M. Louis Nègre. C’est normal !

M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. Peut-on réduire la quadrature du cercle ?

M. Louis Nègre. Je vous écoute attentivement !

M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. Peut-on, à l’instar de la communauté d’agglomération de la Vallée de Montmorency et de celle de Roissy-Porte-de-France en Île-de-France, concevoir, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires, de concilier, d’une part, une mutualisation de toutes les fonctions « support », une mutualisation des connaissances et du suivi en matière de délinquance, et, d’autre part, la préservation du pouvoir de police des maires ?

Après un avis donné en bonne et due forme par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la mutualisation s’est traduite, à la CAVAM, par une analyse de la délinquance effectuée par le biais d’un logiciel spécifique de cartographie partagé avec la police nationale : des données anonymisées du système de traitement des infractions constatées, le STIC, ont pu être partagées, cartographiées, visualisées, permettant une géolocalisation et, en vertu d’une convention de coopération, un suivi des rôles respectifs de la police nationale et de la police municipale.

Les maires des communes membres, cher monsieur Nègre, ont affirmé à l’unanimité, lors de leur réunion, que l’intervention réalisée sur leur territoire continuait à relever de leur pouvoir d’appréciation.

J’irai même plus loin – je sais que vous m’attendez sur ce point –, les maires ont déclaré utiliser les données pour être capables, lorsque les habitants d’un lotissement se plaignent pendant une réunion de quartier de ne plus voir passer la police nationale ou la police municipale, de leur transmettre des informations précises à ce sujet, par exemple le relevé des infractions constatées dans un secteur donné.

À mon avis, nous avons intérêt, dans un certain nombre de cas, à réfléchir à des expériences de mutualisation qui ne comportent pas nécessairement un transfert en bonne et due forme des pouvoirs de police du maire. Une telle réflexion pourrait intervenir à l’occasion de l’examen du projet de loi « Lebranchu », relatif à la décentralisation et à la réforme de l’action publique.

Ces exemples suffisent à mon sens à montrer qu’il y a matière à réfléchir,…

M. Louis Nègre. C’est la quadrature du cercle !

M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. … d’autant que l’effet « plumeau » de la vidéosurveillance serait ainsi corrigé : nous pouvons adapter, avec la mobilité correspondante, des outils que nous sommes loin de condamner dans la mesure où, quand ils sont organisés dans une convention de coopération digne de ce nom, ils contribuent très fortement à produire des résultats.

L’autre avantage, en termes de gestion – je m’adresse plus particulièrement aux maires, à ceux qui l’ont été ou à ceux qui le seront –, est la diminution du turn-over, véritable fléau récurrent de la police municipale. Ainsi, à Montmorency, le turn-over est passé de 30 % avant l’intercommunalité à 13 % maintenant.

Je conclurai cette intervention en adressant des remerciements : tout d’abord à M. le président de la commission des lois et aux collaborateurs de cette dernière, ainsi qu’à tous ceux qui, par leur disponibilité, ont rendu ce travail possible ; à M. le ministre, ensuite, puisque j’ai beaucoup apprécié, comme mon collègue François Pillet, la façon dont, très spontanément, il s’est ouvert à notre démarche : monsieur le ministre, vous avez créé les conditions pour que nous ayons accès à toutes les informations utiles et puissions organiser toutes les auditions nécessaires. Je ne doute pas que nous continuerons à travailler dans cet esprit. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois encore, avec le rapport d’information de MM. François Pillet et René Vandierendonck, nous avons l’occasion de remarquer l’excellence de la démarche mise en œuvre depuis plusieurs années par la commission des lois du Sénat.

Que René Garrec et Jean-Jacques Hyest – nous avons, hier, rendu conjointement hommage à la fonctionnaire du Sénat qui a dirigé avec talent et sagacité les services de notre commission durant quinze ans – me permettent de les associer à ce propos : la pratique consistant à confier un rapport d’information à un sénateur de la majorité et à un sénateur de l’opposition, déjà appliquée à plus de dix reprises, s’est révélée féconde.

