M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, six jours après la décision du Président de la République d’une intervention militaire au Mali, le Gouvernement engage ce débat en application de l’article 35 de la Constitution.

Nous souhaitons tout d’abord vous faire part de notre satisfaction pour la mise en œuvre de cette disposition constitutionnelle, qui permet l’information la plus précise des parlementaires au moment où nos forces armées sont engagées dans un conflit sensible.

Vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, avec précision, la chronologie des faits qui ont conduit à cette décision du Président de la République. Depuis des années, en effet, la présence de mouvements terroristes s’est intimement mêlée à l’ancienne revendication touareg pour aboutir à une double constatation : le Mali a perdu sa souveraineté sur la moitié nord de son territoire ; le Nord-Mali est devenu un véritable sanctuaire pour des djihadistes, cachant sous de prétendues convictions religieuses toutes sortes de trafics et constituant ainsi une très lourde menace pour les pays voisins, pour la France et pour l’Europe tout entière.

Alors que s’organisait avec difficulté la mise en place de la force africaine de stabilisation prévue par la résolution 2085 du Conseil de sécurité, les mouvements djihadistes ont opéré une convergence et se sont mis en mouvement afin d’empêcher la stratégie des Nations unies. Face au peu de résistance opposée par les forces armées maliennes et à l’instabilité politique qui règne au sein du régime malien depuis des mois, le risque était grand d’assister à l’implosion brutale du Mali tout entier et de voir s’installer, au cœur même de l’Afrique, un régime terroriste menaçant l’ensemble du Sahel, une partie du continent africain et, à terme, l’Europe.

Dès lors, c’est à bon droit que le Président de la République a pris la difficile décision d’engager nos forces armées. C’est donc sans ambiguïté que le groupe UMP apporte son soutien à cet engagement.

Par ses liens historiques avec le continent africain, par l’action qu’elle mène au titre de la coopération et du développement, la France se devait de prendre une part prépondérante afin de sauver cet État ami, d’assurer la sécurité des 6 000 Français qui y résident et de poursuivre la recherche inlassable des huit otages français qui, depuis trop longtemps, vivent l’enfer.

À cet instant, notre pensée va d’abord vers eux et vers leurs familles, comme nous pensons aussi, avec tristesse et consternation, au sort qui a été réservé au soldat français tué lors de l’assaut et à Denis Allex, l’otage vraisemblablement assassiné lors de l’opération de sauvetage qui a malheureusement échoué en Somalie.

Notre pensée va aussi vers le lieutenant Damien Boiteux, qui a péri au Mali aux premières heures de l’offensive en s’opposant courageusement à la progression des bandes armées terroristes.

Enfin, nous voulons assurer nos troupes françaises et leurs alliés de notre soutien sans faille et de notre admiration. Les Français doivent savoir que c’est aussi pour leur sécurité que ces femmes et ces hommes se battent. Que nos soldats en soient remerciés !

Si notre approbation vous est acquise, monsieur le ministre, elle n’est cependant ni aveugle ni béate. Elle se veut responsable et lucide. Pour avoir déjà connu l’engagement de nos forces au Liban, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, et en Libye, la France est hélas bien placée pour mesurer tous les risques qui pèsent sur une telle opération ! Le devoir de la représentation nationale à travers ce débat est de vous inviter à ne pas tomber dans le piège malheureusement inhérent au choix courageux que vous avez fait.

Les risques, nous les connaissons, et, lentement, au fil des jours, ils vont apparaître : risques d’enlisement, risque d’isolement, risque, enfin, pour la sécurité même de notre territoire si une solution politique ne vient pas rapidement se substituer au bruit des armes.

