PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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Débat sur l’avenir du service public ferroviaire

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir du service public ferroviaire, organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Mme Mireille Schurch, pour le groupe CRC.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis de trop nombreuses années, notre système ferroviaire a été mis à mal, sous l’impulsion de directives européennes de libéralisation, appliquées avec zèle, il faut le dire, par le précédent gouvernement.

Ouverture à la concurrence, rétraction de l’offre, absence de financement public ou encore démantèlement de la SNCF ont été les maîtres mots de cette stratégie condamnant toute idée d’un service public de transport ferroviaire, qu’il soit de personnes ou de marchandises.

Nous avons également assisté à une remise en cause systématique du statut des cheminots et de leurs droits. On les a fait passer pour des nantis, alors même qu’ils sont les artisans, au quotidien, de la qualité du service public, auquel ils sont fortement attachés.

Les Assises du ferroviaire, qui se sont tenues l’an passé, ont établi un constat unanimement partagé : il est nécessaire de réformer le système ferroviaire pour le rendre plus efficient et plus lisible.

Le 30 octobre dernier, vous avez vous-même annoncé, monsieur le ministre, une réforme d’ampleur. Les annonces que vous avez faites sur les fondements qui devront guider cette réforme, dans l’attente des conclusions de la mission confiée à Jean-Louis Bianco, sont encourageantes, puisque vous proposez la création d’un pôle public ferroviaire. Cette formule nous semble bien adaptée. Pour autant, le contenu de ce pôle public mérite d’être encore précisé.

L’intitulé de ce débat sur l’avenir du service public ferroviaire n’est pas anodin. En effet, il nous a semblé utile de ne pas limiter les enjeux à de simples questions organisationnelles ou de gouvernance ; nous avons souhaité nous interroger sur les missions qui doivent incomber au système ferroviaire, ainsi que sur la définition du service public ferroviaire.

C’est donc avec cet objectif que nous avons pris l’initiative d’organiser ce débat, initiative qui a été soutenue par la conférence des présidents.

J’ajoute qu’au vu du calendrier législatif à venir il nous semblait opportun de débattre des contours de la réforme que vous allez nous soumettre, monsieur le ministre. Je dirai, pour être encore plus claire, que nous voulons que ce débat ait lieu avant que certains éléments de la réforme apparaissent comme déjà « ficelés » par l’acte III de la décentralisation ou par le quatrième paquet ferroviaire, qui, sans nul doute, auront l’un et l’autre un impact très fort sur l’organisation du futur système ferroviaire.

En préalable, je souhaite indiquer pourquoi les sénateurs du groupe CRC accordent à la question ferroviaire et aux desseins de la puissance publique en la matière une si grande attention.

À nos yeux, le système ferroviaire répond à des missions d’intérêt général. C’est pour cette raison qu’il doit faire l’objet d’une forte maîtrise publique. Je pense, monsieur le ministre, que vous partagez cette analyse.

Je vois trois enjeux dans les politiques ferroviaires : l’enjeu climatique, l’enjeu de l’aménagement équilibré des territoires et l’enjeu du droit à la mobilité pour tous les usagers.

Je commencerai par l’enjeu climatique.

La lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, et donc contre le réchauffement climatique, est une priorité qui doit nous conduire à nous interroger très directement sur nos modes de production et d’organisation. Les transports sont un levier d’action majeur. Ils représentent, à l’échelle de l’Union européenne, 28 % des émissions totales. Pour cette raison, le report modal correspond à un enjeu d’intérêt général.

Le Grenelle de l’environnement avait posé des objectifs ambitieux de report modal, en prévoyant de faire passer la part des transports de marchandises alternatifs à la route de 14 % à 25 % d’ici à 2022.

Force est de constater que les politiques menées par les gouvernements de droite, loin de répondre à cette urgence, ont au contraire contribué à mettre plus de camions sur les routes, avec des conséquences particulièrement négatives sur l’environnement.

Il est grand temps d’inverser la donne. J’en viens donc à ma première question, monsieur le ministre. Comment la réforme ferroviaire peut-elle répondre à cette exigence en permettant d’opérer concrètement le rééquilibrage ?

Le deuxième enjeu est celui de l’aménagement équilibré de nos territoires.