Bien sûr, chaque sujet abordé suscite des discussions, mais nous avons choisi, pour chaque mission d’information, de partir du réel – car, pour paraphraser une formule célèbre, le réel est têtu – et de regarder ce qui se passe sur le terrain : qu’il se soit agi du droit d’asile, de la réforme de la carte judiciaire, de la loi pénitentiaire ou de la police municipale, sujet qui nous occupe aujourd'hui, les faits s’imposent et, dès lors, nos rapporteurs s’accordent avant tout sur le diagnostic. Ensuite, des propositions sont formulées, généralement au terme d’un débat et d’un dialogue.

Nul n’est obligé d’acquiescer à tout, bien sûr. Les comptes rendus des débats de la commission figurent d’ailleurs en annexe du rapport, qui est publié.

Je le répète, cette démarche est féconde. Nous aimons tous le débat politique : la contradiction est saine, naturelle et utile. Au surplus, cette manière de faire de la politique permet de réaliser un certain nombre d’avancées. Nous en observons un nouvel exemple aujourd’hui.

Aussi, je tiens à saluer le travail considérable accompli par nos collègues René Vandierendonck et François Pillet, qui n’ont pas ménagé leur peine : ils ont fait nombre de déplacements et ont interrogé, par écrit, quelque 3 200 maires, qui leur ont répondu. Avec l’aide des services de la commission, ils ont dépouillé les questionnaires et mené, sur la base des réponses obtenues, un travail extrêmement sérieux.

Telle était la principale remarque que je tenais à formuler.

J’ajoute que ce rapport fait écho à une préoccupation que M. le ministre a exprimée à maintes reprises : vivre en sécurité est un des premiers droits de chacune et de chacun dans notre pays.

Les polices municipales regroupent un grand nombre d’agents. Les chiffres figurant dans le rapport sont frappants : ces services, qui comptaient 5 600 salariés en 1984, en comptent 18 000 aujourd’hui. C’est dire que l’accroissement a été considérable.

Messieurs les rapporteurs, votre travail est porteur d’un message important : il faut établir un rapport de confiance avec les personnels des services de police municipale. À cette fin, vous proposez d’améliorer le statut de ces derniers et de créer une police territoriale qui rassemblerait policiers municipaux, gardes champêtres et agents de surveillance de la voie publique.

En additionnant les personnels relevant de ces trois catégories, on obtient, pour l’ensemble de notre pays, un total de 27 260 agents. Vous insistez sur la nécessité de rendre à chacun d’eux confiance dans sa mission et dans l’utilité de cette dernière. C’est nécessaire : il ne faut pas que ces agents aient le sentiment de constituer une police subsidiaire, qui ne serait pas reconnue pour ce qu’elle est.

Bien entendu, vous souhaitez, comme nous, garantir la clarté de la répartition des compétences : la mission de cette police territoriale ne sera ni celle de la police nationale ni celle de la gendarmerie nationale. Sur ce point, votre rapport est très clair : « coordination, complémentarité, et non confusion ». À cet égard, ce nouveau concept de police territoriale sera, j’en suis certain, très utile.

De plus, vous formulez des propositions concrètes, sur lesquelles nous attendons naturellement les réponses du Gouvernement. Peut-être ne viendront-elles pas aujourd’hui, monsieur le ministre. Du moins pourrez-vous nous livrer vos réflexions concernant un certain nombre des avancées proposées. J’en mentionnerai trois.

Premièrement, les rapporteurs proposent de permettre une verbalisation immédiate des contraventions aux arrêtés du maire. Est-il utile que cette procédure prenne tant de temps ? Ne pourrait-elle pas devenir plus efficace ?

M. Louis Nègre. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je constate que M. Nègre me soutient,…

M. Louis Nègre. Totalement !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … ce qui n’est pas toujours le cas, il faut bien le dire ! (Sourires.)

