M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à mon tour, je tiens à remercier notre collègue Fabienne Keller d’avoir produit, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, ce rapport d’information très complet sur les nouvelles menaces liées aux maladies infectieuses émergentes, qui contient cinquante-trois propositions établies à partir des recommandations de spécialistes et dix leviers d’action.

Le professeur Claude Chastel, dans son ouvrage Virus émergents. Vers de nouvelles pandémies ?, souligne que, parmi les multiples facteurs qui interviennent dans l’émergence ou la réémergence de ces maladies virales, l’homme est le principal responsable. Depuis le néolithique, il s’est approprié la planète, modifiant ou détruisant de nombreux écosystèmes, en façonnant d’autres entièrement artificiels.

La croissance exponentielle de la population n’a évidemment fait que renforcer cette influence de l’homme : 7 milliards d’humains sur terre, c’est une aubaine pour des virus entreprenants. Qui plus est, cette population plus nombreuse est également beaucoup plus mobile que par le passé : les personnes et les biens se déplacent à une fréquence et à une vitesse démultipliées. Ajoutées aux changements climatiques et à l’évolution spontanée des agents pathogènes, ces mutations entraînent l’émergence constante de nouvelles maladies et leur diffusion accélérée.

La surveillance de ces maladies et le partage des connaissances existent déjà à plusieurs niveaux.

Au niveau international, le GOARN, Global Outbreak Alert and Response Network, est placé sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé. Dans ce cadre, le nouveau règlement sanitaire international, le RSI, adopté en 2005 par la cinquante-huitième Assemblée mondiale de la santé, a marqué un progrès considérable puisqu’il prend en compte tous les types de menace épidémique, même celles qui sont encore mal définies, mais jugées préoccupantes. Le RSI permet donc un signalement rapide entre les États de toute menace sanitaire pouvant se propager au niveau international. Chaque État a désigné un interlocuteur unique ; pour la France, il s’agit de la Direction générale de la santé, qui doit être en relation vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec l’OMS.

Au niveau européen, le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, l’ECDC, identifie et évalue la menace que constituent les maladies infectieuses.

Au niveau national enfin, l’Institut de veille sanitaire et, au niveau régional, les agences régionales de santé, par l’intermédiaire des cellules de veille et gestion des alertes sanitaires, les CVGAS, assurent une veille et une surveillance constantes.

De nombreux dispositifs de veille et d’alerte sanitaires contribuent donc, à l’échelle internationale et nationale, à la détection et à l’alerte des maladies émergentes. Ces outils doivent en permanence être évalués et adaptés pour nous permettre de prévenir les crises. En outre, d’après les diverses expertises sanitaires effectuées dans le monde, de nouvelles maladies infectieuses peuvent apparaître rapidement et se transformer en pandémies, à l’instar du SRAS, de la grippe aviaire ou de la grippe H1N1.

L’inquiétude porte aussi sur la résistance de certains virus aux antibiotiques, notamment en Asie. Il est scientifiquement démontré que la forte utilisation des antibiotiques a conduit à l’apparition accélérée de bactéries très résistantes. C’est pourquoi il faut encourager le développement de la recherche. Nous ne pouvons donc que nous féliciter de la réalisation, au sein de l’Institut Pasteur de Paris, du nouveau centre François-Jacob dévolu aux recherches sur les maladies émergentes.

Nous connaissons l’implication des équipes de l’Institut Pasteur, qui ont été en première ligne lors des grandes épidémies, qu’il s’agisse du SRAS, de la pandémie grippale ou du chikungunya. Dès les premiers cas de chikungunya signalés à la Réunion en 2005, l’Institut a monté un projet de recherche qui a permis de comprendre l’ampleur inattendue de cette épidémie. Notre pays doit donc continuer à encourager ce type de projet.

