compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Engagement des forces armées au Mali

Lecture d'une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’engagement des forces armées en réponse à la demande d’intervention militaire formulée par le président du Mali, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous donner lecture du message que M. le Premier ministre m’a demandé de vous lire. J’ajouterai ensuite quelques brefs commentaires et répondrai, à l’issue du débat, aux différentes interventions.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, depuis plusieurs années, la montée du terrorisme au Sahel est une source croissante de préoccupation.

« La dégradation de la situation au Mali, en 2012, a hélas confirmé que les pires scénarios étaient possibles.

« L’assaut des groupes terroristes, qui ont conquis une partie du territoire de ce pays, a provoqué une profonde déstabilisation de l’État malien, une atteinte inacceptable à sa souveraineté et la constitution d’un sanctuaire terroriste, à près de deux mille cinq cents kilomètres de notre territoire.

« C’est toute une région, déjà vulnérable, dont la sécurité et la stabilité sont mises en danger. C’est une menace qui pèse sur l’Europe et sur la France.

« À la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, au mois de septembre dernier, le Président de la République avait averti que la situation créée par l’occupation d’un territoire au nord du Mali par des groupes terroristes était insupportable, inadmissible et inacceptable, non seulement pour le Mali, mais également pour tous les pays de la région et, au-delà, pour tous les États qui font preuve de détermination dans la lutte contre le terrorisme.

« La France a donc agi pour mobiliser la communauté internationale et, nous pouvons l’affirmer, nos initiatives diplomatiques ont porté leurs fruits.

« Après deux premières résolutions, le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé, le 20 décembre dernier, le déploiement d’une force africaine de stabilisation, la MISMA, la Mission internationale de soutien au Mali.

« L’Union européenne a, quant à elle, décidé d’une opération de soutien, dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune.

« C’est probablement pour y faire obstacle que, pour la première fois, les groupes terroristes présents au nord du Mali, AQMI, le MUJAO et Ansar Eddine, ont regroupé leurs forces afin de lancer l’offensive contre les villes commandant l’accès à Mopti à l’Est, et à Ségou à l’Ouest, en direction de Bamako.

« Dès le 9 janvier, le président du Mali a lancé à la France une demande d’assistance militaire. La prise de Konna le 10 janvier a achevé de nous convaincre, s’il en était besoin, que nous étions bien devant une agression caractérisée, mettant en jeu l’existence même de l’État malien, et que les forces armées maliennes n’avaient pas les moyens d’y résister seules. Le Conseil de sécurité a confirmé cette menace directe pour la paix et la sécurité internationales, dès le 10 janvier.

« Le Président de la République a donc décidé, le 11 janvier, que la France devait intervenir militairement, en appui aux forces armées maliennes.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, face à des adversaires dangereux, bien équipés et déterminés, la France poursuit des objectifs parfaitement clairs. Je souhaite à nouveau les rappeler devant vous.

« Premier objectif : arrêter l’avancée des groupes terroristes vers Bamako.

« Deuxième objectif : préserver l’existence de l’État malien et lui permettre de recouvrer son intégrité territoriale.

« Troisième objectif : favoriser l’application des résolutions internationales à travers le déploiement de la force africaine de stabilisation et l’appui aux forces armées maliennes dans leur reconquête du Nord.

« Le Président de la République l’a affirmé avec détermination : notre intervention durera le temps nécessaire pour atteindre ces objectifs. Les moyens engagés y répondront strictement.

« Aujourd'hui, 1 700 militaires français sont engagés dans l’opération Serval, dont 800 sur le territoire malien. Notre dispositif aérien est composé de douze avions de chasse et de cinq ravitailleurs. Notre dispositif terrestre comprend un état-major tactique, deux compagnies de combat et un escadron blindé. L’ensemble de nos moyens continue à monter en puissance.

« Leurs efforts se concentrent, d’une part, sur l’aide aux forces armées maliennes, pour arrêter la progression des groupes terroristes, en combinant une action aéroterrestre des forces spéciales, engagées dès les premières heures, des frappes aériennes et un appui par des unités terrestres. Les premiers éléments des compagnies françaises arrivées à Bamako ont commencé leur progression vers la zone de combat.

