M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères.

M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous présente d’emblée les regrets de M le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de ne pouvoir être présent parmi nous aujourd'hui. Il participe, avec une délégation de notre commission, à l’assemblée générale des Nations unies qui se tient actuellement à New York.

C’est en tant que vice-président de cette commission que j’interviens dans ce débat. Mais c’est aussi, et peut-être surtout, en tant qu’européen convaincu et lucide.

Mes chers collègues, vous le savez, comme certains autres de nos collègues aujourd'hui présents sur ces bancs je suis lorrain. Chaque année, depuis les derniers jours d’août, anniversaires des premiers combats de 1914, à novembre, mois qui vit les derniers affrontements de la Seconde Guerre mondiale, je rends hommage à la mémoire des victimes de ces conflits en parcourant, avec mes collègues de la région, les dizaines de cimetières militaires qui jalonnent notre région. Y reposent, parfois côte à côte, les milliers de jeunes Français, Allemands, Américains ou autres, tombés sur ces terres des marches de France.

Pendant vingt siècles – en moyenne trois fois par siècle –, la Lorraine a connu des invasions, des conflits, les horreurs et les misères de la guerre !

En ma qualité de lorrain, je n’oublie jamais que c’est dans la réconciliation franco-allemande et grâce à la construction de l’Europe que nous vivons et que nous connaissons la paix depuis près de soixante-dix ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. André Gattolin applaudit également.)

Il est essentiel d’apprécier les événements du moment à l’aune de cette histoire ! La paix est notre bien précieux. Il faut le répéter sans cesse, en particulier à l’adresse des jeunes générations, qui pourraient l’oublier.

Pourtant, la crise financière et des dettes souveraines, liée, pour une grande part, aux dérégulations libérales, voire ultralibérales des années quatre-vingt, a été une véritable surprise stratégique. Elle a agi comme un catalyseur d’évolutions qui étaient déjà à l’œuvre depuis plusieurs années.

Les États européens, pris à la gorge par la désindustrialisation – à laquelle ils avaient, d'ailleurs, consenti –, par le malaise social, par une précarité financière inédite et par de sombres perspectives économiques, sont confrontés à la montée en puissance accélérée de nouvelles puissances désormais largement « émergées », qui poursuivent leur décollage économique et qui, après avoir été l’atelier de l’Occident, en deviennent les « banquiers ».

Comme le relève Hubert Védrine, le fait majeur de ce début du XXIe siècle est la fin du monopole occidental de la richesse et de la puissance. Si nous n’arrivons pas à la résoudre, la crise européenne ne fera qu’accélérer le grand mouvement de rééquilibrage avec ces pays émergents. Quelle politique l’Europe entend-elle mener pour que ce rééquilibrage ne signe pas son déclin ? Telle est la vraie question qui se pose aujourd'hui.

Il y a de quoi inquiéter dans la désaffection croissante des opinions publiques à l’égard de l’Union européenne, dans la perte de confiance en son devenir, voire dans la montée du populisme et du retour des nationalismes en Europe.

Ma conviction est que, une fois que l’Europe aura passé le cap de la crise de l’euro, qui mobilise aujourd’hui son énergie, il lui faudra, pour exister sur la scène internationale, rebâtir un projet politique, retrouver sa légitimité aux yeux de nos concitoyens. L’Europe doit à nouveau être associée à un projet, elle qui paraît souvent aujourd’hui génératrice de normes, de règles, d’austérité et de sanctions. Elle doit faire la preuve qu’elle est capable de porter une stratégie, au bénéfice des citoyens européens, des producteurs, des salariés, des consommateurs.

Pour donner de nouvelles perspectives, redonner un sens à l’Europe, il ne suffit pas de renforcer les mécanismes de discipline budgétaire. Il faut aussi que l’Europe sache susciter l’adhésion des citoyens et se donne les moyens de répondre à leurs angoisses, à leurs inquiétudes et à leurs attentes. En effet, c’est à partir de ces préoccupations que l’on pourra rétablir la confiance.