Comme le rappelle Arnaud Fontanet, chef de l’unité d’épidémiologie des maladies émergentes de l’Institut, « les maladies émergentes sont toutes ces maladies qui apparaissent au sein des populations humaines. Ce sont aussi les maladies anciennes ou presque disparues qui réémergent ou colonisent de nouvelles zones géographiques. Elles sont le plus souvent infectieuses, c’est-à-dire qu’elles sont dues à des microorganismes comme les bactéries, virus, parasites, champignons. […] En plus des décès et douleurs qu’elles entraînent, ces pathologies ont des conséquences sur tous les pans de la société : ralentissement économique, entrave à la circulation des biens et des personnes, etc. ».

Enfin, je pense que nous devons mener une réflexion poussée en vue de définir des protocoles opérationnels pour une bonne utilisation d’internet et des réseaux sociaux en cas de crise sanitaire.

Internet est une formidable source d’information, mais aussi de désinformation et de fausses rumeurs. Il serait sûrement utile de nous inspirer de la stratégie des États-Unis, décrite par le député Jean-Pierre Door : « Au centre d’Atlanta, le centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), plus de 400 personnes surveillent les réseaux sociaux 24 heures sur 24, en répondant immédiatement à tous les messages. Les résultats sont au rendez-vous. Nous en sommes loin : chez nous, la Délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire (DILGA) disposait de huit personnes. »

Nous devons impérativement renforcer ces moyens pour lutter efficacement contre les diffusions sur internet de toutes les rumeurs fantaisistes qui créent et entretiennent la panique. C’est pourquoi j’approuve totalement la proposition de Fabienne Keller d’expérimenter une situation de « potentielle crise » avec tous les acteurs concernés, ceux de la santé, bien sûr, médecins et chercheurs, mais aussi les représentants des différents services de l’État et des collectivités locales. Je partage son point de vue, notamment sur la nécessité d’anticiper un scénario catastrophe correspondant à la conjonction des pires hypothèses : une maladie inconnue, une incubation rapide à forte létalité, à la transmission incontrôlable et contre laquelle aucun traitement ne saurait être efficace.

La question des maladies infectieuses émergentes mérite donc toute notre attention et nous impose d’améliorer constamment la protection de la population afin d’éviter l’émergence d’une crise sanitaire de grande ampleur sur notre territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.

M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer la qualité du rapport très complet de notre collègue Fabienne Keller sur les maladies infectieuses émergentes.

Comme Mme la rapporteur l’a très bien démontré, ces maladies constituent de nos jours une menace réelle et permanente : elles touchent et mobilisent aussi bien les pays du Nord que ceux du Sud. La lutte contre ces maladies nécessite donc la mobilisation des puissances publiques. Recherche, information, coordination et prévention doivent être les maîtres mots en la matière.

Une maladie infectieuse émergente peut aujourd’hui se définir comme une entité clinique d’origine infectieuse nouvellement apparue et identifiée ou comme une maladie infectieuse connue dont les caractéristiques évoluent dans un espace ou au sein d’un groupe de population.

Les derniers travaux sur les causes de l’émergence montrent des interactions multiples et rapidement changeantes entre différents facteurs, comme l’hôte, l’agent infectieux, l’environnement, le tout sur fond de grandes diversités biologiques.

Face à ces risques infectieux, la surveillance des maladies évolue et doit s’orienter en amont, c’est-à-dire vers les signes cliniques, les agents infectieux, les vecteurs, le monde animal et l’environnement, afin d’anticiper l’apparition de situations à risque d’émergence ou de réémergence. C’est dans cette perspective que le renforcement de la collaboration avec les institutions et réseaux internationaux est indispensable, voire décisif.

Une approche globale apparaît alors nécessaire pour mieux comprendre ces multiples évolutions et y faire face. Nous devons combiner nos forces, celles des pays du Nord, disposant d’outils et de moyens, et celles des pays du Sud, zones plus propices à l’émergence.

Cette émergence s’effectue chez l’homme en deux étapes : par l’introduction surprise d’un nouvel agent pathogène et par la dissémination dans une population non immunologiquement préparée.

