais soumise aux experts du Comité d’évaluation des risques de l’ECHA, lesquels sont chargés de statuer collectivement sur la classification à adopter.

C’est sur le fondement de cet avis et après le vote des États membres que la Commission européenne rendra sa décision d’inclure la classification harmonisée dans le règlement relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances chimiques et des mélanges.

Parallèlement et en réponse aux rapports de l’ANSES sur le bisphénol A, la Commission européenne a invité l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, à donner son avis sur la question.

Dans un premier temps, l’EFSA a déclaré que les informations contenues dans les rapports de l’ANSES ne justifiaient pas une modification de l’opinion exprimée par le groupe scientifique dans son avis de 2010. Cependant, ces experts se sont ravisés et, dans un second temps, ont entrepris d’analyser de nouvelles études parues sur le sujet.

Les choses bougent à l’échelon européen, mais avec beaucoup de frilosité, voire de réticence. Là encore, madame la ministre, comment envisagez-vous l’action du gouvernement français ?

Les questions restent nombreuses. Madame la ministre, vos réponses sont importantes pour nous, parlementaires, mais également pour nos concitoyens. Mon groupe souhaite vivement que son amendement tendant à reporter la date d’application de la loi soit adopté. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Grosdidier.

M. François Grosdidier. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, oui, nous devons prolonger la loi du 30 juin 2010, qui a suspendu, et non pas définitivement interdit, la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A. Oui, nous devons étendre cette mesure à l’ensemble des conditionnements et récipients destinés à des produits alimentaires, pour les jeunes enfants mais aussi pour tous les autres êtres humains.

Hier, certains nous garantissaient l’innocuité des biberons contenant du bisphénol A ; je les entends encore. Aujourd’hui, les mêmes affirment qu’il n’y a pas de risque pour les autres récipients, parce qu’on ne les chauffe pas. Ce n’est pas exact : les boîtes de conserve sont chauffées au bain-marie ; pour d’autres récipients, le four à micro-ondes est souvent utilisé sans trop de précaution ; il en va parfois de même des radiateurs et autres objets chauffants, notamment sur les lieux de travail. Le risque existe pour tous les récipients alimentaires.

La commission nous demande de décaler d’un an le calendrier de mise en œuvre. Je comprends sa position mais je la regrette, parce que je regrette le temps perdu. Je me suis livré à une relecture de l’abondante littérature existant sur ce sujet : ce n’est pas d’hier que datent les doutes sur le bisphénol A. Ses producteurs et ses utilisateurs les ont d’abord niés. La vérité a tardé à émerger. On a été plus précautionneux pour les producteurs que pour les nourrissons.

La proposition de loi adoptée à la quasi-unanimité par l’Assemblée nationale prévoit la suspension dès le 1er janvier 2013 de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout contenant comportant du bisphénol A et destiné à recevoir des produits alimentaires destinés aux enfants de 0 à 3 ans.

La commission a proposé de reporter l’application de cette mesure de six mois pour les produits destinés aux jeunes enfants et de deux ans pour les produits destinés aux autres consommateurs. Par conséquent, les femmes enceintes et les fœtus continueront à être exposés après 2013, au moins juridiquement. Or il est urgent de renforcer la protection durant la période prénatale : une année perdue, cela représente plus de 800 000 enfants potentiellement exposés dans le ventre maternel. Si l’on repousse l’application de la mesure à 2015, il faut immédiatement une information massive, systématique et exhaustive des femmes enceintes par toutes les autorités publiques, les services sociaux et, surtout, le réseau médical.

En tout état de cause, 2015 me paraît le maximum du compromis acceptable. Cela fait des années que les producteurs savent que le bisphénol A est condamné à terme. Ce n’est pas en repoussant encore d’un an le délai que nous les inciterons à accélérer la recherche de produits de substitution.

Je partage tous les propos de notre excellente collègue Chantal Jouanno, sauf son opinion que les hommes ne montrent que peu d’intérêt pour les fœtus et les nourrissons. Je dois avouer qu’elle m’a carrément vexé, même si cela ne m’empêchera pas de voter ses amendements. Je m’en veux et je nous en veux d’avoir encore chauffé des biberons contenant du bisphénol A pour mes enfants, dont le dernier est né en 2004, alors que nous connaissions déjà les dangers de cette substance. Ces biberons nous avaient été remis à la maternité, et nos dirigeants d’alors nous garantissaient leur innocuité même si des doutes s’exprimaient déjà. En revanche, je suis fier que nous ayons évité l’emploi de ces biberons pour ma petite-fille, née en 2011.

Cela fait des années que l’on connaît les risques potentiels du bisphénol A pour la santé humaine. Certes, ces risques n’étaient pas encore avérés, mais c’est toujours par cet argument que l’on justifie les comportements fautifs depuis l’affaire de l’amiante, qui revient d'ailleurs dans l’actualité avec la convocation par la justice d’une ancienne haut-fonctionnaire, Martine Aubry, qui était il y a trente ans directrice des relations du travail. En matière d’épidémiologie, c’est toujours la même histoire. On peut juger de la toxicité chronique de manière quasi immédiate, mais il faut du recul et donc du temps pour juger de la perturbation du système endocrinien, de la dérégulation du système hormonal, de la chute de la fertilité ou des effets cancérogènes.