Dans certains domaines, les attentes sont particulièrement fortes. Permettez-moi de citer trois d’entre eux.

Le premier est bien évidemment celui de la croissance et de l’emploi.

C’est, on le sait, la première et principale préoccupation des Français et des Européens. Pendant longtemps, la construction européenne a été, pour nous, synonyme de progrès et de prospérité. Aujourd’hui, dans un contexte marqué par l’atonie de la croissance, la persistance du chômage et les délocalisations, l’Europe ne répond plus aux attentes et aux inquiétudes ; il faut en prendre acte.

Pire, au regard de la mondialisation, l’Europe n’apparaît plus comme une chance, mais comme une menace, ce qui est un paradoxe. Le bilan de la stratégie de Lisbonne s’est révélé très décevant, et la zone euro n’a pas rattrapé son retard en matière de croissance et de création d’emplois.

Or ce continent peut être un formidable levier pour adapter la mondialisation et résister à la toute-puissance du marché. L’Europe peut être un atout pour la croissance économique et la création des emplois. Encore faut-il qu’elle ait la volonté et qu’elle se donne les moyens, y compris financiers, de réaliser ces objectifs.

Certes, pour répondre à la crise financière et préserver la monnaie unique, renforcer la discipline budgétaire est nécessaire. Mais la seule réduction des déficits publics ne peut tenir lieu de politique : il est indispensable qu’elle s’accompagne d’une relance de la croissance et de l’emploi. C’est le sens que je donne au Pacte européen pour la croissance et l’emploi, adopté à l’initiative du Président de la République.

Deuxième domaine où les attentes des citoyens européens sont fortes : la convergence sociale et fiscale.

Au-delà de la diversité des systèmes, comment préserver l’originalité du modèle social européen qui figure au cœur de l’identité européenne ?

Non, l’Europe ne peut se résumer à un grand marché. L’Europe que nous voulons n’est ni celle de la compétition vers le « moins-disant » en matière fiscale ou sociale, ni celle des délocalisations ou encore de l’ouverture sans limite de nos marchés à la concurrence déloyale de pays qui ne respectent pas les normes élémentaires dans ces matières.

Au contraire, nous devons progresser vers la convergence et faire en sorte que l’Europe soit plus ferme en matière de réciprocité et de respect des normes sociales dans ses échanges commerciaux.

Dans une Europe élargie, plus hétérogène, cette dimension sociale doit rester au cœur du projet européen.

La « préférence communautaire » n’est pas un vain mot : elle doit retrouver toute sa place au sein des politiques communautaires. Nous voulons une véritable politique industrielle européenne, un soutien à de grands projets européens dans des secteurs à forte valeur ajoutée, comme les énergies renouvelables ou les technologies de l’information.

Le troisième défi est de bâtir une véritable politique étrangère et de défense.

J’en suis convaincu, dans ce domaine, nous pouvons faire tellement mieux !

Mme Nathalie Goulet. C’est sûr !

M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères. Nous pouvons proposer un horizon nouveau. L’Union européenne reste, aujourd’hui encore, la première économie du monde. Elle dispose d’atouts immenses. Toutefois, minée par la crise, affaiblie par les différences d’approches entre ses membres, elle ne s’impose pas comme un acteur majeur sur la scène internationale. Pourtant, elle pèse 40 % au budget de l’ONU et 60 % de l’aide publique mondiale

Or, qu’il s’agisse de la Syrie, du Sahel ou du Proche-Orient, l’Europe apparaît singulièrement absente ou inaudible.

Cependant, depuis les « printemps arabes » et le recentrage des États-Unis vers l’Asie-Pacifique, les attentes à l’égard de l’Europe n’ont jamais été aussi fortes, en particulier sur l’autre rive de la Méditerranée et en Afrique.

