M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le code de la sécurité intérieure le proclame : « L’État a le devoir d’assurer la sécurité en veillant, sur l’ensemble du territoire de la République […], au maintien de la paix et de l’ordre publics, à la protection des personnes et des biens. »

Les dérives qui découlent du désengagement progressif de l’État en matière de sécurité dans nos communes touchent aux fondements mêmes de notre République, pour reprendre des termes contenus dans le rapport de nos deux collègues. J’ajoute que ces dérives et ce désengagement se sont particulièrement fait sentir quand la droite était au pouvoir, singulièrement durant le précédent quinquennat.

Nous adhérons donc totalement au constat que dressent les auteurs de ce rapport, d’autant que, à maintes reprises, notamment dans cet hémicycle, nous avons dénoncé ce désengagement et alerté sur ses conséquences.

Ce rapport a donc une résonance particulière puisqu’il est corédigé, et donc « coapprouvé », si je puis dire, par deux sénateurs de bords différents, nos collègues François Pillet et René Vandierendonck, dont je tiens saluer le rigoureux travail de fond.

Même si nous pourrions discuter en détail chacune des 25 propositions contenues dans ce rapport, le constat, établi par la gauche comme par une partie de la droite de cette assemblée, des méfaits du désengagement de l’État en matière de sécurité est de nature à nous satisfaire, dans un premier temps. Peut-être même laisse-t-il présager une évolution prochaine en la matière ! Nous l’espérons, car il serait dommage que ce travail reste « dans les tiroirs ».

Ainsi, le rapport dénonce à juste titre la diminution progressive des effectifs de police nationale au cours des dernières années et le retrait des forces régaliennes du territoire, que les maires de tous bords – je dis bien : de tous bords – soucieux de la sécurité des citoyens, sont contraints de compenser par le renforcement de leurs services de police municipale.

Nos élus constatent chaque jour les conséquences de cet abandon, qu’ils se voient contraints de pallier par diverses mesures, qui entraînent toutes, pour les budgets locaux des charges supplémentaires auxquelles ils ne peuvent souvent faire face qu’avec difficulté.

Il s’ensuit inéluctablement une aggravation des inégalités entre nos concitoyens devant la sécurité en fonction des moyens dont disposent les communes, puisque toutes ne peuvent se permettre de compenser l’absence de police nationale par l’emploi de policiers municipaux ou par le recours à la vidéosurveillance – quoi que j’en pense par ailleurs –, voire à des services de sécurité privés.

De plus, même si elles en avaient les moyens, ce ne serait pas leur rôle. La sécurité des citoyens est une mission régalienne et doit le demeurer. « L'État ne doit pas délaisser sa responsabilité éminente », dit le rapport. J’ajoute que l’argent des collectivités serait sans doute plus utile dans la construction de logements sociaux.

Le rapport souligne aussi qu’au-delà des contraintes budgétaires, le désengagement des forces régaliennes brouille les pistes et entraîne des confusions. Pour avoir reçu un très grand nombre de représentants de syndicats de policiers municipaux, je peux dire qu’ils partagent ce point de vue.

La confusion concerne d’abord les agents de police municipale, qui se trouvent, par la force des choses, contraints d’accomplir de nouvelles missions de répression dévolues en principe aux forces nationales, au détriment de leurs missions traditionnelles de prévention et de proximité, pourtant essentielles.

Mais elle s’installe aussi dans l’esprit des citoyens, entretenue par la similarité des uniformes et des équipements. Ses conséquences peuvent être très dommageables. Les habitants sont en effet conduits à penser – je m’y suis moi-même déjà trompée – que l’ensemble des policiers, qu’ils soient nationaux ou municipaux, ont pour tâche principale de combattre les crimes et délits, de rechercher leur auteur et de les livrer à la justice.

On devine la pression supplémentaire qui pèse sur les policiers municipaux face à des citoyens qui risquent de voir leurs espérances déçues du fait du décalage entre les nouvelles missions assignées aux policiers municipaux et les moyens juridiques dont ils disposent.

On devine le mal-être de ces policiers, qui, du fait des nouvelles charges qu’ils subissent, ont légitimement le sentiment de ne pas être reconnus à leur juste valeur.

S’agissant de l’armement des polices municipales, je n’y suis personnellement pas favorable, quelle que soit la nature des armes. Mais, au-delà de mon opinion, on devine que la polémique à ce sujet dissimule en réalité un débat plus large lié, là aussi, aux missions qui ne leur échoient qu’en raison du désengagement de l’État.