M. Louis Nègre. Absolument ! Mais c’est la richesse de nos débats ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Deuxièmement, ils suggèrent de donner aux agents de cette police territoriale l’accès à certains fichiers routiers dont ils peuvent avoir besoin, par exemple pour gérer des immobilisations de véhicules. C’est un problème qui se pose souvent dans nos communes : lorsque des policiers municipaux sont placés face à une situation qui nécessite l’immobilisation d’un véhicule, de nombreuses procédures doivent être suivies ; or ils n’ont pas directement accès à l’information qui leur permettrait de les accomplir rapidement.

Troisièmement, j’évoquerai une question au sujet de laquelle j’ai eu l’occasion de me battre à maintes reprises par le passé : celle des quotas dans l’attribution des postes de directeur de police municipale.

Vous le savez, le maire a longtemps eu toute latitude pour proposer à son conseil municipal de créer un ou deux gymnases, trois salles des fêtes, etc. Cependant, il lui était très difficile – et cette difficulté persiste pour partie aujourd’hui – de décider de la création de tel ou tel cadre, dans la mesure où il fallait respecter des quotas et des obligations de parité. Aussi justifiées que puissent être ces contraintes s’agissant de la fonction publique de l’État, elles sont, dans les communes, parfois paralysantes.

Aussi, messieurs les rapporteurs, vous suggérez de réviser les critères pour la création de postes de directeur de police municipale. Vous formulez une proposition très concrète : cette adaptation pourrait intervenir soit dans les communes de plus de 20 000 habitants, soit lorsque les effectifs de police municipale dépassent vingt agents.

Cette proposition a le mérite de la clarté. Elle est de nature à bien préciser les attributions et les responsabilités de chacun, et à donner confiance aux différents personnels en clarifiant leurs missions et leurs moyens, tout en accroissant l’efficacité de leur intervention.

Avant de conclure, permettez-moi de mentionner deux autres apports importants de votre travail.

D’une part, vous émettez une proposition concernant le cadre de la coopération intercommunale.

Mes chers collègues, voilà quelques mois, j’ai eu l’occasion d’assister à la mise en œuvre d’une mesure prise par trois maires de mon département, dont les communes, voisines, comptent entre 1 000 et 3 000 habitants. Chacune d’entre elles employait jusqu’alors un garde champêtre ou deux. Elles se sont organisées en les regroupant au sein d’une unité de cinq agents. Vous me direz que cette réalisation est modeste. Pas du tout ! En effet, il est plus efficace de créer une équipe coordonnée de cinq personnes couvrant un secteur de trois petites communes que de maintenir, dans chacune de ces communes, une personne qui ne peut, par définition, exercer qu’une surveillance aléatoire et qui travaille dans la solitude.

Je suis heureux de citer cet exemple, car il me donne l’occasion de montrer une fois de plus combien le Sénat est attaché aux petites communes !

M. Jean-Pierre Plancade. Il est bon de le rappeler !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je fais évidemment allusion à un débat récent, durant lequel certains ont cru pouvoir mettre en doute cet attachement. (Sourires.)

Une telle mutualisation des moyens est gage de modernité et d’efficacité.

D’autre part, votre rapport témoigne d’une grande exigence en matière de formation, notamment lorsque le maire prend des décisions concernant l’armement des agents de la police municipale. Soyons très clairs : aucune décision de cette nature ne doit être prise sans, primo, la formation appropriée et, secundo, l’entraînement approprié. Sinon, c’est de l’irresponsabilité !

M. Louis Nègre. Nous sommes entièrement d’accord !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Les critères de recrutement, de formation et d’entraînement doivent garantir une totale fiabilité.

M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. Sans oublier l’agrément !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait, mon cher collègue !

Disons-le, tout ce qui, dans ce domaine, irait dans le sens de la démagogie – nous avons vu cela, dans le passé – se retournerait contre les agents de cette « police territoriale », à qui nous voulons faire confiance eu égard à leur contribution éminente, complémentaire, spécifique et reconnue comme telle, à une meilleure sécurité, qui est un droit fondamental de chaque être humain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. René Garrec applaudit également.)