Face à la menace terroriste et au risque de déstabilisation au Sahel, au blocage du processus de paix israélo-palestinien ou encore sur le dossier du nucléaire iranien, nous avons besoin de plus d’Europe, d’une Europe forte, capable de se faire entendre sur la scène internationale et de parler d’une seule voix face aux États-Unis, à la Russie ou aux puissances émergentes.

Or l’Europe ne saura faire entendre sa voix sur la scène internationale et être une puissance dans la mondialisation que si elle dispose d’une véritable politique étrangère et d’une défense propre !

Les pays européens doivent définir leurs intérêts communs pour bâtir et porter une politique étrangère réellement efficace et cohérente.

La réduction des budgets de défense en Europe s’accélère, en total décalage avec les évolutions observées partout ailleurs dans le monde, notamment en Asie et au Moyen-Orient.

Nous voyons que l’effort de défense fait partie intégrante de la stratégie de puissance de grands pays émergents. Dans ce contexte, l’Europe ne risque-t-elle pas de perdre progressivement tout moyen ?

Le renforcement de la coopération entre la France et le Royaume-Uni qui représentent à eux seuls la moitié des dépenses militaires de l’Europe, constitue une avancée et un exemple de coopération européenne pragmatique appuyée sur une vision commune. Les projets avec l’Allemagne s’inscrivent dans la même perspective.

À cet égard, comment ne pas regretter l’échec de la tentative de rapprochement entre BAE et EADS, dossier majeur pour l’industrie de défense européenne, qui vient d’être annoncé ? Ce projet de fusion pouvait être une excellente nouvelle pour l’industrie européenne de l’armement.

Le Président de la République a souhaité l’Europe de la défense. À cet égard, la fusion entre BAE et EADS, portée par les industriels eux-mêmes, lui aurait apporté un nouveau souffle ! Elle s’inscrivait totalement dans la construction de cette base industrielle et technologique de défense européenne et performante que chacun, paraît-il, appelait de ses vœux !

Face à la diminution des budgets de la défense dans la plupart des pays européens, c’est en encourageant le partage, les mutualisations, les coopérations et les rapprochements de nos industries de défense que nous pourrons réellement préserver un outil de défense à l’échelle européenne.

M. Serge Dassault. Ce n’est pas vrai !

M. Daniel Reiner, vice-président de la commission des affaires étrangères. C’est ce à quoi s’emploie le ministre de la défense, et il a tout notre soutien sur ce sujet.

En résumé, la question se pose en ces termes : faut-il poursuivre la méthode des « petits pas » chère à Jean Monnet, qui nous a conduits là où nous en sommes – au milieu du gué –, ou briser les tabous et oser poser la question fédérale ?

La chancelière Angela Merkel, tout comme son ministre des affaires étrangères, Guido Westerwelle, ont fait des propositions audacieuses pour une relance de l’Europe politique. Le parti social-démocrate allemand vient de publier une note sur la création d’une « armée européenne ». D’autres ont proposé un saut vers une « Europe fédérale », avec, par exemple, l’élection directe des responsables européens.

Certes, l’expérience nous incite à faire preuve de prudence à l’égard des débats institutionnels, qui paraissent éloignés des préoccupations de nos concitoyens.

Mais, pour notre pays, qui a toujours été à la pointe de la construction européenne, le moment n’est-il pas venu de prendre de nouvelles initiatives et de donner un nouvel élan à cette construction de l’Europe que nous souhaitons ?

Pour ce faire, monsieur le Premier ministre, nous vous faisons confiance ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat est bienvenu car il nous invite à ne pas réduire notre approche de l’Europe à la controverse sur le TSCG. Il ne s’agit pas d’escamoter ce traité, d’autant que nous examinerons dès ce soir le projet de loi en autorisant la ratification ; il s’agit simplement de le replacer dans un contexte plus global. Cela nous aidera peut-être à ramener ce nouveau traité à ses justes proportions : après tout, il n’est pas, l’alpha et l’oméga de la construction européenne.