« Les efforts portent, d’autre part, sur les actions aériennes mobilisant nos avions de chasse basés à Ndjamena ou en métropole. Elles visent, dans la profondeur, les bases arrière des groupes terroristes, pour leur infliger les pertes les plus importantes possible, et neutraliser leur capacité offensive sur l’ensemble du territoire malien.

« À cet égard, il ne saurait être question de figer l’actuelle ligne de front, qui n’est rien d’autre que le résultat d’une division artificielle du Mali et d’un rapport de force que nous avons précisément la volonté de modifier.

« La France agit à la demande des autorités légitimes du Mali, qui lui ont lancé un appel à l’aide. Elle s’inscrit dans le respect de la Charte des Nations unies et de son article 51, en parfaite cohérence politique avec les résolutions du Conseil de sécurité.

« Le Secrétaire général des Nations unies a d’ailleurs salué notre réponse à la demande souveraine du Mali. Au Conseil de sécurité, une grande majorité d’États membres a expressément rendu hommage à la rapidité de notre réaction. Son opportunité et sa légalité ne sont pas contestées.

« De fait, la France n’est pas seule.

« Notre décision bénéficie d’un large soutien international. Elle a été accueillie avec soulagement par les États africains, unanimes, et qui sont prêts à se mobiliser. L’Algérie nous a accordé les autorisations de survol nécessaires et les dirigeants algériens nous ont dit qu’ils avaient fermé la frontière avec le Mali.

« Nos partenaires européens sont eux aussi au rendez-vous, en mettant à notre disposition d’ores et déjà des moyens logistiques de transport ou de ravitaillement en vol. Le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et le Danemark devraient très rapidement être rejoints par d’autres.

« Nous pouvons aussi compter sur le soutien des États-Unis et du Canada, sans compter les propositions que nous recevons d’autres pays.

« Mais, si nous sommes intervenus en urgence pour éviter un effondrement du Mali, qui aurait rendu vaine toute initiative internationale, nous n’avons pas vocation à rester durablement en première ligne. Notre opération n’est pas une fin en soi.

« La priorité consiste à accélérer le déploiement de l’opération africaine, qui doit aider les autorités maliennes à reprendre le contrôle de leur pays.

« D’ores et déjà, un échelon précurseur de l’état-major de la force africaine, la MISMA, est arrivé à Bamako. De nombreux contributeurs de troupes ont exprimé leur volonté de participer à cette opération. Je pense au Nigeria, au Sénégal, au Bénin, au Burkina Faso, à la Côte d’Ivoire, au Niger, au Tchad, au Togo, et d’autres pays vont suivre. En conséquence, les premières troupes africaines devraient être en mesure d’arriver à Bamako, d’ici à la fin de la semaine.

« Une réunion des chefs d’état-major de la CEDEAO se poursuit actuellement dans la capitale malienne et un sommet de l’Organisation aura lieu à Abidjan, le 19 janvier, où le Président de la République a demandé au ministre des affaires étrangères de le représenter. Il s’agit d’autant d’occasions de poursuivre la mobilisation africaine et de préparer le déploiement opérationnel de la MISMA.

« La France se mobilise également, avec ses partenaires, pour accélérer la mise en place de l’opération européenne EUTM-Mali, qui apportera les indispensables soutiens en matière de logistique et de formation.

« Mme Ashton, dont je salue la contribution, a convoqué demain, à Bruxelles, une session extraordinaire du Conseil des ministres des affaires étrangères. La France souhaite que cette réunion permette de créer effectivement EUTM-Mali, d’en désigner le commandement et d’envoyer, dès les prochains jours, une équipe de précurseurs sur le terrain. Lors de cette réunion seront également examinées les réponses à apporter – c’est fort important – à la situation humanitaire sur le terrain, qui est grave.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, ont été évoquées hier les mesures adoptées par le Gouvernement, dans le cadre du plan Vigipirate, pour renforcer la sécurité du territoire national, notamment la sécurité des transports et des bâtiments publics, ainsi que des lieux de culte.