Notons, mes chers collègues, ainsi que l’a fait Fabienne Keller, que, entre 1940 et 2004, plus de 335 maladies infectieuses ont été découvertes. Les causes sont toujours les mêmes : baisse de la vigilance des systèmes de contrôle, acquisition de mécanismes de résistance aux médicaments anti-infectieux et modification de l’écosystème due à la déforestation, à la création de zones suburbaines ou au déplacement de populations.

Bien évidemment, d’autres éléments sont à prendre en compte : la mondialisation des échanges, l’augmentation du commerce international des aliments, l’essor de l’écotourisme, les contacts rapprochant l’animal de l’homme – les animaux sont à l’origine de ces infections dans plus de 70 % des cas ! –, l’utilisation de virus infectieux à des fins terroristes, comme cela a été dit précédemment, et les changements climatiques. Nous pourrions également citer, dans une moindre mesure, la dégradation des infrastructures de santé publique, devenues incapables de faire face aux besoins de certaines populations.

Face à cette situation, l’OMS a développé et coordonné en 2000 le réseau mondial d’alerte et d’action en cas d’épidémie, qui relie plusieurs réseaux de surveillance, et dont l’objectif est de détecter les maladies infectieuses émergentes, de déterminer leurs menaces potentielles pour la santé publique et d’établir des interventions efficaces.

Certains de ces réseaux sont spécifiquement conçus pour repérer des évènements inhabituels, qu’ils soient d’origine naturelle, accidentelle ou volontaire. Les épidémies les plus fréquemment notifiées ont été le choléra, la grippe, le SRAS, la méningite, les fièvres hémorragiques virales, la peste, la fièvre jaune et les encéphalites virales.

On peut se demander si les progrès dans le domaine de l’hygiène et de la santé publique peuvent faire espérer une diminution de la mortalité par maladies transmissibles dans les pays en voie de développement. Malheureusement, des résultats ne pourront être obtenus que si l’on n’assiste pas à l’émergence de nouvelles infections ou à la réémergence de maladies actuellement contrôlées et, surtout, si aucune résistance majeure aux antibiotiques et aux antiviraux ne s’installe.

Par ailleurs, l’explosion démographique et l’urbanisation anarchique provoquent de profonds bouleversements, qui sont à l’origine de pathologies transmissibles. Certains des nouveaux agents qui ont été détectés au cours des vingt-cinq dernières années posent désormais de sérieux problèmes de santé publique à l’échelle locale, régionale ou mondiale.

Nous sommes également confrontés à un autre problème de santé publique : l’augmentation rapide du nombre de bactéries qui deviennent résistantes à une gamme de plus en plus étendue d’antibiotiques.

Dans beaucoup de régions, les antibiotiques de première intention, peu coûteux, ont perdu leur efficacité, ce qui a un impact économique, puisque le coût et la durée du traitement de nombreuses maladies courantes, comme les maladies diarrhéiques épidémiques ou la pneumonie, sont accrus.

Il faut aussi évoquer les maladies infectieuses réémergentes ; elles se traduisent par la réapparition ou par une augmentation d’infections connues, mais devenues si rares qu’elles n’étaient plus considérées comme des problèmes de santé publique.

La mise en place des mesures de prévention contre les nouvelles maladies infectieuses nécessite une collaboration étroite entre les médecins, les chercheurs, les décideurs et l’ensemble de la population dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler une politique de santé publique. Une stratégie audacieuse de recherche et de formation pour une aide plus efficace à la gestion des situations d’émergence de maladies infectieuses et une organisation innovante devraient d’ailleurs figurer dans la future loi de santé publique.

En effet, la nature même des maladies infectieuses émergentes est synonyme de déficit de connaissances et entraîne d’importantes incertitudes. Il en ressort un besoin urgent d’acquisition et de partage des savoirs que seule peut satisfaire une étroite collaboration entre la recherche et l’enseignement et entre la recherche et l’action. C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, nous nous devons de nous retrouver, comme je viens de l’exposer, autour d’un but commun, dans un esprit transversal mêlant les approches médicale, écologique, économique, sociologique et politique. Dans cette optique, nous devons donner à notre recherche et à nos chercheurs les moyens nécessaires pour mener des analyses et faire des interprétations.