Le risque d’enlisement est bien celui qui nous menace le plus : on le constate chaque jour avec inquiétude. C’est une guerre différente qu’il faut livrer. C’est une guerre où la technologie la plus sophistiquée de nos armes peut être chaque jour mise en défaut par les pratiques de guérilla sur un territoire immense que maîtrisent parfaitement ces terroristes. Pour prendre Konna, ils ne sont arrivés ni avec des chars, ni même avec des pick-up, mais en autobus, se mêlant d’abord à la population puis faisant soudain usage de leurs armes. Quel Livre blanc va nous livrer les bonnes solutions, quelles armes décisives vont permettre à nos troupes de débusquer les djihadistes désormais noyés au sein des populations locales ? Et lorsque nous aurons reconquis ces villes et ces villages, qui en assurera ensuite la gouvernance ? La faiblesse ou l’inexistence des autorités locales fait craindre le pire. Certes, il y aura la MISMA, la force africaine de stabilisation. Mais croit-on réellement que des soldats ouest-africains imposeront leur autorité à Kidal, en plein fief touareg ? Et là le risque est grand de voir maintenues pendant longtemps, très longtemps, des forces françaises afin d’empêcher le retour des insurgés.

Nous n’avons pas la capacité de maîtriser dans la durée un territoire plus grand que la France et aussi accidenté que l’Afghanistan. Chacun le sait, cela n’est ni possible, ni même souhaitable. Prenons garde de ne pas nous faire entraîner dans cette voie-là.

Le risque d’isolement n’est pas moindre. La France ne peut pas porter seule toute la lutte contre le terrorisme. Nous n’en avons pas les moyens ni la vocation. La relation de la France avec ses partenaires africains doit être fondée sur le transfert aux Africains de leurs propres dispositifs de sécurité. On en voit malheureusement aujourd’hui les limites.

À l’heure actuelle, nous intervenons ; mais nous intervenons presque seuls. Une fois de plus, l’Union européenne vient de montrer qu’elle n’est pas tout à fait au rendez-vous. L’Europe n’est pas en capacité d’avoir une politique et des moyens d’action communs vis-à-vis du flanc sud du continent. Et nous n’avons visiblement pas converti l’Europe à l’Afrique. Il est vrai que nous recevons de nombreux concours logistiques, des moyens de transport de troupes qui nous font toujours défaut, mais de soldats expérimentés susceptibles de participer activement à cette opération, nous n’en voyons pas venir.

Il faudra en tirer les leçons, d’abord, pour notre propre politique de défense au moment – M. le président de la commission vient de le rappeler – où nous finalisons le Livre blanc. Pour l’Europe ensuite, à quelques jours du cinquantième anniversaire du traité d’amitié franco-allemand : il nous faudra dépasser notre déception et donner enfin une nouvelle ambition à la coopération franco-allemande.

Les États-Unis nous apportent leurs encouragements et un soutien non négligeable pour le renseignement et la logistique. Mais au regard de notre propre engagement à leurs côtés en Afghanistan, est-ce bien suffisant ? L’Algérie, enfin, va peut-être commencer à jouer le rôle essentiel qui doit absolument être le sien. Les nouvelles d’aujourd'hui vont dans le bon sens. Forte d’une armée de 400 000 hommes, elle est en vérité la seule puissance militaire de la région. Fermer ses frontières, autoriser le survol de son territoire, tout cela est utile. Mais on peut s’interroger sur des attitudes ambiguës du passé. Et si la presse algérienne, qui, certes, change de ton, semble redouter des relents de néocolonialisme dans la présence militaire française actuelle au Mali, il faut que l’Algérie, avec l’aide et le soutien de la France, prenne toute sa part dans la résolution de ce conflit, car c’est sa propre stabilité qui est aussi en jeu.

Risque, enfin, d’une absence de solution politique durable. Le bruit des armes n’a qu’un temps. Il faudra très vite que la France et ses partenaires aident le Mali et ses voisins à élaborer une solution politique durable. Celle-ci devra prendre en compte non seulement les revendications anciennes des communautés touareg, mais aussi l’aspiration des populations maliennes à une société plus soucieuse de lutte contre la pauvreté que de luttes politiciennes internes. À défaut d’une telle politique, l’actuelle opération militaire aura été menée pour rien. Et tout recommencera. De surcroît, le terrorisme sera exporté sur le sol français, les djihadistes souhaitant se venger des échecs et des destructions que nous leur faisons subir. Ce qui vient de se passer aujourd'hui même dans le sud de l’Algérie est déjà un signe inquiétant.