De plus, nous sommes au début d’un nouveau quinquennat ; c’est le moment où jamais d’aborder entre nous « les nouvelles perspectives de la construction européenne ».

Comme beaucoup d’entre nous ici, sans doute, je peux dire que l’engagement européen fait partie intégrante de mon engagement politique. Cela n’a d’ailleurs pas toujours été confortable : je suis en effet l’élu d’un département qui a voté « non » à 65 % lors du référendum sur le traité constitutionnel.

Mon engagement européen reste le même, mais il me semble qu’aujourd’hui l’Europe a besoin de trouver un nouvel équilibre, un meilleur équilibre. Sinon, le soutien à la construction européenne va s’affaiblir et il sera de plus en plus difficile d’avancer.

L’Union a d’abord besoin d’un meilleur équilibre entre les pays membres. Bien entendu, l’axe franco-allemand est nécessaire et même indispensable ; nous savons tous qu’il est à la base de la construction européenne. Cependant, l’Union, ce sont vingt-sept pays, bientôt vingt-huit, qui tous apportent quelque chose à la construction commune, et qui tous aspirent légitimement à dire leur mot, à ne pas assister en spectateurs à des prises de décision qui les concernent.

C’est pourquoi la nouvelle attitude adoptée par le Président de la République, François Hollande, a donné de l’air à la construction européenne. Sans renier l’axe franco-allemand, qui reste irremplaçable, il a voulu que cet axe cesse d’apparaître comme une sorte de « directoire » placé au-dessus des autres pays.

L’Europe a besoin de toutes ses composantes pour avoir son identité et jouer son rôle dans le monde. Elle a besoin des récents États membres d’Europe centrale, qui l’ouvrent vers l’est. Elle a aussi besoin des pays méditerranéens, qui l’ouvrent vers le sud. L’Europe ne serait pas elle-même sans l’Espagne, le Portugal et la Grèce, pas plus que la France ne serait elle-même sans Marseille, Toulouse, Montpellier et Nîmes.

Il y a bien sûr, en Europe, des pays qui, par leur démographie et leur situation économique, vont peser plus que d’autres. Mais il n’y a pas de « petits pays » ; il n’y a pas de pays qui ne comptent pas. Tous doivent concourir aux décisions et pouvoir se retrouver dans le compromis final.

On l’a souvent dit, nous formons en Europe une communauté de destin. Ne croyons pas que certains pays pourraient mieux réussir en laissant les autres à leur triste sort. La solidarité est, au contraire, dans l’intérêt bien compris de tous les pays européens. Cela ne dispense pas les pays en difficulté de faire les efforts nécessaires ; personne ne peut les faire à leur place. Mais ne perdons pas de vue que, si ces efforts échouaient, les conséquences pèseraient sur toute l’Union. Leur contrepartie normale doit donc être une mutualisation plus forte des garanties. Nous avons déjà beaucoup avancé dans ce sens avec le FESF et le MES.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il fallait voter le MES !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. L’étape suivante, l’émission d’euro-obligations, devra être franchie un jour ou l’autre, et le plus tôt sera le mieux.

L’Europe a également besoin d’un meilleur équilibre entre rigueur et croissance. Je ne veux pas aborder ce sujet en termes manichéens. Presque tous les pays membres ont des finances publiques dégradées à la suite de la crise bancaire. Face à cette dégradation, ils doivent aujourd’hui réaliser l’assainissement indispensable. On ne peut cependant s’en tenir là. La rigueur à l’échelon national doit avoir pour contrepartie, à l’échelon européen, des mesures propres à encourager l’activité et à donner des perspectives. On ne peut avoir l’austérité pour seul horizon.

Le Conseil européen de juin a pris à cet égard des décisions importantes. La priorité est aujourd’hui de faire en sorte que ce rééquilibrage se concrétise sans tarder : il y a là une question de crédibilité pour l’Europe.