M. le président. Nous allons maintenant entendre les orateurs des groupes.

La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos collègues François Pillet et René Vandierendonck, dont j’ai lu le remarquable rapport avec toute l’attention qu’il mérite, ont établi un inventaire exhaustif, réfléchi et cohérent, traduisant une pensée claire et traçant une perspective nette. Je souscris, pour l’essentiel, à leurs préconisations. Je serai toutefois amené à formuler quelques réserves en conclusion.

Le constat qu’ils dressent est sans ambiguïté : si les responsabilités en matière de sécurité publique semblent clairement réparties entre l’État et les communes, la réalité des faits sur le terrain est beaucoup plus floue. Il n’est pas rare de constater que les conditions dans lesquelles certaines polices municipales interviennent sont assez imprécises, ou que les moyens mobilisés ne permettent pas aux agents présents sur le terrain de remplir correctement toutes les missions qui leur sont assignées.

Certes, la diversité des missions assumées par les polices municipales est le reflet de la libre administration des communes, et je sais combien celles-ci sont attachées à ce principe. Mais peut-être faudrait-il engager une nouvelle réflexion et voir plus loin, compte tenu de l’évolution des problèmes de sécurité dans nos villes et nos villages.

Dans le temps qui m’est imparti, je ne pourrai pas aborder l’ensemble des problématiques relatives au thème de ce débat. Toutefois, j’espère que celui-ci offrira à M. le ministre l’occasion d’apporter un certain nombre d’éclaircissements.

L’approfondissement de la coopération intercommunale qui se dessine depuis quelques années et qui ne peut que s’amplifier, nécessitera un ajustement de la mutualisation de la gestion des polices municipales. Je dois d’ailleurs dire que la notion de « police territoriale » a de quoi me séduire. Seules cinquante polices municipales intercommunales existent à l’heure actuelle, mais de nombreux maires, en particulier dans les petites communes rurales, souhaitent que cette mutualisation se développe, évidemment pour compenser la réforme de la carte des gendarmeries.

Encourager la mutualisation intercommunale des polices municipales, y compris en rendant possible le transfert de certains pouvoirs de police générale des maires, nous apparaît comme une piste de réflexion fondamentale au regard de l’impératif de l’égalité devant le droit à la sécurité.

Je ne développerai la nécessité de conforter le volet social et statutaire des agents des polices municipales. Il s’agit également d’un aspect fondamental, sur lequel les rapporteurs ont justement insisté.

Monsieur le ministre, le champ des polices municipales est aujourd’hui brouillé par les signaux émis pendant plusieurs années par l’État en matière de sécurité. Les messages politiques martelés à différentes tribunes n’ont jamais été suivis sur le terrain par les actes appropriés. La police municipale n’est pas la police nationale, mais elle n’en demeure pas moins une police de la République. C’est pourquoi son action doit s’inscrire dans un cadre légal rénové, clair et opérationnel.

Je souhaite que ce débat permette de connaître votre plan d’action en la matière. Il ne nous semble pas acceptable que seules les communes les plus riches soient en mesure de combler les lacunes de l’État. En d’autres termes, il n’appartient pas aux communes d’exercer les missions de la police nationale.

Au regard de ce constat succinct, il importe de mettre l’accent sur la clarification des missions de la police municipale, en insistant sur l’approfondissement des spécificités de ses attributions, et en les distinguant plus clairement de celles de la police nationale et de la gendarmerie.

Dans le contexte juridique actuel, on comprend que le Conseil constitutionnel n’ait pas souhaité renforcer les pouvoirs de police judiciaire, lorsqu’il a rendu sa décision sur la LOPPSI – loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Il ne s’agit pas de renforcer davantage les pouvoirs judiciaires des agents de police municipale ; le Conseil constitutionnel a été très clair sur ce point.