Pour notre part, nous ne ferons pas non plus l’économie d’une révision de notre politique de développement vis-à-vis du Mali et des seize autres pays prioritaires en matière de coopération française. C’est en effet sur le terreau du sous-développement que prospèrent les mouvements révolutionnaires, qui proposent l’instauration de toutes sortes de trafics comme seule réponse à la pauvreté.

Le Mali figure parmi les pays les plus pauvres de la planète. L’espérance de vie moyenne y est inférieure de vingt ans à celle des citoyens des pays européens. Un enfant qui naît au Mali a cinquante fois plus de risques de mourir avant cinq ans qu’un petit Français. Or à ne pas considérer les pays d’Afrique subsaharienne comme une priorité absolue dans le domaine de notre aide au développement, de même que toute l’Europe, nous portons une part de responsabilité dans leur désagrégation. Monsieur le ministre chargé du développement, la future loi de programmation sur le développement devra procéder à ce réexamen.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, telles sont les raisons pour lesquelles le soutien des membres du groupe UMP à l’intervention de la France au Mali est certes total, mais aussi lucide. Au moment où, hélas ! certaines autres initiatives nationales du Gouvernement ne vont pas dans le sens de l’apaisement (M. Charles Revet s’exclame.), nous vous assurons néanmoins de notre entière solidarité dans ce conflit, car, au Mali, c’est de nos valeurs communes qu’il s’agit et c’est pour la paix du monde qu’ensemble nous nous battons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos premières pensées vont aux victimes et au soldat Boiteux, disparu dès le début de l’offensive menée au Mali. Nous témoignons notre solidarité aux otages et à leurs familles, dont nous ne pouvons imaginer l’angoisse.

Depuis le vendredi 11 janvier, la France est en guerre. Il s’agit d’une action grave, potentiellement lourde de conséquences, décidée, comme il y va de sa responsabilité, par le Président de la République.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen n’ont jamais considéré l’entrée de leur pays dans un conflit comme une victoire annoncée, comme une solution positive à une situation donnée, quelle qu’elle soit. Ils considèrent que le choix des armes est toujours le résultat d’un échec, qu’il soit économique, social, culturel, ou encore diplomatique et politique.

Trop souvent, la guerre laisse une situation dégradée ; elle meurtrit toujours les populations et enracine les haines.

Ces propos ne sont pas tenus par une pacifiste béate ou idéaliste ; ils sont le résultat de l’analyse lucide de l’histoire ancienne ou récente.

Oui, nous pensons toujours que la guerre n’est pas une fatalité et que la résolution des conflits devrait être le résultat d’un travail diplomatique considérable effectué en amont pour négocier, débattre, désamorcer les tensions.

L’exemple malien est édifiant. C’est le résultat d’une catastrophe annoncée, qui a mené un pays, longtemps présenté comme une réussite démocratique africaine, à se déliter, son État à s’effondrer, la misère à s’y développer plus encore. Faut-il rappeler que le Mali est l’un des pays les plus pauvres du monde ?

Peut-on penser que tout a vraiment été entrepris pour construire une alternative à la déferlante islamiste qui est maintenant une réalité au Mali comme dans de trop nombreux pays ?

Du maintien du Mali dans un sous-développement économique, social et institutionnel à la suite d’une domination, pendant des décennies, de l’Occident et de sociétés multinationales, dont la préoccupation première n’était pas, on le sait, l’épanouissement des populations, résulte la crise que connaît ce pays.

Plus ponctuellement, et ce point doit être rappelé, la crise actuelle est la conséquence indirecte de l’intervention en Libye qui a permis la dissémination d’un arsenal considérable dans l’ensemble de la région.

Cette opération a également poussé des Touareg, déjà de longue date en rébellion contre l’État malien, à revenir sur leur terre d’une façon si précipitée qu’elle a ouvert le chemin de la déstabilisation.

Je le disais à l’instant, l’État malien s’est effondré. La déliquescence de son armée, depuis le coup d’État de 2012, a aussi contribué à laisser la voie libre aux groupes islamistes, dont certains d’entre eux sont terroristes.