La seule issue à ces problèmes est une réappropriation par l’État de sa mission régalienne. En la matière, notre position est claire : la sécurité n’est pas l’affaire des municipalités, mais de l’État.

Pour éviter le développement d’une sécurité à double vitesse, je suis favorable, à l’inverse de Jean-Pierre Plancade, à la création, à terme, d’un grand service public où seraient regroupées les polices municipales, la police nationale et la gendarmerie nationale, et où le rôle des différentes forces serait clairement défini, de façon à mettre un terme à ces confusions, dans l’intérêt des citoyens comme des policiers.

M. Jean-Pierre Plancade. Ce n’est pas incompatible avec la décentralisation !

Mme Éliane Assassi. Certes, mais ce n’est quand même pas tout à fait le même projet. J’espère que le débat de ce matin ouvrira la voie à un débat plus ample, qui nous permettra éventuellement de trancher la question.

Je pense que cette proposition aurait la vertu de clarifier le statut social des policiers municipaux. Elle est ambitieuse, c’est vrai, mais elle mériterait, comme d’autres propositions, dont la vôtre, d’être débattue.

Nous avons réclamé, il y a quelque temps déjà, une réflexion globale sur la police municipale. Ce travail étant maintenant impulsé par ce rapport, il reste à agir !

Nous savons, monsieur le ministre, que vous avez reçu les syndicats représentatifs des policiers municipaux. Peut-être nous apporterez-vous des éléments de réponse sur les intentions de l’État en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc de la commission.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Les polices municipales, avec plus de 25 000 agents répartis dans près de 4 000 collectivités, sont aujourd’hui une réalité.

Le débat idéologique sur la nécessité et l’utilité de créer une police municipale me semble derrière nous. Mais comment en vient-on à créer une police municipale ?

Dans le consensus que recueille le travail excellemment engagé par les rapporteurs, il faut rappeler une évidence qui n’est pas franchement « politiquement correcte ». On crée une police municipale quand on constate qu’à défaut, on ne disposera d’aucun autre moyen pour assurer une présence supplémentaire et répondre aux attentes de la population. L’essor des polices municipales tient au fait que l’espoir de voir les effectifs de police nationale ou gendarmerie augmenter a disparu. J’ai créé, il y a quatre ans, une police municipale dans ma ville du Bourget, et je n’imagine pas un instant revenir à la situation antérieure, car il s’agit d’une présence et d’un moyen supplémentaires que l’État ne peut fournir.

Pour la population, les policiers municipaux s’inscrivent dans la réalité locale, et font partie du paysage communal. Leur absence, ou plutôt leur non-visibilité, dans les rues de nos villes suscite l’interrogation et, parfois, le mécontentement. Cela prouve l’utilité de ces agents territoriaux au service de la tranquillité publique.

La police municipale est aussi nécessaire à la politique du maire, à l’exécution des arrêtés municipaux qu’il prend au titre de ses pouvoirs de police. Avec l’extension de leurs missions, les polices municipales sont devenues à la fois un outil de la politique de cadre de vie des maires et, surtout, de la politique de prévention de la délinquance. En quelques années, parce qu’elles se sont professionnalisées, elles se sont imposées comme des acteurs de premier plan dans les dispositifs locaux de sécurité publique.

Il est utile que le Sénat ouvre ce dossier avec pragmatisme, car il ne s’agit pas de révolutionner l’existant.

Comme le notent les rapporteurs, que nous remercions d’avoir lancé ce débat, il n’y a pas une police municipale mais des polices municipales, ce qui se traduit sur le terrain par une grande diversité de pratiques et de missions des agents municipaux. Qu’y a-t-il de commun, en effet, entre le policier municipal d’une commune rurale, qui s’occupe principalement du respect des règles de stationnement et dont les fonctions rappellent un peu celles du garde champêtre, et celui de la ville de Nice, qui travaille au sein d’un service de 578 agents armés, équipé d’un centre de supervision urbaine de vidéosurveillance et dont les missions viennent en appui de celles des forces nationales ?

En Île-de-France, les polices municipales, par leur forte présence au cœur de l’agglomération parisienne et par la diversité et l’étendue de leurs missions, sont devenues des acteurs essentiels de la sécurité. Plus d’un tiers des communes sont aujourd’hui équipées d’une police municipale.