Comme le préconisent nos collègues dans leur rapport, il semble plus opportun de renforcer l’assise territoriale des polices municipales, en regroupant les compétences des agents de police municipale et des gardes champêtres, en précisant, dans les conventions de coordination avec les forces nationales le rôle spécifique des polices municipales, ou encore en articulant le cadre d’intervention de ces dernières avec la politique partenariale de prévention de la délinquance.

Sur le terrain, nous voulons non pas des petits shérifs, mais des forces de police respectueuses de l’ordre républicain.

De même, nous ne voulons pas que soient placés en première ligne des agents dont la formation ne répond pas aux mêmes exigences que celle des fonctionnaires de l’État. Il est ainsi regrettable qu’il n’existe aucun régime institutionnalisé de formation pour certains métiers liés au maintien de la sécurité, comme les agents de surveillance de la voie publique, pourtant agréés et assermentés, les opérateurs de vidéosurveillance ou les assistants temporaires de police municipale. C’est un vrai problème.

Pour notre groupe, l’égalité devant la sécurité, quel que soit le lieu où l’on réside, est également un principe fondamental. Nous avions d’ailleurs défendu sur ce point de nombreux amendements lors de la discussion de la LOPPSI. Il n’est pas admissible que le désengagement de l’État au regard des services de police ou de gendarmerie – conséquence, en partie, de la révision générale des politiques publiques – se traduise par l’obligation pour les collectivités de pallier les insuffisances en la matière.

C’est précisément de cette situation que naissent des inégalités face au droit à la sécurité puisque la capacité d’action des communes dépend d’abord e leurs ressources.

Les différentes formes de polices municipales mises en évidence par nos collègues illustrent le fait que la proximité est un élément essentiel de la prévention de la délinquance. Médiation, dialogue, connaissance du territoire, présence visible sur le terrain sont autant de moyens d’assurer la tranquillité de l’espace public et des habitants. Les outils de répression que la loi met entre les mains des policiers municipaux ou des gardes champêtres n’ont eux-mêmes pour finalité que de renforcer la dissuasion.

Cependant, la montée en puissance, au cours des dernières années, des problématiques de sécurité, parfois instrumentalisées à des fins un peu moins nobles, a eu pour conséquence de brouiller ce schéma.

Soyons clairs : tandis que certaines politiques pénales tendaient à occulter l’indispensable volet préventif, à l’échelon local, les actions de prévention ont été quasiment laissées de côté.

Du reste, nous constatons que certaines communes ont tendance à rapprocher leur doctrine d’emploi de la police municipale de celle de la police nationale.

Depuis le début de ce débat, certains mots sont revenus à plusieurs reprises dans la bouche des orateurs : territorial, coopération, coordination, intercommunalité, mutualisation. Si ce rapport est bien fait, c’est parce que ses auteurs sont des élus locaux qui connaissent bien la problématique locale, qui la vivent au quotidien, avec ses bonheurs, mais aussi, hélas ! ses malheurs. Néanmoins, le logiciel demeure le même : on n’a pas remis le dossier complètement à plat, on ne s’est pas demandé quels étaient fondamentalement les problèmes de sécurité dans notre pays, ni même s’il appartenait vraiment à la police d’État et aux polices municipales de les régler.

Monsieur Pillet, monsieur Vandierendonck, ne vous méprenez pas sur mes propos : vous faites dans ce rapport des propositions remarquables, mais les solutions que vous préconisez sont le reflet de votre expérience, des outils auxquels vous recourez habituellement. Vous parlez de mutualisation, de regroupement, de rapprochement, de coordination, mais ne faut-il pas aller jusqu’à s’interroger, même si cela peut sembler choquant à certains, sur une éventuelle décentralisation de la police nationale ? (Mme Éliane Assassi s’exclame.)

Pourquoi ne pas envisager cette perspective ? Certes, elle contrevient à tout ce qu’on enseigne dans les facultés de droit, mais, pour autant, je pense que, à un moment donné, il faudra envisager cette évolution, sous une forme qui reste à définir. Je comprends que cette proposition puisse heurter, mais un changement est nécessaire, parce que les méthodes auxquelles on a recouru jusqu’à présent n’ont pas vraiment été couronnées de succès. Changer d’état d’esprit requiert certes un effort violent sur soi-même, mais c’est parfois aussi un signe d’intelligence.