Même si elle regrette cette situation, la France, qui a exercé et exerce encore une forme de tutelle sur la région, ne peut s’exonérer d’une certaine responsabilité dans cette terrible évolution.

Ces premières réflexions faites, la réalité s’impose à nous : des groupes armés, sous l’influence la plus radicale de l’islamisme combattant, certains directement liés à Al-Qaïda, comme AQMI, occupent depuis des mois le nord du pays, font régner la terreur, appliquent la charia. L’un des symboles de cette violence est la destruction du patrimoine historique que constituaient les mausolées soufis de Tombouctou.

Bien entendu, il faut faire la part des choses. La notion de groupe terroriste ne peut être appliquée à l’ensemble de ces mouvements. Il serait donc utile, monsieur le ministre des affaires étrangères, que vous nous décriviez, avec la précision qui vous caractérise, la réalité des adversaires que la France affronte aujourd’hui.

Qu’en est-il, par exemple, de la mouvance indépendantiste ou autonomiste touareg non liée historiquement avec l’islamisme radical ? Ne doit-on pas veiller, avec une grande vigilance, à ne pas faire d’amalgames qui pourraient servir de prétexte à des exactions contre les populations touareg, comme s’en est déjà rendue responsable dans le passé l’armée malienne ?

Cette force composite menée par des mouvances incontestablement menaçantes pour l’idéal de démocratie et de progrès a fait mouvement jeudi dernier vers Bamako, la capitale. Fallait-il laisser ces forces conquérir, au-delà de cette ville, l’ensemble du Mali ? La réponse est clairement : « Non ! » Il fallait empêcher dans l’urgence l’avancée de ces groupes, dont l’idéologie porte à instaurer des régimes despotiques d’une rare violence, en particulier à l’égard des femmes.

J’insiste également sur le fait que ces groupes s’appuient souvent sur une organisation de type mafieuse leur assurant un important financement issu du trafic de drogue ou d’armes. Le Sahel est ainsi devenu une gigantesque plaque tournante.

Nous approuvons donc cette décision d’éviter la prise de Bamako et d’empêcher l’avancée des groupes islamistes.

De plus, cette action de la France résulte d’une demande officielle d’intervention du président malien au titre de l’article 51 de la Charte des Nations unies. Elle reçoit d’évidence le soutien au Mali des populations et en France des Maliens et de leurs organisations. Elle obtient aujourd’hui une approbation sans ambiguïté de l’ensemble du Conseil de sécurité de l’ONU.

Au-delà des premiers résultats de cette intervention se pose la question de la suite qui devra y être donnée.

Hier, j’ai lu que des responsables américains redoutaient un enlisement rapide, comme en Afghanistan.

Que se passera-t-il si les djihadistes trouvent refuge dans les montagnes de l’ouest ?

L’annonce, par le Président de la République, d’un engagement militaire de notre pays jusqu’à la stabilisation du Mali vise, selon nous, une échéance bien lointaine, qui donne un cadre trop large et trop flou à notre intervention. Nous souhaitons donc que le présent débat soit l’occasion d’obtenir des précisions sur ce sujet.

Prenons garde que, au nom de la lutte contre le terrorisme d’obédience islamiste, cette guerre, qui risque d’être longue, ne nous rappelle fâcheusement le concept de guerre de civilisation porté par George Bush en 2001. Il faut travailler à isoler les groupes à proprement parler terroristes, qui sont minoritaires, tout en évitant, je le répète, tout amalgame avec des forces moins radicales qui se sont engagées dans ce conflit du fait de la déstabilisation du pays et de la région.

Nous soutenons la proclamation claire de l’objectif de reconstruction de l’État malien et de restauration de la démocratie.

Adopter uniquement la posture d’une déclaration de guerre à l’islamisme radical et au terrorisme serait dangereux et vain.

Si action politique, diplomatique contre l’islam radical, véritable fascisme de notre temps, il y a, elle doit être cohérente.