« La même attention est portée à la situation de nos quelque 6 000 compatriotes qui résident au Mali, et que nous avons encouragés, pour ceux dont la présence n’était pas indispensable, à ne pas demeurer dans ce pays, sans pour autant procéder à leur évacuation. La présence de nos forces offre naturellement une protection à notre communauté.

« Enfin, comme nous l’avons fait ces derniers jours, nous devons évoquer la situation de nos otages et l’angoisse de leurs familles, dont nous sommes tous pleinement solidaires. Mais, une fois encore, n’oublions pas que ce sont ceux-là mêmes qui détiennent nos otages qui voulaient s’emparer de la totalité du Mali. Ne rien faire n’aurait évidemment pas contribué à leur libération.

« Dans ces circonstances, je sais pouvoir compter sur l’unité de l’ensemble des forces politiques de notre pays pour soutenir l’action du Président de la République et du Gouvernement.

« Nous le devons à nos soldats qui, au péril de leur vie, sont engagés sur un terrain difficile aux côtés de l’armée malienne.

« À nouveau, je veux saluer leur courage et leur professionnalisme, qui forcent l’admiration. J’ai présidé hier l’hommage solennel rendu par la Nation au chef de bataillon Boiteux et renouvelle toute ma solidarité à l’égard de sa famille.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, comme pour toute démocratie, l’engagement de nos forces armées est une décision grave.

« Mais, nous pouvons aujourd’hui le constater, notre intervention a manifestement changé la donne.

« Sur le terrain, nous sommes parvenus à arrêter l’offensive des groupes terroristes dès le 11 janvier à l’Est et, depuis mardi, à l’Ouest.

« À Bamako même, les institutions de transition, qu’il s’agisse du Président ou du Premier ministre, sont confortées.

« C’est un élément essentiel. Car, nous en avons la conviction et la volonté, une paix durable au Mali passe bien sûr par une solution de nature politique, c’est-à-dire l’adoption d’une feuille de route de la transition, qui ouvre la perspective d’élections démocratiques organisées sur l’ensemble du territoire malien.

« D’après les indications recueillies à Bamako, le Premier ministre Cissoko souhaite aller vite : il a déjà consulté les partis politiques sur la feuille de route qui sera prochainement présentée au conseil des ministres malien, puis au Parlement. Une cellule de suivi sera créée pour en assurer la mise en œuvre.

« La donne devrait également changer entre le sud et le nord du Mali. Le retour à l’intégrité territoriale devra s’accompagner d’une négociation destinée à établir les modalités d’une paix durable, entre toutes les composantes du Mali, sur tout son territoire, à l’exception bien sûr des groupes terroristes.

« Notre ambition est également de donner une nouvelle perspective de développement au Mali, et à toute cette région de l’Afrique. Car il n’y aura pas de stabilisation durable du Mali sans perspective d’avenir pour sa population.

« D’ores et déjà, je salue l’intention de la Commission européenne de reprendre son aide budgétaire au Mali, qui représente un apport de près de 100 millions d’euros. La France reprendra évidemment son aide bilatérale, dès la feuille de route de la transition adoptée.

« Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, en décidant de répondre à l’appel au secours du Mali, la France a montré sa détermination à lutter contre le terrorisme.

« Dans ces moments difficiles, et alors que nos troupes sont engagées à l’étranger, l’unité de la Nation est un atout irremplaçable. Je salue l’esprit de responsabilité dont les forces politiques ont témoigné depuis le 11 janvier.

« Face à la menace des groupes terroristes, la détermination du Gouvernement ne faiblira pas. »

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la déclaration que m’a demandé de vous lire M. le Premier ministre.

J’ajouterai, avant de vous écouter et de répondre à vos questions au nom du Gouvernement, trois messages courts.

Le premier, c’est de dire que cette opération n’est pas sans risque. Il faut le reconnaître.

Mais le plus grand risque aurait été de ne pas agir. Car il n’y aurait alors plus eu de Mali, sinon un État terroriste.