Je sais que les industriels de l’alimentaire nous demandent encore du temps. Mais ce temps, ils auraient dû le prendre avant. J’ai entendu la demande du Syndicat national des fabricants de boîtes, emballages et bouchages métalliques ; je l’ai même écoutée avec attention, car je suis l’un des élus du bassin sidérurgique lorrain, dans lequel on fabrique le métal ferreux pour ces boîtes. Je ne suis donc pas froidement intéressé par la sidérurgie : j’y suis viscéralement attaché. Mais l’argument du nécessaire temps d’adaptation doit-il prévaloir non pas même sur le principe de précaution, mais sur la prévention ? Je ne le crois pas : la santé doit primer. Et je le crois d’autant moins que les industriels ont pu anticiper l’adoption de la proposition de loi, qui est dans l’air du temps depuis un bon moment déjà. Je le répète : le temps, il fallait le prendre avant.

Bien sûr, le temps c’est de l’argent. Mais il faut savoir quelle est notre hiérarchie des valeurs. Sur un plan personnel, lequel d’entre nous hésiterait entre une perte financière et un risque pour sa santé ou celle de ceux qu’il aime ? Aucun, j’en suis certain. Transposée au niveau de la collectivité, cette attitude s’appelle l’humanisme. Non, madame Cohen, la droite n’est pas nécessairement mercantile, pas plus que la gauche n’est toujours humaniste ! Souvenons-nous par exemple de ces nombreux régimes communistes ou collectivistes qui ont été fort peu précautionneux en matière de santé ou d’environnement. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Jacky Le Menn. Cela faisait longtemps qu’on ne l’avait pas entendue, celle-là !

M. François Grosdidier. Pour tout humaniste, de droite comme de gauche, la santé humaine doit primer sur toute autre considération. Or les informations scientifiques dont nous disposons aujourd’hui – je pense notamment aux derniers avis de l’INSERM et de l’ANSES – donnent à penser que le risque n’est plus seulement probable ou potentiel, mais qu’il est de plus en plus avéré.

Il existe aujourd'hui des évidences. Nous n’en sommes plus à la mise en œuvre du principe de précaution, qui aurait dû être activé il y a des années. Nous n’en sommes plus à ce stade, au moins depuis 2011, puisque l’ANSES assurait alors qu’elle disposait de « suffisamment d’éléments scientifiques » pour « agir dans une logique de prévention » et non plus de précaution. Sur la base des travaux disponibles, l’ANSES a demandé le classement du bisphénol A comme « toxique pour la reproduction ». Il est donc plus que temps d’agir et d’interdire le bisphénol A mais aussi les autres perturbateurs endocriniens. (Mme Chantal Jouanno applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Je voudrais tout d'abord remercier l’ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions. Il s’agit d’un moment important : par-delà nos divergences sur la manière de procéder à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, il y a une prise de conscience générale et une volonté commune de poursuivre dans la voie que nous avons empruntée, de continuer à être pionniers en Europe. La France est en effet en pointe dans le combat pour la santé-environnement, afin de garantir une meilleure protection à nos concitoyens et, au-delà, à nos amis européens.

Je partage l’analyse de Chantal Jouanno, qui a déclaré qu’il nous fallait une nouvelle approche des enjeux de santé, que nous ne pouvions plus nous contenter des critères d’analyse sanitaire classiques, même si ces critères demeurent pertinents pour d’autres éléments de notre politique. À l’évidence, nous devons revoir certaines de nos manières de penser et certains des modèles que nous avons élaborés. C’est ce que nous sommes en train de faire.

Comme l’indiquait Aline Archimbaud, l’augmentation très significative des maladies chroniques, qui est due en partie – mais pas seulement – au vieillissement de la population, nous oblige à adapter à la fois nos analyses, notre système d’organisation des soins et nos réponses sanitaires. En effet, nos concitoyens ne sont plus seulement malades de façon aiguë, à un moment précisément identifié, et nous devons donc les accompagner de diverses manières tout au long de leur maladie. Cela bouleverse notre manière d’appréhender ces questions.

Je fais volontiers mienne la formule de Laurence Cohen : en la matière, il faut faire du doute une raison d’agir. Comme je l’ai souligné tout à l'heure, le doute ne doit pas jouer contre les consommateurs, contre nos concitoyens.

Je voudrais rendre non pas à César ce qui appartient à César, mais au Sénat ce qui appartient au Sénat : à aucun moment je n’ai soutenu que c’était l’Assemblée nationale qui avait pris l’initiative de la première proposition de loi relative aux biberons contenant du bisphénol A. J’ai simplement salué le travail du rapporteur Gérard Bapt, notamment au niveau local. Je reconnais bien volontiers le rôle de pionnier du Sénat, ainsi que le vôtre, monsieur Dériot, comme rapporteur de la proposition de loi déposée par M. Collin. C’est le Parlement dans son ensemble qui a été pionnier dans ce domaine.