Qui finance certains groupes actifs au Mali si ce n’est le Qatar ? Doit-on se voiler la face ? Les groupes radicaux à l’œuvre en Libye, en Syrie, comme au Soudan ou en Palestine, soutiennent ou vont soutenir activement les forces que nous commençons à combattre au Mali.

Que fait notre diplomatie à l’égard des émirats, où le Président de la République vient de se rendre, à l’égard du Qatar ou de l’Arabie saoudite, régimes monarchiques et despotiques qui fondent leur influence sur leurs immenses richesses, pour les dissuader de continuer leur action au Proche-Orient ou au Moyen-Orient comme en Afrique visant à déstabiliser, à diviser et, finalement, à combattre les valeurs démocratiques, les valeurs de progrès et d’épanouissement ?

Monsieur le ministre des affaires étrangères, lorsque, en Arabie saoudite, les autorités wahabites décident de faire décapiter au sabre une employée sri lankaise immigrée, n’envoient-elles pas des signaux de haine et de violence qui se propagent dans le monde entier et au Mali ?

Nous demandons par conséquent avec force qu’une nouvelle cohérence anime la politique que nous menons vis-à-vis de l’islam radical.

Enfin, conformément aux engagements internationaux, nous demandons aussi que la présente intervention soit prise en charge par un nombre croissant de pays, aux premiers rangs desquels les pays africains.

La force d’intervention décidée par les Nations unies par la résolution 2085 doit devenir réalité au plus vite. Il faut à tout prix éviter que nous ne restions, un temps indéterminé, seuls en première ligne. Nous avons pris nos responsabilités, et il fallait le faire. Mais ce cavalier seul ne peut durer. C’est notre autorité politique et démocratique qui est en jeu, ainsi que notre sécurité.

Ce conflit, le drame malien, peut être un signal de plus donné quant à l’urgence du développement.

Afin de permettre à l’Afrique, qui possède toutes les richesses naturelles et humaines adéquates, de se développer, il faut cesser le pillage de ses matières premières et de ses compétences intellectuelles.

Ces mots, que beaucoup ont utilisés dans cette enceinte, doivent enfin se traduire par des actes, afin que l’Afrique ne compte pas un Mali puis deux, puis trois, avant l’embrasement de toute une région. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –  M. Jean Boyer applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto. (MM. Aymeri de Montesquiou et Jean-Marie Bockel applaudissent.)

M. François Zocchetto. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la puissance est une donnée relative. Toutefois, elle n’est pas sans entraîner certains devoirs. Aussi, je ne crois pas me tromper en affirmant que, chaque fois que la France met son appareil de défense et le courage de ses soldats au profit de la défense de la liberté, elle s’honore et respecte sa mission historique parmi les nations.

Au nom des sénateurs du groupe UDI-UC, je souhaiterais joindre notre voix à l’hommage rendu au lieutenant Damien Boiteux, qui a perdu la vie pendant les premières heures du conflit.

Progressivement, nos soldats reviennent d’une opération difficile en Afghanistan, longue de dix années et lourde de dizaines de pertes d’hommes irremplaçables.

Le nom du lieutenant Boiteux figure désormais sur la liste de nos concitoyens disparus lors du combat que la France a toujours mené pour la liberté.

Depuis son indépendance, le Mali est un ami indéfectible de la France.

Nous comptons plus de 100 000 ressortissants maliens sur notre territoire et nombre de citoyens français restent attachés, par le biais de leur famille ou de leurs amis, à ce pays.

Le Mali s’est également imposé depuis de nombreuses années comme la terre d’accueil d’un nombre important de nos concitoyens, qui se sont installés à Bamako ou ailleurs.

Forte de ces liens profondément enracinés, la France ne pouvait que répondre vigoureusement à l’appel lancé par le président malien pour défendre son territoire et ses institutions menacés.

La crise catastrophique que traverse le nord du Mali depuis près d’un an est une plaie béante au cœur du Sahel. La conjugaison des forces des rebelles touareg revenus des rangs de l’armée de Kadhafi et des groupes islamistes qui alimentent tous les trafics entre la Mauritanie, l’Algérie, le Niger et même d’autres pays a eu raison de la stabilité et de la paix qui ont longtemps caractérisé le Mali.