Le deuxième, c’est pour me faire l’écho, tout comme vous sans doute, de la satisfaction, et même de l’émotion extraordinairement forte, non seulement des Maliens eux-mêmes, qu’ils résident au Mali ou chez nous, mais aussi de l’ensemble de la communauté africaine devant l’intervention nécessaire et urgente de la France. Partout, le rôle de la France a été salué, et je pense que cette image doit demeurer dans nos esprits.

Enfin, comme cela vient d’être dit, je veux personnellement, et au nom du Gouvernement, saluer le choix qui a été le vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs. On critique souvent la politique ou les politiques, mais, dans ces circonstances graves, les sénateurs comme les députés ont montré qu’ils savaient être à la hauteur des grandes décisions. Pour le Président de la République et le Gouvernement, pour l’ensemble du pays comme pour la communauté internationale, il s’agit évidemment d’une contribution de première grandeur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur de nombreuses travées du groupe CRC et sur certaines travées du RDSE, et sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.

Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en introduction, je voudrais tout d’abord me féliciter, et féliciter le Gouvernement, de la tenue de ce débat. Il faut le dire avec honnêteté : c’est un des acquis de la révision constitutionnelle de 2008, dont le texte équilibré permet tout à la fois au Gouvernement d’agir et au Parlement d’être informé. Certains oublient l’avancée significative qu’a pu constituer ce texte ! Faut-il préférer un système « à l’allemande », où le Bundestag doit autoriser les moindres faits et gestes du gouvernement en matière de défense ? Ma réponse est toute simple : cinq heures après la décision du Président, nos soldats étaient au combat.

Les polémiques me semblent stériles et vaines à l’heure du rassemblement républicain autour de nos forces armées.

Notre diplomatie et notre défense ont été à la hauteur de l’urgence, et ont été fidèles, je ne crains pas de le dire, à l’image que je me fais de la France, membre permanent du Conseil de sécurité, pays qui dispose d’une vision globale des enjeux internationaux. Je salue l’action du Président de la République, qui a su prendre lucidement des décisions courageuses. C’est la France qui a fait prendre conscience à la communauté internationale de la gravité de la situation. C’est la France qui a été la cheville ouvrière des trois résolutions des Nations unies. C’est la France, aussi, qui a su mobiliser ses partenaires européens. Nous avons su agir en temps utile.

Quels sont les enjeux de l’intervention au Mali ? Ce qui se produit au Nord-Mali n’est pas un défi pour les autorités de ce pays seulement ; c’est une menace pour toute l’Afrique de l’Ouest, pour le Maghreb, pour l’Europe et pour le monde. Le Mali, qui a sept frontières, est une clé dans la zone. Le « nid de frelons » d’AQMI dans le désert sahélien ne cessait d’étendre son champ d’action, y compris vers le Sud, avec les liens qui l’unissent à Boko Haram. Quand un territoire grand comme une fois et demie la France est maîtrisé par des groupes terroristes, alors nous sommes devant une menace qui concerne l’ensemble du monde.

Nous ne pouvons pas supporter ces mains coupées, ces femmes violées, ces enfants déplacés, ces hommes lapidés, ces soldats-enfants embrigadés. Nous ne pouvons pas admettre que des monuments qui représentent les trésors de l’humanité soient mis en pièces. Nous ne pouvons pas accepter que le terrorisme et le narcotrafic puissent se structurer sur un territoire. Nous ne pouvons admettre que les preneurs d’otages soient les maîtres du Mali. Nous ne pouvons laisser proliférer le risque de contagion sur le territoire européen.

La France a agi sous mandat de la communauté internationale. Elle a su prendre ses responsabilités au service du rétablissement de la paix et de l’intégrité du Mali.

Est-ce que ce sera facile ? Vous le savez au moins aussi bien que moi, mes chers collègues : un engagement militaire n’est jamais une formalité. Quand une guerre est lancée, elle a sa logique propre, qui échappe parfois à notre volonté. Nous savons que ce sera difficile. Le sacrifice de la vie de nos soldats, à qui je rends ici hommage, aux premières heures de l’intervention, vient nous le rappeler cruellement.