C’est, selon moi, dans ce nouvel esprit qu’il faudrait considérer les négociations en cours sur le cadre financier pour 2014-2020. À cet égard, monsieur le Premier ministre, je salue les propos que vous avez tenus sur la position de la France et sur sa participation. En effet, si l’on commence par dire qu’on diminue le budget de l’Union européenne, c’en est fini des grandes politiques européennes ; ce ne serait pas cohérent.

Il est compréhensible que, dans le contexte actuel, les pays fortement contributeurs cherchent à maîtriser le prélèvement européen sur le budget national. Pourtant, si nous persistons à considérer ces négociations comme un jeu à somme nulle, nous ne parviendrons pas à un résultat porteur d’avenir. Or, qu’il s’agisse de la politique de cohésion, de la politique agricole commune, de la politique de recherche et d’innovation, sans ces grandes politiques européennes, nous n’arriverons pas à rééquilibrer durablement rigueur et croissance. La politique de cohésion est essentielle au maintien de l’investissement public en Europe et à une plus grande justice sur l’ensemble des territoires européens. La politique agricole est une politique d’avenir dans un domaine où l’Europe a des atouts importants, même si la manière dont s’opère l’attribution des aides, en particulier à l’échelon national, doit être réorientée. Quant au soutien à la recherche et à l’innovation, il est nécessaire à la compétitivité européenne.

Cela doit nous inciter à chercher éventuellement des financements proprement européens, en complément des prélèvements sur les budgets nationaux, pour dégager des moyens suffisants en faveur de ces politiques.

Je sais qu’il est très difficile d’obtenir le consensus sur de nouvelles ressources propres ou de nouvelles possibilités d’emprunt à l’échelon européen. Il reste que l’on peut dire aujourd'hui que le Gouvernement a mis en place, avec onze autres pays, une taxe sur les transactions financières au niveau européen, alors que cela paraissait impossible voilà quelques années. On nous dira que ce n’est pas suffisant, mais c’est un début et c’est extrêmement positif.

Nous ne devons pas renoncer à l’idée d’un budget européen qui soit, certes, très ciblé, mais ambitieux, car si une austérité européenne venait s’ajouter aux austérités nationales, on voit mal d’où pourrait venir la relance de l’activité.

Je voudrais évoquer un troisième rééquilibrage, moins souvent mentionné, quoi que vous en ayez parlé, monsieur le Premier ministre, mais il n’est pas sans lien avec les précédents : il concerne les rapports entre les exécutifs et les parlements dans le fonctionnement de l’Union.

À l’occasion de la crise financière, nous avons vu le centre des décisions se déplacer vers la zone euro et prendre une forme largement intergouvernementale. Alors que le traité de Lisbonne organise un renforcement du contrôle parlementaire, tant du Parlement européen que des parlements nationaux, les parlements se sont trouvés à l’écart. Cette situation a favorisé l’émergence du « directoire » franco-allemand. Et elle a sans doute contribué à ce que s’installe un déséquilibre entre les préoccupations d’assainissement financier, d’une part, et les préoccupations de retour à la croissance, d’autre part.

Cette nouvelle forme de « déficit démocratique » doit être comblée. Or elle ne peut l’être uniquement en associant davantage le Parlement européen aux décisions. Le Parlement européen doit, bien sûr, prendre toute sa place, mais il ne peut régler le problème à lui seul. Pourquoi ? D’abord, parce qu’il représente collectivement les vingt-sept pays membres et n’a pas de formation propre à la zone euro : c’est même une Britannique qui préside la commission économique et monétaire du Parlement européen. Ensuite, parce que le renforcement de l’Union économique et monétaire aboutit à coordonner et à encadrer de plus en plus les politiques économiques et budgétaires des États membres, qui sont votées par les parlements nationaux. Il convient donc de mieux associer ces derniers en amont.

Comment procéder ? Nous avons besoin d’un instrument interparlementaire, comprenant des parlementaires européens et des parlementaires nationaux, qui puisse se réunir soit en format « Union européenne », soit – c’est devenu indispensable – en format « zone euro », et qui soit en mesure d’avoir un véritable dialogue politique avec les instances exécutives de l’Union.