En réalité, nous connaissons assez mal notre ennemi. Les rebelles nordistes sont un bataillon hétéroclite qui comporte aussi bien des Touareg laïcs que des terroristes islamistes, des criminels et des pillards en tout genre. Nous avons cependant une certitude : à Tombouctou, cité universitaire millénaire élevée au rang de patrimoine mondial de l’humanité, on coupe depuis plusieurs mois des mains, on excise, on viole, on pille et on tue impunément. Des exactions sans nom sont perpétrées sur un territoire plus vaste que la France. Des villes entières sont sous la coupe de la charia et d’organisations criminelles qui font peser un risque généralisé sur la stabilité de tous les États voisins du Mali et même sur la sécurité de la France et de l’Europe. Ne nous y trompons pas, le nord du Mali est situé à moins de trois heures d’avion du sud de la France. Nous n’imaginons pas ce que deviendrait la France si elle devenait la cible d’un sanctuaire terroriste. Nous ne pouvons pas laisser un nouvel Afghanistan apparaître au cœur de l’Afrique.

Ces groupes, financés à la fois par l’argent des trafics de stupéfiants, par l’immigration illégale et par le rançonnage, le rapt et le pillage, alimentent une sourde haine contre notre pays et contre tout ce qui ressemble de près ou de loin à l’expression de la liberté. C'est pourquoi, monsieur le ministre, les sénateurs du groupe UDI-UC ne peuvent que saluer la réponse du Président de la République à l’appel lancé par le Mali.

Le 16 janvier est malheureusement un jour anniversaire. En effet, le 16 janvier 2012 a eu lieu la première incursion des terroristes dans le territoire malien, avec la prise de Ménaka. Dès le 26 janvier 2012, lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, notre groupe avait, par la voix de Joël Guerriau, alerté le Gouvernement et suggéré une intervention rapide de nos forces armées. Peu de temps après, les places militaires de Tombouctou, Gao et Kidal sont tombées. Le problème n’est donc pas nouveau.

Douze mois ont passé depuis la prise de Ménaka. Sur un plan purement tactique, les six premiers jours d’intervention semblent positifs. Ce succès opérationnel s’accompagne toutefois d’un certain nombre d’incertitudes. De nombreuses questions demandent des réponses et justifient le recours à la procédure prévue à l’article 35 de la Constitution.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué une intervention rapide, de l’ordre de quelques semaines. Mais ne risquons-nous pas de nous enliser dans un engagement intensif et exigeant en hommes comme en matériel, sans bénéficier d’un appui significatif de nos alliés ? En effet, la France est la seule puissance à avoir répondu à l’appel du Mali. (M. le président de la commission s’exclame.) En dépit du mandat confié aux forces internationales dans le cadre de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l’ONU, la France est bien à ce jour la seule puissance militaire engagée dans le déroulement opérationnel du conflit malien. (M. le président de la commission s’exclame de nouveau.)

Les forces de la CEDEAO tardent à se rassembler, et, quand bien même elles se rassembleraient, elles ne représentent que 2 900 hommes issus de bataillons et d’armées différents. Or il s’agit, je le rappelle, de couvrir au sol un territoire plus vaste que la France. Plus grave encore, les troupes maliennes sont désorganisées, mal équipées et parfois même, pour certaines d’entre elles, tentées de rejoindre les rangs nordistes.

Nous l’avons bien compris, l’issue militaire du conflit restera incertaine tant que la France ne parviendra pas à réunir la coalition la plus large possible. Certes, l’Algérie nous a ouvert son espace aérien. Certes, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada ont donné des signes de soutien immédiats. Mais comment ne pas regretter l’absence de concertation visible et de réaction de l’Europe ? Ce ne sont pas les quelques commentaires du président de la Commission européenne qui peuvent masquer l’incapacité de l’Europe à réagir diplomatiquement et militairement. Monsieur le ministre, nous demandons une réunion des chefs d'État et de gouvernement de l’Union européenne, car nous souhaitons une réaction à la mesure de l’enjeu pour l’Europe.