Nous faisons face à des troupes aguerries, fortement armées, extrêmement mobiles, bien entraînées et fanatisées, qui se diluent dans le désert, et qui savent mener des combats structurés dans une région hostile qui leur est familière, au cœur d’un immense désert au relief accidenté. Nous connaissons la difficulté et les pièges de la guerre « asymétrique ». J’ai confiance dans le professionnalisme, la qualité et la compétence de nos forces armées, qui ont su montrer, sur d’autres théâtres non moins exigeants, leur valeur. Je leur redis aujourd’hui avec force ma confiance, mon respect, mon estime, notre confiance, notre respect, notre estime.

Devons-nous rester seuls ? Naturellement pas ! Nous agissons dans le cadre strict de la légalité internationale, conformément à la Charte des Nations unies et à la résolution 2085. Cette intervention est tout sauf une « aventure » française ! Nous avons reçu le soutien, politique et pratique, de nombreux partenaires, du Conseil de sécurité, de l’Union européenne, de l’Union africaine, de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO.

Oui, l’Algérie, pays ami, pays central, a un rôle clé dans la résolution de cette crise. Son soutien actif nous est indispensable. Oui, les capacités de renseignement, de communication, de ravitaillement en vol ou de transport de troupes de nos partenaires nous seront très utiles. Oui, la France n’a pas vocation à agir seule, car elle n’agit pas pour son propre compte.

La force africaine, la MISMA, est en cours de constitution – vous venez de nous le rappeler, monsieur le ministre des affaires étrangères. Après l’urgence de l’intervention, la priorité doit être de l’amener à son niveau opérationnel le plus rapidement possible. L’Union européenne doit jouer un rôle central pour la mission de formation de l’armée malienne, qui devrait aussi être accélérée. Monsieur le ministre, peut-être nous donnerez-vous des éléments de calendrier ?

La sécurité de l’Afrique doit être, bien sûr, assurée par les Africains. Je me félicite donc de l’action de l’Union africaine et de la CEDEAO. Nous touchons du doigt l’importance de notre coopération de défense structurelle avec les pays africains, de nos écoles de maintien de la paix et de notre formation des cadres militaires africains, actions qui disposent pourtant dans notre budget de crédits dérisoires, très insuffisants ! (Mme Nathalie Goulet s’exclame.) Nous le disons depuis longtemps, mais, aujourd’hui, cela résonne de façon particulière…

Certains nous disent : il aurait fallu négocier ! Bien sûr ! Mais négocier avec qui ? S’il s’agit de forces politiques qui veulent prendre leur part dans la construction d’un avenir démocratique au Mali, oui ! Mais négocier avec des groupes terroristes, il ne peut pas en être question. L’offensive terroriste au Sud a fait tomber les masques : nous avions hélas raison sur Ansar Eddine, qui n’a cessé de souffler le chaud et le froid, pour finalement révéler son vrai visage, celui de terroristes odieux prônant l’application de la charia sur tout le territoire malien et asservissant les populations.

Le Mouvement national pour la libération de l’Azawad, le MNLA, dont nous avons reçu les représentants il y a un mois et demi au Sénat, est évidemment un acteur incontournable pour la résolution dans le long terme de la « question du Nord », maltraitée depuis des décennies. Mais il est aujourd’hui fragilisé. Bien sûr, nous appelons à la reprise du processus démocratique, à une solution négociée, à une résolution institutionnelle de la question du Nord-Mali, mais quand « la maison brûle », pardonnez-moi de le dire de cette façon, il faut d’abord éteindre l’incendie.

Au-delà de l’urgence sécuritaire, le processus politique de normalisation à Bamako mais aussi le processus de réconciliation inter-malienne doivent reprendre. Il reste plus que jamais essentiel que les Maliens adoptent le plus rapidement possible une feuille de route et créent une structure de négociation avec les groupes armés qui se dissocient du terrorisme. Et cela commence ! Nous ne pourrons pas rebâtir la démocratie malienne à la place des Maliens ! Le Président Hollande l’a dit hier, Laurent Fabius l’a répété tout à l'heure : la France n’a pas vocation à rester !