Je pense qu’il est important que la police municipale conserve cette proximité avec la population, en étant présente sur le terrain et en contact avec les habitants, pour des actions de prévention, auxquelles il faut cependant se garder de cantonner les policiers municipaux.

Reconnaître le travail des polices municipales, c’est reconnaître que la médiation et la connaissance des intervenants de toutes sortes, y compris des fauteurs de troubles, sont très précieuses lorsqu’il est nécessaire de comprendre ce qui se passe, par exemple après des échauffourées. La police municipale connaît le terrain.

De par mon expérience locale, pas plus que nos rapporteurs, je ne suis favorable à ce que l’on change radicalement le cadre législatif existant. Il laisse en effet aux maires les marges de manœuvre nécessaires pour définir le rôle et les missions de la police municipale. Cette souplesse et cette liberté permettent à chaque maire de fixer la politique de sécurité qu’il entend mettre en œuvre dans sa commune, en fonction des problématiques locales de sécurité et ainsi d’apporter une réponse adaptée aux réalités locales.

Cela étant, les polices municipales ne sont pas « la » solution : elles ne constituent qu’un élément d’efficacité supplémentaire. Leur développement ne remplacera pas l’État dans son rôle nécessaire. Si les polices municipales sont utiles, ô combien, elles ne sauraient cependant servir de prétexte à un désengagement de l’État.

Bien entendu, le contrôle de l’État est nécessaire et le rôle du préfet est important puisqu’il lui revient d’agréer et assermenter les policiers municipaux, ainsi que d’autoriser le type d’armement souhaité par le maire.

S’agissant de l’armement il faut se garder d’une approche idéologique et privilégier, là encore, une vision pragmatique. Exposer des agents exige de se donner les moyens d’assurer leur sécurité. Il faut faire confiance aux maires et examiner cette question à l’aune des situations et des caractéristiques de chaque territoire.

L’armement relève principalement de la doctrine d’emploi des policiers municipaux. Dans ma commune de la banlieue parisienne, l’armement de 4e catégorie des policiers municipaux est nécessaire pour assurer leur propre sécurité. Le type de délinquants auxquels ils peuvent être confrontés et les missions qui leur sont confiées justifient qu’ils portent ce type d’armement. Mais je comprends que des maires, confrontés à d’autres réalités dans leur commune, choisissent de ne pas armer leur police municipale ou de l’équiper uniquement de tonfas et de bombes lacrymogènes.

C’est pourquoi, à mon sens, il est bon que ce soit le préfet qui accorde l’armement de la police municipale, sur demande motivée du maire, et par autorisation individuelle des agents, pour des missions définies. C’est là une garantie contre de possibles dérives.

Il faut aussi, de ce point de vue, renforcer la formation des policiers municipaux. Je souscris aux propositions inscrites dans le rapport relatives au renforcement de l’entraînement annuel au tir pour les agents équipés d’une arme de 4e catégorie et à la formation à l’utilisation du bâton de défense.

Plus globalement, et le rapport l’évoque longuement, il faut poursuivre la professionnalisation des policiers municipaux par une formation de qualité plus adaptée à la diversité des fonctions qu’ils sont amenés à exercer, comme le demandent leurs représentants professionnels. En tant que maires, nous avons tout à gagner à disposer d’agents mieux formés et mieux encadrés.

Quant à la vidéoprotection, elle me semble aujourd’hui essentielle dans la lutte contre la délinquance. Les polices municipale et nationale peuvent ainsi cibler leur présence sur le terrain et leurs interventions dans les zones les plus sensibles. La vidéosurveillance est un élément capital dans une politique de sécurité efficace, et c’est un moyen, un moyen seulement, mais un moyen important, de réintroduire de la proximité dans l’action globale de nos polices.

En outre, la vidéosurveillance constitue un bon instrument pour faire travailler ensemble police nationale et police municipale, l’une utilisant, pour mener à bien des enquêtes de police judiciaire, les images transmises et exploitées par l’autre. Elle autorise un diagnostic partagé de la délinquance et donc la mise en œuvre d’un travail commun quotidien appuyé sur la cartographie et la géolocalisation des délinquants. C’est en tout cas une des voies possibles.