Cette suggestion a, je le reconnais, un caractère iconoclaste, mais je me permets de faire remarquer que, chaque fois qu’on s’est engagé dans un mouvement de décentralisation qui nous paraissait difficile, voire impensable, la réussite a toujours été au rendez-vous.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, c’est un point de vue personnel dont j’ai fait part en conclusion de mon propos. Pour le reste de mon intervention, je m’exprimais au nom du RDSE. (M. le président de la commission des lois, M. René Vandierendonck, Mme Virginie Klès et M. René Garrec applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la sécurité est un sujet de société important en ce qu’elle garantit les libertés publiques et la protection de toutes et de tous. L’attente des Françaises et des Français sur ce sujet est, à juste titre, très forte.

À côté de l’État, les communes concourent de plus en plus à la sécurité. Les polices municipales sont devenues des acteurs incontournables du paysage local, de la sécurité et de la prévention.

Pour autant, la police municipale n’est pas un sujet qui fait consensus, en dépit des efforts des deux excellents auteurs de ce rapport pour rapprocher les points de vue.

Aussi, je me réjouis de la tenue de ce débat, qui prolonge la réflexion que j’ai pu mener moi-même dans le cadre de mon rapport spécial sur la sécurité, au nom de la commission des finances.

Même si elle demeure insuffisamment entendue, ma formation politique apporte des réponses à la fois novatrices et pertinentes en matière de sécurité. Nous pensons qu’il est temps d’évoluer dans nos modes de pensée et de revoir le fonctionnement de la police municipale.

En effet, on ne peut envisager la sécurité uniquement sous l’angle de la répression, comme cela a été le cas, pendant trop longtemps, notamment sous l’ancien gouvernement. La sécurité relève aussi du « vivre ensemble » et c’est dans cet esprit qu’une meilleure gouvernance au niveau de la police municipale doit être mise en place. Il convient aussi de s’interroger sur la future gouvernance locale afin de privilégier la prévention. N’oublions jamais qu’il n’est pas possible de lutter contre l’insécurité sans la participation des habitants.

C’est pourquoi nous avons tout intérêt à « investir » dans la médiation. Oui, je parle d’investissement, car on ne peut pas considérer comme du « temps perdu » le fait de créer un lien durable avec la population. Cela évite bien des conflits par la suite.

Dans ces conditions, la police municipale est incontestablement utile. Il est néanmoins primordial que ses missions soient bien définies. La police municipale ne doit pas être un supplétif de la police nationale ou de la gendarmerie, qui relèvent de registres bien différents.

Les forces de l’ordre nationales sont, en vertu de la tradition républicaine, garantes de la sécurité sur l’ensemble du territoire, ce qui implique un droit de coercition légitime. Pour éviter toute dérive, le droit à « la privation de liberté » par la force doit être le plus limité possible et rester du domaine étatique. Je veux dire par là, même si cela fait débat, qu’il me paraît assez naturel que seules la police nationale et la gendarmerie devraient pouvoir être armées.

M. Joël Guerriau. Tout à fait d’accord !

M. Jean-Vincent Placé. C’est la condition sine qua non pour que l’usage de la force reste exceptionnel, dûment contrôlé et bien encadré, grâce, notamment, à la formation des agents de police et des gendarmes.

La police municipale, quant à elle, peut naturellement compléter l’action de la police nationale. Ses tâches sont multiples : accueil des administrés, sécurisation des entrées et des sorties d’école, police des marchés ou des cimetières, urbanisme, lutte contre le bruit, défense de l’environnement, stationnement payant, régulation de la circulation routière, etc. C’est une police du quotidien à laquelle on peut aussi assigner des objectifs de police de proximité.