La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de résolution en ce sens, qui est très proche, dans son esprit, de celle qu’avait adoptée le Sénat à l’unanimité au mois de mars dernier. Cette proposition ayant recueilli un très large consensus. Je suis persuadé que le Gouvernement nous apportera son soutien pour aller dans cette direction.

Le dernier rééquilibrage que je voudrais évoquer a trait aux rapports entre l’échelon européen et l’échelon national. Lors de la préparation de ce qui est devenu le traité de Lisbonne, il a beaucoup été question de clarifier le partage des compétences, et le traité tend à aller dans ce sens. Toutefois, on voit bien chaque jour que l’échelon européen et l’échelon national sont en réalité indissociables et fonctionnent en interaction. On ne pourra jamais parvenir à un partage très clair des compétences. Mieux vaut essayer, au cas par cas, de faire prévaloir le principe de subsidiarité, de considérer quel est le meilleur échelon pour agir et de voir comment les responsabilités doivent se combiner.

Le traité de Lisbonne, qui a décidément beaucoup de vertus, a marqué un progrès à cet égard en instituant le contrôle de subsidiarité confié aux parlements nationaux. Cette année, pour la première fois, sur l’initiative de notre assemblée, les parlements nationaux ont été assez nombreux pour adresser un « carton jaune » à la Commission européenne au sujet d’un texte concernant le droit de grève des travailleurs détachés. La Commission était donc censée « revoir sa copie », mais elle a finalement retiré son texte. Quoi qu'il en soit, cela nous montre que ce contrôle fonctionne.

Toutefois, on aurait envie que le principe de subsidiarité fonctionne en quelque sorte dans les deux sens. Montesquieu ne dit-il pas dans De l’esprit des lois que le véritable art politique consiste à « savoir dans quels cas il faut l’uniformité, et dans quels cas il faut des différences » ?

Il est vrai que la Commission européenne – même si beaucoup de progrès ont été réalisés dans ce domaine – continue de temps à autre à vouloir introduire l’uniformité dans des domaines où l’on pourrait sans inconvénient laisser subsister des différences.

Mais on peut faire tout autant la critique symétrique : l’Union continue à ne pas s’affirmer suffisamment dans des domaines où, indiscutablement, c’est pourtant à elle qu’il reviendrait d’agir.

Malgré tout un luxe de dispositions dans le traité de Lisbonne, nous ne voyons pas véritablement émerger la politique étrangère et de sécurité commune qui donnerait à l’Union plus de poids dans les relations internationales – mon collègue Daniel Reiner a largement développé ce point. Le constat n’est pas plus encourageant pour ce qui concerne la politique de sécurité et de défense commune, alors que l’état des efforts nationaux en souligne plus que jamais la nécessité.

De même, le minimum d’harmonisation fiscale et sociale auquel on pourrait s’attendre au sein d’une Union n’est toujours pas atteint ; nous en sommes même très loin !

On pourrait également mentionner la lenteur des progrès en matière de justice et d’affaires intérieures, alors que le traité de Lisbonne donne à l’Union beaucoup d’instruments pour agir à cet égard.

Je sais que des réflexions sont en cours concernant une nouvelle révision des traités, afin de relancer la construction européenne. Je ne suis pas sûr, pour ma part, que le moment soit venu de se replonger dans le débat institutionnel, avec tous les risques que cela comporte. Dans le contexte actuel, mieux vaut utiliser toutes les potentialités des traités et se limiter à des révisions ponctuelles, si elles sont vraiment indispensables.

Le débat institutionnel peut parfois servir d’alibi pour ne pas agir. Les progrès que nous réalisons en ce moment même pour parvenir à une véritable union bancaire se font dans le cadre des traités ; il s’agit pourtant d’un changement majeur.