Les 48 000 kilomètres de voie sont un atout indéniable pour l’attractivité de nos territoires. En effet, le ferroviaire est avant tout un service public de réseau, qui doit irriguer la France par un maillage plus fin du territoire et répondre aux besoins des particuliers comme des entreprises. Chaque gare qui ferme, chaque desserte abandonnée entachent le développement de la région concernée.

Pourtant, la rétraction du réseau a trop longtemps été le leitmotiv des réformes mises en œuvre tant par le gouvernement que par la SNCF et RFF.

Aussi, monsieur le ministre, et ce sera ma deuxième question, ne pensez-vous pas qu’il est urgent de mettre en avant l’utilité sociale et économique des liaisons ferroviaires pour l’égalité de nos concitoyens et des entreprises en milieu rural comme en milieu urbain ? D’ailleurs, n’est-ce pas pour garantir à tous l’accès au service public qu’un ministère de l’égalité des territoires a été créé ? Cela mérite investissements publics et vision programmatique. La réforme ferroviaire devra donc permettre de remettre l’État comme acteur incontournable de l’aménagement des territoires.

Le troisième enjeu est celui d’une nouvelle conception du droit à la mobilité pour tous.

Aujourd’hui, le droit de se déplacer conditionne clairement d’autres droits : travailler, se soigner, accéder à la culture, aux loisirs, etc.

Le transport est non pas une prestation pour ceux qui peuvent se l’offrir, mais un droit des usagers. C’est sur « l’accessibilité pour tous aux transports » que nous devons réfléchir. Dès lors, la politique tarifaire ne doit-elle pas être vue sous le prisme de l’égal accès de tous, et non pas sous le seul angle de la compétitivité, terme qu’il faudra d’ailleurs bien un jour redéfinir ?

Ce sont à ces enjeux que la refonte du système ferroviaire devra répondre prioritairement. C’est pourquoi ma quatrième question sera de savoir si vous partagez notre conception des missions du système ferroviaire, qui lui confère une dimension d’intérêt général et justifie par conséquent sa qualification de service public, monsieur le ministre.

Pour aller plus loin, notre groupe a déposé au mois de mai dernier une proposition de loi ouvrant la voie à la redéfinition des contours du service public, s’agissant de ses missions comme de ses moyens.

Tout d’abord, il nous semble urgent d’en finir avec le dogme de la concurrence. Alors que nous demandons un bilan des politiques libérales, notamment de l’application des paquets ferroviaires depuis de nombreuses années, nous estimons que le Gouvernement doit agir avec force au niveau de l’Union européenne pour obtenir qu’un bilan soit mené sur les trois premiers paquets ferroviaires avant toute discussion d’un quatrième paquet, notamment au regard des trois enjeux que nous avons désignés.

Pouvez-vous donc, et ce sera ma cinquième question, monsieur le ministre, nous indiquer quelle est votre action en ce sens auprès des instances européennes ?

Pour notre part, nous contestons le postulat d’une ouverture à la concurrence comme horizon indépassable pour les transports de voyageurs et comme gage d’une meilleure efficacité au service des usagers. D’ailleurs, et nous l’avons dit maintes fois, rien n’oblige aujourd’hui à se diriger vers une telle ouverture à la concurrence, qui n’a été actée par aucun des paquets ferroviaires et qui, malgré ce que l’on a pu entendre, n’est pas prévue dans le cadre du règlement « obligation de service public », ou règlement OSP.

En effet, ce règlement a pour unique objet d’encadrer l’octroi de compensation et de droits exclusifs pour les contrats de service public. Il ne remet donc pas en question le monopole légal conféré à la SNCF par l’article 18 de la loi du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieur, non plus que les dispositions de l’ordonnance du 7 janvier 1959 relative à l’organisation des transports de voyageurs en Île-de-France.

En clair, à notre avis, l’ouverture à la concurrence en 2014, telle que préconisée par le rapport Grignon, ou, éventuellement, en 2019, n’est ni une obligation ni, surtout, une solution, au regard des expériences de libéralisation que nous connaissons et qui n’ont pas permis de renforcer la qualité ou le niveau de l’offre, bien au contraire.

J’en viens donc à ma sixième question, monsieur le ministre. Au regard des enjeux que nous avons identifiés, êtes-vous d’accord pour dire qu’il ne faut pas laisser au marché le soin d’organiser les transports ?