Est-ce qu’il nous fallait privilégier le développement sur la guerre ? Oui, certainement ! Seule une solution globale, où le développement du Nord, trop longtemps négligé en dépit des promesses et des accords passés, permettra la paix à long terme. Mais nous savons aussi que le développement est impossible sans sécurité et sans démocratie. Notre action militaire ne nous dispensera pas de repenser notre politique de développement pour tout le Sahel. La France et l’Europe s’y emploient avec la « stratégie de l’Union européenne pour la sécurité et le développement au Sahel ». La première urgence sera de dominer la crise alimentaire. La seconde urgence concernera les personnes déplacées : des centaines de milliers dans toute la sous-région. Notre responsabilité est d’agir sur les deux fronts à la fois : éradiquer la menace et trouver les moyens d’une solution de long terme.

Je voudrais, pour conclure, vous livrer deux réflexions.

La première concerne les conséquences de cette intervention – pardon d’y faire référence, mais c’est tellement d’actualité ! – sur le format et les équipements de notre armée. (M. Alain Gournac acquiesce)

À l’heure où la commission du Livre blanc tient ses dernières réunions, fait ses derniers arbitrages, à l’heure où l’avenir de notre défense va se jouer dans la prochaine loi de programmation militaire, la crise malienne fait la démonstration de la nécessité de disposer de moyens capables de faire face à la diversité des situations et des menaces : un éventail capacitaire large, des forces bien préparées, bien équipées et capables de durer. Ces qualités sont encore celles de notre armée. Elles permettent à la France de concrétiser sa volonté. Cependant, chers collègues, ne baissons pas la garde ! Notre commission l’a affirmé à maintes reprises : le format de nos armées est à un niveau, pardon de le dire ainsi, « juste insuffisant ». En deçà, nous encourrions le risque d’un déclassement.

Nous avons aujourd’hui la démonstration que la défense ne doit pas servir de variable d’ajustement budgétaire ! (M. Robert del Picchia applaudit.) Le Président de la République l’a récemment affirmé, je le rappelle, avec beaucoup de force.

Diminuer nos moyens militaires, ce serait diminuer notre place dans le monde, ce serait perdre en crédibilité internationale. Les dépenses de défense ne sont pas des dépenses publiques comme les autres ! Elles sont les garantes de la sécurité de nos concitoyens, et la condition du développement de notre pays. Ne l’oublions pas ! Ce sont aussi elles qui, à l’heure du redressement du pays, portent les ruptures technologiques et l’innovation qui se diffusent ensuite dans tout le tissu économique déterminant. Je ne doute pas que cette intervention militaire ne nous fasse mieux prendre conscience, collectivement, de ces enjeux majeurs.

Ma dernière réflexion porte sur l’impact de cette intervention sur l’Europe de la défense.

Notre commission sénatoriale travaille avec ses homologues du « triangle de Weimar plus » sur la préparation du Conseil européen de décembre prochain, qui sera déterminant pour l’Europe de la défense.

Notre action au Mali, et les suites qui lui seront données, mesdames et messieurs les ministres, sont une occasion de construire et de relancer l’Europe de la défense par des réalisations concrètes et par l’affirmation de notre communauté d’intérêt et donc de notre solidarité.

À cet égard, c’est ensemble que les Vingt-Sept ont décidé, fin décembre, d’assurer la formation de l’armée malienne. Dès le lendemain du lancement de l’intervention militaire, Laurent Fabius le rappelait, c’est ensemble que les États membres de l’Union européenne nous ont apporté un soutien sans réserve. La France a reçu un appui technique de plusieurs pays, notamment du Royaume-Uni. L’Allemagne, qui enverra à Bamako un contingent de formateurs, apporte un soutien logistique. Et, monsieur le ministre des affaires étrangères, je crois avoir compris que demain se tiendrait un conseil des ministres des affaires étrangères européen. Je pense que ce sujet sera à l’ordre du jour.

Il nous faut poursuivre dans cette voie de manière pragmatique, en accentuant nos efforts de partage et de mutualisation des équipements et des capacités. Ces enjeux sont ceux de l’Europe concrète, mes chers collègues, ceux de l’Europe qui avance, au quotidien. C’est la méthode qui a été utilisée, et pour moi, c’est la bonne ! Nous la soutenons. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)