Il faut profiter des compétences et de l’expertise de cette police, qui, au plus près des citoyens, a une excellente connaissance des quartiers et instaure une relation de confiance avec les habitants. À cet égard, il est important de laisser l’initiative aux policiers de terrain pour construire cette relation et réaliser cette osmose avec la population. La fonction de la police municipale est d’assurer la tranquillité et la salubrité de l’espace public dans le périmètre de la municipalité.

Dans le cadre des missions que j’ai évoquées, il ne me semble pas du tout nécessaire que la police municipale soit armée. Ses agents ne devraient pas être autorisés à porter d’arme à feu, de pistolet à impulsion électrique ou de Flash-Ball ; en revanche, ils doivent pouvoir être dotés de protections individuelles adaptées, car il ne s’agit bien évidemment pas de mettre en danger ces policiers.

Vous l’aurez compris, je plaide pour une police municipale de terrain qui ne soit ni un « sous-produit » ni un « concurrent » de la police nationale. Sur ce point, le flou ne doit pas être entretenu. Aussi, je me permets de vous interpeller, monsieur le ministre, afin de savoir si vous comptez définir clairement les missions prioritaires et l’identité de la police municipale.

Bien que j’estime que cette dernière n’a pas vocation à se renforcer à outrance au détriment de la police nationale, je crois toutefois qu’il faut lier ce débat, dans ses aspects non seulement juridiques, mais également budgétaires, à celui sur la vidéosurveillance.

Même si, en tant que rapporteur spécial de la mission « Sécurité », je ne suis pas parvenu, lors de l’examen de la loi de finances pour 2012, à rallier une majorité de mes collègues à ma cause sur cette question, je demeure très critique vis-à-vis de la vidéosurveillance et c’est pourquoi je salue la diminution des crédits qui y sont consacrés. (M. le ministre s’étonne.)

Je précise, ministre le ministre, puisque je vois votre étonnement, que je parle du volume global des crédits en faveur de la vidéosurveillance, et non des crédits d’État, lesquels ont été maintenus.

La vidéosurveillance représente un gouffre financier pour les communes qui doivent assurer le coût des investissements, de maintenance et de visionnage des images par des agents, lesquels ne sont plus, de fait, sur le terrain. Et tout cela, au final, pour quelle efficacité ? Aucune étude ne la démontre, ce qui rend l’efficience de cette politique somme toute discutable et contestable.

Je vous avoue également ma crainte quant à une intrusion du privé dans le domaine de la sécurité. Dans mon rapport de 2011, j’alertais le gouvernement de l’époque sur les conséquences de la RGPP sur le niveau de sécurité garantie par les forces de l’ordre. Je soulignais le risque d’une « privatisation rampante » de la sécurité, faute d’un État ayant les moyens de répondre par lui-même aux attentes légitimes de nos concitoyens.

À cet égard, je me réjouis que le ministre ait mis fin à cette logique en renforçant les effectifs.

Ni la police municipale ni les activités privées de sécurité ne sont destinées à combler les manques de la police nationale ou de la gendarmerie. L’encadrement de la sécurité privée doit d’ailleurs être renforcé.

Je conclurai mon propos en évoquant quelques pistes d’évolution.

Pourquoi ne pas créer des écoles interrégionales de police municipale dirigées par les délégations régionales du Centre national de la fonction publique territoriale, le CNFPT ? Pourquoi ne pas mettre en place un corps d’inspection des polices municipales ? Enfin, il serait bon de mutualiser davantage les moyens des polices municipales au sein des intercommunalités et, à cette fin, de conduire une réflexion sur la cohésion territoriale, sur ce qu’on pourrait appeler l’« aménagement de la sécurité » par analogie avec l’aménagement du territoire. En la matière, même si le débat progresse, il n’est pas tranché.

En espérant avoir exposé de manière équilibrée les convictions des écologistes sur cette question, j’espère que nous pourrons avoir un échange constructif avec M. le ministre au cours de ce débat, dont je salue l’action dans ce domaine. (M. le président de la commission des lois, M. René Vandierendonck et M. Alain Fauconnier applaudissent.)