Cela me permet d’aborder la question de la coordination des actions entre la police nationale et la police municipale. On le constate à la lecture du rapport, les relations entre forces régaliennes et agents de police municipale sont un sujet majeur et récurrent de préoccupation pour les élus et les représentants des policiers municipaux. Elles sont visiblement parfois sources d’insatisfaction. Je souhaite témoigner du contraire : dans ma ville du Bourget, la police municipale travaille en parfaite entente avec la police nationale, sous son contrôle et son autorité, celle du préfet et celle du parquet. Cette entente nous permet de faire face à la délinquance en échangeant, dans le cadre réglementaire, les informations nécessaires et en menant des opérations communes quand la situation l’exige.

C’est, chez nous, en Seine-Saint-Denis, une nécessité et un accélérateur d’efficacité. Si les forces de l’ordre nationales et municipales ont leurs missions respectives dans le maintien de l’ordre public, il faut trouver les voies et moyens pour favoriser leur complémentarité sur le terrain.

Je crois que ces bonnes pratiques, lorsqu’elles sont mises en œuvre, constituent un acquis qui demeure ensuite au-delà des changements d’hommes. Quand cela fonctionne bien, c’est très efficace. Ainsi, dans ma modeste commune de 15 000 habitants, nous avons réussi en trois ans à faire baisser la délinquance de 20 %. Cela correspond à la période de mise en place de la police municipale, et le préfet Lambert nous a lui-même indiqué qu’elle avait joué un rôle majeur dans ce succès, aux côtés des forces de police nationale.

Nous avons donc retrouvé le terrain et recréé de la proximité, peut-être même recréé la police de proximité ! Mais les mots comptent peu au regard de la réalité des chiffres. En Seine-Saint-Denis, l’enjeu majeur est de travailler ensemble pour faire face au défi de la délinquance ; je sais que le préfet veille à ce qu’il en soit ainsi.

Compte tenu de la diversité des polices municipales, il pourrait être utile de partager les expériences de terrain. D’aucuns ont évoqué la création, au ministère, d’un bureau qui serait un « lieu ressource » ou un « lieu référence », d’autres, une académie des polices municipales, qui pourrait être gérée par le monde territorial. Ces voies méritent d’être examinées, dès lors qu’est respectée l’autonomie des collectivités locales.

Comme le souligne le rapport d’information, la coopération n’est pas parfaite, du fait de l’existence de certains freins juridiques. Les améliorations pratiques proposées par nos collègues, qui reprennent d’ailleurs les demandes récurrentes des syndicats de policiers municipaux et des élus, vont dans le bon sens : un accès direct aux fichiers routiers et une amélioration des communications entre les différentes forces de sécurité, qui est une question majeure.

M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. C’est très important !

M. Vincent Capo-Canellas. Il est nécessaire que le poste de police dispose au moins d’une radio afin que les policiers municipaux sachent ce qui se passe dans la circonscription.

M. François Pillet, au nom de la commission des lois. C’est très important !

M. Vincent Capo-Canellas. Ils ont, par exemple, besoin de savoir qu’une opération dangereuse est menée, car des délinquants armés circulent dans la ville. À défaut, les policiers municipaux travaillent à l’aveugle et il peut en résulter, on l’a vu, des événements tragiques. Certes, ce n’est pas simple de mettre en œuvre cette logistique, mais il faut y travailler, car, en la matière, ce problème constitue une véritable inquiétude pour les maires, et la responsabilité de chacun est engagée.

L’extension de la liste des contraventions pouvant être verbalisées par timbre-amende ou encore l’autorisation d’effectuer des contrôles préalables en matière routière sont également évoquées dans le rapport d’information de nos collègues.

Monsieur le ministre, vous aurez compris la philosophie qui m’anime : ne modifions pas ce qui fonctionne bien ; n’imaginons pas une révolution qui n’aurait pas de sens et qui ne nous conduirait sans doute nulle part ; renforçons la police nationale et la gendarmerie nationale ; ayons conscience que le vieux modèle, dans lequel la police nationale et la gendarmerie œuvraient seules, laisse tranquillement place, sous le contrôle de l’État, à la complémentarité nouvelle qui se fait jour avec les polices municipales ; accompagnons ce mouvement de manière pragmatique ; enfin, regardons avec tout l’intérêt qu’il mérite le rapport d’information de la commission des lois et engageons-nous dans l’étude de la mise en œuvre des mesures suggérées. Tel est en tout cas le vœu que je forme, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. René Vandierendonck applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Natacha Bouchart.

Mme Natacha Bouchart. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à saluer l’excellente qualité du rapport d’information de nos deux collègues.