Il faut des moyens non seulement humains, mais aussi logistiques pour réussir à dégager de nouvelles propositions de recherches et d’actions et pour produire un bilan annuel sur l’état de la lutte contre ces maladies ainsi que sur l’état d’avancement de la mise en application des recommandations par les organisations et instances auxquelles elles sont destinées.

Enfin, la diffusion de ces travaux devrait contribuer à mieux sensibiliser les professionnels et les citoyens à ce type de risques.

Développer la recherche et la formation, c’est comprendre de façon plus approfondie le rôle des espèces hôtes et des vecteurs ; c’est aussi améliorer la connaissance de ces systèmes émergents, notamment dans les pays tropicaux, en stimulant une politique scientifique de coopération internationale.

En améliorant la capacité de notre recherche biomédicale, nous encouragerons la recherche portant sur le contexte économique, historique, social et culturel de la santé humaine et animale.

Une analyse politique fine des situations de crise devrait susciter une meilleure adhésion aux politiques mises en œuvre.

En élaborant un programme de recherche interdisciplinaire en collaboration avec les acteurs de terrain, nous soutiendrons et favoriserons les contributions des sciences humaines et sociales dans la formation des spécialistes des pays du Sud, que ce soit en master, en doctorat ou en post-doctorat, particulièrement en ce qui concerne la prise en compte des cultures et des savoirs locaux.

La préparation à la gestion des situations critiques devrait dépendre d’une coordination interministérielle permanente, l’impact des maladies infectieuses émergentes étant incomplètement prévisible. Pourquoi ne pas instaurer un fonds d’urgence pour renforcer les moyens indispensables à la recherche, à l’identification et à l’évaluation du risque ?

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devrions faire porter notre réflexion et nos moyens sur la recherche et l’enseignement, afin de donner à nos spécialistes les moyens nécessaires à la protection des populations face à ces maladies. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier pour ce débat de qualité. Il nous a permis de mesurer toute l’importance de définir la façon dont nous entendons protéger notre société et, partant, chacun de nos concitoyens contre l’émergence ou la réémergence de certains risques, parmi lesquels figurent les maladies infectieuses.

Le principal constat du rapport d’information sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes rédigé, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, par Mme Keller est bien que nos sociétés restent fragiles, en dépit des immenses progrès réalisés par la recherche médicale.

Je tiens à remercier Mme la rapporteur et l’ensemble des membres de la délégation pour la qualité de leur travail : le contenu riche et documenté de ce rapport, assorti de propositions concrètes, nous permettra, j’en suis certaine, d’avancer dans ce domaine majeur pour la santé publique.

Les activités humaines ont souvent été à l’origine du développement et de l’implantation des maladies infectieuses. Nous savons par exemple que la variole, la rougeole et la grippe ont été introduites dans le Nouveau Monde par les colonisateurs espagnols. En retour, ces derniers ont été atteints par la fièvre jaune et ont diffusé le typhus en Europe.

Ces enjeux ne sont pas dépassés et n’appartiennent pas seulement à l’histoire ; vous avez d’ailleurs été nombreux à évoquer la grippe espagnole. Aujourd’hui encore, nombre de facteurs peuvent concourir à la diffusion et à l’émergence, parfois brutale, de maladies infectieuses. Je pense notamment à l’accélération et à la mondialisation des échanges, à la concentration de plus en plus intense de populations dans des mégalopoles ou à la modification du climat. En parallèle, on peut constater que les agents pathogènes ont révélé leurs exceptionnelles capacités d’adaptation. Nous devons donc être très vigilants.

Vous avez évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, la résurgence de maladies qui paraissaient disparues ou, en tout cas, contenues. Certaines sont particulièrement préoccupantes, d’autres sont moins graves ; je pense à la gale que l’on croyait réservée à des populations en situation de précarité ou défavorisées, alors qu’elle touche en réalité des collectivités de personnes. J’ai saisi d’ailleurs de cette question le Haut Conseil de la santé publique afin qu’il évalue la situation et formule des recommandations. Cette maladie n’est pas grave, mais elle pose des problèmes concrets et quotidiens extrêmement désagréables.