J’ai entendu quatre questions importantes, dont nous débattrons plus longuement lors de l’examen des amendements.

La première a trait au calendrier. Diverses opinions ont été exprimées : certains veulent aller le plus vite possible, tandis que d’autres souhaitent donner du temps sinon au temps, du moins aux industriels, afin qu’ils puissent s’adapter.

Un an s’est écoulé depuis l’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale. Il est donc normal de modifier le calendrier : à défaut, nous soumettrions les industriels à une pression excessive. Cependant, je tiens à souligner que ces derniers ne sont pas restés inactifs : ils ont déjà commencé à se préparer. L’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale a constitué un signal important, qui a été parfaitement entendu par les industriels : dans leur grande majorité, ils nous disent aujourd'hui qu’il leur faut un délai de quelques mois – six environ – pour fabriquer des produits de substitution, et nous expliquent qu’ils savent bien que c’est dans cette direction qu’ils doivent avancer.

Monsieur Dériot, si nous décidions de reporter la mise en œuvre de la suspension, nous n’inciterions pas les entreprises à agir vite. Il y a d'ailleurs une contradiction entre cette demande de report et la demande d’extension rapide du dispositif à d’autres composants, les phtalates, par exemple.

Je suis convaincue que les industriels sont prêts à s’engager dans la voie que nous leur montrons. J’ajoute que la présente proposition de loi prévoit une suspension et non une interdiction définitive. Par conséquent, si nous étions confrontés – je ne crois pas que nous le serons – à un problème majeur qui justifierait une intervention des pouvoirs publics et en particulier du Parlement, ce dernier pourrait se saisir de la question afin de remettre en cause cette suspension.

Honnêtement, il me semble que toutes les garanties sont réunies pour que nous puissions avancer. Nous ne faisons preuve d’aucune précipitation en la matière ; je le dis plus particulièrement à l’intention de ceux – Mme Dini, M. Barbier et M. Dériot – qui ont insisté sur ce point.

La deuxième question porte sur l’élargissement du dispositif, et notamment sur la prise en compte des dispositifs médicaux. Nous y reviendrons sans doute lors de la discussion des amendements, mais je tiens à affirmer dès maintenant que nous devons être extrêmement attentifs s'agissant des dispositifs médicaux. Il faut favoriser la recherche pour déterminer quels seront les produits de substitution.

Aujourd'hui, nous l’ignorons. Nous ne disposons pas d’éléments suffisamment sûrs pour élargir la proposition de loi que nous sommes en train d’examiner. Cela ne signifie pas pour autant que la question ne soit pas posée.

Pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, se pose tout d’abord la question du risque sanitaire immédiat. Mais nous devons aussi mettre en balance l’aide médicale que les médecins apportent en utilisant des dispositifs médicaux contenant du bisphénol A – il y va parfois de la survie des patients – et l’absence, pour l’instant, de données précises sur les produits de substitution.

Le troisième point auquel je veux répondre, et qui, en quelque sorte, fait suite à la question des dispositifs médicaux, concerne l’appel, assez fréquent, à une vigilance européenne et à une action française à l’échelon de l’Europe.

Au cours des dernières semaines, je me suis rendue dans plusieurs pays européens. J’ai rencontré le commissaire européen en charge du dossier. Et je ne peux que partager votre analyse, mesdames, messieurs les sénateurs. Telles sont ma volonté et mon intention : la France doit être l’aiguillon de l’Europe en matière de santé-environnement, de prise en considération des facteurs nouveaux. Grâce à l’adoption de la mesure interdisant l’utilisation du bisphénol A dans la fabrication des biberons, nous avons été à l’origine d’initiatives européennes. Nous devons poursuivre dans cette voie.

Le dernier point que je veux aborder vise les messages d’information et les fameux pictogrammes évoqués par Mme Dini comme par un certain nombre d’autres orateurs. Comment expliquer la dangerosité de certains produits sans affoler et tout en étant très explicite ? Madame le sénateur, je partage assez volontiers votre point de vue sur le pictogramme à destination des femmes enceintes apposé sur les bouteilles d’alcool. Nous devrons d’ailleurs mener une réflexion plus large sur la manière d’envoyer les messages d’information sanitaire à nos concitoyens.

La présente proposition de loi prévoit un décret d’application. Je m’engage à ce qu’il soit pris rapidement à l’issue du vote de la loi. La définition des messages à délivrer devra être précise.

Pour ma part, je n’ai aucune opposition de principe à la mise en place de pictogrammes. Il faudra cependant définir comment les apprécier. En effet, à un moment, la multiplication des pictogrammes risque d’être problématique.

À l’issue des travaux sénatoriaux, un groupe de travail pourrait être constitué associant des membres du ministère, les élus, au premier rang desquels Mme la rapporteur, et tous ceux qui le souhaitent, afin de réfléchir de façon constructive à la teneur de ces messages d’information.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis une fois encore de vos interventions qui, au-delà des différences d’appréciation naturelles qui peuvent exister, me semblent marquer une volonté commune d’avancer pour défricher le champ véritablement nouveau de nos politiques sanitaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste – Mmes Muguette Dini et Nathalie Goulet applaudissent également.)