Mon intervention se placera dans le cadre des discussions faisant suite aux propositions de ce rapport, mais je m’attacherai aussi à faire remonter mon expérience de terrain forgée depuis plusieurs années dans l’exercice de mes mandats d’élue locale.

Ville de province de 75 000 habitants, Calais est doté d’une police municipale, dont je partage la vie quotidienne et dont, surtout, j’assume la responsabilité. C’est pourquoi je puis, à l’instar d’autres collègues, livrer une vision issue directement du terrain.

De 5 600 agents en 1984, les effectifs des polices municipales françaises sont passés à plus de 18 000 aujourd’hui. Aussi était-il inévitable que la police municipale connaisse une véritable « crise d’identité », qui est bien évidemment liée à une « crise de croissance », comme nos collègues l’ont souligné dans leur rapport d’information.

La publication de ce rapport parlementaire et la tenue de ce débat au Sénat sont les bienvenus, car ils vont permettre d’avoir une nouvelle vision de nos polices municipales et de leur proposer un nouvel avenir. Les clivages politiciens peuvent, en la matière, laisser la place à l’expérience locale des collectivités, que la Haute Assemblée a vocation à représenter.

Je veux vous faire part de mes convictions, dont plusieurs sont partagées par MM. Pillet et Vandierendonck dans leur rapport.

La crise d’identité et de croissance que vit la police municipale est liée à un véritable paradoxe qu’il appartient aux responsables politiques de résoudre. Le boom des effectifs depuis vingt-cinq ans montre bien l’engouement des élus et des populations pour ce service public. Qui imaginerait aujourd’hui s’en passer ? Le caractère indispensable des polices municipales est devenu évident. L’attachement des populations a sans doute été révélé aux yeux de tous, sur le plan national, lors du décès, il y a deux ans, de l’agent de police Aurélie Fouquet, qui avait suscité une très vive émotion dans le pays.

Le geste symbolique de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, d’assister aux obsèques de la jeune policière municipale, comme le chef de l’État peut le faire pour des soldats, était bien en phase avec le sentiment de grande considération que porte la société française à ses policiers municipaux.

Toutefois, demeure un flou permanent sur les missions des policiers municipaux, ce qui explique, en bonne partie, la regrettable mésestime dont ils font l’objet de la part de certains : des fauteurs de troubles, bien sûr, mais aussi, parfois, en tout cas trop souvent, de leurs homologues de la police nationale.

La clarification des missions doit répondre à cette crise d’identité, qui pourrait devenir une crise de confiance si nous n’y prenions garde. Pour apporter à nos policiers municipaux toute la confiance qu’ils méritent, il faut revaloriser leur rôle, ce qui va de pair avec une grande exigence à l’égard de ce corps de métier.

Cela passe, sans aucun doute, par la création d’une véritable « filière sécurité » au niveau local.

Appelé « police territoriale », ce corps pourrait avantageusement réunir les agents de police municipale avec les ASVP, les agents de surveillance de la voie publique, et les gardes champêtres, sans pour autant mélanger leurs prérogatives.

Concernant les ASVP, il s’agirait ni plus ni moins que d’entériner ce qui se fait déjà dans bon nombre de communes. À Calais, par exemple, les agents de surveillance de la voie publique sont sous la responsabilité directe du chef de la police municipale.

Le bon sens commande en effet que les deux corps, amenés à coopérer en permanence sur le terrain, et qui sont d’ailleurs souvent basés dans les mêmes locaux, puissent être officiellement coordonnés sous la même houlette.

Pour les gardes champêtres, ce serait, en revanche, une innovation, mais elle serait en cohérence avec une réforme possible proposée dans le rapport, qui est, elle aussi, intéressante ; je veux parler de la création d’une police intercommunale. Cette possibilité ne doit en rien devenir une obligation : elle doit être laissée au libre choix des communes et des intercommunalités. Toutefois, elle peut s’avérer utile pour mutualiser les moyens entre les petites communes rurales périphériques et les centres urbains.

Les petites communes n’ont ni les moyens ni le besoin d’entretenir des effectifs importants de police municipale. Mais elles peuvent avoir occasionnellement besoin d’une mise à disposition d’agents, par exemple lors de l’organisation d’événements festifs ou culturels.

La création de cette « filière sécurité » au niveau communal doit s’accompagner d’une clarification des relations entre police municipale et police nationale.