Pour préparer l’avenir, nous devons anticiper et agir autour de quatre axes majeurs : la prévention, la détection, la coopération et la préparation de la population.

Le Président de la République l’a rappelé dans son discours de clôture du quarantième congrès de la Mutualité française à Nice, l’enjeu majeur de notre politique de santé publique est bien d’abord la question de la prévention.

Cela a été souligné, mieux prévenir, c’est d’abord améliorer la couverture vaccinale en mettant en place une stratégie nationale pour les cinq prochaines années. Ce programme doit tirer les enseignements des échecs passés ; je pense en particulier aux écueils que nous avons rencontrés lors des campagnes de vaccination contre la pandémie grippale et contre l’épidémie actuelle de rougeole.

Je suis préoccupée de constater que, face à une maladie aussi courante que la grippe, le taux de vaccination des personnes identifiées « à risque » est en diminution depuis l’année dernière et que seule une petite minorité des personnels soignants des établissements de santé se fait vacciner. Il y a là, me semble-t-il, un enjeu important. Qui plus est, vous l’avez évoqué, il existe des résistances à la vaccination plus importantes dans notre pays que dans d’autres. Il conviendrait de mieux les cerner, même si nous atteignons globalement des résultats satisfaisants.

Vous avez été un certain nombre à le souligner : mieux prévenir, c’est aussi mieux contrôler l’usage des antibiotiques si nous voulons maîtriser l’apparition de résistances aux antibiotiques. J’ai bien entendu le regret exprimé par Mme Archimbaud concernant le prolongement de la loi Kouchner du 4 mars 2002. Je souhaite que, dans chaque établissement de santé, on puisse recourir à un référent en antibiothérapie. Nous devrions avancer sur cette question dans les prochaines semaines.

Il nous faudra également engager une réflexion sur l’utilisation des antibiotiques chez les animaux, en favorisant un rapprochement des spécialistes en santé animale et en santé humaine, inspirée du concept one health, « une seule santé », qui doit aussi pouvoir prospérer dans notre pays.

Le deuxième axe est celui du renforcement de nos capacités de détection, d’alerte et de réponse aux signaux. Notre action devra passer par une amélioration de la gouvernance régionale et nationale.

À l’origine, la sécurité sanitaire était définie comme « la sécurité des personnes contre les risques liés au fonctionnement du système de santé ». Ce concept est aujourd’hui beaucoup plus large : il s’étend aux risques liés au fonctionnement de la société, c’est-à-dire aux risques alimentaires, environnementaux et médicaux. C’est d’ailleurs sous le signe de la sécurité sanitaire qu’ont été placés les dispositifs de lutte contre les menaces épidémiques.

Le système de veille sanitaire est assurément perfectible, et nous devons aujourd’hui améliorer ses capacités de détection, d’alerte et de réponse.

En premier lieu, nous devons inciter les professionnels de santé à la déclaration des vigilances. Des épisodes non seulement récents mais aussi en cours nous en ont montré la nécessité. Cette question sera une priorité de la stratégie nationale de santé à laquelle je travaille. Une refonte du système des vigilances est en cours de réalisation et aboutira cette année.

En second lieu, il s’agit de valoriser la veille sanitaire régionale en déployant des réseaux en santé publique avec la médecine générale. Il faut considérer les médecins généralistes comme de véritables « vigies de santé publique ». Lors des événements récents, nous ne nous sommes pas suffisamment appuyés sur les professionnels de santé, en particulier les médecins généralistes. C’est l’une des raisons, me semble-t-il, qui expliquent l’échec de la prise en charge de la menace de pandémie grippale H1N1.

Le troisième axe de notre action doit être celui du renforcement de la coopération internationale, notamment – mais pas uniquement – en direction des pays émergents.