Pour notre part, nous estimons qu’il faut réaffirmer la nécessaire maîtrise publique de ce secteur clé de l’économie, assumée par l’État et accompagnée par une décentralisation qui permette à l’ensemble des collectivités de prendre part dans cette nouvelle stratégie publique.

Pour nous, le nouvel acte de décentralisation doit permettre une meilleure coopération entre les différents échelons, État compris, et non un désengagement de ce dernier. À ce titre, nous sommes particulièrement inquiets quant à la possibilité annoncée de confier aux régions de nouvelles prérogatives concernant les trains d’équilibre du territoire, ou TET. Une telle démarche risque en effet de condamner la plupart de ces lignes.

Nous considérons que l’État, en tant qu’autorité organisatrice des TET, doit permettre leur maintien pour l’avenir. Mais lorsque l’on regarde les cartes de prévisions de ce qui relèvera des TET demain, c’est la stupéfaction ! Ce sont plus des deux tiers des lignes qui seraient transférées aux régions. La région Champagne-Ardenne perdrait ainsi toutes les lignes exploitées sous cette forme. Je vous rappelle les critères : les régions ne doivent pas être voisines et les villes doivent avoir une population supérieure à 100 000 habitants. Nous aurons peut-être l’occasion d’y revenir.

Dans ce cadre, je souhaite tout de même rappeler que le transfert de compétence escompté dans l’acte III de la décentralisation s’opère dans un contexte financier particulièrement difficile pour les collectivités, notamment les régions. Pouvez-vous prendre l’engagement, monsieur le ministre, de réunir les conditions pour le maintien de l’ensemble des lignes d’aménagement du territoire au nom de l’égalité des territoires, que le Gouvernement a érigée au rang de priorité, avec la création d’un ministère dédié ?

Par ailleurs, selon nous, si les régions doivent se trouver confirmées dans leur rôle d’autorités organisatrices au regard des politiques extrêmement volontaristes qu’elles ont menées en faveur des TER, il faut leur octroyer de nouvelles ressources, mais également conforter leur place d’acteur de la politique ferroviaire. C’est pourquoi nous préconisons l’entrée dans le conseil d’administration de la SNCF de représentants des régions, notamment l’Association des régions de France.

Nous préconisons également la généralisation d’un versement transport sur l’ensemble d’un territoire régional, au bénéfice des régions, dont l’usage doit être discuté avec les autorités organisatrices de transports, ou AOT, de proximité, comme les départements ou les intercommunalités. L’objectif est de leur permettre d’assumer leur compétence par une ressource dynamique et pérenne. Pouvez-vous nous indiquer, et ce sera ma septième question, si vous êtes favorable à de telles évolutions ?

En parallèle, nous estimons que l’État doit prendre ses responsabilités : responsabilités non seulement politiques, en édictant un cadre juridique permettant l’efficacité du système ferroviaire pour l’intérêt général, mais également financières.

De manière liminaire, remarquons que la dernière loi de finances ainsi que les engagements pluriannuels indiquent une baisse de crédits consacrés aux transports, ce qui n’est pas un gage encourageant pour la réforme ferroviaire.

Nous prônons donc de développer un nouveau cadre juridique qui permette le rééquilibrage modal et d’impulser une politique offensive en termes de fret ferroviaire.

Il nous semble indispensable d’apporter la précision juridique demandée par l’ensemble des groupes de la gauche depuis l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement : déclarer d’intérêt général le fret ferroviaire et plus précisément l’activité de « wagon isolé ». Lors de la discussion d’une proposition de résolution que nous avions déposée au sein de notre Haute Assemblée sur le sujet, l’ensemble des groupes de la gauche avaient, je le rappelle, adopté ce principe.

Confirmez-vous, et c’est mon huitième point, votre position en faveur du fret ferroviaire et de l’activité de wagon isolé ?

Il s’agit d’une question d’importance. En effet, une telle définition permettrait de subventionner cette activité précieuse en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre et importante pour l’aménagement des territoires. Il semble donc opportun d’agir auprès de la SNCF pour que le potentiel de développement du fret ne soit pas abandonné, à l’instar des 262 gares de triage qui ont été fermées. Un maillage fin du territoire alimentera judicieusement les autoroutes ferroviaires.