Notre deuxième interrogation porte bien évidemment sur le sort des otages ; ce sujet a déjà été évoqué. Leur sécurité n’est-elle pas mise en cause par l’intervention au Mali ? De quelles informations disposons-nous ? Pouvons-nous espérer leur libération ? Là encore, de nombreux points méritent d’être éclaircis, sous réserve du respect de la discrétion que requiert ce genre d’information.

Enfin, quelles sont les perspectives pour trouver une solution politique à ce conflit ? Notre intervention se limite-t-elle seulement à bloquer la progression des terroristes, ou s’agit-il d’appuyer la restauration de la souveraineté du Mali sur l’ensemble de son territoire, y compris la région du nord ? Cette entreprise de restauration de souveraineté sera-t-elle exclusivement menée par l’emploi de la force, ou existe-t-il encore une chance de dialogue diplomatique ?

En dépit de ces quelques interrogations importantes, qui portent sur des points que vous ne manquerez pas d’éclaircir, monsieur le ministre, je tiens à rappeler, au nom de l’ensemble du groupe UDI-UC, notre soutien ferme et indéfectible à nos troupes engagées sur le terrain. Nous leur transmettons tous nos vœux de succès et nous nous en remettons à vous pour garantir la sécurité de nos otages comme de nos soldats. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, le coup d’arrêt donné par l’armée française à la progression vers Bamako de colonnes islamistes, sur ordre du Président de la République française et en réponse à l’appel des autorités légitimes du Mali, était nécessaire. Le groupe RDSE approuve donc la décision prise, sous l’empire de l’urgence, par le chef de l’État.

Contrairement à ce que j’ai entendu dire, il ne s’agit pas d’une ingérence qui aurait violé la souveraineté d’un pays africain indépendant. Au contraire, il s’agit d’une assistance apportée à un pays ami en grand danger, dont l’intégrité territoriale avait été violée par des groupes terroristes entendant imposer leur loi – et quelle loi ! –, et dont non seulement la souveraineté mais également la survie même eussent été compromises si des éléments islamistes armés avaient pu continuer leur raid vers le Sud. L’intervention de la France s’est faite en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies et a entraîné la réunion du Conseil de sécurité, qui a confirmé la légitimité de cette intervention.

Certes, la guerre est toujours haïssable, mais il est des guerres inévitables. Celle-là en est une, car elle répond à un souci de légitime défense de la part du Mali mais aussi des pays d’Afrique sahélienne, y compris l’Algérie, et des pays européens comme le nôtre qui sont clairement visés par les menaces d’AQMI.

Certes, une solution politique partielle avec les groupes rejetant le terrorisme eût été préférable, pour isoler les groupes terroristes et rétablir à moindre frais l’intégrité territoriale du Mali, ce qui implique un modus vivendi durable entre les populations du nord et du sud de ce pays. En tout état de cause, une telle perspective n’aurait pas dispensé de réduire les éléments terroristes dans leurs repaires du Nord-Mali. Mais le choix d’Ansar Dine, groupe touareg fondamentaliste, et de son chef, Iyad Ag Ghaly, de rompre toute négociation avec le MNLA et de se joindre aux groupes terroristes que sont AQMI et le MUDJAO, pour menacer Bamako et mettre à bas la république et l’État du Mali, a rendu caduque une telle perspective.

Il n’était tout simplement pas possible de laisser se constituer sur les décombres de la république malienne un sanctuaire du terrorisme au cœur de l’Afrique. La réactivité exceptionnelle des forces armées françaises doit être saluée et hommage doit être rendu à nos soldats tombés dans l’accomplissement de leur devoir, au service de la France.

À l’occasion de ces évènements, on mesure l’intérêt des forces françaises pré-positionnées et, soit dit en passant, l’erreur d’appréciation, que j’avais signalée lors de l’adoption du Livre blanc, qui consistait à ne vouloir conserver qu’une seule base en Afrique de l’Ouest.