De même, la plupart des suggestions étudiées par le rapport Van Rompuy sur l’approfondissement de l’Union économique et monétaire n’exigeraient pas nécessairement une révision des traités, ou pourraient passer par une révision ponctuelle.

Rien, aujourd'hui, ne serait pire pour l’Europe que de s’enfermer dans un débat byzantin sur le fédéralisme – même si j’ai personnellement une certaine inclination pour cette solution –…

M. Jean-Pierre Plancade. C’est une bonne inclination !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. … tout en donnant le sentiment qu’on se résigne à la stagnation économique. Nos concitoyens attendent avant tout de l’Europe qu’elle aide les pays membres à sortir de la crise et à retrouver ensemble le chemin de la croissance et, surtout, de l’emploi.

C’est ce mouvement qui a été lancé au mois de juin dernier, sous l’impulsion du Président de la République. La priorité doit être de le poursuivre et de l’amplifier. Lorsqu’il aura été couronné de succès, nos concitoyens seront prêts à entendre reparler d’évolution fédérale, mais aujourd'hui, ne nous trompons pas de terrain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur de nombreuses travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon propos débutera par quelques citations, et d’abord celle d’un propos remarquable de fermeté, entendu voilà seulement quelques jours dans la bouche de M. Pierre Moscovici, lors de son audition par la commission des finances : « Nous avons une obligation d’exemplarité, de qualité et de crédibilité. Le débat budgétaire permettra d’illustrer que, pour nous, ce ne sera pas 3,1 %, pas 3,2 %, pas 3 % en tendance, pas 3 % à peu près, pas 3 % si on peut, mais 3 %. »

J’ai salué ce propos. Toutefois, monsieur le Premier ministre, dans l’hypothèse où le taux de croissance ne serait pas de 0,8 %, où il serait sensiblement inférieur, voire, hélas ! dans le cas où la France serait en récession en 2013, votre gouvernement devrait alors prendre des mesures d’ajustement afin de bien atteindre le taux de 3 %.

Je suis d’accord avec vous au moins sur un point, monsieur le Premier ministre : revenir à l’équilibre des finances publiques, faire refluer la dette n’est pas un choix dicté par Bruxelles, c’est une question de responsabilité et de souveraineté nationales. Pour en avoir la démonstration, il suffit de se rendre de l’autre côté de la Manche, comme je l’ai fait il y a quelques jours, rencontrant en particulier le ministre du budget du Royaume-Uni.

Ce pays, qui a gardé pleine latitude en matière de politique monétaire, n’en connaît pas moins une récession économique pire que la nôtre. Il doit pratiquer une politique budgétaire encore plus restrictive que celle de la France. Cependant, pour d’autres raisons, le Royaume-Uni connaît un taux de chômage plus faible que la France.

Si l’on doit saluer l’objectif que vous avez fixé, ce qui, bien entendu, n’entraîne pas, loin de là, adhésion au chemin que vous empruntez pour l’atteindre, il faut aussi se féliciter, monsieur le Premier ministre, d’une certaine conversion de votre part et de la part de vos amis.

Le même Pierre Moscovici, dans une tribune publiée dans Libération en août 2011, écrivait : « La désormais fameuse règle dite "d’or" […] est juridiquement inutile, matériellement abusive et politiquement mensongère ». (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UCR.)

Or nous savons bien que le projet de loi constitutionnelle de l’an dernier était sensiblement plus souple, qu’il allait moins loin que n’ira le projet de loi organique que vous nous soumettrez dans quelques semaines.

Nous gardons aussi en mémoire le débat que nous avons eu en début d’année sur le Mécanisme européen de stabilité, le MES. J’ai encore à l’oreille le son de la voix du rapporteur général de l’époque, Nicole Bricq (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.), qui appelait à l’abstention, alors que son avis personnel était peut-être différent… (Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, sourit.)

Mais, heureusement, les voix de l’UMP étaient là pour voter le Mécanisme européen de stabilité ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)