L’avenir du fret ferroviaire ne peut pas être aujourd'hui envisagé sous le seul angle de la rentabilité financière à court terme. Oui, bien sûr, aujourd’hui l’activité de wagon isolé est fortement déficitaire. Personne ne le conteste. Faut-il pour autant l’abandonner ? L’urgence n’est-elle pas justement de dégager au niveau de l’État de nouvelles ressources afin de financer ce que nous estimons devoir relever du service public et qui se révélera à terme économiquement pertinent ?

Je le rappelle, le schéma directeur présenté en 2009 consacrant l’abandon de 60 % de l’activité de wagon isolé, ce qui représente pourtant 42 % du volume de fret, a induit le report sur la route de plus de 1 million de camions, soit l’équivalent de 300 000 tonnes équivalent CO2 par an. Monsieur le ministre, nous attendons que vous preniez ici un engagement sur l’avenir du fret ferroviaire comme activité de service public répondant à une finalité d’intérêt général.

Il nous semble également indispensable de calculer aujourd'hui les coûts externes de la route. Quand et comment pensez-vous intégrer ces coûts afin de rééquilibrer les conditions de concurrence intermodale ? Actuellement, la route bénéficie d’une fiscalité très favorable.

Par ailleurs, nous nous réjouissons particulièrement que vous confirmiez la création d’une taxe poids lourds à l’été 2013. Cependant, nous estimons aussi nécessaire la révision du décret permettant le recours à des camions de plus en plus volumineux, pouvant aujourd’hui aller jusqu’à 44 tonnes.

Enfin, comment parler d’aménagement du territoire sans parler des infrastructures ? Leur financement est un enjeu central. Dans le cadre du schéma national des infrastructures de transport, ou SNIT, le travail qui s’opère sur la priorisation du développement des infrastructures est considérable. Vous héritez de cette mission alors même que le gouvernement précédent n’avait pas fait ce travail. Nous considérons que la priorité doit être aujourd’hui accordée à la régénération des infrastructures, notamment au regard des conclusions de l’étude menée par l’École polytechnique fédérale de Lausanne, mais également à la modernisation des lignes qui souffrent, par exemple, de ne pas être électrifiées ; j’en parle en connaissance de cause.

De plus, il me semble indispensable, et c’est l’Auvergnate qui s’exprime, que toutes les capitales régionales soient reliées à la grande vitesse. Ce n’est toujours pas le cas, par exemple pour Orléans, Limoges et Clermont-Ferrand.

Je plaide en l’occurrence, vous l’aurez compris, pour le projet « Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon », ou POCL, aussi appelé « LGV Grand Centre Auvergne ».

Par ailleurs, je souhaite attirer votre attention sur la nécessité d’agir pour le désendettement du système ferroviaire, car son endettement obère ses capacités et entraîne son déclin.

Puisque vous avez confirmé les objectifs draconiens de réduction de la dette publique imposés par l’Europe, il semble aujourd’hui difficile pour l’État de s’engager dans la reprise de la dette de RFF. Or il s’agit d’un objectif politique majeur vers lequel nous devons bien nous orienter. Monsieur le ministre, pouvez-vous en prendre aujourd'hui l’engagement devant le Parlement ? Que proposez-vous ?

Il est également temps de créer les outils financiers pour permettre de nouvelles recettes.

Nous avons, au travers de la proposition de loi que nous avons déposée au mois de mai dernier, cité plusieurs leviers. À ce titre, les financements de l’AFIFT, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, doivent être non seulement sécurisés, mais également renforcés. À défaut, le diagnostic établi en 2009 par la Cour des comptes, qui parlait d’une « agence de financement aux ambitions limitées, privée de ses moyens, désormais inutile », sera confirmé.

La décision de privatisation des concessions d’autoroute a été unanimement décriée. Elle a privé l’Agence de financements pérennes et a servi uniquement à renflouer la dette de l’État. La question de la renationalisation de ces concessions doit donc être étudiée. Nous souhaiterions connaître vos projets en la matière.

Des solutions novatrices doivent également être initiées. Nous vous en avons proposé une, avec la création du livret transport sur le modèle du livret A, dont la centralisation se ferait auprès de la Caisse des dépôts et consignations, permettant de libérer de l’épargne immédiatement disponible pour la création des infrastructures nouvelles.