Source de malentendus fâcheux, la situation actuelle n’est pas satisfaisante et ne permet pas de créer une entente optimale entre les deux polices. Les policiers municipaux se sentent encore parfois considérés, à tort, comme des policiers de seconde zone.

La police municipale doit devenir notre véritable police de proximité. Sans tomber dans une polémique facile, nous pouvons tous aujourd’hui reconnaître, me semble-t-il, que cette mission spécifique de proximité ne peut être dévolue à la police nationale.

La police nationale a ses missions, et c’est son honneur de les assumer. La police municipale doit avoir les siennes, et il se trouve qu’elle est particulièrement bien placée pour les remplir au plus près des habitants.

N’étant pas soumis aux règles des classements et des mutations, les policiers municipaux sont presque toujours recrutés localement, ce qui favorise leur intégration dans le tissu social. Souvent bien connus des habitants, ils sont un atout important pour le renseignement et sont un élément de cohésion sociale dans nos quartiers. Ce rôle doit donc être pleinement reconnu, ce qui suppose l’attribution des moyens nécessaires, en bonne entente avec la police nationale.

Certes, des conventions de coordination existent, mais les mentalités ont la vie dure, et certaines procédures ne sont pas de nature à créer les conditions d’une collaboration qui pourrait pourtant devenir excellente.

Je prendrai l’exemple de l’accès au fichier des cartes grises, qui, nous le savons tous, n’est pas ouvert directement aux policiers municipaux, alors qu’ils en ont besoin au quotidien. Cela crée une situation de dépendance des policiers municipaux vis-à-vis des policiers nationaux, les premiers étant contraints de solliciter les seconds pour obtenir les informations. Il est pourtant indispensable d’obtenir ces éléments le plus rapidement possible pour la mise en fourrière d’un véhicule ou pour contrôler un automobiliste, par exemple. Cette dépendance est évidemment néfaste à tous, car elle est aussi source d’une inutile perte de temps pour les policiers nationaux. C’est pourquoi l’accès aux fichiers routiers doit être ouvert rapidement aux polices municipales.

Nous devons aussi penser à simplifier les procédures qui alourdissent le travail des agents. En leur permettant de verbaliser sur-le-champ les contrevenants aux arrêtés du maire, sur le modèle des infractions au stationnement, nous ferions gagner un temps précieux aux policiers municipaux.

M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. C’est vrai !

Mme Natacha Bouchart. Concernant la question du port d’armes, il nous faut avoir une position mesurée, dénuée d’idéologie.

Le port d’armes peut se justifier dans certaines villes, tandis qu’il n’est pas nécessaire dans d’autres.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Très bien !

Mme Natacha Bouchart. Bien entendu, dans des villes où la délinquance sévit fortement, le port d’armes peut être un élément d’intimidation et de protection pour les policiers municipaux. À Calais, ville où la délinquance est maîtrisée, mais qui subit la présence journalière des migrants,…

M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. Eh oui !

Mme Natacha Bouchart. … je n’ai, pour ma part, pas jugé utile, pour l’instant, de mettre en place le port d’armes pour nos 21 agents.

Par ailleurs, la clarification du rôle des polices municipales doit aller avec la valorisation de celles-ci.

Les revendications sociales des agents sont naturellement légitimes quand il s’agit d’aligner sur le modèle des policiers nationaux l’intégration des primes dans le calcul des cotisations pour la retraite. Cette réforme de l’indemnité spéciale de fonction doit être un objectif. Elle pourrait cependant être, il faut en être conscient, un coût pour les communes. Y aura-t-il une contribution au niveau national ? Je profite de ce débat pour vous interroger, monsieur le ministre, sur cette question. La ville de Nice a les moyens d’assurer cette dépense, mais tel n’est pas le cas de la ville de Calais !

M. René Vandierendonck, au nom de la commission des lois. Il faut une péréquation !

Mme Natacha Bouchart. Or il s’agit bel et bien de la sécurité de tous ! Les communes les plus pauvres font des efforts en la matière et voudraient même faire plus, mais elles ne le peuvent, faute de disposer d’un budget le leur permettant.

Je suis favorable à l’idée de faciliter l’accès au statut du cadre A des chefs de police municipale, alors que le titre de directeur n’est aujourd'hui donné qu’à partir d’un effectif de 40 agents.

Par ailleurs, j’ouvrirai une parenthèse sur un éventuel changement de la couleur des uniformes, qui m’inspire les plus expresses réserves.

En effet, les uniformes des agents ont déjà été modifiés en 2003,…