Le règlement sanitaire international, adopté par 194 États lors de l’Assemblée mondiale de la santé le 23 mai 2005, renforce les contrôles sanitaires dans les lieux d’échange. Il vise à améliorer la coordination internationale, en instaurant un réseau mondial unique de gestion des alertes sanitaires.

Ce règlement ne pouvait être appliqué dans notre pays, faute de traduction concrète. Cette dernière est intervenue avec la publication, au Journal officiel du 11 janvier 2013, du décret relatif à sa mise en œuvre.

Par ailleurs, lors des déplacements que j’ai pu effectuer dans différents pays européens au cours des derniers mois, j’ai pu observer la nécessité de rationaliser et de renforcer les capacités et les structures de l’Union européenne pour faire face à l’émergence des maladies infectieuses. Par principe, les menaces sanitaires ne connaissent pas les frontières. Nous devons donc jeter les bases d’une approche élargie et coordonnée au niveau de l’Union européenne. C’est à cette condition que nous pourrons approfondir la coopération avec les pays du Sud, qui restent aujourd'hui les premières victimes de ces maladies.

Enfin, quatrième axe, nous devons tirer des enseignements de la pandémie grippale H1N1, notamment en termes de perception des risques et de comportements de la population.

Pour être efficaces, les mesures préventives mises en place par les autorités sanitaires doivent être compréhensibles pour nos concitoyens.

La qualité de la communication est déterminante, vous avez eu raison de le souligner, madame Keller, si nous voulons partager une culture commune sur les risques émergents, anticiper et dissiper les rumeurs infondées. Il est de notre responsabilité de relayer des messages factuels, informatifs, cohérents et précis au plus près de la population et des acteurs locaux. Nous devons donc trouver le juste équilibre entre l’exigence de ne pas inquiéter outre mesure tout en informant et en permettant la mise en place d’une protection de qualité.

Il y a quelques mois à peine, un centre de crise a été inauguré au ministère des affaires sociales et de la santé. Ce centre nous permet désormais de réaliser des exercices d’anticipation plus efficaces pour tester nos capacités de réponse. À titre d’exemple, les capacités de mobilisation et d’organisation des médecins, des hôpitaux, des agences régionales de santé et des différents acteurs nationaux ont été testées dans le domaine des pathologies vectorielles, comme le chikungunya, et de la réponse antivectorielle.

Madame la sénatrice, vous plaidez pour que nous allions plus loin, avec des « exercices d’anticipation politique » qui réuniraient plusieurs ministères, au-delà du seul ministère de la santé.

Mme Fabienne Keller, rapporteur. Absolument !

Mme Marisol Touraine, ministre. L’idée d’un exercice national de prospective, qui mettrait en relation non seulement les ministères, mais aussi l’ensemble des professions concernées avant que ne survienne une nouvelle pandémie, est séduisante. Au reste, vous avez œuvré dans ce sens, en organisant, en mai dernier, un atelier de prospective. Je souhaite que nous puissions poursuivre la réflexion à laquelle vous avez ainsi ouvert la voie.

En ma qualité de ministre de la santé, il ne m’appartient pas de définir une stratégie au niveau interministériel.

Mme Fabienne Keller, rapporteur. Il vous appartient de la proposer et de la porter !

Mme Marisol Touraine, ministre. En tout cas, je souhaite que nous puissions engager la réflexion avec les acteurs non institutionnels, sociologues ou acteurs de la société civile, sur la manière de gérer ces événements lorsqu’ils se produisent. Je verrai avec mes collègues ministres comment nous pouvons avancer en ce sens.

La stratégie nationale de santé accordera une place majeure à la gestion des nouvelles menaces en général et de celles relatives aux maladies infectieuses émergentes en particulier. Notre principal objectif est bien de protéger la population en anticipant et en travaillant en amont avec l’ensemble des acteurs. Dans ce but, il nous faut conduire une politique volontariste de prévention, améliorer les mécanismes de surveillance sanitaire et marquer la confiance que nous devons avoir envers les médecins de proximité.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est un travail important et lourd, et je vous remercie de nous permettre de le mener dans de bonnes conditions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les nouvelles menaces des maladies infectieuses émergentes.