Pouvez-vous prendre un engagement sur votre action pour dégager de nouvelles recettes pour le système ferroviaire ? Nous ne pouvons en effet pas parler de réforme du système ferroviaire sans assurer et sécuriser son financement.

Puisque la réforme du ferroviaire portera également sur les questions organisationnelles, permettez-moi de vous faire part de mon sentiment.

Dans ce cadre, nous confirmons notre intérêt pour la notion de pôle public que vous avez développée, monsieur le ministre. Nous sommes très attachés à ce que ce pôle se structure autour de la SNCF, que celle-ci conserve sa forme d’EPIC et que l’ensemble des structures juridiques qui formeront ce pôle public soient des établissements publics.

Dans cette architecture, nous préconisons aussi que les facilités essentielles définies par le premier paquet ferroviaire soient du ressort de la direction du ministère.

La création d’un gestionnaire d’infrastructure unique est également une bonne résolution tant l’expérience nous montre que la création de RFF n’était pas opportune puisqu’il s’agissait avant tout de répondre au critère de 3 % établi par Maastricht. Nous considérons, comme vous, que l’unification est le gage le plus sûr d’une meilleure efficacité du système ferroviaire.

Cette réforme, pour être réussie, doit enfin rassembler la grande famille cheminote. Pour cela, la qualité du volet social sera décisive et devra permettre non d’abaisser les conditions sociales, mais bien de garantir aux agents du ferroviaire les conditions d’un service public de qualité au service des usagers.

Voilà, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais formuler et les questions sur lesquelles nous attendons vos réponses, monsieur le ministre. Ce « nous » englobe, bien sûr, les parlementaires, mais aussi les cheminots et leurs représentations syndicales, les usagers, les entreprises et tous les acteurs du monde ferroviaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Michel Teston applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’avenir du service public ferroviaire est pour le moins incertain.

Je tiens à remercier le groupe CRC d’avoir pris l’initiative du débat qui nous occupe cet après-midi, et je salue l’intervention très structurée et motivante de Mireille Schurch.

Complexe, ce sujet est pourtant essentiel pour nos concitoyens. Le service public ferroviaire a une incidence directe sur le quotidien de millions de personnes qui empruntent les transports collectifs – que nous, les écologistes, souhaitons de plus en plus nombreux –, mais également sur toutes les entreprises qui ont besoin d’un réseau de qualité pour le transport de marchandises.

Souvent délaissé, le fret représente cependant un secteur clé de notre économie. Le rapport d’information de notre collègue Francis Grignon sur l’avenir du fret ferroviaire, qui fait encore autorité aujourd’hui, est d’ailleurs très éloquent.

Le transport ferroviaire répond à un triple enjeu, économique, social et environnemental.

Tout d’abord, au regard des défis environnementaux, la « conversion écologique des déplacements » doit constituer notre feuille de route ; la réduction de notre empreinte carbone et des gaz à effet de serre doit être notre cap. L’action publique du report modal de la route vers le rail est déterminante.

L’enjeu n’est pas seulement environnemental, il est aussi social. Il l’est pour tous les usagers, qui comptent sur la fiabilité, la sécurité et la qualité des transports collectifs à un prix abordable, mais aussi pour les cheminots et l’ensemble des salariés, qui doivent être protégés et respectés.

Enfin, la question du ferroviaire est économique. Le fret, notamment, est l’un des poumons de l’activité économique et industrielle. En période de crise, les emplois dans ce domaine, directs et indirects, sont essentiels. Cependant, le ferroviaire se heurte au poids financier du secteur. Le manque d’investissements et la dette insoutenable de RFF témoignent des difficultés. Il s’agit de parvenir à une meilleure efficience du système.

Ancien vice-président de la région Île-de-France, chargé des transports et des mobilités – je salue, d’ailleurs, la présence sur ces travées de collègues franciliens (Sourires sur de nombreuses travées.) –, j’ai pu constater le sous-investissement de l’État, qui a abouti à une situation catastrophique.

M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas que l’État, il y a aussi la SNCF !

M. Jean-Vincent Placé. Les différentes majorités qui se sont succédé ces vingt dernières années s’en partagent la responsabilité.

Grâce à la décentralisation, nous avons pu observer une nette amélioration : en dix ans, la régionalisation a permis une indiscutable augmentation du trafic, ainsi qu’une amélioration de la qualité de service grâce à l’effort financier considérable consenti par les régions. L’offre de TER, par exemple, a progressé de plus de 20 % et les transiliens de plus de 6,5%.

Les régions sont assez naturellement l’autorité la plus compétente pour animer une politique de transport des voyageurs cohérente. Maîtrisant l’aménagement du territoire et les attentes des populations locales, elles sont les plus capables d’envisager une desserte fine et d’assurer l’égalité des territoires. Pour autant, en raison d’un manque de moyens, tous les dysfonctionnements ne sont pas réglés.

De surcroît, les régions n’ont ni les capacités ni la compétence pour prendre en charge le fret ferroviaire. Or, comme je l’ai souligné, l’état de la filière est particulièrement inquiétant. La part du fret ferroviaire et fluvial en tonne-kilomètre a chuté de 43 % en 1980 à 15 % en 2009, faute d’investissements notamment. Ainsi que l’a rappelé Mireille Schurch, la part de marché du routier est, quant à elle, écrasante : elle est de près de 90 % en Île-de-France pour le transport de marchandises.

La question est donc la suivante : comment rénover notre modèle ferroviaire ?

Le débat d’aujourd’hui sur l’avenir du service public ferroviaire cache, en réalité, sous un voile pudique, la question sensible de l’ouverture à la concurrence du marché, souvent présentée comme la solution miracle à tous nos maux. Je vous le dis franchement, ce n’est pas mon avis.

Si vous écoutez nos interventions sur le plan budgétaire, économique et fiscal, il vous sera apparu que les écologistes ne croient pas au dogme de la libéralisation comme seul remède pour baisser les prix et pour améliorer le service. Bien au contraire. Certains exemples, en Allemagne, présentent un certain intérêt. Néanmoins, d’autres expériences, comme au Royaume-Uni, nous invitent à la plus grande prudence, voire à une certaine forme de défiance.

RFF a été créé en 1997 pour accompagner l’ouverture à la concurrence. L’établissement, fruit de la réflexion comptable qui avait prévalu à l’époque, n’a pas réellement fait la preuve de ses vertus et n’a pas donné de grands motifs de satisfaction.

La recherche, systématique et naturelle, de compétitivité et de bénéfices de la part des entreprises privées risque tout à la fois de créer du dumping social, de mettre en péril le niveau de sécurité des équipements et des infrastructures, et de conduire au délaissement des lignes jugées les moins rentables. Le tout pour ruiner au final notre vision du service public.

À ce rythme, je crains que nous n’aboutissions à une France à deux vitesses : d’un côté des transports de qualité et fréquents dans les zones denses, et pour les clients les plus aisés ; de l’autre, un service low cost et vétuste dans les zones isolées et pour les plus démunis. La région Île-de-France offre, malheureusement, un terrible exemple de ce qui nous attend éventuellement, si nous sommes pessimistes.

Il ne s’agit pas d’avoir une démarche idéologique, il s’agit d’avoir une démarche extrêmement pragmatique. Certains affirment que l’ouverture à la concurrence est inéluctable. On verra !

Quoi qu’il en soit, l’enjeu est donc aussi de se prémunir contre les risques que je viens d’évoquer en encadrant fortement les prestations par des contrats de service public, notamment en termes de qualité, de sécurité, de zones desservies et de politique tarifaire.

Je crois qu’il est important de pouvoir compter sur un couple État-région solide, sur des autorités organisatrices des transports lisibles et efficaces, qui assurent une gouvernance représentative. Les régions doivent également pouvoir bénéficier d’une source de financement dynamique, qui permette de dépasser l’impasse financière actuelle. Un versement transport additionnel, cela a été souligné, serait une solution assez logique et vertueuse. (Mme Laurence Cohen et M. Roger Karoutchi sourient.) Je constate que Laurence Cohen sourit, car c’est une idée que nous défendons ensemble et qui fera prochainement l’objet d’une proposition de loi du groupe CRC, que je félicite de sa constance sur le sujet du versement transport additionnel, sujet extrêmement important en Île-de-France. (M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche sourit.) Le ministre sourit également ; il peut, car il va nous entendre très longtemps sur ce thème, surtout si, comme je l’espère, il poursuit l’excellent travail qu’il a engagé. (Sourires sur plusieurs travées. – M. Roger Karoutchi s’esclaffe.)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Merci !